Vies de jeunes filles à Riyad

Message par pelon » 27 Déc 2003, 18:43

a écrit :
Vies de jeunes filles à Riyad
Des étudiantes de l'université Roi-Saoud témoignent du carcan quasi inquisitorial dont sont victimes toutes les femmes de leur âge, en Arabie saoudite
POURQUOI suis-je née fille ? Ce pays est un pays d'hommes et j'aurais voulu en être !" A l'âge de 13 ans, Leïla - ce n'est pas son vrai prénom - mesure déjà l'étendue des frustrations que sa condition féminine lui vaudra dans le pays qui est le sien : l'Arabie saoudite.

L'autre jour, sa mère s'est fait interpeller dans la rue par un moutawaa (un agent chargé de faire respecter la vertu et d'interdire le vice) qui lui a enjoint de couvrir la tête de sa gamine, alors même qu'à cet âge le voile n'est pas obligatoire. Les protestations de la mère n'y firent rien. Leïla a dû couvrir ses jolis cheveux noirs bouclés.

La plupart des Saoudiennes disent qu'elles porteraient librement le voile parce que l'islam, selon elles, le veut. Mais ce couvre-chef devient insupportable pour les plus ouvertes d'entre elles, à cause de la conception qu'on s'en fait ici, si étroite que le moindre bout de chair doit disparaître, les réduisant à des ombres noires informes et uniformes, mais surtout parce qu'il incarne tous les interdits qui leur sont imposés. La région du Nejd, où se trouve la capitale, Riyad, concentre ces tabous jusqu'à la caricature. L'air est plus respirable dans les provinces orientales et occidentales du royaume.

Par ces temps de discussions sur les réformes possibles, les plus audacieuses des Saoudiennes ne veulent pas que la femme soit laissée pour compte. Les femmes de plume s'expriment dans la presse, et les universitaires tentent d'introduire des idées nouvelles dans leurs cours. Mais elles le font à la manière des équilibristes, tant l'accusation de "laïcité", qui équivaut à une quasi-mise à l'index, est facile dans une société bardée de convictions rigides, entretenues à plaisir par tous ceux qui ne veulent pas que cela change, singulièrement la fameuse agence de rectitude morale que représentent l'organisme des moutawiineet ses affidés. "Quand on aura changé le statut de la femme, on aura réglé la moitié des problèmes de ce pays, affirme un homme d'affaires, et c'est par le biais du droit public que sera acquis le droit privé. Reconnaître leur droit à différents emplois sera le premier pas vers la reconnaissance de tous les autres."

Des jeunes filles d'une vingtaine d'années ont accepté de raconter le carcan quasi inquisitorial dans lequel sont corsetées les jeunes de leur âge. Ces étudiantes, dont on taira les noms pour des raisons aisément compréhensibles, admettent que la majorité de leurs collègues, voire de la société, se satisfont de la situation actuelle, soit par conviction, ayant été élevées dans cet esprit, soit par "opportunisme", parce que c'est le meilleur moyen de se faire une petite place au soleil.

Elles font leurs études à la section féminine de l'université Roi-Saoud, à Riyad, et décrivent la régression d'un établissement qui, de pionnier en matière d'ouverture, est devenu au fil des ans synonyme de contraintes et de claustration. Quand les premières bachelières du royaume s'y sont inscrites vers la fin des années 1960, le corps enseignant y était exclusivement masculin et les étudiantes étaient libres de porter, ou non, le voile et l'abaya, l'ample manteau noir qui enveloppe désormais toutes les filles. C'est dans la première fournée de diplômées des facultés de Riyad qu'ont été recrutées les premières enseignantes universitaires, avant que ne soit carrément créée une section féminine, mesure qu'augmentait le nombre de candidates.

Elles y évoluaient à leur aise entre femmes, libres de se comporter comme elles le voulaient, l'enceinte de la section étant interdite aux hommes, à l'exception des professeurs masculins. Ceux-ci, à l'instar de leurs collègues femmes, dispensaient leurs cours face à leurs élèves, comme dans n'importe quelle autre tribune du genre à travers le monde.

