Qui sont les triplettes de Belleville ?

Message par Louis » 02 Fév 2004, 23:55

pour découvrir ce chef d'oeuvre aller ICI

La revue (excellente, j'y participe) dans laquelle cet article a été écrit : ICI

et puisque je vois que j'ai affaire a des cinéphiles, du meme journal un "petit" film coréen :

a écrit :Les racines du coeur

Turning gate - Hong Sang-soo
Corée du Sud / 2002 / 1h55


Comme on dit des événements décisifs, il existe un avant et un après Turning gate. Avant : une mélopée asiatique, floue et incertaine, entre les récentes volutes phosphorescentes de Hou-Hsiao-Hsien et l'hypnotique et fantomale Shara de Naomi Kawase, hélas encore inédit. Après : l'instant d'une certitude. Extatique, Turning gate : un mirage de cinéma. Et désormais, un point de non-retour.


L'intonation de ce conte éperdu, lourde comme un couvercle de plomb pesant au-dessus des personnages, au lieu de les infléchir, les emmène tantôt en exil d'eux-mêmes (le commun des mortels), tantôt en apesanteur (portée fataliste du conte chinois qui renvoie au titre du film). Une grâce inégalable.

Deux états d'un seul et même corps se disputent ici le cadre du quotidien : celui, presque animal, qui se love passivement dans le réel ; celui qui se défait de son enveloppe fluctuante tout en éprouvant les étapes de son existence diurne. L'homme demeure une marionnette soumise au rythme atone de l'éternel recommencement. Tour à tour perdu, chien errant, amoureux fou, kamikaze. De son chant insignifiant résulte une nécessaire condition : frontalité sèche, muette qu'inspirent le flux des situations. Comique de geste (l'ivresse itinérante, au gré des bars et des villes), comique profondément instable, vacillant, où se jouent les intermittences du cœur, où l'on demande un baiser comme un saké. Au cours d'une conversation entre la femme et son soupirant, des vitres se brisent, en une phrase tue, un regard baissé. Aussi longues sont les introspections, aussi sèches et coulées sont les ruptures de ton, de rythme. Les visages des femmes parlent peu ; leurs traits intriguent (les rencontres se refoulent comme les sentiments), se relâchent dans l'ivresse. Jamais leurs histoires ne se révèlent : elles sont une et multiples. Et leur amour se tapit dans le silence avant l'étreinte. Comme dans les scènes de bar, elles flottent dans la stase du moment, elles attendent.

Il est question d'amour ; il est aussi nécessairement question d'errance, et d'un monde flottant qu'on peine à quitter sous faute de deuil, d'enracinement, de perte. Les rues n'ont jamais paru aussi désertées, les solitudes s'égrainent. Hong Jun-soo puise dans le conte et en extirpe les racines du cœur. Ici affleurent le poids des pertes, des amitiés de longue durée ou le secret des alcôves, au cœur de chambres d'hôtel matinales. Pour accéder à cette pastorale muette et lyrique de l'intime, et plus encore de l'ineffable, mieux vaut se démunir de tout et ne jamais risquer à y revenir. Avant ou après Turning gate, miroir sans tain et sans fond, il faut s'en retourner. A moins d'aller voir derrière et de plonger en son sein.

Turning gate
Réalisé par Hong Sang-soo
Avec Seon-young, Myung-sook, Kim Sang-kyung
Corée/2003/1h55
Sortie nationale le 28 janvier 2004.

Louis
 
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Message par magdalene » 03 Fév 2004, 00:09

(LouisChristianRené @ lundi 2 février 2004 à 23:55 a écrit : pour découvrir ce chef d'oeuvre aller ICI

La revue (excellente, j'y participe) dans laquelle cet article a été écrit : ICI

et puisque je vois que j'ai affaire a des cinéphiles, du meme journal un "petit" film coréen :

a écrit :Les racines du coeur

Turning gate - Hong Sang-soo
Corée du Sud / 2002 / 1h55


Comme on dit des événements décisifs, il existe un avant et un après Turning gate. Avant : une mélopée asiatique, floue et incertaine, entre les récentes volutes phosphorescentes de Hou-Hsiao-Hsien et l'hypnotique et fantomale Shara de Naomi Kawase, hélas encore inédit. Après : l'instant d'une certitude. Extatique, Turning gate : un mirage de cinéma. Et désormais, un point de non-retour.


