Selma

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Message par artza » 31 Mars 2015, 14:40

Bien décevant.

La bourgeoisie américaine devrait élever un monument à Martin Luther King.
Maintenir un tel mouvement de masse venant des profondeurs ce que le film ne montre pas dans les rails de la légalité il faut le faire.
Les relations régulières entre MLK et le président montre ce qu'est une stratégie de la connivence.

Il reste néanmoins que la parole de MLK contribua à éveiller bien des noirs américains à la "science de leur misère".

A la fin du film on a un goût amer, de telles luttes qui n'eurent jamais la possibilité d'aller au bout de toutes leurs possibilités...

Un film à montrer ne serait-ce que pour voir ce qu'est la répression de la bourgeoisie, le mépris de cette dernière pour ses hommes de mains "des ploucs" et la combativité, le courage, le sens du sacrifice pour l'intérêt commun des opprimés.
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Re: Selma

Message par Gaby » 31 Mars 2015, 15:22

La bourgeoisie américaine devrait élever un monument à Martin Luther King.


Il y en a beaucoup. Un beau sur le mall de Washington notamment, un buste dans le bureau ovale, en symétrie de celui d'Abraham Lincoln.

Mais la mémoire de MLK est mensongère, on se souvient bien mal de lui, devenu égérie consensuelle et dénaturée de ce qu'on peut bien dire officiellement sur l'antiracisme en vidant son histoire de ses luttes. King s'est battu pour les noirs américains, la paix et la classe ouvrière, autant de batailles d'actualité pour lesquelles l'occupant du bureau ovale fait figure d'ennemi. Tu critiques en réalité la mémoire que l'on a de lui, peut-être en raison de ce que sont devenus ses camarades depuis, mais pas l'homme qu'il était vraiment. Tu ne critiques d'ailleurs pas plus le film lui-même, qui montre en réalité un gouvernement démocrate raciste, au fédéral comme au local. Gouvernement qui étudie la possibilité de se débarrasser de lui. Et tout ce que tu trouves à voir, c'est une connivence alors que Lyndon Johnson parle de "nègre", que les services secrets le harcèlent, que les flics castagnent, que la réforme ne parvient que grâce au mouvement social qui contraint les politiciens. Le film est intelligent, honnête, loin de l'hagiographie.

Ta description est une calomnie générale (et bien floue en plus, "venant des profondeurs"...). King n'était pas un obsédé de la légalité (il l'a changé !), il n'était pas non plus un politicien du milieu. La fin du film n'est pas la fin de sa vie. Ta critique sur le goût d'inachevé est malhonnête ou ignorante. Il meurt défendant les éboueurs de Memphis quelques années plus tard, alors qu'une majorité d'américains ont une opinion négative de lui, pas lors de l'épisode Selma.

L'autre jour je voyais sur internet le secrétaire déchu de l'UMP jeunes commémorer Martin King, à tort. Bien sûr il n'y comprend rien. Mais je note que toi-même tu comprends encore moins, et tu laisses la mémoire d'un grand militant à ceux qui l'ont tué, d'abord son corps, puis son histoire.

S'il faut avoir une discussion intelligente sur Martin King, sa stratégie et son histoire, je ne suis pas contre, mais là c'est partir sur des bases très mauvaises. Le mouvement des droits civiques a une histoire longue, complexe, et parcourue de tendances multiples. Les socio-démocrates américains n'ont pas l'histoire des socio-démocrates européens (pas le même contexte du tout !), et il serait bon de ne pas incriminer avec des lunettes déformantes.
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Message par com_71 » 31 Mars 2015, 17:11

J'ai aimé le film, et je ne comprends pas ce que Gaby veut dire.

Je ne vois pas de calomnie dans ce qui a été dit.


Gaby a écrit :King s'est battu pour les noirs américains, la paix et la classe ouvrière, autant de batailles d'actualité pour lesquelles l'occupant du bureau ovale fait figure d'ennemi.


