Bonjour !
Je viens de me rendre compte qu'on causait de mon travail (je serais venu plus tôt si on m'avait prévenu).
Je lève précisément le nez, pour une rapide réponse, d'un ouvrage au long cours sur Churchill et Hitler, proche de sa conclusion, mais je dois encore faire une visite aux archives de Londres pour affiner, notamment, la question du rôle de Churchill dans les bombardements de civils allemands.
Pour l'heure, je voudrais remarquer qu'il n'est mêlé à celui de Dresde, selon toute apparence, que de loin, c'est le cas de le dire : il se rend en bateau de Yalta à Athènes, et dans les deux endroits il traite de dossiers qui occupent une grande partie de sa tête : il ne doit pas en rester beaucoup pour le suivi des opérations aériennes sur l'Allemagne.
Deux semaines plus tard, en revanche, il pond un texte extraordinairement intéressant pour notre débat, et le fait qu'aucun journaliste, ces jours-ci, ne le rappelle, montre bien les limites de cette profession et le danger, qui nous guette tous, d'être ballottés au gré des vents de l'actualité sans approfondir les questions comme il est pourtant indispensable de le faire si on veut dire des choses qui simplement tiennent la route. Il écrit à ses chefs d'état-major :
"Le moment est venu, me semble-t-il, où la question du bombardement des villes allemandes dans la seule intention d'accroître la terreur, même si d'autres prétextes sont mis en avant, doit être revue. Autrement, nous allons prendre le contrôle d'un pays entièrement ruiné. (...) La destruction de Dresde remet sérieusement en question la manière de faire des Alliés en matière de bombardement. Je suis d'avis qu'à l'avenir les objectifs militaires doivent être définis de façon plus stricte, eu égard à nos propres intérêts plutôt qu'à ceux de l'ennemi."
Thuriféraire de Churchill, moi ? Cherchez ce nom sur le moteur de recherche de mon site (
http://www.delpla.org) et trouvez-moi un passage, un seul, où je le chouchoute.
Non, plutôt adversaire de Hitler (en un sens : car je n'oublie pas que l'historien n'a pas à être pour ou contre ses objets d'études). Ce que je remarque, par exemple dans les derniers propos de Sharon sur Auschwitz, c'est que tout le monde ou presque, depuis 1945, extrapole le résultat des courses à la course entière et raisonne comme si le nazisme avait été un tigre de papier.
On a beaucoup entendu dire qu’en 1945 une « mémoire résistante » avait éclipsé, pour de longues années, la prise en considération du génocide des Juifs. Cette affirmation mériterait de sérieuses nuances. En revanche, nous avons bel et bien sous les yeux le phénomène inverse, puisqu’Auschwitz a été présenté dans la quasi-totalité des discours seulement comme un lieu d’extermination des Juifs et des Tsiganes, en ignorant les nombreuses autres catégories de population « libérées » le 27 janvier 1945, notamment les résistants.
La concurrence de ces « mémoires », quand elle existe, est profondément malsaine. De ce point de vue, Sharon a eu grand tort de prétendre que « personne d’autre que les Juifs » n’avait agi contre la « Shoah ». Puisque, précisément, le génocide était au cœur du projet nazi, toute action pertinente contre le nazisme hâtait la fin du massacre et contribuait à sauver des victimes potentielles. A ce sujet, la revue
L’Histoire a publié le mois dernier une excellente synthèse d’André Kaspi, propre à faire reculer l’idée, apparue depuis une vingtaine d’années et omniprésente ces dernières semaines, qu’il y avait une légèreté criminelle à ne pas bombarder les voies ferrées menant au camp.
Aux raisons techniques qui démontrent l’inefficacité d’une telle action j’ajouterai des considérations politiques. Dans ce cas comme dans cent autres, on suppose résolu le problème du nazisme. Hitler était fou, il n’avait aucune chance de gagner, alors chacun pouvait se consacrer à ses intérêts spécifiques et tout mettre en œuvre pour faire triompher ses priorités sans compromettre la victoire.
Eh bien non. L’écrasement du monstre dans sa tanière pressait plus que tout, Churchill en d’inlassables navettes accordait les violons des trois alliés principaux et ce n’était pas du luxe, tant, pour ne prendre qu’un exemple des craintes qui risquaient de paralyser l’action, la peur d’une communisation générale de l’Europe trouvait d’écho aux Etats-Unis.
Depuis 1932, un homme qui a, sinon compris les détours de Hitler dans toute leur subtilité, du moins mesuré la dangerosité du nazisme, met tout en oeuvre, y compris en surmontant en lui-même un anticommunisme particulièrement invétéré, pour unir des forces matérielles et morales contre ce fléau. Le jour où les bombes pleuvent sur Dresde, il est comme toujours pressé d'en finir en ne négligeant aucun facteur, et le feu du ciel pour faire comprendre au peuple allemand qu'il est dirigé par un type dangereux fait partie de l