L'intonation de ce conte éperdu, lourde comme un couvercle de plomb pesant au-dessus des personnages, au lieu de les infléchir, les emmène tantôt en exil d'eux-mêmes (le commun des mortels), tantôt en apesanteur (portée fataliste du conte chinois qui renvoie au titre du film). Une grâce inégalable.

Deux états d'un seul et même corps se disputent ici le cadre du quotidien : celui, presque animal, qui se love passivement dans le réel ; celui qui se défait de son enveloppe fluctuante tout en éprouvant les étapes de son existence diurne. L'homme demeure une marionnette soumise au rythme atone de l'éternel recommencement. Tour à tour perdu, chien errant, amoureux fou, kamikaze. De son chant insignifiant résulte une nécessaire condition : frontalité sèche, muette qu'inspirent le flux des situations. Comique de geste (l'ivresse itinérante, au gré des bars et des villes), comique profondément instable, vacillant, où se jouent les intermittences du cœur, où l'on demande un baiser comme un saké. Au cours d'une conversation entre la femme et son soupirant, des vitres se brisent, en une phrase tue, un regard baissé. Aussi longues sont les introspections, aussi sèches et coulées sont les ruptures de ton, de rythme. Les visages des femmes parlent peu ; leurs traits intriguent (les rencontres se refoulent comme les sentiments), se relâchent dans l'ivresse. Jamais leurs histoires ne se révèlent : elles sont une et multiples. Et leur amour se tapit dans le silence avant l'étreinte. Comme dans les scènes de bar, elles flottent dans la stase du moment, elles attendent.

Il est question d'amour ; il est aussi nécessairement question d'errance, et d'un monde flottant qu'on peine à quitter sous faute de deuil, d'enracinement, de perte. Les rues n'ont jamais paru aussi désertées, les solitudes s'égrainent. Hong Jun-soo puise dans le conte et en extirpe les racines du cœur. Ici affleurent le poids des pertes, des amitiés de longue durée ou le secret des alcôves, au cœur de chambres d'hôtel matinales. Pour accéder à cette pastorale muette et lyrique de l'intime, et plus encore de l'ineffable, mieux vaut se démunir de tout et ne jamais risquer à y revenir. Avant ou après Turning gate, miroir sans tain et sans fond, il faut s'en retourner. A moins d'aller voir derrière et de plonger en son sein.

Turning gate
Réalisé par Hong Sang-soo
Avec Seon-young, Myung-sook, Kim Sang-kyung
Corée/2003/1h55
Sortie nationale le 28 janvier 2004.


:cry:
magdalene
 
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Message par Louis » 03 Fév 2004, 00:13

je vois que byrrh est un "fan" de straub et huillet !


a écrit :En allemand, «sich straüben» signifie «se hérisser».

Pour qui ne connaît pas Danièle Huillet et Jean-Marie Straub, peut-être la meilleure introduction à leur œuvre consiste-t-elle à citer les auteurs eux-mêmes, dans un texte de présentation à Les yeux ne veulent pas en tout temps se fermer (1969), tiré de la pièce Othon de Pierre Corneille (1), valable pour l'ensemble de leurs films : « le texte parlé, les mots, ne sont pas ici plus importants que les rythmes et les tempi très différents des acteurs , et leurs accents (…) ; pas plus importants que leurs voix particulières, saisies dans l'instant, qui luttent contre le bruit, l'air, l'espace, le soleil et le vent ; pas plus importants que leurs soupirs poussés involontairement, ou que toutes autres petites surprises de la vie enregistrées en même temps, comme des bruits particuliers qui tout à coup prennent un sens ; pas plus importants que l'effort, le travail que font les acteurs, et le risque qu'ils courent, comme des danseurs de corde ou des somnambules, d'un bout à l'autre de longs fragments d'un texte difficile ; pas plus importants que le cadre, dans lequel les acteurs sont enfermés ; ou que leurs mouvements ou leurs positions à l'intérieur de ce cadre ou que le fond devant lequel ils se trouvent ; ou que les changements et les sauts de lumière et de couleur ; pas plus importants en tout cas que les coupures, les changements d'images, de plans.
Si l'on garde pour tout ceci à chaque instant des yeux ouverts et des oreilles ouvertes, on pourra même trouver le film captivant, et remarquer qu'ici tout est information - même le réalité purement sensuelle de l'espace, que les acteurs laissent vide à la fin de chaque acte : comme elle serait douce sans la tragédie du cynisme, de l'oppression, de l'impérialisme, de l'exploitation - notre terre ; libérons-la ! »