Le mouvement qu'il a dirigé avec d'autres est une chose. On peut quand-même discuter du programme politique que cette direction y a défendu. Programme politique qui excluait d'aller vers le renversement du pouvoir de la bourgeoisie.

Ce que les camarades de Spark ont dit du film :
Selma and the Fight for the Right to Vote

Jan 19, 2015

The powerful new movie Selma is about the fight by black people to gain the right to vote in Selma, Alabama. The film, however, focuses mostly on the campaign led by Dr. Martin Luther King Jr. and the ministers of the SCLC (the Southern Christian Leadership Council) in early 1965.

In Selma, as elsewhere in the South, almost no black people had the right to vote. Federal law enshrined in the 15th Amendment of the Constitution stated that the right to vote could not be taken away “on the basis of race, color or previous condition of servitude.” But those were just words on a piece of paper. Enforced by the government at every level were myriad restrictions and technicalities that deprived black people – as well as most poor white people – of the right to vote. These restrictions were imposed through legally sanctioned violence, repression and terror.

As opposed to most depictions of the civil rights movement, the movie Selma does not portray the federal government and President Lyndon Johnson as the supposed champions of civil rights and allies of the black movement. The film shows Johnson refusing King’s request for help. When King disobeyed Johnson’s order not to support a voting rights campaign, Johnson and FBI Director J. Edgar Hoover plotted how to stop King, by using the FBI’s bag of dirty tricks to track, threaten and blackmail King.

King went to Selma, Alabama, after a local committee of black activists had already been organizing for two years. This organizing was extremely difficult and dangerous. Selma was one of the main centers of the Klan and White Citizens Councils, that represented the local business elite. Young activists in SNCC, the Student Non-violent Coordinating Committee, had also been in Selma for two years. SNCC had been founded by black students who had initiated the 1960 sit-in movement to desegregate stores and restaurants throughout the South. Thus, the basic organizing and several important campaigns had already been carried out long before King ever got to Selma.

The film shows that with the exception of one of the SNCC leaders, John Lewis, the SNCC organizers did not agree with King’s campaign. SNCC organizer James Forman said that their goal was to allow black people to express themselves and organize their own power in a lasting way. And they said they were afraid of what would happen after King’s campaign was over and he left town. They said that if black people were not organized to continue to defend their interests, they would be as vulnerable as ever, even if the campaign won some gains.

Some of this argument is actually in the movie. But, not surprisingly, the main sympathy and attention of the film makers is on King. In the movie, King explains that his main goal for the entire Selma campaign was to convince one man – Lyndon Johnson – to push Johnson to present a voting rights act that would finally gain black people the right to vote. Therefore King was very careful not to defy the framework that the federal government and its courts set for how far the demonstrations could go and what they could do. In other words, King believed that the very same government that was racist to the core could be pushed and pressured to safeguard the interests of black people.

The film shows that the courts and the federal government finally did step in. Johnson even reversed course and introduced a Voting Rights Bill. But these official moves were not made out of some “moral” conversion or reawakening – as King and the SCLC ministers preached. The U.S. political apparatus was trying to get ahead of the movement in order to try to control it and rein it in by temporarily granting some concessions.

They were not successful. On August 11, 1965, just five days after Johnson had signed the Voting Rights Act, the Watts Rebellion erupted in Los Angeles’s largest black ghetto, one of many rebellions that were sweeping through not just the South, but the Northern cities.

The Selma campaign depicted in the film marked the end of just one phase of the black struggle in this country, just as a new phase was opening up.


traduction a écrit :Selma et le combat pour le droit de vote des Noirs

Le 19 janvier 2015
Ce film impressionnant se concentre surtout sur la campagne menée par Martin Luther King au début de 1965. À Selma, comme partout dans le Sud, presque aucun Noir n’avait le droit de voter, malgré le fait que la Constitution américaine le leur donnait par le 15 e amendement de la Constitution qui déclarait que le droit de vote ne peut pas être enlevé "sur la base de la race, de couleur ou d'une condition antérieure de servitude". Mais ce n’était que des mots sur du papier. À chaque niveau, les autorités dressaient des obstacles qui privaient les Noirs de ce droit dans les faits, ainsi que bien des Blancs pauvres.

