par satanas 1 » 20 Avr 2020, 13:26
Un courrier du 20 avril, de Marc Peschanski à son équipe de chercheurs, à propos des origines de la diffusion du COVID 19 et des débats ou polémiques en cours:
Comme j'ai cru comprendre que certains d'entre vous apprécieraient que je leur communique, lorsque c'est pertinent, les éléments scientifiques de ma lettre quotidienne aux membres de mon Institut de recherche (I-Stem), je le refais aujourd'hui.
"Une fois n’est pas coutume, je vais commencer par des excuses, et comme je n’ai pas envie de porter ça tout seul, je vais le faire au nom de tous les êtres humains de la planète (comme ça je risque moins une engueulade…).
Pangolin, mon ami, tu peux sortir de la tanière où un injuste procès en sorcellerie t’avait terré, te mettant au ban de l’humanité et, autant le dire, de tout le règne animal. Tu n’y étais pour rien. Ou du moins, même si tu transportais le virus – ce qui n’est plus qu’une hypothèse – c’est un peu difficile de te reprocher de l’avoir apporté sur ce marché de Wuhan où la déforestation, le braconnage et un mélange inepte d’espèces animales t’avaient conduit (sauf si je me trompe, tu n’y étais pas allé de ton plein gré non plus…). Donc autant l’admettre franchement, le responsable ce n’est pas toi, c’est nous… Sauf que chez les humains, « nous » c’est en général furieusement « eux » selon un usage planétaire établi qui veut que, les doigts poisseux de la confiture de mamie, on dit tous en cœur : « chépamoi » !
Alors, tout le week-end, on a eu droit à toutes les élucubrations – parfois un peu limite xénophobes, voire un tantinet racistes – sur les vilains chinois qui ne disent pas tout… et s’ils ne disent pas tout c’est bien que… (parce que « nous » - quels que soient le « nous » - c’est bien connu, on dit toujours tout !). Bref, ne parlons pas des ébranlements séniles de la pensée montagnierienne sur la recombinaison volontaire entre le VIH et le Cov-2 (Blast = 0% mais ce n’est pas grave, quand on a eu le Nobel, on a sa place sur BFM !), ni de la visite « infectante » d’après les (hautes) autorités chinoises d’une délégation sportive américaine à Wuhan en octobre dernier. On a eu droit à un florilège de déclarations plus intéressées que stupides (et pourtant !) de la part de la moitié des grands leaders de la planète (l’autre moitié n’ayant sans doute pas accès aux micros de Fox news).
Bon, une fois ce décor nauséabond posé, qu’en dire à vos proches ? d’abord qu’on s’en fiche un peu (beaucoup) de jeter l’opprobre sur les uns ou sur les autres, ce qui intéresse bien plus l’ensemble de l’humanité c’est de prévenir la répétition d’une telle catastrophe. Et là, sauf à appuyer sur les boutons rouges pour éradiquer les pangolins (mais pas que…), il n’y a vraiment que les scientifiques qui puissent aider. Savoir comment sars-Cov-2 est apparu, cela veut dire retracer son parcours, entre les espèces et à travers les modifications de son ARN. Et il y a effectivement là une question que les scientifiques auront besoin d’explorer, lorsqu’ils en auront le temps parce que ça n’est pas aujourd’hui la première urgence, et avec leurs outils de scientifiques – qui, sauf si je me trompe, n’incluent pas les plateaux de télévision – et leur rigueur, qui mérite mieux que des tweets orange. Besoin de savoir, parce que besoin de prévoir et donc, lorsqu’on aura mieux compris, de mettre en place les outils indispensables à la prévention. On a de cela un exemple que nous connaissons (ou devrions connaître…) très bien, c’est la grippe saisonnière dont des scientifiques étudient et tentent de prévoir chaque année les mutations pour promouvoir la production des vaccins les plus appropriés. Incidemment, cette vaccination est la réponse que les scientifiques ont apportée il y a un demi-siècle à une précédente catastrophe sanitaire, la grippe de Hong-Kong (1 million de morts… ça méritait sans doute aussi un peu d’attention).