En 1993, Arte commande aux Straub un film pour une «soirée européenne». Lothringen !, d'après Colette Baudoche de Maurice Barrès, court-métrage de 21 minutes composé de longs plans de l'austère Lorraine, décrit l'exil forcé de toute une frange de la population après l'annexion par l'Allemagne en 1870 ( cet exil a duré près de 50 ans, ce n'est pas rien ), et le violent ressentiment anti-allemand qui s'en suivit. « Nous nous sommes permis de faire un film anti-allemand » déclare Straub. Prenons garde cependant à ne pas prendre cette provocation au pied de la lettre, car Jean-Marie Straub et Danièle Huillet ont depuis toujours consacré un véritable travail de patience avec une certaine culture allemande : Heinrich Böll pour Nicht Versöhnt (Non réconciliés, 1965), Bertolt Brecht pour Geschichtsunterricht (Leçons d'Histoire, 1972), Friedrich Hölderlin pour Der Tod des Empedockles (La mort d'Empédocle, 1986), Franz Kafka pour Amerikaklassenverhältnisse (Amérika-Rapport de classes, 1984), sans oublier les musiciens J.S. Bach (Chronik der Anna Magdalena Bach, 1967) et Arnold Schönberg, le juif autrichien (Moïse et Aaron, 1974, Von heute auf morgen (Du jour au lendemain,1996)). Il y a néanmoins un monstre de la culture allemande qu'ils n'apprécient guère : Goethe, dont il faut rappeler qu'il fût l'un des piliers de la bourgeoisie montante. Straub raconte souvent cette anecdote : Goethe, attelé à la traduction de la Bible, ne se résolut pas à écrire « An Anfang war das Wort » ( «Au Commencement était le Verbe») ; il écrivit «Am Anfang war die Tat» («Au Commencement était l'Action») : tout un programme pour toute une classe pour plusieurs siècles…

Fallait-il une nouvelle preuve que le respect de l'artiste dans la société capitaliste n'est qu'une vaste hypocrisie ? J'ai parlé d'accueil chaleureux fait à Sicilia ! On trouvera bien entendu ici ou là quelques fausses notes. Extrait d'une critique ( ?) parue dans le supplément «Aden» du Monde : « Face à ce film, on se sent dans la position de celui à qui l'on présente un livre en lui précisant qu'il s'agit d'un sublime classique de la littérature. Mais le livre est chinois et composé d'idéogrammes, et on ne sait comment le déchiffrer. » («idéogrammes» : le racisme français qui s'ignore…) L'auteur de ces lignes s'en prend donc « à ceux qui tiennent Sicilia ! pour un chef-d'œuvre » - je vous rassure, ils ne sont pas nombreux. Je m'étonne encore de ce que les tenants de l'industrie culturelle, qui mesurent la qualité d'un film au nombre d'entrées, prétendent s'approprier, en les ringardisant, les quelques spectateurs, les plus exigeants, qui font exister ces films-là, mineurs, noyés dans la variété des produits de consommation culturels - aujourd'hui, l'art n'a même plus besoin d'être déclaré «entartet» («dégénéré»). Ou encore qu'ils déplorent que les étudiants de cinéma ne consacrent pas de travaux aux œuvres «grand public» (Vous imaginez une thèse sur Jean-Marie Poiré et Christian Clavier ? Soyons sérieux…). C'est finalement toujours la même chose avec cette critique «bourgeoise» qui projette son insuffisance sur l'œuvre en la déclarant incompréhensible par tous. Qui invoque à l'envi l'argument d'élitisme («on ne sait comment le déchiffrer»). Mais d'où vient l'élitisme en l'occurrence ? De cinéastes qui traitent avec le spectateur d'égal à égal - ce qui suppose évidemment qu'on ne va pas voir un film comme on se fait servir de la soupe, autrement dit que le spectateur a un travail à fournir ? Ou bien de ceux qui disent : « Vous faites des films que nous ne comprenons pas. Donc personne (le peuple) ne peut les comprendre. » ? (En amont, il y a là une sournoise identification entre le peuple, sujet politique par excellence, et le «public», masse informe mais quantifiable.) Cet argument n'est rien d'autre qu'une négation de la capacité de l'art à contribuer à l'émancipation (du peuple, des singularités quelconques).
Si «élitisme» signifie : refus de soumettre l'œuvre d'art à des catégories esthétiques toutes faites ; refus de poser un lien à priori entre art (nécessairement révolutionnaire) et Culture (d'Etat) ; refus de s'adresser à un «public» ; alors, vive l'élitisme ! Mais plus qu'«élitiste» le cinéma des Straub est une invitation à penser, voir et entendre, à la fois très simple et très exigeante, une invitation à la patience.

