Je suis assez d'accord avec les camarades qui nient une quelconque oppression nationale en France hexagonale, que ce soit en Occitanie, en Bretagne ou au Pays Basque, mais, même si je comprends leur prudence, je n'ai quand à moi aucune réserve à appliquer la même analyse à la situation réunionnaise.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'écrire (
les DOM-TOM), si la classe ouvrière réunionnaise connaît une situation d'inégalité (services publics de moindre qualité à cause des moyens insuffisants, taux de chômage supérieur, économie de comptoir qui entraîne un surcoût de la vie, salaires inférieurs dans le privé, ...) bien réelle au niveau économique et social, on ne peut pas dire que la population subisse en ce moment une oppression coloniale de l'impérialisme français et que son identité réunionnaise soit bafouée.
Ceci n'a pas toujours été le cas, et jusque il n'y a pas si longtemps, la langue et la culture créole étaient non seulement pas du tout bien vue mais même pourchassée de toute administration ou institution ainsi que des médias. Il était interdit de faire des kabars (concerts sur la place publique ou même privé) où le maloya (ancien chant des esclaves) était chanté. Celui-ci a d'ailleurs été remis en avant par le PCR dans les années 60 (il aurait presque pu disparaître soutiennent certains) à l'époque où il prônait l'autonomie, et l'ancien chant d'esclaves agrémenté de nouvelles paroles servit à dénoncer l'oppression française, l'injustice et les inégalités sociales. C'était une époque de répression culturelle, syndicale et politique féroce.
Le créole était interdit à l'école tandis que la population pauvre n'avait que cette langue pour s'exprimer, ce qui causa de véritables ravages et achevait de rendre extrêmement difficile toute réussite scolaire.
Mais tout ceci changea progressivement dans les années 1980 et même si on trouve toujours certains nostalgiques de cette époque où le bon français permettait de démarquer le bon grain de l'ivraie, aujourd'hui, il est plutôt de bon ton d'aller aux kabars (qui ont d'ailleurs perdu leur aspect politique et revendicatif), de causer créole, de connaître la musique et la poésie locale. Dans un domaine aussi, l'évolution est très claire, c'est celui de l'école. Depuis quelques années, le créole à l'école fait l'objet non seulement d'études de tout genre, mais aussi, on encourage les jeunes enseignants à se former à l'apprentissage du français en milieu créolophone, on essaie de prendre en compte la réalité de l'élève créole (de manière encore bien imparfaite c'est sûr), et au niveau du rectorat on a mis en place une commission langue et culture régionale ayant pour but de s'occuper de cette question.
Ainsi donc, l'oppression culturelle et identitaire devient de plus en plus difficile à mesurer et même, on peut dire que l'Etat français n'a plus aucun intérêt à freiner ces aspirations qui sous un certain angle peuvent lui servir. Sur la question du créole à l'école par exemple, toute une frange d'intellectuels soutiennent que la non-prise en compte du créole est la raison principale de l'échec scolaire, ce qui arrange bien le rectorat et le ministère car cela lui permet de faire disparaître le problème des moyens (le taux de profs par élèves est très inférieur à la moyenne nationale, elle même insuffisante) : "qu'on leur donne leur créole pourvu qu'ils ne nous réclament pas de postes...". Bien sûr, l'un ne doit absolument pas empêcher l'autre.
Je suis assez d'accord avec Nadia qui pose la question de l'oppression coloniale lorsqu'
on a parfaitement le droit d'écrire, d'éditer, de chanter et même enseigner tout ce qu'on veut dans la langue que l'on veut. En cela, la Réunion ne diffère pas du Poitou-Charentes ou de la Savoie.
Bien sûr, on ne sort pas de plus de 300 ans d'histoire coloniale sans que ça ne continue à peser sur la structure même de la société ainsi que sur les mentalités : comme le dit Artza, il reste
les propos, les préjugés et les comportements racistes, comme ils existent toujours dans tous les pays qui ont connu l'oppression coloniale et où les
ex-colonisateurs continuent à dominer économiquement après l'indépendance.
Dans ce sens peut-être peut-on parler de situation coloniale lorsque Artza dit :
Ces pays ont été des colonies personne ne le conteste et le sont encore par bien des aspects. Mais les glissements sont rapides et de la
situation coloniale on passe vite à une
situation de domination coloniale (Mariategui). Mariategui nous dit alors qu'il n'est
pas convaincu que l'indépendance soit la seule solution pour la question nationale, mais je ne suis quand à moi pas persuadé qu'il y ait finalement autre chose qui puisse en découler qu'un nationalisme étriqué qui viserait à faire croire aux exploités que leur situation est dû à l'oppression d'un Etat colonial et à dédouaner par la même occasion une bourgeoisie et petite bourgeoisie locale.
Alors bien sûr, le deuxième élément à prendre en compte pour parler de la question coloniale serait l'existence d'un mouvement national populaire ou d'une aspiration des masses à rejeter l'oppression coloniale. On peut en avoir une idée ici à la Réunion en regardant les scores des différents mouvements nationalistes lors des différentes élections ces dernières années. Lors du premier tour des élections régionales par exemple les composantes nationalistes ont fait 2,06% des suffrages exprimés (O,7% et 1,36%). Ce mouvement est donc réduit à la portion congrue ici, le PCR ayant pu à un certain moment représenter les aspirations nationales d'une partie de la classe ouvrière comme d'une fraction de la petite bourgeoisie nationaliste en opposition à l'Etat français, mais depuis s'inscrivant parfaitement dans son cadre.
Ceux qui agitent aujourd'hui le chiffon d'une oppression coloniale française sont très marginaux et n'arrivent pas vraiment à rendre populaire leur revendication, même si certaines idées dans le sens de plus de pouvoir localement sont actuellement de mode chez le patronat qui peste contre les "hauts salaires" de la classe ouvrière réunionnaise qui a pu profiter de certains acquis de la classe ouvrière française.
Alors si la question nationale ou de l'indépendance se posera inévitablement le jour où la classe ouvrière réunionnaise rentrera en ébullition, posera la question du pouvoir, et se retrouvera alors face à l'Etat français (encore que ce jour-là tout dépendra si sa lutte se retrouve en phase avec celle de l'ensemble de la classe ouvrière française), d'ici là et contrairement à Mariategui,
l'internationalisme formel me semble encore la moins mauvaise solution et au moins permet-il de rester sur des positions de classes claires.