Ces restrictions étaient imposées par la violence soutenue par la loi, la répression et la terreur.
Contrairement à une idée répandue mais fausse sur le mouvement des droits civiques, le film ne présente pas le président Lyndon Johnson comme un allié du mouvement Noir et un supposé champion des droits civiques. Le film montre Johnson refusant l’appel à l’aide de Martin Luther King. Et quand King ne suit pas la consigne de Johnson de ne pas participer à cette campagne pour le droit de vote, on voit Johnson et Hoover, le directeur du FBI, comploter contre lui en le menaçant de chantage.

Malgré les difficultés et le danger que représentait l’activité du Ku Klux Klan et d’autres groupes racistes dans la région, c’est le SNCC qui avait posé les bases de l’organisation militante des Noirs à Selma.
Le mouvement pour l’inscription des Noirs sur les listes électorales avait commencé deux ans avant la venue de King à Selma, notamment grâce aux jeunes militants du Comité de coordination non-violent des étudiants (SNCC, en anglais), qui organisaient depuis 1960 des sit-in pour rompre la ségrégation dans les restaurants, les magasins... dans tout le Sud.
Malgré les difficultés et le danger que représentait l’activité du Ku Klux Klan et d’autres groupes racistes dans la région, c’est le SNCC qui avait posé les bases de l’organisation militante des Noirs à Selma, bien avant que M.L. King n'ait été à Selma.
Le film montre, qu’à l’exception d’un seul, tous les dirigeants du SNCC s’opposaient à King. Ainsi James Foreman disait que leur objectif était de permettre à la population noire de s’exprimer et de s’organiser dans le but de bâtir son propre pouvoir d'une manière durable. Ils craignaient que même si M.L. King réussissait à obtenir quelques résultats, son opposition à l’organisation des Noirs pour leurs propres intérêts les laisserait aussi vulnérables qu’auparavant, une fois la campagne terminée et qu'il aurait quitté la ville.
On retrouve des éléments de cette lutte politique dans le film, même si la sympathie du réalisateur va à M.L. King. Le film souligne que M.L. King ne donnait qu’un seul objectif à la campagne de manifestations : convaincre un individu unique, le président Johnson, de faire adopter une loi en faveur du droit de vote des Noirs. D’où la préoccupation permanente de King de ne pas défier l’appareil d’État américain, bien que sa police et la justice fassent tout pour empêcher les manifestations. En d’autres termes, M.L. King croyait que cet État, bien que raciste, pouvait être poussé à défendre les intérêts des Noirs.
Le film montre que la justice et le gouvernement fédéral ont fini par intervenir. Johnson a été obligé de changer de politique et faire adopter une loi sur le droit de vote. Mais cette politique ne trouve pas son origine dans une conversion « morale » de Johnson ou un réveil de sa conscience, comme M.L. King et les prêtres de son association l’ont prétendu. C’était une tentative d’enrayer le mouvement des Noirs et d’en prendre le contrôle grâce à des concessions temporaires.

L’État n’a pas réussi. Cinq jours seulement après que Johnson eut ratifié cette loi, Watts, le plus grand ghetto noir de Los Angeles, s’embrasait le 11 août 1965 dans une grande émeute contre les autorités racistes. Bien d’autres villes du Sud comme du Nord ont également connu de semblables rébellions de masse.