Modernité.- Von heute auf morgen est tiré de l'opéra du même nom composé en 1929 par Schönberg. Un couple de petit-bourgeois rentre d'une soirée mondaine où la femme a revu une amie d'enfance, devenue une vraie femme du monde. Le mari, s'étant laissé envoûté, rabroue sa femme et la pauvreté de son existence quotidienne. Blessée, elle se transfigure peu à peu en «sorcière». J'entends rappeler par là que l'Inquisition a fait brûlé trente mille sorcières - et c'était bien le fait de la gente masculine…En ce sens, les derniers films des Straub, où prolifèrent les «Sorcières», sont «féministes» (Antigone, la première résistante, la première à désobéir à l'idée antique de l'Etat patriarcal, mais aussi la mère dans Sicilia !).
Louis
 
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Message par Louis » 03 Fév 2004, 00:21

a écrit : alors que j'aime bien le cinema sud-asiatique contemporain, quand je lis ce genre de trucs, j'ai l'impression d'avoir realise quelques exploits. 


oui magdalene, je suis d'accord avec toi ! Mais en plus, ça donne souvent le sentiment trés désagréable qu'on a vu un tout autre film que le critique (et on se dit : me serais je trompé de salle)

rassurez moi : vous n'avez pas de critiques comme ça a "lutte ouvriére" ?
Louis
 
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Message par Louis » 03 Fév 2004, 09:39

Dans ce cas, ce serait "le quator de belleville" ! Genre tu rencontre un camarade de l'UC, un camarade du PT (qui a pété ?*) et deux camarades de la ligue a la "vieille vielleuse"...


* oui je sais c'est trés nul, mais je n'ai pas pu m'en empécher :emb:

pour me faire pardonner, :hinhin:

compte-rendu de lecture d'Arte au projet de film déposé par Danièle Huillet et Jean-Marie :t3xla:
Louis
 
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Message par Louis » 03 Fév 2004, 10:00

pourquoi deux militants de la ligue : c'est parce que chaque militant de la majo doit etre obligatoirement suivi par un membre de la dn adhérent de la T3, et que chaque militant de la t3 doit etre obligatoirerment suivi par un membre de la dn adhérent de la majo Donc, les militants de la lcr se balladent toujours par deux, comme les flics de mon enfance (les hirondelles, on apelait ça !)

tu as du mal a en rencontrer un sur le marché ? C'est parce que tu ne fréquente pas assez les marchés bio !

sinon, je vois que j'ai oublié de parler du cinéaste préféré de byrrh :

a écrit :Michel Amarger, ou l'image expérimentale dé-mesurée
(le cinéma au pied de la lettre)



A l'origine comédien, metteur en scène et critique, Michel Amarger aborde le cinéma " par tous les bouts ". Sa conception est totale : Production, réalisation, interprétation, montage, diffusion. Il conçoit ses premiers films expérimentaux à partir de 1981. " Je découvre à cette époque que la réalisation d'un film peut être assurée par une seule personne ". Il mène conjointement à son activité de cinéaste une production dans les domaines des arts plastiques et de la photographie, et cette plurivalence intéresse l'artiste-photographe – mais aussi l'historien – que je suis.

