a écrit :La LCR tiraillée entre la faucille et la rose
La Ligue communiste révolutionnaire, en congrès jusqu'à demain, doit déterminer la nature de ses accords avec les autres forces de gauche.
Par Eric AESCHIMANN
vendredi 20 janvier 2006
Besancenot en solo ou «candidature unitaire» de la gauche radicale ? La pureté révolutionnaire ou le dialogue avec le diable socialiste? Avec 3000 adhérents (deux fois plus qu'il y a quatre ans), une trentaine de conseillers municipaux et régionaux et zéro député ou eurodéputé, la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) reste un nain politique. Pourtant, parce qu'elle dispose d'un candidat qui a un fort impact dans l'opinion, le débat de tactique électorale qui va occuper son XVIe congrès jusqu'à samedi soir dépasse largement son simple cas.
Victoire de la droite. Son choix aura des répercussions sur l'ensemble de la gauche française, celle du non qui a triomphé le 29 mai dernier au référendum sur le traité constitutionnel européen, et celle du oui incarnée par le PS, puisque c'est la question des relations entre ces «deux gauches» qui se joue. La gauche radicale se situe-t-elle dedans ? Dehors ? Et dehors jusqu'où ? Jusqu'à prendre le risque d'une nouvelle victoire de la droite ?
«Gauche radicale», «antilibérale», «mouvementiste»: le nom est changeant, la délimitation aussi, qui va de la LCR à la minorité des Verts, en passant par le Parti communiste, SUD, Attac, la fondation Copernic et une nuée d'associations. Mais le rôle de cette entité floue dans la victoire du non à la Constitution européenne, lui, n'a rien d'incertain. Sur le terrain, les membres des collectifs 40 000 personnes au sommet de la vague ont fait la preuve de leur efficacité. Une force de frappe disponible, mais qui, si rien n'est fait, se retrouvera en 2007 tiraillée entre les candidats de la Ligue et du PCF. C'est pourquoi, mi-novembre, un groupe de personnalités «nonistes» entraîné par le syndicaliste Christophe Aguiton a lancé un appel en faveur d'une candidature unique. Avec une idée derrière la tête: pousser José Bové. Le compte est simple : l'addition des voix de Besancenot, de Marie-George Buffet et des altermondialistes pourrait permettre de franchir la barre des 10 %. «Ordinairement, une candidature unique se traduit par une déperdition de voix, mais à cause de 2002 les électeurs vont surtout s'inquiéter du risque d'émiettement, à tort ou à raison. Dès lors, une seule candidature à la gauche du PS devrait rassurer les électeurs et certains seront tentés de renoncer au vote utile», explique Stéphane Rozès, directeur de CSA Opinion.
Or un score à deux chiffres permettrait de peser sur le deuxième tour, en monnayant au plus cher un désistement plus ou moins formel en faveur du candidat PS. Façon de reprendre la tradition des accords électoraux et/ou gouvernementaux qui, depuis le Front populaire, ont, tant bien que mal, uni le PCF à son grand frère socialiste. Sauf que la LCR ne mange pas de ce pain-là. «Nous sommes pour un front anticapitaliste, mais les conditions d'une candidature unitaire ne sont pas remplies : il existe deux gauches qui ne peuvent pas travailler ensemble», affirme François Sabado, membre du courant majoritaire de la LCR, celui d'Olivier Besancenot et d'Alain Krivine. Pas question de se retrouver, via le PCF, impliqué dans un dialogue, fut-il indirect, avec le futur candidat socialiste. «Jamais avec le PS», en somme.
Rite initiatique. Pour marquer son refus, la Ligue a décidé de ne pas se rendre au sommet de la gauche prévue le 8 février parce que le PS voulait parler programme gouvernemental. «Le PC nous balade. Il veut bien fédérer la gauche radicale, mais sans rompre avec le PS. Pourtant, nos conditions sont connues», s'agace un dirigeant de la LCR. Entre les deux formations d'inspiration marxiste, le petit jeu consiste à espérer que l'autre sera le premier à déclarer officiellement son candidat, histoire de lui faire porter le chapeau de la division. Problème : ce ne sera pas facile à faire avaler aux militants de la Ligue, en particulier les jeunes recrues venues dans la foulée de l'effet Besancenot, qui ont vécu le référendum comme un rite initiatique et ne veulent pas en rester là.
«Une simple candidature Besancenot ne serait pas à la hauteur du 29 mai», déplore Christian Picquet, le chef de file du courant minoritaire favorable à une candidature «anticapitaliste». «Il faut que les militants fassent leur deuil du 29 mai», réplique un dirigeant. A la tête de la Ligue, le vieux fond antisocial-démocrate incarné par Alain Krivine est en phase avec la profonde méfiance d'Olivier Besancenot pour les tractations d'appareil. La direction pourra-t-elle tenir jusqu'au bout sa ligne de refus ? Dans son texte soumis au vote des militants, elle a mis de l'eau dans son vin et a accepté de retarder la désignation de sa star cathodique, Olivier Besancenot, comme candidat. Elle n'a recueilli que 49% des suffrages, 9 points de moins qu'il y a deux ans, lors du précédent congrès.
Férocité. Signe d'une évolution, la direction de la LCR promet de ne pas rééditer le scénario du 21 avril, où Olivier Besancenot avait harcelé Lionel Jospin avec autant de férocité que Jacques Chirac, voire plus. «On tapera sur la droite, pas sur le candidat socialiste.» Parce que la droite est au pouvoir. Et que le bide des listes LO-LCR aux régionales de 2004 est passé par là : «Nous avons un peu confondu indépendance et hostilité envers le PS. On a compris la leçon.» Parler au PS reste tabou, mais la LCR n'est plus certaine de vouloir la mort du pécheur.