La campagne Selma représentée dans le film a marqué la fin d'une seule phase de la lutte des noirs dans ce pays, une nouvelle phase s'ouvrait.
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Message par Gaby » 31 Mars 2015, 18:42

L'article de Spark prétend que King voulait oeuvrer à la "conversion" du gouvernement, en opposition avec une stratégie qui serait d'organiser les opprimés et se battre pour qu'ils prennent le pouvoir. C'est un paralogisme, et un mensonge. "King, avec sa courte vue de prédicateur, pensait qu'un gouvernement raciste pouvait cesser de l'être !" en substance. C'est poser les enjeux d'une façon que King ne faisait pas ; il s'agissait de faire passer une loi, même si ça ne mettrait pas fin au capitalisme et à l'impérialisme. Et cette loi est passée, malgré les réticences des dirigeants démocrates. King a bien organisé les masses, et il a contraint l'Etat à des réformes, ce qui n'est pas contradictoire avec la prise du pouvoir politique. De quoi parle-t-on ici, de la campagne de Selma en particulier, ou bien d'une politique plus globale ? Si l'on parle de Selma en particulier, il faut comprendre ce que ce moment signifie pour SCLC, l'organisation de King. Lors de la grande manif' de 1963, John Lewis disait "the time will come when we will not confine our marching in Washington. We will march through the South, through the Heart of Dixie, the way Sherman did. We shall pursue our own ‘scorched earth’ policy and burn Jim Crow to the ground — nonviolently". Le pouvoir n'était pas que dans les mains de Johnson, il était aussi dans les mains de George Wallace. Et voilà ce à quoi Martin King, Bayard Rustin, Lewis et les autres s'emploient à ce moment. Dire qu'il se refusait à "renverser la bourgeoisie" n'est possible que dans la bouche de ceux pour qui la "bourgeoisie américaine" est un concept détaché de sa réalité historique, comme s'il s'agissait de renverser un seul Palais d'Hiver !

La grille de lecture des mouvements sociaux (disons, celle que l'on lit sur le FALO) est absolument systématiquement la même :
1. il y a une forte mobilisation populaire qui provient "des profondeurs", sans plus de détails sur l'histoire de cette réalisation.
2. Cette mobilisation a une direction qui la trahit d'une façon ou d'une autre, et même gâche son potentiel (s'il n'y a pas d'événement identifié comme trahison parce que les dirigeants ne se sont pas vendus, alors simplement sous-entendre plus ou moins clairement que la prise du pouvoir était à l'ordre du jour ; bref critiquer façon anarchiste qui proclame sur un perron que l'Etat doit être aboli).
3. Le programme communiste révolutionnaire aurait permis d'aller plus loin, et tant pis si ce programme était défendu par certains qui sont restés inaudibles (inaudibles parce que petits, petits parce qu'inaudibles ! C'est imparable).

Copier/coller, en toutes circonstances. Perso', je ne suis pas intéressé par ces commentaires qu'on pourrait dire reductio ad sovietum. King n'est pas né trotskyste, personne ne le découvre. C'était un religieux, socialiste, antiraciste, pacifiste qui est précisément mort parce qu'il se battait contre les discriminations, l'empire et le capitalisme. Il est déjà célébré, mais très mal. J'espère qu'on se souviendra de lui en y donnant autrement plus de substance à l'avenir, et surtout qu'on étudiera son parcours pour peut-être saisir ce qui fait que lui a réussi à changer le monde, alors que ça commence à faire un bout de temps que les révolutionnaires partout et de tout genre ont du mal à le faire.
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Message par com_71 » 02 Avr 2015, 16:01

Gaby a écrit :King n'est pas né trotskyste, personne ne le découvre. C'était un religieux, socialiste, antiraciste, pacifiste qui est précisément mort parce qu'il se battait contre les discriminations, l'empire et le capitalisme.


Il n'y a pas que les révolutionnaires qui meurent dans les affrontements sociaux. Belle découverte.

Par contre, ils ont (ou devraient avoir) appris de la Commune de Paris, de la Révolution Russe, de l'Espagne 1936, etc. le rôle irremplaçable d'un parti révolutionnaire pour aller jusqu'au bout des possibilités.

Il est possible d'exprimer cela sans du tout mépriser l'ensemble des combattants. Par contre disputer à des tendances socialement réformistes la direction des mouvements, c'est la tâche des révolutionnaires. Cela implique d'intervenir dans les luttes d'idées dans le mouvement, distinguer ceux qui font des pas en avant (comme Malcolm X), souligner leurs limites, etc.