L'œuvre expérimentale de Michel Amarger se situe d'abord dans le courant lettriste où il figure comme l'un de ses principaux représentants. Suivant les avancées esthétiques inspirées par ce mouvement, il en expérimente et vérifie toutes les novations : De la ciselure au son discrépant ; De la récupération d'images préexistantes (et du détournement de sens et de forme que l'auteur implique à celles-ci) aux images imaginaires suscitées par ses œuvres infinitésimales et/ou supertemporelles. Cette démarche systématique est conduite avec une rigueur d'épistémologue. On ne peut parler ici de l'application de simples procédés, tant l'approche conceptuelle est importante. " Le cinéma expérimental n'est pas un cinéma de l'impuissance, on le pratique d'autant mieux qu'on connaît bien l'évolution du cinéma ". Cette démarche n'est pas sans rappeler les "Vérifications" réalisées en photographie dans le début des années soixante-dix par Ugo Mulas.

Lorsqu'on l'interroge, Michel Amarger se situe et se définit d'abord comme un cinéaste, même si son œuvre s'étend largement au-delà des frontières communément admises pour cet art. Pour lui le cinéma est le point de convergence de toutes ses pratiques artistiques. Il cherche à déborder d'un genre à l'autre, à transgresser les limites des catégories. " Très vite j'éprouve le besoin de faire quelque chose de plus, de glisser entre les disciplines pour les questionner. " A la quête d'un art complet, il aborde toutes les disciplines en les fusionnant, voire en les détournant de leurs rôles. Michel Amarger accorde un intérêt particulier à la matérialité du film. Ainsi dans ses œuvres infinitésimales (imaginaires) le film peut prendre la forme d'un objet-témoin empruntant son esthétique au domaine de la sculpture ("Notes de tournage", 1983). Son œuvre graphique, photographies et peintures, comprendra des éléments de films : Photogrammes, morceaux de pellicules collés, détournant la fonction première de ceux-ci pour ne s'intéresser qu'à la matière et leur donner une autre signification. Dans "Groupe" (1987), "Intérieur" (1987), ou encore "Court métrage de friction" (1996), Amarger intègre des photogrammes et des fragments de pellicule sur une base constituée de photographies préexistantes. Ce mode d'expression sera aussi utilisé pour composer des toiles peintes "La fête" (1983), "Bord de mer" (1985), "Peruviennes" (1988).

Ce qui l'intéresse, c'est de décortiquer les mécanismes d'expression en exaltant son support (le contenant), qui prend alors le pas sur le contenu et devient contenu lui-même. Cela apparaît souvent, chez Amarger, par le retrait de l'élément qu'il tient à mettre en évidence. La chose est montrée (et dé-montrée) par son absence physique : "Cursivités", 1982, est un film noir et blanc sans son, présenté comme ayant une " musique aphoniste ". A l'inverse, "Le rivage sanglant", 1985, est un film composé d'une seule bande sonore où l'auteur remercie le public de s'être dérangé pour voir son film. Les rapports à la photographie l'intéressent, même dans un film sans images. Le manque d'images les suggère. Pour lui " la photogénie d'un film est importante ; Altérer l'image jusqu'à la détruire c'est en même temps la sacraliser ".

Michel Amarger privilégie, dans la conception de ses films, la position du spectateur : " Jouer avec le public ", dit-il. Ainsi mêle-t-il souvent film et performance d'acteur (par exemple dans ses expériences infinitésimales). Ce même rapport au spectateur le conduit à ne produire que des films courts, leur durée étant mesurée à l'aune de l'effet produit sur le public. A propos de "Zic, Zac et Zut" (1982), l'auteur déclare " Il s'agit de jouer avec les effets visuels répétitifs et la patience (ou son impatience) du spectateur ". Pour lui l'espace image/temps supposé pour tout film ne saurait se faire dans l'abstraction du public. Chaque représentation peut être adaptée aux spectateurs, au lieu, aux circonstances de cette représentation. Ainsi pour "Slug ou La dernière limace" (1987), " l'auteur se réserve le droit de choisir le son suivant les circonstances et le lieu de la projection ". Ce jeu avec le spectateur et les interactions qu'il provoque sont souvent véhiculés par une note d'humour " personnelle " que Michel Amarger distille, soit dans ses films, soit dans la présentation qu'il assure en direct au cours de la séance de projection. Cela va jusqu'à certaines formes de calembours qui émaillent les titres de ses œuvres : "La case à novas" (1981), "Des buts" (1982, " film qui prend un malin plaisir à retarder son début "), "Kol'R" (1982), "Le faux rhum des halles" (1986), etc.