Donc, première chose à dire à vos proches, quand certains politiciens cherchent à rejeter une faute sur leurs concurrents, regardez (et écoutez) ailleurs ! Les scientifiques n’ont que faire des stigmatisations, eux recherchent les causes uniquement pour préparer un avenir meilleur, pas pour régler les comptes malodorants du passé.
Mais il y avait un autre sujet ce week-end dont vos proches ont entendu parler : le laboratoire fermé P4 de Wuhan. Ils ont entendu « fermé », ils ont compris (et on les a aidés…) « secret ». Là, votre rôle de biologistes est majeur : expliquez ce qu’est notre travail ! expliquez à vos proches ce qu’est un L1, un L2, un L3 (si vous ne savez pas, demandez autour de vous, on est quelques-uns à y avoir passé quelques heures quotidiennes de… confinement !). Comme en revanche aucun d’entre nous n’a jamais travaillé dans un P4, à ce que je sache, je vous donne très rapidement quelques clés. Juste pour commencer, au cas où on vous demanderait pourquoi vous jonglez avec l’alphabet, en France on parle de P4 (niveau de « protection » 4), et les anglosaxons de BSL4 (du coup « L »4) pour biological safety level 4. C’est tout pareil…
Le niveau 4 est le plus élevé de précautions en matière de biosécurité. Il est destiné à protéger l’environnement contre les agents de pathologies potentiellement graves, susceptibles d’être transmis par aérosols. Les P4 sont des laboratoires entièrement confinés, c’est-à-dire où tout est pensé pour empêcher tout contact entre l’intérieur du laboratoire et l’extérieur. En gros, imaginez que le P4 est juste un grand PSM (poste de sécurité microbiologique). Ajoutez-y quand même une webcam, parce que les opérateurs à l’intérieur sont en permanence suivis par d’autres restés à l’extérieur, qui sont là pour contrôler chaque mouvement, chaque déplacement, chaque contact. Les manipulateurs venant – un peu obligatoirement quand même – de l’extérieur, on ne les laisse jamais entrer dans l’espace confiné. Pour réaliser cet oxymore biologique, le chat de Schrödinger ayant été embauché ailleurs, il faut en passer par des combinaisons de protection dans lesquelles le manipulateur est totalement séparé du monde extérieur, comme les astronautes en sortie. L’intérieur de la combinaison est sous pression positive pour le cas (peu vraisemblable mais il faut penser à tout) où elle serait percée, de façon à éviter tout risque de contamination du manipulateur. Evidemment, à la sortie, la décontamination est plutôt stricte ! On passe par une douche chimique pour décontaminer le scaphandre tout entier, puis on retire la combinaison dans une pièce intermédiaire, avant de subir une douche bien savonnée. Bien évidemment, cela ne concerne que les (rares) investigateurs spécialisés… on ne fait pas visiter un P4 à Macron, même affublé d’une charlotte ridicule. Tous les déchets de laboratoire, y compris l'air et l'eau sont également décontaminés avant de quitter la zone protégée.
Ah oui, j’oubliais un point de détail. On ne construit pas un P4 n’importe où. On évite les zones sismiques, on ne les met pas trop près des habitations, on met l’entrée en étage, on se protège contre les risques d’attentat… et on fait garder la zone par l’armée. Si vous avez d’autres idées, vous me dîtes et je transmettrai. Ils seront ravis d’en rajouter.
Racontez tout ça à vos proches parce qu’il faut qu’ils comprennent qu’un P4 ce n’est pas un lieu dont un virus s’échappe facilement. Cela dit, c’est arrivé, et au moins deux fois, aux CDC d’Atlanta en 2014 avec Ebola et aux laboratoires Behring en Allemagne (ce qui a donné son nom au virus de Marburg). Un accident n’est donc pas totalement impossible (« même » aux Etats-Unis, mais c’est vrai que c’était du temps d’Obama). Est-ce que c’est ce qui s’est passé à Wuhan dans un laboratoire étudiant un coronavirus trouvé chez des chauve-souris (et je ne dis PAS que c’est la faute des chauve-souris !) ? il sera très important de le savoir si c’est le cas, non pas parce que les chercheurs chinois auraient « mal » fait, mais parce qu’en faisant « au mieux », ça n’était pas suffisant. Tous les P4 du monde devront alors revoir leurs conditions de sécurité. "