Bibliothèque idéale

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par Cyrano » 07 Mars 2004, 11:45

Première remarque, comme ça, en passant. Penser par soi-même…
Ezrarox n'a pas oublié que la flamme olympique se transmet de main à la main : « Pour les bouquins théoriques il est bon de les lires mais avec le "suivi" d'un militant expérimenté qui pourra répondre aux questions que l'on peut se poser. » – j'ajouterai que ceci ne concerne pas que les livres théoriques : les romans situés dans des évènements historiques particuliers, ceux décrivant des milieux sociaux, des luttes, etc. Il peut être pertinent de confronter une lecture avec son analyse par un auteur marxiste (lorsque elle existe, y'en a peu) : Léon Trotsky et "Le voyage au bout de la nuit" ; Marx et Engels dans "La Sainte Famille" et "Les mystères de Paris" ; Des écrits de Lafargue, etc.
Ce n'est pas du lavage de cerveau. Chacun-e gardera ses approches privilégiées, mais en ajoutant quelques outils dans sa trousse. Comme Ezrarox mentionnait le suivi des lectures par un militant plus expérimenté, LouisChristianRené module cette remarque « Moi, je pense qu'il faut déjà se faire une position par soi même ! » Bien sûr qu'il faut se faire une opinion par soi-même, aller vers l'autonomie, mais faut-il encore avoir de bonnes lunettes. Pour se faire une opinion par soi-même sur l'état de sa bagnole, il faut avoir quelques notions sur comment ça marche, etc. Et ça, faut le suivi ou le conseil d'un garagiste expérimenté, ou d'un copain qui s'y connaît, sinon on va y passer un moment ! Que penser d'un garagiste à qui on amène sa bagnole et qui insiste pour qu'on découvre soi même la cause et les remèdes de la panne ?
« Déjà se faire une opinion par soi même », oui, mais tout un chacun en a une, déjà, une opinion, gangrenée subtilement par l'idéologie dominante, accrochée fermement par son histoire personnelle. C'est pour pouvoir se faire une opinion par soi-même que la discussion avec un militant expérimenté est utile – ne serait ce que prendre l'habitude de ne pas se faire rouler dans la farine en lisant des étiquettes ronflantes, et ceci n'a rien à voir avec le marxisme : tout amateur de vin de qualité honorable ou de bière de bonne tenue sait le faire (Trotsky le rappelait dans une lettre à son fils Léon Sedov (Liova), en 1931 : « Lénine enseignait : "En politique, celui qui croit sur parole est un imbécile sans espoir". Il faut réfléchir, étudier, expérimenter. »).
Cyrano
 
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Message par Cyrano » 07 Mars 2004, 11:47

Deuxième remarque. « La totale » en totalité ?
La liste des bouquins mentionnés est impressionnante, ok, on y va pour la totale, mais on a envie alors de réclamer la péridurale.
Pour la théorie marxiste (avec un grand T ?), je trouve qu'une approche basée uniquement sur les livres complets n'est pas forcément satisfaisante. Ça met de coté des textes pertinents qui sont nichés dans un fatras de polémiques obsolètes (ou du moins d'une lecture inutile dans un premier temps), ou des textes qui se trouvent ailleurs, dans de gros volumes d'œuvres complètes, etc.
Ainsi, au sujet du "Manifeste du parti communiste", ce petite bouquin qui date de 150 ans… Ne serait-il pas intéressant d'ajouter immédiatement la préface que Léon Trotsky écrivit pour la première édition en langue africaane, en 1938 ? Ce petit texte de quelques pages ("90 ans de Manifeste Communiste") montre ce qu'est un marxisme vivant, non fossilisé.
Toujours pour le Manifeste : n'est-il pas pertinent de constater les différences entre le texte final rédigé par les deux jeunes gens d'à peine 30 ans (Marx et Engels) et la première mouture, très brève, bâtie par Engels à l'automne 1847 ("Principes du communisme", publié uniquement en 1914) qui fonctionnait benoîtement par questions et réponses ?
On a aussi des petits textes qui montrent remarquablement les idées communistes et leur application – leur concision donne à ces idées une vigueur qu'il n'est pas évident de ressentir dans un gros bouquin. Au hasard :
"Adresse du Comité Central à la ligue des communistes" (Mars 1850), de Karl Marx et Friedrich Engels. C'est un tout petit machin de quelques pages, mais qui condense la vision qu'avaient nos deux barbus à nous du parti, de son indépendance. « Même là où il n'y a pas la moindre chance de succès, les ouvriers doivent présenter leurs propres candidats, afin de sauvegarder leur indépendance » et ne pas céder devant les sociaux-démocrates qui prétendent qu'ainsi, ça va « offrir à la réaction la possibilité de la victoire. » Les progrès que le parti en retire (évaluation des forces, popularisation des idées) « sont infiniment plus importants que le préjudice qu'apporterait la présence de quelques réactionnaires dans la représentation populaire. »
Je pense aussi à Paul Lafargue qui écrit en 6 pages sur "Le socialisme et la conquête des pouvoirs publics" (1899) – le vieux lion s'interroge sur la signification de l'entrée de Millerand dans un Ministère… Instructif !
Je n'oublie pas les lettres d'Engels ou de Marx où la conception matérialiste de l'histoire, les opinions sur les programmes de la social-démocratie sont brièvement mais magistralement définies.
La liste des bouquins ne peut mentionner le texte de Léon Trotsky de 1931 : "La révolution espagnole et les dangers qui la menacent". Une douzaine de pages qui ont une densité rare : le pronostic révolutionnaire ; le crétinisme parlementaire des uns, le crétinisme anti-parlementaire des autres ; le double mouvement d'un processus révolutionnaire ; etc. Une lecture qui en remplace avantageusement pas mal d'autres – et qui ne bouffe pas trop de temps !
J'ai remarqué que la liste des titres ne mentionne pas "Bilan et perspectives" de notre Léon (inclus, il est vrai, avec l'édition de "1905" dans mon bouquin). C'est se priver, par exemple, des remarques de Trotsky sur la composition du prolétariat, son importance numérique relative, une page magistrale – toujours actuelle –, que j'ai imprimée souvent pour des ami-e-s – y compris du PCF.
LouisChristianRené dit que "Terrorisme et communisme", c'est « un peu naze ». Moi, je ne le dirais pas comme ça, mais admettons… Pourtant, y'a des choses, la dedans !
Je signe complètement la remarque de boispikeur : « Cette liste, elle est énorme!! » Et il faudrait qu'on s'y retrouve pour savoir quoi doit « être lu en premier ». Bon, bref, c'est bon, vous m'avez compris, je conclus. Je trouve qu'on devrait s'aider beaucoup plus des textes disponibles, de l"imprimante, de textes qu'on peut scanner (ou récupérer sur Marxist Internet Archives) pour être plus réactif. Ça ne veut pas dire mettre en place une sélection Reader's Digest des textes, mais ne pas imposer, dans un premier temps, la lecture de livres épais qui noient un peu la tête du récipiendaire.
Cyrano
 