LE point de rupture survint vers la fin des années 1980, notamment lors de la guerre de libération du Koweït de l'invasion irakienne, en 1991. Un groupe de jeunes femmes ayant osé prendre le volant pour réclamer le droit de conduire, leur audace provoqua une levée de boucliers des ultraconservateurs, qui crièrent au scandale et au vice. L'université fut pointée du doigt comme un foyer de décadence. Les enseignantes qui avaient participé au mouvement de protestation furent démises de leurs fonctions ; le recteur de l'université créa une section féminine de hautes études islamiques et instaura la séparation totale entre les deux sexes. Depuis, tout professeur de sexe masculin administre son cours à distance, via un système vidéo interne.

En l'absence d'une réaction de l'Etat, les ultrareligieux pouvaient désormais agir à leur guise. Entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux, un système de vases communicants existe, commente un universitaire : "Quand le premier faiblit, le second se renforce." Petit à petit, le rigorisme est devenu tel qu'il en est caricatural. La religion a été abusivement introduite partout, jusque dans les petits détails.

Paroles de jeunes filles : il est interdit de sortir du campus lorsqu'on dispose de temps libre. Pour rendre cette règle incontournable, l'enseignement a été concentré entre 8 heures et midi, officiellement pour libérer les étudiantes le reste de la journée ; en réalité, disent-elles, pour tuer l'idée même de temps libre. Et si l'une d'elles est obligée d'attendre l'arrivée de son chauffeur, de son père ou de son frère pour la ramener chez elle par exemple, elle est supposée se replier sur une salle ad hoc, où un système vidéo assène en boucle des principes de conduite prétendument musulmans.

Mais gare aussi à celle qui, pour une raison quelconque, arriverait avant l'heure d'ouverture. "Récemment, parce qu'il devait prendre l'avion à 8 heures, un père avait accompagné sa fille à l'université une heure plus tôt. Ce qui valut à cette dernière un interrogatoire en règle" de la part des gardiennes de la morale, ces jeunes femmes aussi jeunes que leurs "victimes", chargées par les moutawiine de faire "interdire le vice et respecter la vertu" au sein du campus.

Ces vigiles gardent l'œil sur tout, estimant n'avoir de comptes à rendre à personne, bien qu'aucune loi n'existe qui leur dicterait une telle conduite. Résultat, alors qu'à l'intérieur du campus il n'y a pas l'ombre d'un homme à l'horizon, les étudiantes se voient imposer une manière de se vêtir : pas de couleurs vives, le noir, le marron, le gris et leurs apparentés étant les seules tolérées. Les chemisiers doivent impérativement avoir des manches longues et les jupes couvrir la totalité des jambes jusqu'à la cheville. "Celles qui contreviendraient à la règle se voient obligées d'acheter auprès de ces cerbères des tenues "correctes" puis de remplir un procès-verbal admettant leur "faute"." Et que dire de celles qui osent se faire refaire les sourcils - comme c'est un peu la mode partout dans les pays du Proche-Orient -, se vernir les ongles ou se maquiller...

Il est interdit de rire bruyamment. A l'occasion d'une sortie organisée par l'université, les étudiantes sont non seulement tenues de se couvrir "correctement" des pieds à la tête, mais le déplacement se fait dans un autocar aux vitres entièrement fumées.

Il est interdit d'avoir un ordinateur portable à l'intérieur du campus. L'utilisation du téléphone mobile est suspecte, de même que tout tête-à-tête de deux jeunes filles dans un local. Un exemple : après un cours de langue pour lequel les enseignantes demandent à leurs étudiantes de se procurer des revues étrangères à fin de traduction, deux jeunes filles feuilletaient ensemble une revue, à la recherche d'un texte à soumettre au professeur. Les vigiles aux aguets ont bondi et mené l'enquête, jugeant le duo suspect. On en rirait presque si, pour les intéressées, la situation ne frisait le tragique. Comme le dit une étudiante, l'équation de base tient en ceci : "La femme, c'est tout simplement le vice." Tout comportement jugé non correct se solde par la signature d'un procès-verbal dans lequel l'étudiante reconnaît être en faute.

