Éphéméride

Marxisme et mouvement ouvrier.

Re: Éphéméride

Message par Gayraud de Mazars » 20 Sep 2020, 08:49

Salut camarades,

Le 20 septembre [1792] reste la date anniversaire la victoire de Valmy par les troupes révolutionnaires en France... Goethe, qui avait assisté à la bataille du côté prussien, a exprimé la puissance de cet impact par ces mots devenus célèbres : « De ce lieu et de ce jour date une ère nouvelle dans l’histoire du monde ».

https://www.lariposte.org/2012/10/il-y- ... lle-valmy/

Fraternellement,
GdM
"Un seul véritable révolutionnaire dans une usine, une mine, un syndicat, un régiment, un bateau de guerre, vaut infiniment mieux que des centaines de petits-bourgeois pseudo-révolutionnaires cuisant dans leur propre jus."
Avatar de l’utilisateur
Gayraud de Mazars
 
Message(s) : 2584
Inscription : 23 Avr 2014, 12:18

Re: Éphéméride

Message par Gayraud de Mazars » 29 Sep 2020, 09:57

Salut camarades,

Il y a 156 ans, était fondée l’Association Internationale des Travailleurs (AIT), au cours d’une réunion au Saint Martin’s Hall à Londres. Le 28 septembre 1864, les dirigeants ouvriers européens ont mis sur pied ce qui deviendra la première organisation internationale de la classe ouvrière...

Retour avec un article de 2014, toujours d'actualité...

https://www.lariposte.org/2014/12/la-pr ... nationale/

Fraternellement,
GdM
"Un seul véritable révolutionnaire dans une usine, une mine, un syndicat, un régiment, un bateau de guerre, vaut infiniment mieux que des centaines de petits-bourgeois pseudo-révolutionnaires cuisant dans leur propre jus."
Avatar de l’utilisateur
Gayraud de Mazars
 
Message(s) : 2584
Inscription : 23 Avr 2014, 12:18

Re: Éphéméride

Message par com_71 » 29 Sep 2020, 14:15

la riposte a écrit :De 1864 à 1872, l’AIT eut une existence courte. La défaite de la Commune de Paris de 1871 annonçait la fin de cette première tentative de réunir les travailleurs à l’échelle internationale. Cependant, elle s’inscrit dans l’histoire du mouvement ouvrier politique comme un début, poursuivi par Engels (après la mort de Marx) et l’Internationale Ouvrière, ainsi que par Lénine et Trotsky lors de la création de l’Internationale Communiste.

Aujourd’hui, il incombe aux travailleurs du monde, de refonder, 150 ans après la Première Internationale, une nouvelle organisation du même type, qui serait la promesse aux travailleurs du monde de leur émancipation universelle.


Ces deux derniers paragraphes sont l'illustration d'une perspective pour le mouvement ouvrier radicalement fausse, d'un recul par rapport aux acquis théoriques et pratiques - la révolution russe - du bolchévisme.
Autant la 1ère Internationale, regroupement de tendances était une étape nécessaire à l'organisation de la classe ouvrière, autant 150 ans après, quand on a pu voir des tendances anti-marxistes ou dans les faits non-marxistes, se révéler un vivier de traîtres ou d'assassins d'ouvriers (cf. les circonstances de l'assassinat de R. Luxembourg), offrir le programme de l'unité indépendamment du programme de la révolution est un naufrage politique pour ceux qui prétendraient le faire en se réclamant du trotskysme.

Cela vaut aussi pour les tendances issues du lambertisme qui en ont fait leur spécialité et, sans doute, sous réserve d'une relecture, pour le texte de Ted Grant proposé par ailleurs.
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
Avatar de l’utilisateur
com_71
 
Message(s) : 6251
Inscription : 12 Oct 2002, 00:14

Re: Éphéméride

Message par Gayraud de Mazars » 09 Oct 2020, 07:05

Salut camarades,

La mort de Ernesto Che Guevara, 9 octobre 1967

Par Chloé Maurel, historienne, auteur de Che Guevara (Ellipses, 2011).

Le révolutionnaire argentin Ernesto Guevara, dit le « Che », est en 1967 engagé, sous couvert d’anonymat, dans une guérilla en Bolivie, avec une poignée de fidèles compagnons, en vue d’y faire éclore une révolution, selon sa théorie des « focos » (foyers de révolution). Mais contrairement à la guérilla qu’il avait menée avec Fidel Castro une dizaine d’années auparavant à Cuba, les conditions sont ici nettement moins favorables. En octobre 1967, il est capturé par l’armée bolivienne. Les militaires boliviens l’emmènent dans une école abandonnée du village de La Higuera. C’est dans ce modeste bâtiment qu’il est exécuté, ce 9 octobre 1967.

