D'après Libération, une manifestation bien encadrée par les hommes.
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Laïcité
Attachees au voile et sous bonne garde
Encadrées par un service d'ordre masculin, environ 3000 femmes ont manifesté hier à Paris contre l'interdiction du foulard à l'école.
Par Marie-Joëlle GROS et Fabrice TASSEL
lundi 22 décembre 2003
Les hommes portent des brassards «sécurité». Ils encadrent des filles et des femmes voilées qui descendent d'autocars, en provenance de Lille, de Tourcoing. A la moindre approche, ces hommes s'interposent : «Ma soeur, ne parle pas aux journalistes. Ils déforment tout.» Elles étaient plusieurs milliers hier place de la République à Paris, 3 000, selon la police. Elles ont répondu, disent-elles, aux appels lancés sur l'Internet par deux jeunes filles de Seine-Saint-Denis, appels relayés par plusieurs sites musulmans, dont saphirnet. info et oumma.com
Tricolore. Sous la pluie, des femmes entonnent la Marseillaise, en brandissant leurs cartes d'identité française et celles d'électeur. Elles agitent des drapeaux français. Beaucoup ont superposé des foulards bleu, blanc et rouge. «Les gens croient qu'on est soumises aux hommes. Mais c'est faux, on n'est soumises qu'à Dieu !», explique une étudiante. D'autres scandent : «Ni frères, ni pères, ni maris, le foulard on l'a choisi.» N'empêche, les «frères» sont là, en nombre. Qui surveillent ce que racontent les «soeurs» et lisent par-dessus l'épaule des journalistes ce qu'ils écrivent sur leurs carnets. Sentiment oppressant. Les membres du service d'ordre circulent dans les rangs des manifestants. Certaines contournent l'interdit : «Cette loi va créer un apartheid et renforcer le communautarisme, c'est tout ce que la France va y gagner», soutient Asna, étudiante en licence de logistique à Evry. «Qu'on nous accepte telles qu'on est, dit une autre. Qu'on arrête de nous regarder de travers, on se sent attaquées.» Une femme est autorisée par les «frères» à parler. «Je porte le voile par conviction, non par pression ou par manipulation ! Je suis ingénieure et parfaitement épanouie. Et le débat concerne aussi notre intégration. Or Chirac ne fait que des promesses, sur le terrain rien, les ghettos existent toujours.» Elle dit n'appartenir à aucune association. La plupart disent la même chose. Ainsi Zidia, arrivée de Lille : «On s'est cotisées pour venir, on est des citoyennes, on n'appartient à aucune association.»
«Tu fous le camp.» Wahid n'attend pas que la presse l'interroge. Il demande à s'exprimer : «Une loi qui interdit, ou d'ailleurs qui oblige, le port du voile, c'est le signe d'un Etat qui n'est plus laïque.» Wahid est vite entouré par plusieurs hommes. «Mon frère, il existe des organisateurs, tu n'as pas à t'exprimer comme ça.» Wahid : «Mais j'ai le droit de parler, je ne fais rien de mal !». «Sème pas ta zizanie, c'est pas ta manif, tu ne parles pas, c'est tout», répond un membre du service d'ordre, qui tente de couper le magnéto d'un journaliste de RFI. Wahid est emmené par un homme à l'entrée du métro République, un coup de poing part et ripe sur son menton. Une femme brandit un bout de papier sur lequel on lit : «Balayez devant votre porte quant à l'inégalité et au sexisme.» La foule gronde. Rapidement, un jeune homme saisit le message, le déchire, le piétine. La femme est entourée. Des jeunes filles sortent des rangs pour débattre. «Restez où vous êtes, mes soeurs, ne vous mêlez pas de ça», lance un homme. «Dispersez-vous avant que les caméras arrivent», ajoute un autre. Un passant se disant musulman se mêle à la foule et demande si le Coran impose réellement le voile. Il est éjecté : «On ne discute pas avec l'islam, on ne discute pas avec le Coran, t'es pas musulman, tu fous le camp.»
Assise dans une voiture d'enfant, une toute petite fille est exhibée par son père, foulard sur la tête. Les caméras et les photographes s'agglutinent autour d'elle. Une large banderole sur fond vert, agrémentée d'un drapeau français, affirme : «Laïcité, que de crimes on commet en ton nom.» Les filles reprennent en choeur : «Ni dupes ni soumises, le foulard on l'a choisi.» Avec cette variante : «Chirac, Sarkozy, le foulard on l'a choisi.»
«Au nom de l'émancipation des femmes, les féministes nous excluent. Est-ce qu'on n'est pas aussi des femmes ?», demande Isabelle, fraîchement convertie à l'islam, qui tient son mari par la main. Une mère de famille, foulard bleu, blanc, rouge, assure : «On a tous voté Chirac à la présidentielle, mais maintenant c'est fini. On est aussi des électeurs et désormais on votera blanc. La France, terre de liberté, bafoue nos droits. Ça ne se passe pas comme ça en Angleterre.» Une jeune fille en cuissardes noires, minijupe en jean, blouson de cuir et voile se taille un franc succès avec : «Un voile, une voix, aux urnes on se retrouvera !»
«Résistance». Dans les rangs des manifestantes, il y aussi des femmes et des filles têtes nues. Venues là «par solidarité». Comme Bouchera : «On parle mal des musulmans dans ce pays. On fait peur aux gens, on veut qu'ils rejettent l'islam.» Sabrina, future professeure des écoles, sans foulard, dénonce «un climat malsain». «A cause de cette loi, des gens vont mettre le foulard juste par défi. Je me sens persécutée. J'étouffe.»
Une quadragénaire, sans foulard, biologiste : «Voyez, c'est la deuxième, la troisième génération qui portent le foulard, alors que leurs mères ne le portent pas. Le foulard, c'est une forme de résistance pour ces jeunes qui n'ont pas de travail et sont maintenus en marge de la société.» A l'arrivée sur la place de la Bastille, c'est une Non-Maghrébine, se revendiquant féministe, qui déchaîne les plus longs applaudissements : «Ce n'est pas à l'Etat ni à l'Education nationale de dire ce que les femmes doivent mettre ou non sur leur tête, ou comment elles doivent s'habiller.» Il pleut à verse. Des parapluies s'ouvrent dans le cortège. Des hommes se mettent à l'abri sous les auvents des restaurants fermés. Ils prient.
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