Peillon redécouvre le socialisme prémarxiste

Message par faupatronim » 12 Jan 2004, 17:51

(Le Monde @ 10 janvier 2004 a écrit :
Vincent Peillon redécouvre le socialisme français prémarxiste



Pierre Leroux et le socialisme républicain. Une tradition philosophique, de Vincent Peillon, Le Bord de l'eau éditions, 330 p., 22 € .


Que le socialisme français vive une crise d'identité aggravée par l'échec de Lionel Jospin à l'élection présidentielle de 2002, voilà un constat que Vincent Peillon, ancien porte-parole du PS et l'un des animateurs du courant Nouveau Parti socialiste (NPS), avait sans doute à l'esprit en rendant ce vibrant hommage à Pierre Leroux (1797-1871).  En cherchant à restituer la dimension philosophique de cette figure oubliée du socialisme français prémarxiste, cet ouvrage vise aussi un autre objectif  : replacer la réflexion au cœur de la politique.

M.  Peillon, qui, depuis la présidentielle, reproche à son parti et à sa direction le goût des "synthèses molles et des équilibres d'opportunité" (Le  Monde du 30 août 2002), estime en effet que la crispation sur l'orthodoxie marxiste ne sert désormais plus qu'à couvrir l'opportunisme politique. Non sans originalité, il montre que le pragmatisme en politique relève, en réalité, d'un choix théorique. En l'occurrence, une adhésion sans nuance à la fameuse onzième thèse de Marx sur Feuerbach (1845) - "Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de différentes manières, mais il s'agit de le transformer" -, qui a institué en dogme, dans le mouvement socialiste, que la vérité est action et non réflexion.

En cela, M.  Peillon risquerait de prendre de front la culture marxisante de nombre de militants à l'heure où se profile une fusion de deux courants minoritaires - NPS et Nouveau Monde, d'Henri Emmanuelli et Jean-Luc Mélenchon - contre les " dérives social-libérales " du PS. Pour éviter que la mise à distance du modèle marxiste, jamais officiellement révoqué par le PS, ne soit interprétée comme un abandon de la "question sociale", la référence à une pensée socialiste d'avant Marx et le marxisme joue ici un rôle-clé.

SOUCI DE REFONDATION

Pierre Leroux ne se targuait-il pas d'avoir, en 1834, inventé le terme de "socialisme"(en réalité, on le trouve dès 1803 sous la plume d'un certain Giuliani)  ? A travers lui, le fil serait renoué avec une tradition que M.  Peillon préfère appeler "socialisme républicain" plutôt qu'"utopique". Une tradition qui réconcilie un socialisme réformiste et résolument hostile à la violence révolutionnaire avec des promesses du libéralisme trahies par les libéraux "doctrinaires" à la  Guizot.

Bien qu'enfoui sous la vulgate marxiste, ce "socialisme en un autre sens" se serait maintenu au XXe  siècle. Le ralliement d'un Pierre Mendès France au mouvement socialiste, en 1959, constituerait la preuve d'une alternative possible à la "déviation marxiste".

Cette démarche de redécouverte militante et érudite ne comporte-t-elle pas toutefois le risque de faire oublier les faces sombres de cette version-là du socialisme ? On peut regretter que M.  Peillon, dans son empathie avec cette œuvre, ait insuffisamment rappelé que toutes les conceptions de Leroux ne sont pas forcément transposables aujourd'hui. Celui-ci n'a-t-il pas commis, par exemple, des écrits antijuifs, comme tant d'autres socialistes du XIXe siècle ? L'actualité d'un penseur se mesure à ses quelques zones d'ombre, même s'il ne s'agit pas de l'y réduire.

En revanche, il est une actualité de Leroux particulièrement forte en ces temps de laïcité militante. Celle d'un moderne paradoxal qui s'efforce de réconcilier le socialisme républicain avec l'idée religieuse. Si, pour lui, la religion est avant tout "religion de l'humanité", l'ambition du socialisme républicain n'en reste pas moins d'accomplir ici bas le programme que le christianisme a failli à réaliser. Cette vision, quoique séculière, n'en aboutit pas moins à une véritable théologie laïque. En cela, suggère M.  Peillon, auteur chez Grasset d'un Jean Jaurès et la religion du socialisme (2000), elle pourrait porter les prémices d'une laïcité plus conciliante et plus respectueuse du pluralisme.

Nicolas Weill

faupatronim
 
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