Cela s'appelle la lutte politique, il faut la mener, même faibles, sinon on se condamne à n'être jamais forts.

Dans "Stride toward freedom" M.L. King approuve ces mots de Gandhi : "Rivers of blood may have to flow before we gain our freedom, but it must be our blood" (Des rivières de sang devront peut-être couler avant que nous ne gagnions notre liberté, mais que cela soit notre sang).
Il fallait avoir une toute autre perspective dans les années 1960, et il faut s'en rappeler aujourd'hui, où le sang noir continue à couler aux USA.
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Message par Gaby » 02 Avr 2015, 18:44

Malcolm le révolutionnaire plutôt que King le réformiste ! La belle affaire. Des labels qui rassurent depuis la France, on semble comprendre, mais au fond ne disent rien des Etats-Unis où les réformistes n'ont pas gouverné. D'ailleurs, à compte-là, ce sont les réformistes qui occupent le terrain de la classe ouvrière, King le fait en collaborant avec partie de l'AFL-CIO les dernières années de sa vie (à peine une organisation réformiste !), alors que X ne le problématise pas le plus longtemps, n'y venant que tardivement. Un court instant, les dernières semaines de la vie de X, il semble que les deux se rapprochent : X parle un peu à des occasions organisées par des socialistes révolutionnaires, King se préoccupe de syndicalisme et se montre toujours bienveillant envers le nationalisme noir...

Alors vu de l'extrême-gauche française, on simplifie, on en revient à la discussion des fondamentaux hors-sujets jusqu'à la nécessité de Kronstadt. On dit que la non-violence de King le condamne, et tant pis si avec sa méthode, il a à son crédit la déségrégation, le droit de vote et la syndicalisation de nombreux travailleurs. Sans King, ç'aurait été le communisme ! Il ne faudrait surtout pas que les succès de King justifient des combats moins ambitieux que la révolution (et tant pis si King s'est attaqué à des chantiers autrement plus ambitieux que ceux des révolutionnaires d'aujourd'hui, qui n'ont jamais fait mieux que de limiter la casse lors d'une fermeture d'une usine). De l'autre côté, on n'explique pas de quel Malcolm X on parle, alors que X lui-même regrettait avoir perdu 12 années de sa vie auprès de la Nation of Islam avant de devenir sunnite (avec un peu d'ironie, on peut imaginer les commentaires sur le FALO qui l'auraient traité d'"islamo-gauchiste"). On ne se prononce pas plus sur le choix à faire entre nationalisme noir (certes légitime !) et intégrationnisme noir (la déségrégation est une bonne chose aussi ! alors quid ?).

Qu'à l'avenir il faille se méfier d'une coalition que Bayard Rustin a fétichisé en l'appelant parmi les premiers en 1966 "labor-liberal-civil rights", bien sûr, on a vu depuis comme les syndicats ont été annexés comme machines politiques au service des Démocrates. Qu'il faille tirer les leçons de la Commune de Paris sur la violence de la Réaction, bien entendu. Mais alors, excusez-moi, mais j'imagine l'extra-terrestre qui se pointe dans l'Alabama en 1965 et qui dit que King a tort avec la non-violence parce que "regardez donc Eugène Varlin !"... ça aurait servi à quoi, à lancer la Commune de Selma ? Ce n'était pas l'ordre du jour. Ce n'était pas plus obligatoire que ça n'est de parler de Franco et de la Catalogne lors d'une AG de cheminots face à la réforme du frêt. Pas de place pour la reductio ad sovietum ici, personne ne peut prouver que le mouvement noir américain allait prendre contrôle du Pentagone.