« Sois tranquille, et vise bien ! »

Mario Terán, le sergent de l’armée bolivienne qui avait été chargé d’exécuter le Che, a raconté plus tard comment il a vécu ce moment impressionnant et douloureux : « Je suis resté quarante minutes avant d’exécuter l’ordre. J’ai été voir le colonel Pérez en espérant que l’ordre avait été annulé. Mais le colonel est devenu furieux. C’est ainsi que ça s’est passé. Ça a été le pire moment de ma vie. Quand je suis arrivé, le Che était assis sur un banc. Quand il m’a vu il a dit : «Vous êtes venu pour me tuer». Je me suis senti intimidé et j’ai baissé la tête sans répondre. […] À ce moment je voyais un Che grand, très grand, énorme. Ses yeux brillaient intensément. Je sentais qu’il se levait et quand il m’a regardé fixement, j’ai eu la nausée. J’ai pensé qu’avec un mouvement rapide le Che pourrait m’enlever mon arme. « Sois tranquille, me dit-il, et vise bien ! Tu vas tuer un homme !». Alors j’ai reculé d’un pas vers la porte, j’ai fermé les yeux et j’ai tiré une première rafale. Le Che, avec les jambes mutilées, est tombé sur le sol, il se contorsionnait et perdait beaucoup de sang. J’ai retrouvé mes sens et j’ai tiré une deuxième rafale, qui l’a atteint à un bras, à l’épaule et dans le cœur. Il était enfin mort » . Terán était très impressionné étant donné l’immense aura internationale du Che.

[...] Dans le monde entier, immédiatement, l’émotion est très forte, surtout auprès de la jeunesse. L’année suivante, en 1968, l’image du Che est présente dans tous les cortèges étudiants, de Berkeley à Paris.


Fraternellement,
GdM
"Un seul véritable révolutionnaire dans une usine, une mine, un syndicat, un régiment, un bateau de guerre, vaut infiniment mieux que des centaines de petits-bourgeois pseudo-révolutionnaires cuisant dans leur propre jus."
Avatar de l’utilisateur
Gayraud de Mazars
 
Message(s) : 2584
Inscription : 23 Avr 2014, 12:18

Re: Éphéméride

Message par com_71 » 10 Oct 2020, 18:54

Chloé Maurel, historienne, auteur de Che Guevara a écrit :contrairement à la guérilla qu’il avait menée avec Fidel Castro une dizaine d’années auparavant à Cuba, les conditions sont ici nettement moins favorables. En octobre 1967, il est capturé par l’armée bolivienne...

Cet aspect des choses avait été examiné, à l'époque, dans un article de "lutte de classe" :
https://mensuel.lutte-ouvriere.org//doc ... vement-des
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
Avatar de l’utilisateur
com_71
 
Message(s) : 6251
Inscription : 12 Oct 2002, 00:14

Re: Éphéméride

Message par piemme » 11 Oct 2020, 09:04

À propos de Che Guevara : #archiveLO (17 octobre 1967)
[cf. pièces jointes]
#archiveLO (3 octobre 1972)
- Ernesto Che Guevara
- Révolutionnaire mais pas socialiste !
- Les gauchistes et le mythe du "Che"
https://imagizer.imageshack.com/img922/89/26ntSY.png
https://imagizer.imageshack.com/img922/9232/e3U1zt.png
Pièces jointes
guevara.jpg
guevara.jpg (103.54 Kio) Consulté 2256 fois
guevara2.jpg
guevara2.jpg (183.25 Kio) Consulté 2256 fois
piemme
 
Message(s) : 18
Inscription : 30 Sep 2005, 10:47

Re: Éphéméride

Message par Gayraud de Mazars » 23 Nov 2020, 08:23

Salut camarades,

En hommage à l'insurrection des "canuts" lyonnais (ouvriers des soieries lyonnaises), le 22 novembre 1831 qui avaient écrit sur leur drapeau noir dans le feu des combats : "Vivre en travaillant ou mourir en combattant"...

https://www.lariposte.org/2013/07/linsu ... aise-1831/

Fraternellement,
GdM
"Un seul véritable révolutionnaire dans une usine, une mine, un syndicat, un régiment, un bateau de guerre, vaut infiniment mieux que des centaines de petits-bourgeois pseudo-révolutionnaires cuisant dans leur propre jus."
Avatar de l’utilisateur
Gayraud de Mazars
 
Message(s) : 2584
Inscription : 23 Avr 2014, 12:18

Re: Éphéméride

Message par Gayraud de Mazars » 25 Nov 2020, 18:15

Salut camarades,

Paul Lafargue et son épouse Laura (Marx) disparaissaient en se suicidant le 25 novembre 1911. Ils voulaient dignement échapper aux affres de la vieillesse... Leurs cercueils furent suivis par 200 000 personnes avec un hommage de Jaurès...

