Lumpen et sous prolétariat

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par Zappa » 24 Juin 2008, 20:48

Je bouquine un peu le livre d'un géographe américain : là j'essaye de retrouver le livre chez moi dans mon bordel, j'y arrive pas :D , j'en rajouterai éventuellement au fur et à mesure. Je pense que c'est important de capter ces finesses aux vues des évolutions soulignés par le géographe américain. 1 milliard de personnes à l'échelle de l'humanité, ce n'est pas négligeable... Et ça ne peut faire qu'augmenter vu la tendance actuelle à l'exode rurale. Donc encore une fois, les camarades qui sauront éclairer ma lanterne récolteront ma gratitude éternelle.
Petite précision, j'ai déjà regardé la plupart des sujets du forum consacrés aux thèmes, notamment celui qui avait été fait au moment des émeutes de 2005. Les textes recensés étaient bien intéressants mais ça a pas répondu à mes interrogations.
Zappa
 
Message(s) : 0
Inscription : 29 Jan 2008, 11:28

Message par Ottokar » 24 Juin 2008, 22:24

a écrit :Si le lumpen prolétariat est défini par rapport à sa place dans la production, qui est quasi-inexistante, est-ce que chaque chômeur peut être considéré comme un Lumpen ? Ou alors est-ce que le Lumpen prolétariat se définit par ses actes? etc.


Au moment précis où la quantité se transforme en qualité, tires sur la bobinette et la chevillette cherrera ! Mais il ne faut surtout pas rater le moment...
Ottokar
 
Message(s) : 731
Inscription : 16 Jan 2005, 10:03

Message par othar » 24 Juin 2008, 23:09

je crois pas que l'on puisse faire un classement sociologique de diverses catégories à partir de la conscience de ses différents membres
bon en même temps, la conscience des travailleurs, c'est quelque part le reflet du niveau d'organisation, donc de lutte, des travailleurs, et ça c'est déjà un critère un peu plus objectif (nombre de journée de grèves, motifs, etc)

sinon, je crois pas que l'objectif de Marx était de tracer une ligne de démarquation nette entre les prolétaires et les sous-prolétaires
ils voulaient montrer que la classe ouvrière en activité avait une cohésion (même limitée par une conscience insuffisante) que ne pouvaient avoir la partie la plus misérable (clochards, etc) des populations urbaines
sans parler des campagnes où les pauvres sont encore plus éparpillés

les contrats de travail étaient épisodiques (un peu comme dans les pays pauvres aujourd'hui), avec de longues périodes de chômage, mais le fait d'être regroupés dans des fabriques entre ces périodes, éveillait plus surement la conscience que la misère totale

bref, la définition donné par ton gars ("Des gens qui sont incapables de dire si ils auront à manger demain." ) me parait pas très utile
le bouquin doit sans doute être interressant malgré tout?
othar
 
Message(s) : 0
Inscription : 21 Mars 2004, 22:00

Message par Ottokar » 25 Juin 2008, 06:43

Dire
(Zappa a écrit :L'image assez forte qu'il emploie pour caractériser ce sous prolétariat : "Des gens qui sont incapables de dire si ils auront à manger demain."
ce n'est pas pareil que
(othar a écrit :la définition donné par ton gars ("Des gens qui sont incapables de dire si ils auront à manger demain." ) me parait pas très utile
.
Une définition sert à délimiter strictement un phénomène. Un mammifère n'est pas ovipare (ne se reproduit pas avec des oeufs) et un dauphin n'est pas un requin, quelles qu'en soient les ressemblances. Le "gars" ne donne pas une "définition" du lumpen prolétaire, au sens INSEE où il y a des catégories strictement délimitées, avec un gros répertoire des métiers, qui dit à laquelle de la demi-douzaine de catégories et de la quarantaine de sous-catégories vous appartenez.

La sociologie de Marx n'est pas une sociologie INSEE. Sa caractérisation du "prolétaire" repose sur sa place dans la production. Mais un "prolétaire" qui ne possède pas l'outil de travail peut avoir les revenus d'un moyen bourgeois : un ingénieur, un haut cadre... et il peut aussi en avoir sa conscience ! Marx écrit qu'on "ne pense pas pareil dans un palais et une chaumière" (de mémoire il attribue cette citation à Feuerbach qu'on ne connaîtrait plus s'il n'en parlait pas) et sa conception matérialiste lui fait dire que c'est la place dans la production qui détermine puissamment la conscience.

