a écrit :Notes sur la situation politique
LA position prise par la direction de la CGT sur l'affaire Perrier ouvre une situation sans précédent dans notre pays. Pour en comprendre toute la signification et l'importance, il nous faut poser la question : y a-t-il un lien entre l'affaire Perrier, d'une part, et, d'autre part, ces trois autres éléments de la situation politique que sont le problème de la Constitution européenne, les positions prises par la CES (et dans son sillage par les dirigeants du PS), et enfin les propositions de restructuration et réorganisation qui fleurissent au sein des deux grandes centrales CGT et Force ouvrière ?
Le 12 septembre, à la Fête de L'Humanité, Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, a souhaité " que les organisations syndicales de salariés fassent front uni pour dire qu'il y a une ligne blanche à ne pas dépasser et décider ensemble de se mobiliser pour défendre le droit au travail ".
Gestion sociale, publication " réservée aux dirigeants ", souligne que l'appel de Bernard Thibault vise pour commencer à " renouer contact avec son homologue de la CFDT ". Mais, au-delà, " Thibault se défend de tout changement de cap ". Son " front uni n'est pas un concept nouveau, mais une modalité du syndicalisme rassemblé ". Ce que veut dire concrètement cette déclaration, on va le voir plus loin dans l'action pratique des dirigeants de la CGT face au coup de force de la multinationale contrôlant Perrier.
Mais auparavant, interrogeons-nous : y a-t-il un lien entre l'ensemble de ces problèmes et le refus de l'exercice du mandat ? Avec un acharnement sans égal, les dirigeants des centrales ouvrières, y compris la CGT, se refusent à donner un mandat clair pour dire non à la Constitution européenne. Alors que, dans quelques semaines, les chefs d'Etat sont appelés à signer cette Constitution, ceux qui représentent le mouvement syndical refusent de prendre clairement position, expliquant qu'il n'y a aucune nécessité de le faire immédiatement !
Comment comprendre ? Cette question de la Constitution européenne ne recoupe-t-elle pas la question : ou bien indépendance des organisations syndicales, ou bien " syndicalisme rassemblé ", dont nous voyons les effets contre les salariés de Perrier ?
Refuser de prendre position, n'est-ce pas violer la démocratie, à l'encontre de ce qui s'est passé en 1969, lorsque, avant même le référendum corporatiste visant à intégrer les syndicats, Force ouvrière et à la suite la CGT avaient pris position pour appeler au vote non ?
Pour le MEDEF, l'enjeu est clair : " Le contexte économique a fondamentalement changé. Les frontières ont disparu. La monnaie unique européenne est une réalité. La nouvelle économie se met en place. Il nous faut réinventer un système à partir du niveau optimum d'efficacité économique et sociale, du dialogue social, c'est-à-dire l'entreprise " (déclaration du 17 mars 2000).
Il s'agit d'en finir " avec le mécanisme actuel d'élaboration des normes sociales par les négociations collectives, bâti dans les années 1950, (...) suivant le principe de la clause la plus favorable, c'est-à-dire la règle selon laquelle un accord local ne peut qu'améliorer un accord de branche, qui lui-même ne peut qu'améliorer le Code du travail ".
Pas à pas, en relation même avec les exigences de l'Europe et de la Constitution, se met en place la " régionalisa- tion ", c'est-à-dire la destruction des nations et des garanties arrachées par les luttes " nationales " des travailleurs et de leurs organisations. Ainsi, ce 15 septembre, un protocole d'accord sur la " rénovation du dialogue social dans la fonction publique " a été transmis aux fédérations de fonctionnaires. Il prévoit, dans son article 2-2 : " Un comité technique régional interministériel, placé auprès du préfet, sera expérimenté. Il sera compétent notamment sur l'organisation de l'action territoriale de l'Etat dans la région, la coopération interservices, la mutualisation des moyens entre les services, notamment en matière de formation et d'organisation des concours. "
QUEL rapport y a-t-il entre " l'ordre social " fondé sur l'entreprise, ce " dialogue social rénové " et le processus qui vise à régionaliser les structures syndicales ?
Nous lisons dans un document rédigé par la direction de la fédération syndicaliste Force ouvrière de la communication, concernant la modification de ses statuts : " En 1998, vous n'avez pas hésité (...). La solution de facilité consistait à laisser venir, à se replier sur soi jusqu'à l'atrophie. Le scénario de déclin était sans appel (...). Vous avez donc fait le choix de la responsabilité et de l'avenir : s'ouvrir à l'ensemble des salariés de la communication, quelle que soit l'entreprise dans laquelle ils travaillent, c'est-à-dire le pari de la diversité pour nourrir l'unité. Les frontières entre public et privé dans notre domaine d'activité ne sont plus pertinentes pour l'action syndicale. Il ne s'agit pas, comme par le passé, d'effectuer une mise àjour, de procéder à un simple toilettage. C'est le défi d'une véritable "recréation" que nous devons relever. "
N'est-ce pas clair, net et précis ? Fini, le statut de la fonction publique. Tout doit être privatisé. Selon les exigences du patronat, du MEDEF et de Bruxelles, il s'agit de reconnaître la réalité aux seuls syndicats d'entreprise. Restructurer fédérations, unions départementales, confédérations, en vue de réaliser les objectifs fixés par l'Union européenne. Et, pour ce faire, tant dans la CGT-Force ouvrière que dans la CGT, en finir avec le fédéralisme. Si je ne suis pas d'accord avec Lemercier, il faut lui reconnaître le mérite de dire les choses très clairement, ce qui donne la possibilité d'un débat très clair.
