par Puig Antich » 11 Oct 2011, 14:18
Bien sûr que la révolution d'Octobre a eu des conséquences formidables, aussi bien au plan politique qu'au plan économique.
Au plan politique d'abord, le marxisme révolutionnaire est restauré face à l'opportunisme social-démocrate, ce qui se matérialise dans la création de l'Internationale Communiste - création qui est un peu le fait marquant et structurant du mouvement ouvrier jusqu'à aujourd'hui, puisque c'est un peu pour ou contre ses acquis politiques qu'on se positionne, et c'est le critère qui permet de discerner qui est révolutionnaire, et qui ne l'est pas.
Au plan économique, ensuite, tout n'est pas aussi clair que ce qu'on en retient un peu trop shématiquement. Oui la bourgeoisie est expropriée, mais elle ne l'est pas en vertu d'un programme socialiste que les bolcheviks auraient voulu réaliser immédiatement - au contraire ces derniers se positionnent par rapport à la situation économique du pays, agraire, retardataire, etc.
Ils promeuvent certes un Etat ouvrier appuyé sur la paysannerie pauvre, mais au plan de la politique économique veule d'abord prudemment mettre les banques sous contrôle de l'Etat et permettre à la classe ouvrière de contrôler la production, mais sans exproprier nécessairement tous les gros capitalistes. C'est d'ailleurs une reconnaissance implicite que le pouvoir peut être prolétarien, sans que la structure économique de la société change comme par magie de nature, et saute l'étape du développement capitaliste. Ensuite, oui, la bourgeoisie, car elle sabote l'économie, est expropriée. Nous sommes dans le contexte de la guerre civile et du communisme de guerre, c'est à dire d'un communisme militaire, un communisme de la réquisition et de la distribution, intenable.
Celui-ci est remplacé par la NEP qui est, et c'est Lénine qui défend cela face aux gauchistes du parti qui veulent sauter une étape, un capitalisme d'Etat, mais sous contrôle ouvrier, c'est à dire un capital dont l'Etat limite les effets d'accumulation privée, mais un capitalisme quand même. Et c'est ce même Lénine qui dit qu'il faut apprendre de la bourgeoisie occidentale les méthodes d'organisation du travail (fordistes) qui sont le propres des méthodes capitalistes. A cette étape de la révolution, les comités d'usine ont disparu depuis longtemps, et les Soviets n'ont plus une vie politique très active. Les détracteurs du bolchevisme en concluent que Lénine et ses compagnons sont d'affreux dictateurs, en fait c'est tout simplement le mouvement de la société qui suit son cours dans un contexte de pénurie, de petite propriété, de capital privé et de capital d'Etat, car il ne peut en être autrement - la révolution est isolée. Que reste t'il d'Octobre au plan politique ? L'IC et le PC Bolchevik qui sauvegardent les acquis politiques, préparent les armes nécessaires pour affronter les prochaines périodes d'instabilité révolutionnaire à l'Ouest comme en Orient.
Mais au plan économique, les termes mêmes dans lesquels se mènent les débats ( accumulation primitive dite socialiste (Gauche du parti), cycle d'accumulation paysanne (Boukharine), etc., montrent que nous ne sommes absolument pas sortis des rapports capitalistes de production et d'échange, et je pense que cela était plus ou moins clair dans la tête des dirigeants de l'époque - car qu'entendaient-ils, dans le fond, par " construire les bases du socialisme " ? Qu'est-ce que la base du socialisme sinon un développement préalable des forces productives, sur la base du capitalisme ?
La " collectivisation " qui a suivi, concomitante avec la contre-révolution stalinienne, ne remet pas en cause fondamentalement les catégories de l'économie soviétique - sauf si nous parlons de transition au capitalisme : le paysan parcellaire est transformé en salarié. Les projets initiaux de le priver de sa petite propriété capote d'ailleurs devant la résistance paysanne, et les kolkhoses, qui sont des coopératives - ce qui signifie ce que cela signifie -, sont agrémentés de petites parcelles qui sont d'ailleurs constitutionnaliées en 1936. Le fait que ces unités économiques soient soumises à un plan plus ou moins contraignant - et en fait la loi de l'échange joue puisque ce plan n'arrive jamais à vraiment dominer l'anarchie de la production - ne change d'ailleurs rien de très fondamental à cela. Des plans agricoles, il y en a bien eu dans bien des pays bourgeois.
Sur le fond du débat, je ne crois même pas que cette analyse remette en cause la notion d' "Etat ouvrier dégénéré" - la nature de classe de l'Etat n'influant pas directement, avec une pureté mécanique, sur la structure économique. Au plan politique, oui, il s'agit bien d'un Etat ouvrier dégénéré car on ne peut que constater qu'il est issu d'une révolution ouvrière, mais il s'agit en même temps d'un Etat capitaliste collectif, puisque c'est dans son cadre que le capital s'accumule, que le profit est réparti sous la forme d'avantages en nature et en argent sous la forme de salaires. Marx avait d'ailleurs envisagé cette possibilité d'un capitaliste collectif, de l'évacuation du personnage du capitaliste de la production, et de la rémunération du capital sous la forme fausse du salaire : encore une fois la nature du rapport social prime sur la forme du rapport de propriété. Et, dans un sens encore, c'est un Etat où survit des éléments autoritaires de l'ancien régime. L'Etat est donc le théâtre d'une lutte de classe. L'élément prépondérant ne change pas sans lutte, sans guerre civile même. Trotsky disait que cette nature ne pouvait changer que par une contre-révolution violente, mais précisément ne l'avait-il pas sous les yeux cette contre-révolution violente en 1936-37 ?