a écrit :Donc, pour résumer, ce que tu reproches à l'analyse trotskyste, c'est une vision fausse de l'apport de la révolution russe ?
Non je reproche surtout à certains trotskystes actuels de ne pas avoir un regard assez critiques sur cette expérience, et ainsi de ne pas préparer de meilleures bases pour un socialisme à venir.
L'orthodoxie est un dogmatisme anhistorique et donc anti-marxiste.
Les problèmes rencontrés par le prolétariat pour son émancipation, et notament au travers la révolution russe sont multiples.
Des critiques justes, de natures différentes, ont été portées dès le début de l'expérience puis plus tard. Ce qui est sûr, c'est que de ne pas en avoir tenu compte a fait le lit du totalitarisme.
sur le plan économique : la manière dont la socialisation a été menée. Le rythme, les modes de socialisation, la prédominance des technocrates issus de l'ancienne bourgeoisise à la tête des usines et des instituts, la nature de la production
sur le plan politique : la disparition progressive des libertés politiques, l'inexistence des droits fondamentaux, la subordination des syndicats au politique, le monopartisme
sur le plan éthique : un relativisme moral (leur morale et la notre), l'écrasement forcé des religions (ce qui n'a rien à voir avec la laïcité), des pratiques politiques douteuses, un scientisme caricatural (voir certaines expériences psychiatriques), une méconnaissance des attachements culturels, identitaires, traditionnels des peuples (il ne suffit pas de décréter que les anciens liens sociaux, familiaux, religieux sont défaits pour qu'ils le soient effectivement, on n'est jamais uniquement un prolétaire abstrait définit uniquement par son rôle dans le processus productif...), un optimisme trop grand sur la volonté des gens d'être des acteurs à plein temps de la vie politique et économique (ne pas prendre en compte cette réalité, c'est bientôt se réveiller avec une clique qui a pris tous les leviers de commande)
toutes choses ayant commencé avant la mort de Lénine et auxquelles a participé aussi Trotski (mais lui, a eu la possibilité et le courage de revenir sur certaines)
il ne s'agit pas de juger 90 ans plus tard bien au chaud dans son fauteuil, mais bien d'essayer de ne pas renouveler toutes ces erreurs.
Ce que j'en retire, moi, pour ma pratique politique :
- aucun parti n'a le monopole du prolétariat, ni même de la ligne juste
- le prolétariat, bien évidemment ne se résume pas à sa composante ouvrière, pas plus hier qu'aujourd'hui (les bobos n'existent pas)
- avant, pendant et après l'avènement d'un système allant vers le socialisme, le pluralisme politique doit absolument exister
- les syndicats restent indépendants
- l'instauration du socialisme ne se fait pas par en haut à grands coups de décrets, mais doit mobiliser tous les acteurs sur différents terrains - je ne crois pas que les soviets se substituent complètement aux autres formes de démocratie populaire telles que les mutuelles, les associations, les fédérations d'usagers, les représentants des familles, des consommateurs, les ong, ... tous permettent d'enrichir les débats démocratiques, de construire des contre-pouvoirs, remparts contre les décisions technocratiques unilatérales. Ce qui signifie bien entendu, que dans la perspective d'une conquête de l'hégémonie politique du prolétariat (pas sur le prolétariat), il faut aujourd'hui investir tous ces terrains, tisser avec eux des liens. Non pas par soucis tactique uniquement, mais parce que leurs voix sont irremplaçables. La démocratie est un pari. Pas un donné. L'illusion de la table rase qui simplifira les rapports sociaux est une illusion dangereuse
Des restes de démocratie représentative peuvent perdurer
- il n'y pas aujourd'hui d'ennemis à gauche. pas de mépris pour ceux qui, militants et même parfois dirigeants sincères, se mobilisent pour plus de justice sociale, environnementale... et donc le plus souvent bâtir des fronts communs et investir aussi le terrain "altermondialiste". ce qui ne signifie pas abandonner le terrain de la lutte idéologique, de la controverse...
Beaucoup des points que j'ai cités sont à mon avis partagés par les militants de LO et d'ailleurs. Mais il y a parfois, sur ce forum, des réflexes assez négatifs à mon sens (le patriotisme de parti, la certitude d'avoir raison sur tout...).