OUVRONS à présent le dossier de la " vente " Perrier, menace avancée par la direction de la multinationale Nestlé-Waters France. Au mois d'août, La Tribune a indiqué que, "Perrier n'atteignant pas le ratio de productivité exigé par le plan de réduction des coûts lancé par Nestlé ", des objectifs lui avaient été assignés par la direction : " Doubler la production d'ici 2007, améliorer la rentabilité, investir 23 millions d'euros, plus 8 millions d'euros dans les différentes usines. "
On pourrait penser que ces investissements auraient pu être financés par une croissance " harmonieuse ", qui, selon La Tribune, se mesure à un résultat d'exploitation en forte hausse (+ 32,4 %) et à un bénéfice net par action de 3,79 euros (+ 31,8 %).
Nous avons là, n'est-ce pas, une illustration nette et claire de ce qu'une surexploitation forcenée permet aux capitalistes d'obtenir des résultats financiers spectaculaires. C'est de lutte de classe qu'il s'agit, une lutte de classe dans laquelle, à juste titre, dès le départ, les syndicats CGT et Force ouvrière ont refusé les propositions de Nestlé-Waters de suppression de 1 047 emplois en France (dont 356 à Vergèze, Gard, le siège de Perrier) sur un total de 4 500 emplois.
Jour après jour, la pression n'a cessé de s'exercer sur les organisations syndicales. On lit dans Midi lnfos (22 septembre 2004) : " Nicolas Sarkozy aurait rapidement compris que Nestlé ne reviendrait pas sur l'accord de gestion prévisionnelle et de départs anticipés signé en juillet par la CFDT et la CF-CGC. " L'idée était de débloquer cet accord en offrant à la CGT la possibilité de sortir de la nasse dans laquelle elle s'était mise", explique un proche du ministre. Une rencontre est donc prévue avec la CGT en préfecture du Gard. Et quelques heures après l'entrevue de Bercy, le préfet du Gard, Jean-Pierre Hugues, et une collaboratrice de Nicolas Sarkozy sont descendus à Nîmes pour dévoiler les grandes lignes de ce plan aux représentants de la CGT.
Auparavant, le ministre avait eu personnellement au téléphone le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, lequel a ensuite appelé le syndicat de Vergèze. Devant les grilles de la préfecture, Jean-Paul Franc, de la CGT de Perrier, s'est félicité du "rôle joué par lé ministre pour permettre le retour au dialogue". "
Peut-on croire un instant que le ministre Sarkozy, qui, via Bernard Thibault, a fait pression sur les dirigeants syndicaux de Perrier, a ainsi obtenu l'abandon du plan ? On lit dans le même journal : " La direction de Nestlé- Waters France n'entend pas renoncer à son projet consistant à créer quatre filiales. " De toute façon, on ne pourra pas l'empêcher ", commentait hier Jean-Paul Franc, dirigeant CGT, la filialisation étant maintenue. "
PEUT-ON croire un seul instant que cette politique, qui exprime clairement le contenu du syndicalisme d'accompagnement, du " syndicalisme rassemblé ", permettra d'aider à la résistance des travailleurs et des organisations ?
Peut-on croire un seul instant qu'accompagner les restructurations, les suppressions d'emplois, les privatisations, empêchera le MEDEF, l'Europe et le FMI d'exiger toujours plus encore dans l'exploitation des travailleurs ? Peut-on croire un seul instant qu'accompagner cette politique permettra de garantir l'indépendance des syndicats par rapport au patronat, aux gouvernements, à tout parti ?
Aucun travailleur ne peut croire que le ministre des Finances, Nicolas Sarkozy, candidat UMP à la présidence de la République en 2007, marche pour défendre les intérêts des salariés. On a en mémoire sa déclaration du 16 septembre à Europe 1, avant qu'il se félicite de la position prise sous la pression de Thibault : "Dans l'affaire Nestlé, le jusqu'au-boutisme d'une organisation syndicale plonge les salariés dans l'angoisse et donne une image de notre pays qui décourage un certain nombre d'investisseurs. "
Donc, soumis à cette pression de Thibault, relayant les exigences de Sarkozy, du MEDEF, de la direction de Nestlé et de l'Union européenne, le syndicat CGT de Perrier a levé son droit d'opposition.
N'a-t-on pas là l'expression claire, pratique, d'une politique qui trouve ses racines ailleurs que dans la lutte de classe indépendante, c'est-à-dire que dans la défense inconditionnelle des droits et garanties des travailleurs ?
Et à quoi cela a-t-il servi ? Qu'a répondu la direction de Nestlé-Waters au fait que le syndicat CGT ait levé son droit d'opposition sur directive de Thibault ? On lit dans Le Parisien (28 septembre) : " La semaine dernière, les pourparlers avaient repris sous l'égide de Bercy. Le pacte paraissait clair. Nestlé gardait ses usines en France, à condition de faire passer son plan, et le géant de l'eau promettait des dizaines de millions d'euros d'investissements pour son fleuron. Tout semblait bien ficelé. Jusqu'à hier soir. En fait, la direction de Nestlé paraît ne pas avoir " digéré " le discours ambigu de la CGT (...). "
La direction de Nestlé exige la capitulation sans conditions des organisations syndicales, le ralliement sans conditions aux seuls intérêts du patronat. Et cette question est la question clé à laquelle sont confrontées les organisations syndicales à tous les niveaux. Et cette question ne saurait avoir de réponse ambiguë, car, de toute façon, dans la situation sans issue dans laquelle se débat ce pays, le MEDEF, le gouvernement n'ont qu'un seul but : casser tout ce que la classe ouvrière a pu conquérir dans sa lutte de classe pour la défense de l'indépendance et de la démocratie.
Pierre Lambert