a écrit :Profits spectaculaires en 2004 alors que le chômage augmente.
Les grands groupes français narguent une économie en berne
Par Laurent MAURIAC
lundi 09 août 2004 (Liberation - 06:00)
Ce sont les profits de la crise. En langage économique, on dit que les entreprises «ont reconstitué leurs marges». Autrement dit, elles ont restructuré, aplani, réorganisé, supprimé des postes. Objectif : baisser les coûts, augmenter la productivité, devenir plus compétitives. Depuis deux semaines, les sociétés du CAC 40 affichent les unes après les autres des résultats spectaculaires, à de rares exceptions près. Suivant Total, Renault, Schneider Electric, BNP-Paribas et d'autres, Axa est venu compléter vendredi la série avec l'annonce d'un bénéfice net multiplié par sept au premier semestre (lire ci-contre). Et pourtant... Dans le même temps, le chômage continue de grimper, la reprise reste «molle», pour reprendre l'expression des conjoncturistes. L'économie française offre un étrange paradoxe, comme si elle était coupée en deux : des groupes en pleine santé, mais une conjoncture languissante et un chômage persistant.
«Pas tordu». «La hausse de la rentabilité est la contrepartie des gains de productivité», estime Christian de Boissieu, professeur à l'université Panthéon-Sorbonne. Autrement dit, ils traduisent les plans de réduction des coûts dont l'effet sur l'économie ne va pas franchement dans le sens de la croissance. «On a vu apparaître mi-2003 un effort de redressement des marges par compression des coûts, souligne Olivier Gasnier, économiste à la Société générale. Ce n'est pas très bon pour l'emploi. Ce n'est pas une configuration surprenante.» Et c'est ainsi qu'«une légère accélération du chiffre d'affaires se traduit par une amélioration plus forte des résultats», remarque Philippe Waechter, directeur des études économiques de la banque Natexis Asset Management. D'où l'ampleur des profits.
Reste à savoir si la situation florissante des groupes peut s'étendre au reste de l'économie française. Oui, si on se réfère à l'orthodoxie économique résumée par la fameuse phrase de l'ancien chancelier allemand Helmut Schmidt selon laquelle «les profits d'aujourd'hui sont les investissements de demain qui créeront les emplois d'après-demain». C'est exactement, aujourd'hui, ce qu'espèrent la plupart des économistes. «Les entreprises n'ont pas forcément un comportement tordu», estime Philippe Waechter, qui décrit le scénario d'une reprise de l'investissement et des embauches qui viendrait renforcer la consommation et la croissance. «Si l'environnement international reste porteur, les entreprises seront incitées à investir et à accroître l'emploi pour répondre à une demande globale soutenue», analyse l'économiste.
«Décalage». Les groupes français ont d'ores et déjà profité de la reprise aux Etats-Unis et de la croissance soutenue en Asie, notamment en Chine ; ce que reflètent également leurs résultats. Christian de Boissieu souligne ainsi le «décalage entre la reprise mondiale et celle, plus faible, dans la zone euro. Les groupes qui ont annoncé leurs résultats récemment sont des multinationales qui peuvent jouer de cet écart de conjoncture».
A condition d'être suffisamment compétitif, d'autant qu'il faut compenser le niveau élevé de l'euro. «Les restructurations sont un élément nécessaire pour que les entreprises se mettent dans le jeu international», observe Philippe Waechter, selon lequel cette étape est en voie d'achèvement. «Après les gains de productivité, j'attends en 2005 une nouvelle phase, la reprise d'investissements de capacité, espère Christian de Boissieu. C'est la condition nécessaire de la réduction du chômage. Tout va dépendre de l'attitude de la consommation et de la demande.» Les profits de la crise deviendraient alors ceux de la reprise.