Dans le dernier n° de ROUGE :
La direction nationale de la LCR s'est réunie les 19 et 20 juin pour tirer les premiers enseignements des élections régionales et européennes. Le débat ne fait que commencer et devra se poursuivre dans les mois à venir. Toutefois, des éléments de bilan, des pistes à approfondir, peuvent être soumis à la discussion et à la réflexion.
Les élections européennes, avec leurs caractéristiques propres, confirment et amplifient les résultats des dernières élections régionales. L'abstention record de près de 57 % à ces élections européennes confirme que ce phénomène est une donnée permanente de toutes les consultations électorales. Touchant 78 % des moins de 34 ans et 75 % des ouvriers, une telle abstention manifeste la crise de représentation politique que connaît le pays. L'exclusion sociale, l'atomisation des individus, alliées au discrédit de la politique, produisent de l'exclusion politique. Le risque d'une américanisation de la vie politique française est désormais réel.
Hégémonie du Parti socialiste
Avec un succès écrasant du Parti socialiste, un net recul des Verts, une poursuite de l'affaiblissement du PCF et l'échec des listes LCR-LO, le paysage politique à gauche apparaît clairement sous hégémonie PS. L'adaptation libérale de celui-ci, confirmée par son soutien à la Constitution européenne, ne l'empêche pas d'être utilisé par des secteurs des classes populaires pour manifester leur opposition au libéralisme.
Dans ces conditions, les élections européennes se traduisent par une contraction de l'espace électoral à la gauche du PS, au profit de ce dernier. En effet, non seulement les listes LCR-LO ont perdu 460 000 voix par rapport à 1999, mais la perte s'élève à près de 300 000 voix pour le PCF et à presque 450 000 voix pour les Verts. Dans le même temps, le Parti socialiste a gagné 1,1 million de suffrages. "Sanctionner la droite sans amnistier la gauche" disions-nous, il y a bien eu sanction mais aussi amnistie même s'il n'y a pas adhésion.
Que le rejet de la politique libérale du gouvernement Raffarin, exprimé avec force par le mouvement du printemps 2003 pour la défense des retraites, s'incarne dans le succès du PS (et de lui seul), et notamment de Michel Rocard, n'était pas le cadre d'analyse que nous avions développé.
Il faut bien sûr porter un regard critique sur notre campagne électorale, ses limites et ses insuffisances. Mais face à un phénomène d'une telle ampleur, nous avons la conviction que les explications doivent avant tout porter sur l'analyse de la situation politique.
L'enjeu pour la LCR dans ces élections était de faire émerger un pôle électoral crédible susceptible d'initier une dynamique pour la construction d'une nouvelle force anticapitaliste. Cette perspective demeure un objectif, mais ne correspondait pas aux coordonnées de la situation politique. Après le succès d'Arlette Laguiller à la présidentielle de 1995, les régionales de 1998, les européennes de 1999 et surtout la percée de la présidentielle de 2002, nous comptions retrouver une dynamique du même type aux régionales et aux européennes. Nous nous sommes trompés sur les perspectives. Nous avons eu la vision linéaire d'une progression électorale qui nous a conduits à sous-estimer deux faits majeurs.
Le premier, c'est le "traumatisme" du 21 avril qui conduit nombre d'électeurs à voter socialiste, au-delà même de leurs appréciations sur tel ou tel aspect de la politique du PS. Ce réflexe de vote utile, habilement utilisé par les responsables socialistes peut encore jouer lors de la prochaine élection présidentielle.
Le deuxième, ce sont les effets contradictoires de la lutte contre la réforme des retraites. Les résistances sociales restent un des traits majeurs de la période. Elles s'expriment dans le rejet du libéralisme et de la droite gouvernementale. La lutte des intermittents, celle des "recalculés" ou encore les actions à EDF-GDF témoignent, entre autres, de cette combativité maintenue. Mais l'accumulation depuis plusieurs années de vagues de luttes qui se terminent sans victoire ou par des défaites, pèse sur le moral et la conscience de centaines de milliers de salariés. Dans certains secteurs, parmi les plus mobilisés au printemps 2003, s'est progressivement imposé un climat de démoralisation que nous avons mal apprécié. Face à l'impossibilité de faire reculer le gouvernement sur le terrain social malgré des millions de grévistes, le terrain électoral a pu représenter une solution crédible. Au lendemain des régionales, la nomination de... Raffarin et l'absence de réaction face aux attaques contre la Sécurité sociale ont sans doute contribué à renforcer l'abstention.
Ces faits renvoient à un phénomène plus substantiel. Si la crise sociale et politique continue à travailler le pays, si le décalage entre le pays "réel" et la représentation politique peut déboucher sur des explosions sociales, nous sommes confrontés à des obstacles majeurs dans l'expression d'une conscience anticapitaliste, d'un mouvement pour la rupture avec le capitalisme. Une analyse plus sobre des possibilités et des limites de la situation nous aurait permis de tempérer certaines formulations qui exagéraient nos possibilités.
Dès lors, les mauvais résultats de l'extrême gauche ne peuvent être imputés à l'accord LCR-LO ou à une éventuelle campagne en extériorité à la gauche. D'abord, c'est oublier que tant aux élections régionales qu'aux élections européennes nous avons mené une vigoureuse campagne contre la politique menée par le gouvernement et ses conséquences désastreuses pour le monde du travail. Mais surtout, cela ne permet pas d'expliquer pourquoi le PCF et les Verts reculent alors que le PS obtient un de ses meilleurs résultats. Si ces difficultés n'étaient que la résultante de notre orientation, d'autres forces, même de manière déformée, occuperaient l'espace et rencontreraient un certain écho. Nous devons aussi, même s'il faut être prudent, mettre en relation, ces tendances et les signes négatifs qui accompagnent l'évolution du mouvement syndical.
Unité d'action et gauche anticapitaliste
Il nous faut maintenant surmonter notre échec. Si nos résultats renvoient à des difficultés dans la formation d'une conscience anticapitaliste, les résistances sociales face aux attaques du gouvernement et du Medef demeurent une donnée fondamentale de la période. Notre intégration dans les luttes sociales, comme notre politique contre la droite et le gouvernement sont autant de points d'appui. L'indépendance par rapport à la gauche à visée gouvernementale demeure une nécessité. Il ne saurait être question de participer ou de soutenir tout projet de gestion des institutions capitalistes, mais indépendance politique ne signifie pas hostilité au peuple de gauche. Combiner une politique d'unité d'action de l'ensemble des forces sociales, syndicales et politiques contre la politique du gouvernement avec la volonté de faire émerger une gauche anticapitaliste est bien, plus que jamais, une nécessité.
Guillaume Liégard