Merci et bienvenue.
Comme nous sommes dans le fil sur Jean-Jacques Marie, il y a son livre Cronstadt chez Fayard.
J'ai là entre les mains un livre qui vient de sortir à Prague et s’intitule Smena Vekh. Les auteurs de ce livre affirment que le moment est venu de changer de balises pour s’orienter vers la Russie soviétique. La liste des auteurs parle d’elle-même. L’ancien chef de l’Osvag de Koltchak (l’Osvag est la section de renseignements et d’agitation), le doyen de l’Université de Moscou, Oustrialov, l'ancien chef de l’Osvag de Denikine à Rostov, le doyen Tchakotine, l’ancien ministre des affaires étrangères de Koltchak, le professeur Klioutchnikov, l’ancien avocat Bobrychtchtev-Pouchkine, octobriste, collaborateur de journaux blancs, entre autres du Novoie Vremia de Souvorine, les professeurs du lycée russe de Paris, Loukianov et Potékhine.
Voici la liste éclatante et pittoresque des six auteurs qui ont publié ce livre Smena Vekh à Prague.
Ce livre est un symptôme au plus haut point significatif. Je vous demande de vous rappeler que ceux qui disent cela sont d’anciens octobristes, des partisans de Koltchak, et, dans le meilleur des cas, des Cadets. Voici ce que dit Potekhine : «Il est difficile d’aimer la Russie d’aujourd’hui plongée dans la faim, le sang, la boue, et les maladies. Mais il était trop facile de l’aimer hier quand on y trouvait la fleur de farine la plus blanche au monde, le sucre le plus blanc et le plus doux, la vodka la plus pure, la plus forte et la plus enivrante. Trop facile pour ceux qui avaient tout cela à satiété. Ainsi, dans cette Russie mendiante on vivait à satiété, avec délices et ivresse, et quand soudain la farine, le sucre et la vodka ont disparu, la Russie elle-même a semblé avoir disparu. C'est ce que nombre de gens ressentent aujourd’hui.»
On ne peut imaginer de satire plus impitoyable de la bourgeoisie, des grands propriétaires et de l’émigration des officiers et des intellectuels gardes-blancs.
Le même auteur, une page plus loin, représente l’attitude de cette émigration vis-à-vis de la famine qui ravage notre Basse Volga. Voici ce qu’il écrit : «Sur les rives du Bosphore, dans les pays slaves accueillants, dans les alles chics de l’hôtel Majestic à Paris, des Russes savourent les nouvelles sur le choléra et la faim en Russie, reniflent avec volupté les chiffres de millions de mourants et s’enivrent à ajouter aux faits effrayants des fables encore plus effrayantes»
Le patriotisme des classes dirigeantes est une superstructure de leurs intérêts matériels Le grand propriétaire veut conserver son domaine, le fabricant veut conserver son usine. Le domaine, les usines se trouvent à l'intérieur des frontières du pays défendues par l'armée. Et le grand propriétaire est pour l’armée, pour le gouvernement. Il est patriote aussi longtemps que l'armée et le gouvernement défendent ses intérêts de propriétaire. Le noyau du patriotisme est le souci de la propriété et le patriotisme lui-même est la coquille protectrice du noyau de la propriété privée. Dès que ce noyau cesse d’appartenir au capitaliste, au grand propriétaire, ils détruisent la coquille étatique, qui n’est plus pour eux que du vide: elle ne leur est plus nécessaire et ils cherchent des secours à l’extérieur.
Bobrychtchtev-Pouchkine et d’autres auteurs affirment, de façon tout aussi fondée que, jamais dans l'histoire, le nom de la Russie n’a suscité autant de respect et n'a exercé une aussi grande influence qu’aujourd’hui chez les millions de membres des masses populaires, même dans les sommets royaux et ministériels. Voici les mots mêmes de Bobrychtchtev-Pouchkine: « La Russie épuisée et affamée se tient aujourd’hui à une hauteur extraordinaire dans la conscience des masses populaires du monde entier. Auparavant, la Russie était un épouvantail pour les peuples, le rempart de toutes les réactions, le gendarme international et maintenant toutes les masses populaires attendent en elle leur libératrice. C’est un fait incontestable, qu’aucun observateur scrupuleux de l’état d’esprit des masses populaires dans n’importe quel pays ne peut nier.»
Puis il ajoute : « Le même sentiment habite tout le monde : si en Russie des gens comme nous ont pu renverser le pouvoir du capitalisme, alors nous aussi nous le pouvons. En quoi serions-nous pires ? On dit que là-bas ils ont commis des erreurs, des crimes, qu’ils ont mené le pays à la ruine. Pas étonnant : c‘est une entreprise nouvelle. Mais on peut apprendre à partir de l’expérience des autres et on peut éviter les erreurs».
L’Armée rouge en impose, plus que tout autre facteur, sur la conscience, de la meilleure partie des éléments patriotiques de l'émigration, surtout des militaires, qui savent que l’on ne crée pas une armée par un coup de baguette magique, que l'armée est le reflet des humeurs, des sentiments, des capacités des larges masses populaires. Ils comprennent que l’armée qui se constitue ici et s’améliore, l’armée ouvrière et paysanne de la Russie, est le meilleur témoignage des racines profondes du pouvoir ouvrier et paysan.
«Le pouvoir soviétique» déclare Bobrychtchtev-Pouchkine «protège la Russie; pour assurer cette protection, il forme une armée de trois millions d’hommes. Je suis profondément reconnaissant, écrit-il, aux spécialistes militaires d’Obchtchoe Dielo [La Cause commune, ce journal édité à Paris par Bourtsev et qui nous porte la plus violente des haines], qui par leurs articles bien documentés m'ont aidé à comprendre la situation de la Russie, et ont brillamment démontré à quel point il serait absurde de renverser un pouvoir qui a si bien su poser la question militaire, instaurer une telle discipline, attirer a lui tant d’anciens spécialistes». Plus loin, il s’adresse aux Blancs, avec lesquels il avait fui la Russie: «Vous ne pouviez pas faire cela, car votre armée était composée d’officiers, tous les autres y étaient par contrainte.» ll parle un peu plus loin ironiquement des ministères et des gouvernements européens: «ils peuvent reconnaitre ou non le pouvoir soviétique, mais aucun gouvernement européen ne possède une armée de trois millions d’hommes et cela, il n’est pas possible de ne pas le reconnaitre.»
Il [Bobrychtchtev-Pouchkine] écrit sur le pouvoir soviétique en homme qui se situe en dehors de lui, le dénonce, stigmatise l'arbitraire, les persécutions, et néanmoins reconnait que le peuple le considère comme son pouvoir : mauvais peut-être, mais le sien: «Le peuple distingue l’institution même du pouvoir soviétique de ses mauvais représentants. Il a avec lui une langue commune, si vous voulez, une camaraderie. Son mécontentement, les soulèvements locaux, tous ses débats avec le pouvoir soviétique sont une affaire de famille. Mais le peuple ne veut aucun autre pouvoir en Russie que le pouvoir soviétique.»
Voilà la conclusion d’un ancien octobriste qui, je le répète, n’est pas sa conclusion personnelle, mais celle d’un groupe d’émigrés sans cesse plus nombreux et qui représente la partie idéologique la meilleure de l'émigration.
Cyrano a écrit :Bref, tout ça s'est terminé par un assaut contre les rebelles de Cronstadt, et les soldats de l'Armée rouge ont délogé les mutins, sans un coup de fusil.
Zorglub a écrit :Merci et bienvenue.
Comme nous sommes dans le fil sur Jean-Jacques Marie, il y a son livre Cronstadt chez Fayard.
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