S'il n'y a pas eu de parti révolutionnaire de masse (socialiste ou noir ou les deux) dans les années 1960, ce n'est pas parce que King s'y refusait. Certains voient des révolutions trahies partout ! Copier/coller d'un autre contexte, avec King comme Thermidorien... Vraiment, ce n'est pas une façon de penser historiquement, on est loin du Marxisme avec ce genre de commentaires de politique-fiction.
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Message par com_71 » 02 Avr 2015, 21:57

Gaby a écrit :Malcolm le révolutionnaire plutôt que King le réformiste !
[...]
ça aurait servi à quoi, à lancer la Commune de Selma ? Ce n'était pas l'ordre du jour. Ce n'était pas plus obligatoire que ça n'est de parler de Franco et de la Catalogne lors d'une AG de cheminots face à la réforme du fret.


Quelqu'un a dit ça ?
Si tu réponds à tes propres fantasmes, la discussion est vaine...
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Re: Selma

Message par com_71 » 03 Avr 2015, 01:09

Ce qu'en disait "Voix Ouvrière" en octobre 1967 :

http://www.lutte-ouvriere.org/documents ... ricains-un

Et la fin d'un article d'avril 1987 :

lutte de classe a écrit :L’occasion manquée ?

Au milieu des années soixante-dix la lutte de la population noire était terminée Plusieurs facteurs hâtèrent sa fin. D’abord, beaucoup des revendications du début avaient été satisfaites, du moins en grande partie. En même temps, l’appareil d’État avait lancé une dure campagne d’intimidation, et même d’assassinats contre le mouvement. Plusieurs centaines des militants les plus déterminés furent tués. Des centaines d’autres furent jetés en prison. Enfin, les masses noires, celles qui avaient mené la lutte dans la rue, qui avaient amené la bourgeoisie américaine à céder ce que probablement elle n’avait jamais auparavant imaginé devoir céder, voyaient que les fruits de leur combat contre les lances à incendie, les fusils et les tanks allaient à d’autres.

La lutte des noirs aurait-elle pu avoir une autre fin ? Aurait-elle pu mettre un terme à l’exploitation sociale à laquelle les masses noires sont soumises, et du coup à toute oppression, en particulier l’oppression raciale ?

Aujourd’hui, nous ne pouvons pas répondre avec certitude, mais il y a eu sans aucun doute bien d’autres possibilités dans le mouvement noir qui n’ont pas été réalisées.

Ce qui a manqué, ce n’était pas la détermination, ni la combativité. Ce qui a manqué c’est que ce soient les masses noires qui prennent la tête de la lutte ; qu’elles conduisent le mouvement vers d’autres buts que ceux, réformistes bourgeois, que lui donnèrent ceux qui, pasteurs ou nationalistes radicaux, demeuraient dans le cadre de la société de classe, et qu’elles sachent appeler le reste des opprimés à les suivre.

Certainement bien d’autres couches sociales furent influencées par la lutte de la population noire, même si le mouvement noir ne fit aucune tentative pour s’adresser à elles.

Les noirs dans certaines de leurs luttes les plus militantes entraînèrent des travailleurs blancs à leur suite.

C’est ce qui se passa à Détroit où des blancs participèrent aux côtés des noirs à la révolte de 1967, au cours de laquelle un cinquième de ceux qui furent tués par la police et l’armée étaient blancs (le premier tué fut un travailleur polonais de 45 ans, abattu par la police lors des pillages). Détroit fut peut-être l’exemple le plus spectaculaire mais il montrait les possibilités qui n’avaient pas encore été saisies ailleurs. La révolte des prisons montra cette même possibilité : les prisonniers noirs, qui étaient les plus déterminés et les plus conscients, furent capables de jouer le rôle de direction dans la lutte, entraînant avec eux un grand nombre de prisonniers blancs et hispaniques.

La force du mouvement noir encouragea toute une série d’autres mouvements dans les années soixante : le mouvement étudiant contre la guerre ; les mouvements des Porto-Ricains, des Chicanos et des Indiens. Et il contribua probablement à relancer la combativité dans les entreprises américaines après le hiatus de la période maccarthyste. La lutte des noirs n’avait pas seulement donné confiance aux travailleurs noirs en leur propre pouvoir. Elle donna aussi confiance aux travailleurs blancs... même si cette confiance était hésitante et accompagnée de sentiments d’envie ou de rancune. Pour les travailleurs blancs, dans les années soixante ou soixante-dix, les noirs étaient ceux qui « savaient se battre ».

