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La crise au Front national ébranle l'autorité de Jean-Marie Le Pen
LE MONDE | 21.05.04 | 14h00
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Le président du FN affronte une contestation interne d'une ampleur inédite depuis la scission de Bruno Mégret, en 1999. Bravant son interdiction, les frondeurs se réunissent à Orange, autour de Jacques Bompard. La préparation des européennes alimente les critiques contre Marine Le Pen.
Le culte du chef n'est plus ce qu'il était au Front national. La réunion organisée, vendredi 21 et samedi 22 mai à Orange (Vaucluse) par le maire de la ville, Jacques Bompard, sous la bannière de son club, l'Esprit public, apparaît même comme le théâtre de la nouvelle vague de contestation qui menace l'autorité de Jean-Marie Le Pen. Le président du FN, qui entretient des relations conflictuelles avec M. Bompard, avait interdit aux membres de son parti de participer à ce rassemblement, ouvert à toute l'extrême droite. La consigne a été bravée. Le chef de file des catholiques traditionalistes du FN, Bernard Antony, lui aussi en conflit avec M. Le Pen, a répondu à l'invitation. La députée européenne Marie-France Stirbois, récemment entrée à son tour en rébellion, a également fait le déplacement.
"Qui c'est le patron ? Le patron, c'est Le Pen", a tonné M. Le Pen, le 14 mai à Nice, pour tenter de réaffirmer son emprise. Mais ce rappel à l'ordre ne suffira pas forcément, face à une fronde d'une ampleur inédite depuis la scission des partisans de Bruno Mégret, en décembre 1998. L'affrontement se cristallise autour de l'attribution des places éligibles aux élections européennes. Il s'est envenimé lorsque les contestataires ont affiché leurs réserves. Jusqu'à Bruno Gollnisch, délégué général du FN, que M. Le Pen a plusieurs fois présenté comme son successeur, qui a, pour la première fois, rendu public son désaccord après l'éviction de Mme Stirbois de la deuxième place dans la circonscription du Sud-Est (Le Monde du 7 mai).
Furieux, M. Le Pen a convoqué M. Gollnisch le 10 mai, pour lui reprocher une "sortie assez maladroite"et "assez inconvenante". Pour le chef du FN, le débat était "clos". Mais Mme Stirbois a saisi l'occasion pour protester contre "l'influence néfaste exercée sur - lui - par une coterie composée de quelques personnes" - accusation visant Marine Le Pen et son entourage.
Après avoir annoncé le 9 avril, dans un courrier interne, que Mme Stirbois figurerait derrière lui sur la liste du Sud-Est, M. Le Pen est revenu sur cette décision le 19 avril, au bénéfice de Lydia Schenardi. Dans un second courrier, le président du FN justifie cette volte-face par "des raisons sociales, morales et politiques".
Ancienne élue d'Ile-de-France, Lydia Schenardi - dont le mari, ancien député du Front national, est décédé le 5 avril - est une proche de la famille Le Pen. "Jean-Marie Le Pen fait mine d'oublier la première lettre, ironise Mme Stirbois. Il doit être victime d'un trou de mémoire."
La mise à l'écart de Mme Stirbois intervient un an après le congrès du FN à Nice, au cours duquel Marine Le Pen avait rétrogradé de la 10e à la 34e place lors de l'élection du comité central. Son père avait alors soupçonné une manœuvre des proches de M. Gollnisch. Ignorant le résultat du vote des délégués, M. Le Pen avait promu, le lendemain, sa fille au rang de vice-présidente et exigé la solidarité des membres du bureau politique, avertissant : "Ceux qui ne sont pas d'accord sont libres de partir."
Les détracteurs de M. Le Pen avaient alors choisi d'adopter un profil bas. Depuis, le rapport de forces a évolué. La candidature manquée de M. Le Pen aux régionales, faute d'une domiciliation claire en Provence-Alpes-Côte d'Azur, a été jugée au sein même du parti comme un signe d'"amateurisme" qui aurait "brisé l'élan de la campagne du FN" - dixit un membre du bureau politique qui tente de rester neutre dans l'affrontement actuel. La contre-performance de Marine Le Pen en Ile-de-France (12,26 % des voix au premier tour et 10,11 % au second) a encouragé ses détracteurs à sortir de leur réserve.
"AGRESSIONS MALHONNÊTES"
Les premières récriminations sont venues en juillet 2003 avec la démission de Bernard Antony du bureau politique. Lui aussi écarté des places éligibles aux européennes, le président de Chrétienté solidarité avait critiqué "les dysfonctionnements" internes, les "réflexions rapides, assez désordonnées" entendues au bureau politique et les libertés prises, selon lui, par Marine Le Pen, accusée de "parler de tout au nom du FN".
A l'approche de l'automne, c'est René-Marie Bouin, compagnon de longue date de M. Le Pen, qui a critiqué la vie interne du parti. Egalement évincé des européennes - dans la région de l'Ouest - au profit de Samuel Maréchal, gendre du président du FN, M. Bouin a annoncé lors d'un bureau politique en septembre 2003 qu'il renonçait à se présenter aux régionales en Bretagne et démissionné de son poste de secrétaire régional. "Chaque fois que je fais un choix, je fais un ingrat et dix aigris, commente M. Le Pen. Je décide dans l'exercice des prérogatives que le bureau politique m'a confiées à l'unanimité. Chacun veut être à la place qu'il estime devoir être la sienne, mais moi, je prends en considération l'ensemble."
Au-delà des querelles de préséance sur les listes se jouent, en coulisse, la succession de M. Le Pen et la préparation du congrès de 2006. Des partisans de sa fille souhaiteraient que les adhérents - et non plus seulement les délégués - participent à l'élection du comité central. Une telle réforme est censée favoriser l'héritière lorsque la présidence du FN sera vacante. "Je n'ai jamais dit que j'étais intéressée par cette fonction", répond, pour l'heure, Mme Le Pen.
"Ces agressions malhonnêtes commencent à me fatiguer. Je suis étonnée du caractère haineux des propos de Mme Stirbois à mon égard, déclare-t-elle néanmoins au Monde. Ses amis m'attaquent systématiquement depuis des mois. Lors des réunions de mon association Générations Le Pen, nous, nous ne parlons jamais du fonctionnement du parti." A Orange, ses détracteurs ne devraient pas se priver de le faire une fois de plus.
Elie Barth
Comment le FN contourne la parité
La composition des listes du Front national pour les élections européennes n'a pas seulement tourné autour de l'éviction de Marie-France Stirbois. Pour permettre l'élection de plusieurs candidats figurant en troisième position, il a fallu contourner la parité et donc trouver des femmes acceptant de démissionner dans l'hypothèse où elles seraient élues. Dans la circonscription du Nord-Ouest conduite par Carl Lang, Chantal Simonot s'effacerait au profit de Fernand Le Rachinel. Ce dernier est à la tête d'une entreprise d'imprimerie dont le FN est un client fidèle. Dans la région de l'Est, la tête de liste Bruno Gollnisch devance l'épouse de M. Le Rachinel qui, en cas d'élection, céderait son siège à Martial Bild, délégué général adjoint du parti d'extrême droite. Jean-Marie Le Pen a déclaré que les seconds de liste seront soumis au régime du "tourniquet" en restant deux ou trois ans "au poste".