Paul Lafargue avait précisé sa pensée, le 21 mai 1892, dans un discours célèbre puis édité en brochure sous le titre "Le Communisme et l’évolution économique."

« Nous, communistes, nous affirmons que le salariat, cette dernière et pire forme du travail servile, disparaîtra fatalement. […]

Le vol est l’essence même de la société capitaliste. […] Les producteurs sont dans la misère stagnante, parce que les capitalistes leur dérobent quotidiennement les fruits de leur travail. Cet accaparement des fruits du travail a transformé la société en un immense bazar où tout se vend, non seulement les produits de l’activité humaine, mais l’homme lui-même. On achète des ouvriers manuels pour leur force musculaire, et des ouvriers intellectuels pour leur force cérébrale. […]

Quelle preuve plus éclatante de l’abaissement humain, que de vendre son travail manuel ou cérébral ! Cet acte dégradant pour tout citoyen de Sparte et de Rome est la seule ressource laissée au producteur dans notre société capitaliste : le salariat est une forme de l’esclavage.

Ah ! Cicéron avait raison : il ne peut sortir d’une boutique que des mensonges. Tout est mensonge dans l’immense boutique qu’est la société capitaliste. Les produits ! Ils sont tous simulés, tous falsifiés. La civilisation capitaliste, tant vantée, sera flétrie du nom d’âge de la camelote. On ne se contente pas de falsifier les produits naturels, on falsifie encore les produits falsifiés. La margarine, qui est le mensonge du beurre, est à son tour falsifiée. […]

Emancipée du joug marital et de l’oppression de la morale masculine, la femme pourra développer librement ses facultés physiques et intellectuelles. […] La femme est inférieure, disent les pédants du capitalisme. Pardieu ! On l’a mise dans une camisole de force dès son jeune âge. […]

Les phénomènes économiques, voilà les grands coupables, les terribles révolutionnaires qui bouleversent toutes les habitudes des hommes et toutes les bases séculaires des sociétés ; nous autres communistes de l’école de Marx et d’Engels, nous ne sommes que les porte-paroles des phénomènes économiques : si, comme les oiseaux de mer qui prédisent l’orage aux matelots, nous annonçons aux classes gouvernantes la tempête qui balayera leurs privilèges, ce n’est pas nous qui la soufflons.

Quand la société, que cette révolution sociale bouleversera moins douloureusement que les crises périodiques de surproduction du capitalisme, sera rentrée dans l’ordre et l’harmonie qui présideront à la création et à la distribution égalitaire des richesses, alors la machine, le plus épouvantable instrument d’oppression qui ait jamais été mis entre les mains d’une classe possédante, deviendra le rédempteur de l’humanité ; alors le travail servile aura vécu. »


Fraternellement,
GdM
"Un seul véritable révolutionnaire dans une usine, une mine, un syndicat, un régiment, un bateau de guerre, vaut infiniment mieux que des centaines de petits-bourgeois pseudo-révolutionnaires cuisant dans leur propre jus."
Avatar de l’utilisateur
Gayraud de Mazars
 
Message(s) : 2584
Inscription : 23 Avr 2014, 12:18

Re: Éphéméride

Message par Byrrh » 25 Nov 2020, 19:36

Le discours de Lénine, alors à Paris, lors des obsèques de Paul et Laura Lafargue : https://www.marxists.org/francais/lenin ... 111203.htm
Byrrh
 
Message(s) : 1345
Inscription : 10 Avr 2017, 20:35

Re: Éphéméride

Message par Gayraud de Mazars » 27 Nov 2020, 08:09

Salut camarades,

Pour le 200e anniversaire de la naissance de Friedrich Engels, le 28 novembre 1820, le journal L'Humanité sur 4 pages s'est fendu d'un grand article...

