La leçon de Lula
Tenir le même discours au Forum social mondial de Porto Alegre et au Forum économique et social de Davos ; dire devant les militants du "mouvement social mondial" ce que l'on va expliquer, quelques heures plus tard, à la crème de "l'élite entrepreneuriale globale". Prendre à bras-le-corps la réalité économique de ce début du XXIe siècle sans céder au confort de l'idéologie. C'est un peu cela le courage intellectuel et politique.
Et, dans l'exercice auquel il vient de se livrer de Porto Alegre à Davos, Luiz Inacio Lula da Silva a fait preuve de ce courage-là.
Il n'a pas renié son "camp", l'ancien ouvrier métallo diplômé de la "business school" de la lutte syndicale, devenu président du Brésil trois semaines plus tôt. : "J'apporte ici l'espoir de mes frères et s½urs de Porto Alegre", a-t-il dit, samedi 25 janvier, devant le parterre de chefs d'entreprise et de responsables politiques réunis à Davos. Mais, en exposant son "appel à un nouveau modèle de développement", il n'a pas, non plus, renié ce qui fait la singularité des propos qu'il tient devant ses amis du Forum social.
Qu'est-ce qui fait l'originalité du discours de Lula ? Deux grandes convictions, semble-t-il. La première est que la globalisation commerciale, si elle a laissé en l'état une partie de la misère du monde (en Afrique, notamment), en a allégé une autre (en Asie et aussi en Amérique latine). Le président du Brésil sait bien que l'on ne reviendra pas sur le libre-échange. Le chef de l'Etat d'une nation de 170 millions d'habitants qui est aussi la première puissance économique d'Amérique latine n'imagine pas d'avenir pour son pays à l'abri de barrières douanières protectionnistes. Il veut, au contraire, développer les exportations du Brésil. Il a souscrit à Davos à ce "renforcement du libre commerce mondial" auquel appellent les Etats-Unis.
Mais la "liberté de marché", poursuit-il, n'a de sens qu'à des conditions de concurrence bien moins inégales qu'aujourd'hui. C'est sa deuxième conviction : l'échange n'est pas libre quand il met aux prises un Nord qui a tous les attributs de la puissance et un Sud qui en est largement dépourvu. Le premier fixe les règles, l'autre les subit. Lula a beau jeu de dénoncer les subventions agricoles des Etats-Unis et de l'Union européenne. Sur un marché essentiel, elles faussent la concurrence, inondant les marchés du Sud d'exportations à prix de dumping qui torpillent les agricultures des pays sous-développés, lesquelles devraient avoir accès aux marchés du Nord qui s'en protègent...
Lula parle d'un libre-échange mieux partagé, réciproque. Autrement dit, le libre-échange est l'une des armes pour sortir du sous-développement, mais à condition d'être organisé en tenant compte de l'inégale aptitude à la compétition du Sud et du Nord. Il appelle implicitement à une manière de discrimination positive en faveur du Sud pour rétablir les conditions de concurrence. Il ne s'oppose pas à la mondialisation. Il veut la moduler pour qu'elle profite davantage au Sud. Le professeur Lula doit être écouté.