Si l'esthétique de Michel Amarger paraît abstraite, la notion de film narratif n'est pourtant pas exclue : " On peut jouer de la narrativité sans que ce qui est en jeu soit une histoire " Il peut s'agir de récits de signes, de sens, de mise en perspective, de circulation entre les catégories. Le rythme qu'il donne à ces films tient à cet égard une grande importance. Par un montage précis des images, de leur enchaînement, de la fréquence et durée des incursions d'une image dans une autre (ou la surcharge de signes hypergraphiques), Michel Amarger structure ses films dans un espace-temps qui par ses accélérations, ou au contraire ses ralentissements, crée un système discursif. Il invente ainsi des variations, des cadences et jusqu'à la division de certaines œuvres en " parties " à l'instar d'une partition musicale. "Cursivités", à cet égard, est exemplaire : Ce film muet est divisé en trois parties portant l'indication de mouvements musicaux : " Piano ", " Allegro ", " Vivace ". Dans "Slug ou La dernière limace" (1987), Michel Amarger utilise une métrique précise : chaque séquence est composée d'un nombre exact de photogrammes, selon une progression mathématique apte à structurer les effets de rythme. Dans "Un petit bol d'air" (1981), il expérimente le montage en biseau (en bais dans la diagonale, au centre du photogramme), procédé à ma connaissance inédit. Par un travail sur la matière de la pellicule, comme pour les ciselures et les entailles, il met en exergue les collures entre images, celles-ci devenant visibles au milieu de l'écran. Ces collages se font sur des séquences très courtes (quelques images), apportant un effet sur la transition des images ; Leur perception en est fragmentée, des effets de surimpression se font voir.

L'importance donnée au rythme se retrouve également dans son œuvre plastique. En 1982 il aborde la photographie hypergraphique où la photo est considérée comme support à écriture, lorsqu'elle ne devient pas elle-même, par collage sur d'autres supports, un des éléments de l'écriture. Les rythmes sont traduits alors par un jeu de signes imaginaires déstructurant l'anecdote formelle des images photographiques pour recréer un espace temporel ("Mains", 1994, encre sur photo " Ce film excoordiste est présenté sous la forme d'un photogramme dont les composants sont désignés par des numéros "). Dans un rapport ténu avec le cinéma, il représente sa matérialité en photographiant des bobines, boîtes, et morceaux de films qu'il surcharge d'écriture ("Le film précédent", 1988, photo avec gouache et acrylique, "La grande bobine", 1989). Ainsi ses images peuvent être figuratives ; il n'y a pas chez Amarger une recherche systématique de l'abstraction. Toutefois, ces images sont toujours re-situées dans un rapport conceptuel. Comme pour ses films, Michel Amarger essaie de penser l'interaction de son œuvre graphique avec le public. Ses photographies sont conçues en relation avec les circonstances de son exhibition ; l'exposition se substitue alors à la projection.

Chez Amarger, ce qui est dit (et fait) est dit (et montré ou laissé à l'imagination du spectateur). Il ne revient pas dessus. Pour lui, l'art est avant tout expérimental et toute expérience doit demeurer unique, d'où une production d'œuvres se caractérisant par une grande diversité, tant par les disciplines employées (cinéma, photo, peinture, poésie et mélange de ces genres) que par la forme. " A partir du moment où une méthode est aboutie je ne continue plus dans cette voie, car cela n'est plus de la recherche. " Michel Amarger évite les redites. Son œuvre est ainsi volontairement restreinte à l'essentiel, sans redondance. Il en découle une production dont chaque film est suffisamment caractérisé, différent des autres films du même auteur pour qu'il puisse être mémorisé.



Gérard Ollivier, Février 2003.
Artiste-photographe
Sociologue et historien de la photographie
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