"Lumpen prolétaire", prolétaire en haillons est un raccourci commode. C'est une réalité qu'on voit même dans nos pays développés, comme un certain nombre de mendiants roumains des grandes villes, un certain nombre d'anciens prolétaires devenus SDF, clochardisés. Au bout de combien de temps le prolétaire au chômage devient sous-prolétaire, puis lumpen prolétaire ? A peu près en même temps que l'accumulation de cailloux le transforme en tas selon la blague classique !

Bref, on a bien fait de demander ces précisions, mais je crois qu'il n'y a pas de quoi discuter avec ces définitions, sauf à couper les cheveux en quatre. Mais comme ici, on sait bien le faire, je crains le pire ... :D
Ottokar
 
Message(s) : 731
Inscription : 16 Jan 2005, 10:03

Message par Vérié » 25 Juin 2008, 07:05

Juste une remarque. Les "sous prolétaires" ne sont pas "par nature de classe" condamnés à se faire embrigader par les fachos.

Exemple, en Amérique latine, notamment au Chili et en Argentine, il y a eu et il y a encore des organsations rassemblant des habitants pauvres de poblaciones, bidonvilles etc dans lesquelles l'extrême-gauche a joué ou joue encore un role important. Donc, la bourgeoisie ne pourrait pas mobiliser massivement ces couches contre la classe ouvrière active. En revanche, les dictatures y ont puisé des tortionnaires, mais des individus seulement.Les dictatures n'ont pas gagné l'appui de ces couches : les jeunes des poblaciones ont constitué le fer de lance des manifs contre PInochet et c'est de leur sein que venaient nombre de combattants des Lautaro et du FPMR.

Il serait donc absurde considérer ces couches sociales ( 1 milliard d'individus selon l'étude de Zappa) comme vouées à être manipulées par l'Etat et l'extrême-droite.
En Allemagne et en Italie, c'est dans une conjoncture historique particulière que ces couches ont été utilisées, et aussi surtout la petite bourgeoisie déclassée. Le sentiment de déchéance, qui n'existe pas dans la plupart des pays aujourd'hui, a joué un role très important.

Quant à savoir si "lumpen prolétariat " est un concept marxiste, Marx l'a utilisé à propos des éléments du Lumpen enrolés pour combattre le prolétariat en 1848, puis sur lesquels s'est appuyé Napoléon III. Mais on ne peut pas utiliser ce concept à toutes les sauces et notamment en tirer des conclusions simplificatrices voire caricaturales.
Vérié
 
Message(s) : 0
Inscription : 08 Sep 2007, 08:21

Message par piter » 25 Juin 2008, 09:46

une remarque en passant. si ces "lumpen-prolétaires" ne participent pas à la production de marchandises, ils participent cependant à la production de capital, ils s'insère dans le procès de production d'ensemble du capital comme "armée de réserve". le "lumpen prolétaire" se définit donc aussi par sa place dans la production capitaliste. je rappelle que le capital ce n'est pas une somme d 'argent investis dans la production de telle ou telle marchandise, c'est un rapport social, un rapport entre des classes, et la production capitalistes, si elle produit des marchandises, est aussi et avant tout production d 'un certain type de rapports entre des individus et entre les classes, production donc de bourgeois, de prolétaires dont la force de travail est acheté et aussi de prolétaires qui servent d'"armée de réserve" de la production capitaliste.
ils sont d'ailleurs produit par le développement des rapports capitalistes qui sépare, souvent par la force, les producteurs directs de leur moyens de production (en gros des millions de petits paysans sont arrachés à leur terres d'une façon ou d'une autre) pour etre contraint à devoir vivre en vendant leur force de travail, à devoir vendre leur froce de travail comme une marchandise pour acheter d'autre marchandises puisqu'avec la domination du capital la survie n'est possible qu'en achetant des marchandises puisque les moyens de produire sont désormais sous controle capitaliste, sous controle des bourgeois.

quelle conclusion en tirer? que ce sont bien des prolétaires, qu'ils le veuillent ou non, puisque c'est ce qu'en fait le développement capitaliste.
piter
 
Message(s) : 0
Inscription : 18 Jan 2006, 11:16

Message par sylvestre » 25 Juin 2008, 10:33

a écrit :Je bouquine un peu le livre d'un géographe américain


Probablement Planet of Slums de Mike Davis. On en trouve une critique marxiste détaillée ici.
sylvestre
 