Spécial Engels, les deux cents ans. Friedrich Engels, penseur et passeur révolutionnaire pour aujourd’hui
Vendredi 27 Novembre 2020, par Jérôme Skalski

https://www.humanite.fr/special-engels- ... our-696811

À l’occasion du bicentenaire de la naissance du militant et théoricien du communisme, né le 28 novembre 1820 à Barmen, en Rhénanie prussienne, retour sur quelques pistes fécondes de l’œuvre et de la pensée de l’inspirateur de la fondation de l’Internationale ouvrière.

Sur un des plus célèbres chapiteaux de la cathédrale de Vézelay, Moïse verse du grain, symbole de la Loi ancienne, dans les meules d’un moulin que récolte Paul de Tarse dans un sac de toile sous la forme d’une farine figurant la Loi nouvelle. Disposés l’un et l’autre d’un côté et de l’autre d’un arbre les surplombant, l’un est dans l’ombre et l’autre en pleine lumière.

Au cours d’une conférence consacrée à la question de l’État et de son dépérissement comme perspective de la révolution d’Octobre, donnée en juillet 1919 devant les étudiants de l’université moscovite Sverdlov, Lénine exhorte ses auditeurs et ses auditrices : « J’espère que (…) vous lirez l’ouvrage d’Engels l’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État. » « C’est, précise-t-il, une des œuvres maîtresses du socialisme moderne. »

De l’autre côté de la Volga, dont les plaines sont alors ravagées par les affrontements de la guerre civile et l’intervention des troupes étrangères, c’est au nom de la même figure d’autorité intellectuelle que Karl Kautsky publie Terrorisme et communisme, ouvrage dans lequel celui qui fut le « pape » du marxisme après la mort d’Engels en 1895, engagé dans une virulente polémique qui l’oppose à Lénine et à Trotski, expose une critique acerbe du bolchevisme. Dans son apologie de la « stratégie parlementaire » comme seule perspective pertinente de l’action de la social-démocratie, il fait également référence à Engels et notamment à la préface – falsifiée, comme l’explique ci-après le philosophe Jean Quétier – qu’Engels rédigea pour l’édition de 1895 des Luttes de classes en France, de Marx. Son « testament politique ».

Objet d’un consensus de référence pour les deux courants « frères ennemis » du marxisme de l’après-Révolution russe de 1905 et de 1917, l’un « réformiste », l’autre « révolutionnaire », l’œuvre d’Engels, malgré des différences d’interprétations majeures, était alors incontournable, débordant le strict cercle du mouvement ouvrier, communiste et socialiste. Assassinés le 15 janvier de la même année 1919 par les Corps francs, sous les ordres du ministre du gouvernement du social-démocrate de Friedrich Ebert, Gustav Noske, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, victimes de la répression de la Révolution spartakiste, s’en réclamaient, non sans esprit critique cependant, avec autant de chaleur.
À l’ombre de celle de Karl Marx, l’œuvre de Friedrich Engels est aujourd’hui parfois considérée comme étant à l’origine des différentes versions du marxisme scolastique qui ont fleuri après la mort de l’auteur du Capital et, sous une forme plus ou moins sclérosée, voire policière, de la prise de pouvoir de Staline en URSS, dans les années 1930. En France, c’est, par exemple, l’idée directrice de Maximilien Rubel, chargé de l’édition des œuvres de Marx à la « Bibliothèque de la Pléiade », qui, à l’occasion du 150e anniversaire de la naissance d’Engels, identifie ce dernier comme étant le principal responsable de l’invention du « marxisme en tant que culte ».