Pour interdire la célébration de la Saint-Valentin, les gardiennes saisissent tout ce qui, de près ou de loin, pourrait rappeler la fête, la couleur rouge devenant à cette occasion le symbole du vice, qu'il s'agisse d'une rose, d'un sac ou de quoi que ce soit d'autre. Comme pour contrer le diable, elles intensifient alors la distribution, à l'entrée et à l'intérieur du campus, de manuels, dépliants et cassettes audio réexpliquant les règles de conduite prétendument correctes. Parallèlement, le fameux organisme chargé de faire "respecter la vertu et interdire le vice" saisit tout ce qui peut rappeler la Saint-Valentin en ville, interdisant même aux marchands de fleurs de vendre des roses rouges ce jour-là.

En un mot comme en mille, le carcan éducatif, selon l'expression d'une universitaire, "terrifie plus qu'il n'éduque, provoque refoulements et crises". "D'aucuns prétendent que tout cela vise à protéger la gent féminine. Cela n'est-il pas un aveu d'échec de l'éducation des hommes ? Eux ont droit à tout. On leur enseigne leurs droits, jamais leurs devoirs. Les filles, elles, n'ont quasiment aucun droit, rien que des devoirs à respecter."

Certains croient avoir trouvé une solution dans la création de centres commerciaux exclusivement réservés aux femmes. Ils font valoir qu'elles y seraient plus à leur aise. Ce qui est peut-être vrai, de l'aveu même de certaines femmes, mais "cela revient à chercher à traiter les symptômes et non le mal à sa racine", écrivait le 9 décembre Mme Abir Mishkhas dans le quotidien Saudi Gazette. "Ce serait ignorer le problème de fond au profit de solutions temporaires (...). Car quoi qu'on fasse ou dise, hommes et femmes doivent communiquer au quotidien. Et pas seulement à l'intérieur de la famille, mais aussi avec les chauffeurs de taxi, les caissiers des supermarchés, les agents de police et les simples passants. Même si nous créons des villes unisexes, les femmes ne devront-elles pas avoir affaire à un membre mâle de l'administration officielle à un moment ou un autre ? Les femmes d'affaires ne sont-elles pas obligées d'avoir un homme pour agent ?"

Soulignant, exemples à l'appui, que rien dans l'islam n'interdit aux femmes de participer normalement à la vie de la cité, Mme Mishkhas tourne en ridicule les auteurs de cette idée folle, se demandant pourquoi "ceux-là même qui proposent aujourd'hui la séparation des centres commerciaux sur la base du sexe" ne se sont jamais indignés, depuis le temps que cela dure, que "les vendeurs de lingerie féminine soient des hommes", précisément parce que les femmes n'ont pas le droit d'être marchandes en ville. "Le fond de l'affaire, dit-elle, tient au fait que (...) la plupart des hommes ont un vrai problème dans leur relation à la femme. Ils doivent tout simplement apprendre à la respecter."

Plus virulent, l'universitaire et éditorialiste Souleiman Al-Hattlan, dans un article publié par le quotidien Al-Watan, le 12 décembre, rapportait, sous le titre : "Maccarthysme à la saoudienne", une conversation autour du droit des femmes à conduire une voiture. Atterré par les arguments de ceux qui continuent de s'y opposer, il s'emportait contre les fanatiques, lesquels s'abritent derrière la religion pour imposer les interdits, et contre tous les intellectuels qui les ont caressés dans le sens du poil, occultant toutes les réalités d'une société percluse de problèmes.

Quant aux femmes, "l'injustice outrageante qui leur a été faite dans notre société, la relégation de leur humanité et de leur nationalisme derrière des barreaux de tabous et de défiance, ne sont rien d'autre, assénait-il, qu'une injustice que nous nous sommes faite à nous-mêmes. N'est-il pas honteux que nous tous, malgré nos parcours intellectuels multiples, nos expériences sociales variées, nous soyons devenus des produits du même moule inodore, incolore et sans saveur ? Comment notre regard sur les femmes est-il devenu prisonnier d'une poignée de pré- islamistes ?"

Mouna Naïm

dessin séverin millet

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 28.12.03
pelon
 
Message(s) : 33
Inscription : 30 Août 2002, 10:35

Message par Quartz » 02 Jan 2004, 19:02

Voilà une raison de plus de se situer ici en France du côté de celles qui luttent contre le port du voile.

a écrit :conséquences immédiates de la religionisation (?) de la société.


Je ne comprends pas ce que tu veux dire Nico ? :huh:
Quartz
 
Message(s) : 0
Inscription : 16 Nov 2003, 10:18


Retour vers Presse et communiqués

Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 1 invité

cron