Message(s) : 0
Inscription : 11 Avr 2006, 11:12

Message par Zappa » 25 Juin 2008, 11:09

Othar, j'ai parlé de définition du sous-prolétariat par le géographe américain. En réalité il ne prend même pas tellement la peine de définir, comme si le terme était entendu par tous... ( Le seul défaut que j'ai trouvé pour l'instant au livre, c'est cet aspect universitaire, donc assez jargoneux ) Il dit juste, comment résumer brièvement la vie de ces centaines de millions de gens à travers le monde : "est-ce que j'aurais quelque chose à manger demain?". C'est loin d'être très scientifique comme caractérisation, surtout qu'elle peut englober des travailleurs qui ont un boulot fixe...
Sinon d'accord avec toi sur le reste de ton message. L'idée, défendue à l'époque par Marx face à Bakounine et d'autres, que la classe ouvrière aurait le rôle directeur dans la révolution, et non pas les plus pauvres de chez pauvres du système capitaliste, est fondamentale. Et pas toujours facile à faire capter...

Piter ta remarque me semble tout à fait juste pour ce qui est des pays impérialistes ou des pays qui connaissent actuellement une phase d'expansion économique. Quand dans certains pays africains, l'armée de réserve c'est près de 80% de la population, que ces gens "rêvent" de vendre leurs forces de travail aux capitalistes mais qu'il n'y a juste rien, ça se pose différemment. Ce qui est caractéristique de la vague d'exode rurale dans les pays du Tiers monde depuis grosso modo une trentaine d'années, c'est que dans une partie de ces pays cela correspond à de nouveaux besoins de main d'oeuvre dans l'industrie, dans les villes, que les paysans pauvres peuvent se dire qu'ils ont quelques chances de trouver du travail, d'avoir une vie un tout petit peu meilleure. Mais dans la plupart des pays, ça ne correspond absolument pas à un quelconque développement capitaliste : les paysans partent dans les bidonvilles pour tout un tas de raisons ( famines, guerres civiles entre autres et le sentiment quand même qu'on crève moins de faim à la ville qu'à la campagne, isolés de tous ) avec dans l'immense majorité des cas aucune chance de trouver un boulot un peu régulier. Quand dans les grandes multinationales, t'as des listes d'attente de milliers et de milliers personnes pour se faire embaucher... Je suis d'accord pour dire que ce dernier cas est aussi dans le fond un produit du capitalisme. Mais ce qui me frappe, c'est que dans pas mal de coins en Afrique et ailleurs, on passe de familles qui depuis des générations sont vouées à être des paysans plus pauvres que pauvres à des familles qui pour des générations semblent vouer à faire partie du sous prolétariat des villes. De sorte que ce sous prolétariat sera peut-être bientôt, si ce n'est déjà le cas, la plus grande catégorie sociale de certains pays du Tiers monde... Et d'hors et déjà une composante importante de la population mondiale.

Après d'accord avec toi Vérié, sur le fait que le sous-prolétariat n'est pas condamné par avance à rejoindre la réaction, et sur le fait que la base sociale du fascisme c'est la petite bourgeoisie déclassée.

Ce qui me titille un peu, c'est que dans les textes des Marx, Engels, Rosa Luxembourg, Trotsky que j'ai pu lire ( bien sûr je suis très loin de les avoir lu tous...)
j'ai l'impression qu'on parle de Lumpen prolétariat qu'une fois devant le fait accompli que la réaction a recruté des miliciens dans cette couche de la population. Quand une partie du sous-prolétariat marche main dans la main avec la classe ouvrière, les grands auteurs n'ont pas l'air de le souligner. C'est ça que je trouve un peu étrange et qui fait que je ressens le terme Lumpen prolétariat comme exclusivement péjoratif, puisque utilisé que dans certaines situations peu reluisantes. Il n'y a guère que le Black Panther Elridge Cleaver, qui définissait le BPP comme une organisation de Lumpen prolétaires noirs qui seraient l'avant garde de la révolution aux USA, qui m'ait un peu réconcilié avec le terme :D .
Zappa
 
Message(s) : 0
Inscription : 29 Jan 2008, 11:28

Message par piter » 25 Juin 2008, 13:28

(Zappa @ mercredi 25 juin 2008 à 11:09 a écrit :

