par François Delpla » 18 Fév 2005, 10:41
Bonjour !
Bien que fort pressé, je commencerai par une remarque générale, que j'ai déjà eu l'occasion de faire, mais apparemment une piqûre de rappel s'impose. Votre forum sera plus mûr quand chacun discutera pour lui-même, en évitant le "nous" d'une part, en engueulant (gentiment) qui le mérite, fût-il de son bord, d'autre part. Ainsi, ceux qui prennent en compte les infos de mes derniers messages en n'ayant pas l'air de les trouver "redondants" pourraient glisser au passage deux mots à "Alex" qui les trouve tels... d'une manière d'ailleurs très redondante !
La vision de Quijote est profondément erronée lorsqu'il identifie Churchill à Chamberlain tout au long des années 30 et particulièrement au moment de Munich. C'est un summum de schématisme et de dogmatisme : du moment qu'on est d'une classe et qu'elle prend telle position, on prend cette position.
Dès 1932, disais-je, Churchill prend une position antinazie radicale, càd se montre prêt à s'allier avec le diable soviétique pour contenir le revanchisme allemand. Voici pour l'étayer rapidement une courte citation de mon futur livre :
"De retour à Londres, il dénonce la résurgence du militarisme allemand avec une vigueur qu’il n’avait montrée auparavant que dans des conversations privées. Il donne un grand discours aux Communes, le premier qui intéresse cette étude même si le nom de Hitler n’y est pas prononcé, le 23 novembre.
La question en débat est celle du désarmement. Il énonce une formule qu’il reprendra souvent : « La suppression des griefs justifiés des vaincus devrait précéder le désarmement des vainqueurs. » Puis il prend un malin plaisir à brandir un journal, La Suisse libérale, selon lequel l’accord de l’Angleterre au sujet d’une « égalité de droits » pour l’Allemagne en matière d’armements (c’est la position prise par le premier ministre, Macdonald, à la Conférence du Désarmement) signifie une alliance de fait, dont l’ « objectif est d’entraîner la défaite ou la paralysie de la France entre les mains de l’Allemagne ou de l’Italie. » Il conclut par une formule bien à lui :
Bien sûr, tout cela n’est pas exact, mais vous voyez comment les petits pays jugent ces propositions.
Macdonald ayant déclaré que l’Europe était « une maison habitée par des fantômes », il réplique qu’elle abrite au contraire « des entités vivantes, violentes et fortes », par exemple l’antisémitisme, tant en Pologne qu’en Allemagne. Il relève que ce dernier pays n’a pas été, à Versailles, aussi maltraité qu’on le dit, puisqu’il n’a nullement été démembré et que les Allemands qui n’en font pas partie, par exemple ceux de Tchécoslovaquie, n’en ont jamais fait partie. Il poursuit en disant que l’Allemagne est non seulement unie mais « plus impétueusement unie que jamais », et il met en doute le postulat suivant lequel elle réclame seulement une égalité de statut, par une description des manifestations nationalistes qui, pour ne faire aucune allusion à Hitler ou aux nazis, les englobe de toute évidence :
Tous ces jeunes Teutons vigoureux, marchant en bandes dans les rues et sur les routes de l’Allemagne, avec dans les yeux la flamme du désir de souffrir pour leur patrie, ce n’est pas un statut qu’ils réclament. Ils réclament des armes et, quand ils en auront, croyez-moi qu’ils demanderont le retour des territoires et des colonies perdus, et quand cette demande sera faite elle ne manquera pas d’ébranler et peut-être de ruiner de fond en comble tous les pays dont j’ai parlé, et quelques autres dont je n’ai pas parlé. "
Elle n'est pas belle, cette dernière formule ? Elle signifie bien, à l'adresse des délicates oreilles des députés conservateurs, qu'il ne faut pas se priver du concours d'un seul pays visé par Mein Kampf.
Le propos va devenir de plus en plus clair à mesure de la croissance du danger, jusqu'à une prise de position ouverte en faveur de l'alliance soviétique en 1938-39. Et ce, CONTRE sa propre bourgeoisie.
Lancer l'Allemagne contre l'URSS ? Ca me paraît être, très clairement, le point de vue de Baldwin (homme fort de la politique britannique jusqu'en mai 37), puis de Halifax. C'est un peu moins clair pour Chamberlain, qui cherche surtout à corseter l'Allemagne dans des limites bien définies. Mais le très conservateur et très anticommuniste Churchill, pendant tout l'entre-deux-guerres, n'est nullement suspect d'avoir été effleuré par une telle tentation.
Quant à son pro-mussolinisme et, plus tard, à son pro-franquisme, je suis, pour ma part, loin de les nier comme de lui en faire compliment. Néanmoins, du point de vue qui nous occupe, ils peuvent aussi servir de preuve : il fait une distinction radicale entre nazisme et fascisme, pour concentrer tout l'effort contre le premier.