En prenant la tête du combat contre l’oppression raciste, les travailleurs noirs auraient pu avoir la possibilité de s’adresser à toutes ces autres couches de la société américaine et ainsi de transformer le combat contre l’oppression raciale en un mouvement social de tous les opprimés. Et pas seulement de la société américaine. La lutte des masses noires a sans aucun doute eu une influence sur les luttes des autres pays, en particulier dans les Caraïbes et en Afrique.

Cette occasion fut perdue dans les années soixante parce qu’il n’y avait pas alors d’organisation qui agissait avec l’idée que la révolution prolétarienne pouvait être, à la fois, la solution aux problèmes des noirs et le résultat de leur combat. Il n’y eut personne qui tenta de s’adresser aux travailleurs noirs, et de leur faire prendre conscience du rôle essentiel qu’ils devaient jouer pour que le mouvement se débarrasse de l’oppression qui pèse sur les noirs. Il n’y eut personne qui dit aux travailleurs noirs : « Si vous voulez supprimer l’inégalité qui pèse sur vous dans cette société vous devez vous préparer vous-mêmes à vous attaquer à l’appareil d’État, qui est le véritable garant de votre oppression ». Il n’y eut personne pour proposer aux travailleurs noirs de s’organiser eux-mêmes en tant que travailleurs, de prendre la tête du mouvement, afin de lui donner d’autres objectifs. Même les plus radicaux des groupes nationalistes n’envisagèrent pas de briser les cadres de cette société.

Les groupes révolutionnaires prolétariens qui existaient alors étaient faibles avec très peu d’influence sur les masses en lutte. Au début évidemment, ils n’étaient pas partie prenante de la lutte des noirs. En grande partie, c’était la conséquence de facteurs historiques. Mais cela ne veut pourtant pas dire que la lutte des noirs n’aurait pas pu leur donner le moyen de surmonter leur faiblesse historique, au point de jouer un rôle de direction dans cette lutte. Mais pour arriver à cela, ils auraient dû lever le drapeau de la révolution socialiste, c’est-à-dire recruter sur le programme du socialisme, bâtir une organisation sur cette base - et consacrer tous leurs efforts à cela. Il y avait une course contre la montre. Mais la tendance de la plupart des groupes existant à cette époque à soutenir inconditionnellement l’un ou l’autre ou plusieurs des dirigeants nationalistes radicaux les amena à consacrer leurs efforts dans une autre direction. Des gens comme Malcolm X, Robert Williams, H. Rap Brown - quelles qu’aient été leurs qualités de courage personnel et de dévouement à la cause de la population noire - n’étaient pas des gens qui offraient une perspective permettant aux masses noires d’échapper au piège dans lequel elles étaient. Les qualités personnelles ne suffisent pas. La question est quels objectifs on propose aux masses.

Si la gauche avait essayé de donner des objectifs différents à la lutte des noirs - et pour cela avait cherché à bâtir une organisation révolutionnaire au cours de cette lutte - il est possible qu’elle n’aurait pas changé le résultat final de celle-ci. Mais nous serions sans doute au moins sortis de cette lutte avec des centaines, peut-être des milliers de militants noirs révolutionnaires socialistes formés et trempés, qui auraient pu donner à la gauche américaine un autre poids que celui qu’elle a aujourd’hui. Et c’est là aussi une occasion perdue par le mouvement révolutionnaire dans les années cinquante et soixante.
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Re: Selma

Message par Gaby » 03 Avr 2015, 17:22

C'est une bonne illustration de l'analyse systématique que je décriais plus haut dans la conversation.