Piter ta remarque me semble tout à fait juste pour ce qui est des pays impérialistes ou des pays qui connaissent actuellement une phase d'expansion économique. Quand dans certains pays africains, l'armée de réserve c'est près de 80% de la population, que ces gens "rêvent" de vendre leurs forces de travail aux capitalistes mais qu'il n'y a juste rien, ça se pose différemment. Ce qui est caractéristique de la vague d'exode rurale dans les pays du Tiers monde depuis grosso modo une trentaine d'années, c'est que dans une partie de ces pays cela correspond à de nouveaux besoins de main d'oeuvre dans l'industrie, dans les villes, que les paysans pauvres peuvent se dire qu'ils ont quelques chances de trouver du travail, d'avoir une vie un tout petit peu meilleure. Mais dans la plupart des pays, ça ne correspond absolument pas à un quelconque développement capitaliste : les paysans partent dans les bidonvilles pour tout un tas de raisons ( famines, guerres civiles entre autres et le sentiment quand même qu'on crève moins de faim à la ville qu'à la campagne, isolés de tous ) avec dans l'immense majorité des cas aucune chance de trouver un boulot un peu régulier. Quand dans les grandes multinationales, t'as des listes d'attente de milliers et de milliers personnes pour se faire embaucher... Je suis d'accord pour dire que ce dernier cas est aussi dans le fond un produit du capitalisme.

je disais il me semble développement des rapports capitalistes, car bien entendu comme tu dis il ne s'agit pas d'un développement des ressources de la société, d'un accroissement de richesses, etc...
je parlais d'un développement des rapports capitalistes dans le sens ou se développe le fait que la population est dépossédée des moyens de produire et est contrainte à vivre en achetant des marchandises et de faire de leur force de travail elle meme une marchandise. les gens sont contraints de s'insérer dans des rapports marchands ou meme leur force de travail est une marchandise, donc des rapports non seulement marchands mais capitalistes.

c'est vrai que souvent les gens espérent avoir la possibilité de vendre leur force de travail. mais cela une fois que se sont développés les rapports capitalsites, dans un premier temps les petits producteurs espéraient échapper au salariat, à la contrainte de devoir vendre leur force de travail.

pour ce qui est du role déterminant du prolétariat salarié et du role secondaire de l'armée de réserve, la position des marxistes à laquelle tu renvoie est juste dans l'ensemble, dans la mesure ou les salariés, du fait de participer activement au procès de production, sont plus en mesure de jouer un role efficace dans la lutte contre le capital et dans l'établissement de nouveau rapports de production. la lutte gréviste puis l'occupation des boites et leur prise en main par les travailleurs est logiquement plus, ou uniquement, à la portée des prolétaries qui vendent effectivement leur force de travail et participent activement à la production. cela ne veut pas dire que les autres ne peuvent pas intervenir activement dans la lutte de classe et jouer un role qui peut etre considérable (par exemple quand 80 pour cent est au chomage ou dans la "débrouille", reste que sans doute c'est les 20 pour cent d'autres travailleurs qui seront le fer de lance de la lutte prolétarienne).
piter
 
Message(s) : 0
Inscription : 18 Jan 2006, 11:16

Message par Zappa » 25 Juin 2008, 17:54

[quote=" (piter @ mercredi 25 juin 2008 à 14:28"]

je disais il me semble développement des rapports capitalistes, car bien entendu comme tu dis il ne s'agit pas d'un développement des ressources de la société, d'un accroissement de richesses, etc...
je parlais d'un développement des rapports capitalistes dans le sens ou se développe le fait que la population est dépossédée des moyens de produire et est contrainte à vivre en achetant des marchandises et de faire de leur force de travail elle meme une marchandise. les gens sont contraints de s'insérer dans des rapports marchands ou meme leur force de travail est une marchandise, donc des rapports non seulement marchands mais capitalistes.

OK, merci pour ta réponse Piter. Effectivement le capitalisme exerce des pressions de toute sorte dans le sens de l'abandon de l'agriculture vivrière par exemple. En pratique ça ne fait ressentir que plus durement aux populations les conséquences de l'actuelle augmentation des prix des céréales et de certains aliments...
Zappa
 
Message(s) : 0
Inscription : 29 Jan 2008, 11:28


Retour vers Histoire et théorie

Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 2 invité(s)