(François Delpla @ mardi 6 avril 2004 à 06:26 a écrit :En quoi Hitler mystifie-t-il le patronat ? A la fois en le dessaisissant de son influence politique, et en lui faisant croire que ce n'est pas tout à fait le cas.
Il réinstalle l'enfant chéri du capitalisme allemand, Hjalmar Schacht, à la présidence de la Reichsbank puis, en pleine agonie de Hindenburg, le fait entrer au gouvernement comme ministre de l'Economie. Mais avec lui un bonheur n'arrive jamais seul : un mois plus tôt, la nuit des Longs couteaux a vu le meurtre, non seulement d'un certain nombre de chefs SA (à ne pas exagérer -il l'est souvent, et dans de grandes proportions), mais d'un certain nombre d'icônes de la bourgeoisie et des élites (notamment les plus proches collaborateurs de von Papen, lui-même étant au secret pendant quelques jours). Aux cadeaux de Hitler il pend toujours quelque goutte de sang, et leur acceptation vaut absolution d'un droit de vie et de mort du donateur sur l'humanité entière.
Et vous trouvez vraiment que, tout en remplissant les caisses de Krupp, un tel processus ne botte pas son arrière-train ?
Quant à Schacht, qui s'en est très bien, trop bien, tiré à Nuremberg, il est certes largement mouillé dans les turpitudes du régime, mais on ne peut lui retirer qu'il a pris position, au nom de sa classe, contre le rythme et l'ampleur du réarmement, ce qui lui a valu d'être progressivement évincé de la direction de l'économie par Göring en 1936-38.
Tout d'abord, comme cela a déjà été signalé dans cette discussion, la nuit des longs couteaux c'est la suppression des chefs SA, qui justement tenaient un discours vaguement "anti-capitaliste", ce qui est un signal à la grande bourgeoisie que ses intérêts ne seront en rien remis en cause.
Maintenant, nous sommes tous d'accord pour dire que le fascisme en général et le nazisme en particulier ne sont pas les formes habituelles de la domination capitaliste : le nazisme a un coût : à l'appareil d'Etat bourgeois classique, il surajoutte des structures issues du parti (à l'armée s'ajoutte la SS, aux prisons les KZ, à la police la SA et la Gestapo, etc. ).
La mise en place du régime nazi apparaît dans les conditions particulières de l'Allemagne des années 30 : crise économique catastrophique, et un prolétariat qui, s'il a déjà subi une défaite en 1918-1923, reste combatif et organisé. C'est Radek qui utilisa l'expression que "le fascisme c'est les cercles d'acier pour maintenir le tonneau défoncé du capitalisme", capitalisme alors mis à mal par ses propres régles, celles de l'économie de marché et de la crise mondiale de 1929. Pour y faire face, le capital a utilisé des moyens exeptionnels, le fascisme (puis la guerre impérialiste). Cette "dernière planche de salut" du capital, avec toutes ses atrocités, montre bien la pertinence des analyses de Rosa Luxembourg qui, aux lendemains de la première guerre, écrivait "socialisme ou retombée dans la barbarie".
Cela dit, si la bourgeoisie a accepté de remplacer son personnel politique traditionnel par des petits-bourgeois nazis, elle a conservé une force autonome. Et surtout, et c'est ce que le capital demandait à Hitler, le nazisme lui a permis, en relançant l'économie de guerre et en brisant le prolétariat, de retrouver et d'augmenter ses profits. Un des aspects de cette autonomie que conservait la classe capitaliste est bien que son instrument traditionnel, l'armée, n'a pas, elle, été nazifiée (ce qui Logan, ne signifie bien sûr pas qu'elle était contre le NSDAP, du moins jusqu'en juillet 1944).
Interrogé lors du procès de Nuremberg, Krupp avait déclaré en parlant d'Hitler et du soutien du capital au NSDAP que "lorsqu'on a un bon cheval, on accepte qu'il ait un petit défaut" (citation approximative, lu au musée de la résistance, et que je ne peux donc pas retrouver dans les livres chez moi).
Bref, si le NSDAP (et à mon avis, pas seulement Hitler, la propagande d'ailleurs était la tâche de Goebbels) a effectivement mystifié une partie importante du peuple d'Allemagne, et surtout la petite-bourgeoisie, mais pas la grande bourgeoisie. Elle lui a permis d'accéder au pouvoir et de le garder, pour qu'il effectue la tâche qui lui été confié (briser le prolétariat et préparer la guerre), tâche qu'il a effectivement effectuée.
Quant à la mise à l'index de quelques grands bourgeois, elle ne remet en rien en cause la domination d'une classe. C'est comme lorsqu'un parrain de la mafia flingue un concurrent, cela n'est en rien une remise en cause de la mafia.