Au sujet de la critique faite aux leaders qui est de ne pas avoir proposé la révolution communiste aux masses qu'ils inspiraient, il y a beaucoup à dire : tant pis si le communisme n'inspirait que bien peu de monde, tant pis si en réalité l'option était bien proposée (le texte regrette que le mouvement n'ait pas enfanté des "centaines de militants révolutionnaires", c'est grotesque parce qu'il y en a eu, juste pas des Trotskystes, et c'est aussi grotesque parce que ce n'est rien à l'échelle du pays). Elle ne l'était pas proposée par des gens qui avaient plus de crédit ? C'est dissocier le crédit qu'ils ont obtenu avec la politique qu'ils ont mené. Mais surtout, ce que ce genre de textes est incapable de faire est de répondre à la simple question : "quand ?".

Le texte de 1987 dit que Malcolm par exemple ne l'a pas fait. Mais qu'a-t-il manqué comme opportunité ? Il n'a même pas connu l'émeute de Watts de son vivant. Au sujet de cette révolte d'ailleurs, que le dernier édito de Spark aux USA évoque, il faut comprendre qu'on parle d'une émeute qui n'avait même pas le potentiel de se transformer la seule ville de Los Angeles en Commune isolée dans un pays infiniment plus grand. Regardez une carte : ce n'est pas possible d'avoir la même stratégie pour les barricades de 1848 à Paris et pour les révoltes des noirs américains.

Si l'on reproche à l'occasion de la campagne de Selma de ne pas former des révolutionnaires, alors pourquoi ne pas le reprocher à Rosa Parks également ? Elle s'est contentée de provoquer un débat public !

Je maintiens : avec la même logique maximaliste, on peut reprocher à nombre de syndicalistes... de faire du syndicalisme. Pourquoi est-ce que les luttes ouvrières n'agitent pas la perspective du communisme ? Le quotidien est moins romantique.

Pour revenir au film Selma, on voit Stokely Carmichael râler contre la stratégie de King. Et le film montre assez habilement pourquoi il ne saisit pas l'importance du moment. Il y a des questions auxquels l'historien ne peut pas répondre, mais le moraliste peut-être. Fallait-il que James Reeb meurt ? Oui, sa mort est une tragédie qu'il aurait mieux valu éviter dans l'instant présent. Que se serait-il passé sans cela ? Nul ne peut le savoir.

Alors il y a des questions plus intéressantes : que fait King lors de Watts ? Doit-il négocier avec LBJ pour obtenir un programme contre la pauvreté, ou aurait-il dû inciter à la reprise des affrontements ? Voilà une discussion plus intéressante, mais ce n'est plus Selma !

"Ce serait mieux si SCLC était le parti bolchevik". Pensée ahistorique : un parti bolchevik n'aurait pas obtenu l'audience de SCLC.
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Re: Selma

Message par com_71 » 03 Avr 2015, 19:44

Gaby a écrit :Si l'on reproche à l'occasion de la campagne de Selma de ne pas former des révolutionnaires, alors pourquoi ne pas le reprocher à Rosa Parks également ?

avec la même logique maximaliste, on peut reprocher à nombre de syndicalistes... de faire du syndicalisme.

"Ce serait mieux si SCLC était le parti bolchevik". Pensée ahistorique : un parti bolchevik n'aurait pas obtenu l'audience de SCLC.


Rosa Parks n'était pas à la tête d'un mouvement d'envergure national.

"reprocher à nombre de syndicalistes..." Il ne s'agit pas de reprocher ou pas. Il s'agit pour les révolutionnaires de défendre leur programme, de ne pas oublier que, sur le terrain syndical, ils ont à faire plus que les "syndicalistes". Ils ont à considérer le syndicat comme l'école du communisme.

"un parti bolchevik n'aurait pas..."
Voilà, il faut s'incliner devant le fait accompli. Et même avant qu'il soit accompli. Etre révolutionnaire, soit, mais surtout ne pas le dire, ne pas agir comme tel, des fois que ça gêne le mouvement réel.
A bas ce réalisme-là. Vive la Révolution !
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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com_71
 
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