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Message par Cyrano » 07 Mars 2004, 11:49

Post scriptum :
Cool… cool… Ne croyons pas, chacun-e, être dépositaires d'une bibliothèque idéale. Lorsque Sophie écrit que Daniel Guérin est un « auteur méconnu dans les rangs trotskistes », c'est une remarque qui porte son sens…
Penser par soi-même, c'est se débarrasser d'affirmations qui ne sont qu'une contamination de notre perception de la réalité par des préjugés ou des illusions – je sais : j'ai su être confus.
Je remarque que les sites libertaires conseillent plutôt les textes ou Daniel Guérin parle explicitement de l'anarchie. Par exemple, le site "Increvables anarchistes" ou le site "Alternative libertaire" – on y trouve même Daniel Guérin invoqué pour des "Contre-fêtes johanniques" d'un vague "mouvement social" à Orléans...
Dans le milieu trotskiste, les grands textes d'analyse de Daniel Guérin ont droit de cité, et sont même en bonne place (sur la révolution française, sur le fascisme, sur le Front populaire, etc.). Et ce grand bonhomme parlait du « texte lumineux », du « texte admirable » de Léon Trotsky sur la situation française (il parlait de l'article "Où va la France") – tout en se cabrant contre la férule de Trotsky : « C'est mal, Guérin, fort mal ! » (Trotsky, dans une lettre à Daniel Guérin, en 1939).
Franchement, Sophie, en toute simplicité, ta remarque, oui, porte du sens sur une attitude dont nous devons nous délivrer. Chacun-e ne fournit pas sa bibli idéale, c'est un peu au débotté que ça répond. Moi-même, je suis pas content : on n'a pas mentionné, du moins il ne me semble pas, les "Quatre premiers Congrès de l'Internationale Communiste" – et j'y tiens, mordicus !
Cyrano
 
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Message par pelon » 07 Mars 2004, 23:33

[quote=" (Cyrano @ dimanche 7 mars 2004 à 11:42"]

« Ce garçon qu'on appelle Billy The Kid, est un compagnon extrêmement aimable, avide de s'instruire, gai, extraordinairement social et doué d'un sens aigu de la justice. Ses dons le destinent à des actions d'envergure. Son violon d'Ingres est la philosophie; il parle sans cesse de socialisme et de capitalisme et porte toujours sur lui le petit livre d'un Anglais du nom de Karl Marx. » (John Henry Tunstall, rancher du Comté de Lincoln. Lettre à sa famille à Londres, datée du 21 décembre 1877).

Etonnant !
pelon
 
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Message par Gaby » 07 Mars 2004, 23:46

Oui, quelle surprise !
J'aurais juré que Marx était espagnol :/
Gaby
 
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Message par Cyrano » 08 Mars 2004, 10:38

Je suis ravi que la participation inattendue de Billy The Kid à ce forum vous réjouisse ! – pour tout dire, parfois, en lisant certaines interventions, je regrette de ne pas posséder ses revolvers Colt Thunderer.
A noter que c'est à Londres, que parut pour la première fois, en février 1848, le Manifeste, un opuscule de l'anglais Karl Marx (la traduction anglaise ne paraîtra qu'en 1850).
Bon, revenons à notre sujet : la bibli pile poil.
Cyrano
 
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