Après un passage au purgatoire de la pensée, son retour actuel, dans le sillage de celui de Marx, est l’occasion de redécouvrir un auteur plus complexe que celui qui fut la « proie » posthume, plus ou moins heureuse, de ceux qui s’en réclamaient, penseurs originaux ou épigones. Loin de tout « moulin mystique », de tout catéchisme « diamat » ou encore de toute fosse à la Spinoza pour « chien crevé », un auteur dont la pensée constitue un itinéraire essentiel dans l’histoire de l’émancipation humaine, itinéraire de penseur et de passeur révolutionnaire illustré ici en suivant quelques-unes de ses pistes. Un homme d’exception aussi, dont les engagements personnels et politiques forcent le respect.
« Maximilien Rubel a fait d’Engels le coupable de toutes les déviations et de toutes les tendances dogmatiques du marxisme, ce qui est complètement abusif », explique le philosophe Étienne Balibar, collaborateur de Louis Althusser à l’époque de Lire le Capital (1965) et de Pour Marx (1965). « La tradition dogmatique dans le marxisme, et en particulier celle qui vient de la IIIe Internationale et, derrière, de la IIe Internationale, s’est énormément servie d’Engels parce que celui-ci avait fourni des formulations simples et claires là où Marx avait laissé un chantier », précise-t-il : « C’est lui qui a “porté le chapeau” auprès de tous les gens qui s’étaient fixé comme objectif de “libérer” le marxisme de ce qu’ils considéraient comme ses tendances dogmatiques, ce qui n’est pas du tout vrai. » « Ce qui est certain, c’est qu’Engels a dit cette phrase fameuse : “Marx était un génie ; nous autres, tout au plus, des talents” », précise encore le théoricien de l’« égaliberté » : « Il s’est mis en second, derrière Marx. » Mais si l’ « on peut dire, en effet, que Marx a apporté des choses plus fondamentales à la pensée qu’Engels, la première question qui s’impose, c’est de savoir si Marx aurait pu le faire sans Engels, or, cela n’est pas évident du tout. »
De la période où Marx et Engels nouent leur amitié dans les milieux politiques des immigrés allemands de Paris et de Bruxelles, au milieu des années 1840, à celle de la publication du premier livre du Capital dans les années 1860 et de leur engagement commun dans la Ire Internationale et, jusqu’à la mort de Marx en 1883, dans leurs interventions théoriques des années qui suivent la Commune de Paris de 1871, c’est de fait une pensée en commun qui se livre au regard rétro¬spectif. Une pensée mêlée et engagée « dans la mêlée » sur les deux plans de la théorie et de la pratique politique dont les linéaments peuvent se suivre dans leur abondante correspondance, dans les manuscrits et les livres qu’ils signent ensemble tels ceux de l’Idéologie allemande (1845), du Manifeste du Parti communiste (1848), mais aussi dans les ouvrages qu’ils publient en leur nom propre, sans parler de leurs nombreux articles. Une pensée en dialogue permanent où, quelquefois, chacun à tour de rôle prend celui d’un sparring partner sans concession, offrant peu d’exemples équivalents dans l’histoire intellectuelle, Marx, in fine, gardant en main les guanti bui sur le ring de l’histoire.

Le premier « coup droit » est cependant donné par Engels, qui fait part de son enquête sur la Situation des classes laborieuses en Angleterre en 1844 (1845) à son nouvel ami, exilé à Paris puis à Bruxelles, poursuivi par la police prussienne pour ses idées démocratiques. Son travail de terrain dans le slum de Manchester, où Engels, à moins de 25 ans, fils d’un riche bourgeois industriel, est conduit par la main par Mary Burns, jeune ouvrière irlandaise avec qui il franchit le mur de classe et de qui il demeurera épris jusqu’à la fin de sa vie – voir l’Humanité du 10 août 2020 –, est en effet l’occasion d’une série de coups de force théoriques et d’un « changement de terrain » dont lui et son ami ne quitteront dès lors plus jamais les sentiers.

« La Situation des classes laborieuses en Angleterre, une étude qu’Engels fait à Manchester, la ville où il travaille dans l’usine de son père, a une incidence sur Marx au sens où, avec lui, on quitte la pure philosophie et la discussion avec l’idéalisme allemand pour aller vers une analyse presque ethnographique de la classe ouvrière », explique Florian Gulli, coauteur avec Jean Quétier de Découvrir Engels (2020). « Au-delà de son contenu, ce n’est pas seulement un livre à relire ou à plaquer sur le réel d’aujourd’hui, mais un geste qui mérite d’être réitéré dans une perspective politique », renchérit-il. « Dans cette enquête, Engels a vraiment été pionnier pour toutes les sciences humaines et sociales avec une pratique et des textes méthodologiquement fondateurs », explique pour sa part Rachel Renault : « Même si, dans le contenu scientifique, cela a évolué ici et là, sur la démarche, ce sont des intuitions qui vont être fécondes sur le long terme. » Autre aspect à souligner chez Engels, selon l’historienne autrice d’une étude sur la Guerre des paysans en Allemagne (1850) du philosophe, l’esprit de révision et de précision scientifique qui lui fait remettre sans cesse sur le chantier ses travaux historiques. Un point commun avec Marx trop souvent manqué par leurs critiques ou certains de leurs épigones plus fidèles à la lettre qu’à la méthode et à l’esprit de leurs travaux. Au centre de sa démarche, dans cet écrit « à chaud » mais remis donc sans cesse sur le métier, l’effort pour produire le dévoilement des logiques internes du processus historique, au-delà des apparences, de l’idéologie et des luttes politiques.

