a écrit :Le premier ministre turc défend la pénalisation de l'adultère
LE MONDE | 14.09.04 | 13h20
Le Parlement examine à partir de mardi un nouveau code pénal dans lequel le gouvernement de M. Erdogan veut introduire un article prévoyant des peines de 6 mois à 2 ans de prison pour "crime" de relations extramaritales.
Istanbul de notre correspondante
Un projet de loi interdisant l'adultère et imposant des peines de 6 mois à 2 ans de prison menace d'éclipser les réformes importantes contenues dans le nouveau code pénal turc, qui était soumis à l'Assemblée nationale mardi 14 septembre. Le Parlement prévoit de se réunir dix heures par jour jusqu'à ce que les plus de 340 articles du nouveau code soient adoptés.
Le code pénal turc actuel, calqué sur les lois italiennes, a peu été modifié depuis son introduction en 1926. Cette révision complète, prévue depuis des années, marque donc une étape importante dans la modernisation du pays.
L'adultère ne figurait pas à l'agenda des discussions durant la longue période de préparation du nouveau code pénal. La proposition de dernière minute du gouvernement a surpris et causé des réactions outrées de la part des organisations féministes, qui se sont battues, avec succès, pour éliminer des articles discriminatoires à l'égard des femmes.
"Le crime d'adultère a disparu en 1998. Le réintroduire revèle l'attitude patriarcale et discriminatoire du gouvernement, qui veut s'ingérer dans la vie privée des gens", explique Liz Amado, de l'association Women for Women's Human Rights-New Ways. "L'adultère n'est pas un acte criminel, puisqu'il n'est pas forcé." Le premier ministre Recep Tayyip Erdogan, pieux musulman, justifiant sa position, a expliqué que "la famille est une institution sacrée pour nous. Plus la famille est forte, plus le pays est fort", a-t-il ajouté.
Güldal Aksit, la ministre responsable des affaires de la femme et de la famille, qui participait lundi à un symposium réunissant des femmes turques et européennes à Istanbul, affirme que l'intention du gouvernement est mal comprise. "Nous sommes conservateurs. Pour nous, l'adultère est un crime, explique-t-elle. Cette loi comble un vide légal, mais elle ne sera appliquée que si un des partenaires porte plainte."
Comment les autorités entendent établir la preuve que l'adultère a été commis demeure peu clair. De même, la situation de nombreux hommes qui ont plus d'une épouse, alors même que la polygamie est officiellement interdite depuis des décennies, n'a pas été clarifiée.
Bien que la loi sur l'adultère s'appliquerait aux hommes comme aux femmes, les organisations féministes sont convaincues que, dans le contexte d'une société patriarcale, peu de femmes oseraient braver la colère de leur époux et l'opprobre de leur communauté en portant plainte. La loi risque même d'augmenter le nombre de crimes d'honneur.
En 1998, la Cour constitutionnelle avait annulé une loi sur l'adultère qui ne respectait pas l'égalité des sexes : les femmes pouvaient être punies pour une seule infraction, alors que seule une liaison durable constituait un crime pour les hommes.
MOBILISATION FÉMININE
Le nouveau code pénal considère comme circonstances aggravantes, passibles de la prison à vie, les crimes commis au nom de la tradition. Mais les féministes affirment que si le concept d'honneur n'est pas explicitement ajouté, ces crimes risquent de continuer de bénéficier de réductions de peine.
Des dizaines d'organisations féminines entendaient se mobiliser pour manifester, à l'ouverture du Parlement, contre la loi sur l'adultère. Ces associations ont déjà fait la preuve de leur influence grandissante : elles ont, par exemple, réussi à introduire dans le code pénal la notion de viol marital, qui n'existait pas.
Les tests de virginité seront vraisemblablement punis de peines de prison, bien qu'ils pourront encore être ordonnés par un magistrat pour prouver un crime. Les crimes sexuels, qui étaient considérés comme des crimes contre la société, sont désormais vus comme commis contre les individus.
Les dirigeants européens ont critiqué la démarche du gouvernement sur l'adultère. "Si la Turquie essaie d'introduire dans son code pénal des crimes qui ne sont pas dans les lois d'autres pays, les pays de l'Union européenne pourraient interpréter ceci comme l'entrée de la loi islamique dans la loi turque", a averti Günter Verheugen, commissaire à l'élargissement.
A moins d'un mois de la publication du rapport de la Commission européenne sur les progrès accomplis en Turquie, ce projet est un faux pas par rapport à l'élan nouveau donné au processus de démocratisation par le gouvernement. Celui-ci fait désormais face a un dilemme : le premier ministre s'est clairement engagé et peut difficilement faire marche arrière, mais s'il insiste il risque de compromettre des années d'efforts pour se rapprocher de l'Union européenne. L'adultère est cité dans le code civil turc comme une raison justifiant le divorce.
Nicole Pope
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 15.09.04