par alex » 07 Oct 2004, 12:12
Faute de «casser de l'Arabe», ils s'étaient «fait un pédé»
Trois jeunes skinheads comparaissent pour un meurtre à Reims en 2002.
Par Marc PIVOIS
jeudi 07 octobre 2004
Qu'ont-ils eu à dire ces trois jeunes hommes lorsqu'ils se sont assis, hier matin, dans le box des accusés de la cour d'assises de la Marne? Mickaël Régnier, 22 ans, Fabien Lavenus, 25 ans, et F., 18 ans, sont accusés de meurtre pour avoir roué de coups un homme de 29 ans et l'avoir jeté à l'eau, agonisant. Le public et la presse ne les entendront pas s'expliquer, contraints de quitter la salle d'audience dès que les jurés ont été désignés : les débats, jusqu'à vendredi ou samedi, se déroulent à huis clos, F. étant mineur au moment des faits.
«T'es homo ?» Au soir du 13 septembre 2002, tous trois quittent en voiture leur village de Bazancourt (Marne), dans la Champagne betteravière, pour «aller casser de l'Arabe» en ville. Skinheads actifs, les trois prédateurs maraudent dans Reims en vain, aucune victime solitaire ne passant à portée. Qu'importe, «on va se faire un pédé». Ils savent, ils l'ont déjà fait : le parc Léo-Lagrange est un lieu de rencontres connu, fréquenté par des homosexuels de l'agglomération rémoise. Cachés dans un buisson, ils attendent. François Chenu, gérant d'un McDo à Sedan, est en vacances à Reims. Il s'adosse à un arbre, allume une cigarette. Tranquille. Mickaël Régnier s'approche, suivi par ses deux acolytes. «T'es homo ?» «Oui», a probablement répondu François Chenu. C'est la curée. Coups de poing, de pied, la victime est jetée dans un étang. Puis repêchée. Selon ses complices, Régnier aurait alors sauté à pieds joints, chaussé de rangers, sur le visage de François, et à plusieurs reprises. Les trois skins, avant de le transporter sur une passerelle, lui font les poches. Portefeuille, téléphone portable. Ils le rejettent à l'eau, puis rentrent à la maison, «souffler», dira l'un d'eux.
Alcool et violence. Fabien Lavenus porte une petite mèche brune qui retombe sur son front. Elevé par son père, il quitte l'école en seconde professionnelle sans diplôme. C'est au lycée qu'il aurait découvert les idées nazies. Les experts écrivent que «le mouvement skinhead est devenu sa deuxième famille». Mickaël Régnier a des cheveux blonds presque ras, un grand front, des yeux enfoncés. Un regard froid, désintéressé. Militaire au moment des faits, il s'est engagé subitement, alors qu'il préparait un BEP électronique. Bien noté par les sous-officiers de son régiment, à Belfort, bien que son dossier souligne une «intempérance alcoolique». Le milieu familial, dit l'acte d'accusation, est porté sur l'alcool et la violence. Un avocat assure que, toute son enfance, Régnier père disait à ses fils: «S'il y a un pédé ici, il prend la porte tout de suite.»
F., mineur au moment des faits, est assis dans le box entre ses deux complices. Pâle, visage effilé, le menton calé dans le col de sa veste en jean. Il était lycéen au moment des faits. Ses parents, Jean-Claude et Marie-José B., sont assis devant le box. Accusés de «recel et destruction de preuves», ils comparaissent libres. Ils ont brûlé le portefeuille de la victime et la mère utilisait le portable de François Chenu. Ce qui a permis aux policiers de remonter jusqu'aux accusés.
Quand ils ont débarqué chez les B., ils ont trouvé des murs décorés d'affiches et de bibelots nazis. Jean-Claude B. a été condamné à plusieurs reprises pour conduite en état d'ivresse. Dans le voisinage, il est connu pour «faire des histoires» et pour ses «idées racistes». Du pavillon s'échappaient souvent des chants nazis. Silhouette maigre, il tourne la tête en tous sens, ses longs doigts triturant son visage. Une moustache rend plus amer le pli de sa bouche. Il se présente comme «invalide». A ses côtés, sa femme, mains jointes et épaules voûtées, se tient prostrée. Tous deux ont des yeux lestés de cernes. Dans leur pavillon vivait aussi Fabien Lavenus, en concubinage avec une des filles de la maison. Une autre soeur était avec Mickaël Freminet. Le 1er mai 1995, ce dernier avait participé au meurtre de Brahim Bouraam, jeté dans la Seine à Paris en marge d'un défilé du Front national. Lors de son procès, il avait affirmé renier totalement les «idées racistes». A sa sortie de prison, c'est en participant à un «camping» (feux de camp, chants nazis et bière) qu'il a connu F. et sa soeur.«Excuse de minorité». A la suspension d'audience, Marie-Cécile Chenu, mère de la victime et aumônière à l'hôpital de Charleville-Mézières, dit qu'elle n'attend qu'une chose du procès : que les trois accusés «prennent conscience» de leur acte. «J'espère qu'ils en sont capables.» Jean-Paul, le père, est éducateur : «Je continue à travailler avec des gamins qui leur ressemblent. L'indifférence est pire que tout.» A l'écart, un garçon de 16 ans s'agite : «Mon frère n'est pas responsable. Raciste? Oui. Mais moi aussi. Tout le monde. On se fait braquer et emmerder par qui en ville? Celui qui viole un enfant prend deux ans ; et mon frère, qui a juste frappé un homo, on veut lui mettre vingt ans? C'est pas normal.»
Les deux accusés majeurs risquent trente ans de prison. Si l'«excuse de minorité» est retenue par les jurés, F. encourt quinze ans. Verdict en fin de semaine.
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