Cette révolution théorique qui combinera bientôt l’idée d’une analyse des infrastructures techniques, sociales et économiques, déterminantes « en dernière instance », en tant que socle d’activités, des processus de l’action historique, celle du caractère antagonique des sociétés modernes fondée sur la lutte des classes, celle d’un caractère historique et dialectique de leur devenir, ainsi que du caractère semi-volontaire ou semi-conscient de l’action historique elle-même, est simultanée à celle de Marx, qui l’étend plus spécifiquement au domaine de l’économie politique.

Caricaturée, peu comprise ou déformée ultérieurement, Engels s’emploiera à la défendre contre un certain réductionnisme après la mort de son ami en intervenant directement et en republiant ses œuvres. Il s’emploiera également à lui donner l’expression théorique d’une conception du monde – Weltauffassung, une conception, plutôt que Weltanschauung, une vision, comme le souligne Étienne Balibar – dans des écrits tels que l’Anti-Dühring (1878) ou son Ludwig Feuerbach et la fin (sortie) de la philosophie classique allemande (1888), Marx ayant toujours remis à plus tard l’effort pour l’exposer lui-même de manière explicite, appliqué qu’il était à ce que Lénine appellera plus tard « l’analyse concrète des situations concrètes », dans les interstices d’un temps libre qui, s’il s’était accru pour Marx au lendemain de la publication du premier livre du Capital, était essentiellement consacré à l’action politique dans le cadre du mouvement ouvrier de son époque.

Un « péché originel » que ne lui pardonneront peut-être jamais ceux qui n’ont pas le courage de monter sur un ring analogue à celui qu’ils fréquentèrent, ni à rentrer dans l’arrière-salle où, dans la solitude, Engels, maître d’œuvre de la fondation de la IIe Internationale à Paris, le 14 juillet 1889, s’emploiera à faire revivre le Maure dans un dialogue où celui-ci ne lui répondait plus. Mais c’est peut-être dans l’audace même de certaines de ses corrections, de ses interventions, de ses hésitations, de ses erreurs d’interprétation et de ses écarts, tels ceux qui surgissent par exemple entre lui et Marx, comme le montre Saliha Boussedra sur la question de l’émancipation féminine – voir page 25 – que s’ouvre pour nous ce dialogue interrompu mais vivant car toujours ouvert, accueilli par la petite porte privée de l’appartement londonien du « général » Engels, celui-là même qui ne s’ouvrait qu’aux amis et aux militants ouvriers. Pour trinquer aussi, une stout à la main pour son anniversaire, avec Mary et Lizzie Burns, un pied de nez par la fenêtre donnant à l’étage sur la rue passante des bourgeois en marche, tête nue, les cheveux gominés avec une mèche « à la Napoléon » tombant sur une calvitie naissante ou savamment ébouriffés, avec ou sans houppette, au pas de l’oie, en melon ou haut-de-forme avec ou sans canne à bout ferré, à l’union internationale de la classe laborieuse et, gants de cuir en pognes, au renversement révolutionnaire du capitalisme.

Pour en savoir plus
- Découvrir Engels, de Florian Gulli et Jean Quétier, Éditions sociales, 2020. - Engels. Le gentleman révolutionnaire, de Tristram Hunt, Flammarion, 2009. - Le Rôle de la violence dans l’Histoire, de Friedrich Engels, le Temps des cerises, 2020. - L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, de Friedrich Engels, le Temps des cerises, 2012. - Les Principes du communisme, de Friedrich Engels, Éditions sociales, 2020. - Correspondance, tome 13 (1875-1880), Marx/Engels, Éditions sociales, 2020. - Annales franco-allemandes, Marx/Engels, Éditions sociales, 2020. - La Sainte Famille, Marx/Engels, Éditions sociales, 2020.


Fraternellement,
GdM
Dernière édition par Gayraud de Mazars le 27 Nov 2020, 08:24, édité 1 fois.
"Un seul véritable révolutionnaire dans une usine, une mine, un syndicat, un régiment, un bateau de guerre, vaut infiniment mieux que des centaines de petits-bourgeois pseudo-révolutionnaires cuisant dans leur propre jus."
Avatar de l’utilisateur
Gayraud de Mazars
 
Message(s) : 2584
Inscription : 23 Avr 2014, 12:18

PrécédentSuivant

Retour vers Histoire et théorie

Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 0 invité(s)