Dans LO, cette semaine :
Nationalisme et mouvement ouvrier
11 Octobre 2017
L’émergence des nationalismes et micronationalismes n’est pas chose nouvelle. Dans un texte publié le 10 mai 1914, Lénine dénonçait déjà celui que propageaient certains groupes bourgeois prétendument progressistes, un nationalisme sans doute plus subtil que celui des monarchistes d’extrême droite mais tout aussi nuisible pour les travailleurs.
(…) En Russie, notamment après 1905, lorsque les plus intelligents des bourgeois ont vu clairement combien la force brutale était insuffisante à elle seule, toutes sortes de partis et de groupes bourgeois « progressistes » usent de plus en plus souvent du procédé de la division des ouvriers par la diffusion de diverses idées et doctrines bourgeoises qui affaiblissent la lutte de la classe ouvrière.
Au nombre de ces idées, il faut ranger un nationalisme raffiné, qui prêche la division et l’émiettement du prolétariat sous les prétextes les plus spécieux et les plus séduisants ; par exemple, sous prétexte de défendre les intérêts de la « culture nationale » de l’« autonomie ou de l’indépendance nationale » etc., etc.
Les ouvriers conscients s’efforcent de rejeter tout nationalisme, aussi bien le nationalisme grossier, violent, à la Cent-Noir, que le nationalisme le plus raffiné, celui qui prêche l’égalité en droits des nations en même temps que... la dislocation du camp ouvrier, des organisations ouvrières, du mouvement ouvrier, par nationalités. Mettant en pratique les résolutions adoptées à la dernière conférence des marxistes (été 1913), ils défendent – à la différence de toutes les couches de la bourgeoisie nationaliste – non seulement l’égalité en droits la plus complète, la plus conséquente, une égalité poussée jusqu’au bout, des nations et des langues, mais aussi la fusion des masses ouvrières des différentes nationalités dans toutes sortes d’organisations prolétariennes uniques.
Là est la différence radicale entre le programme national du marxisme et celui de n’importe quelle bourgeoisie, fût-elle la plus « avancée ». (…)
C’est un plan d’un nationalisme raffiné qui corrompt et divise la classe ouvrière. À ce plan (qui est celui des bundistes, des liquidateurs et des populistes, c’est-à-dire des différents groupes petits-bourgeois) les marxistes opposent le principe suivant : égalité absolue en droits des nations et des langues, jusques et y compris la négation de la nécessité d’une langue officielle, mais, en même temps, prise de position en faveur du rapprochement le plus complet des nations, de l’unité des institutions d’État pour toutes les nations, de l’unité des conseils scolaires et de la politique scolaire (école laïque !), de l’unité des ouvriers des différentes nations dans leur lutte contre le nationalisme de toute bourgeoisie nationale, contre ce nationalisme que, pour tromper les naïfs, on présente sous la forme du mot d’ordre de « culture nationale ».
(Publié dans le n° 82 du journal Pout Pravdy – Œuvres T. 20 p. 301-304)
Espagne : entre deux nationalismes
11 Octobre 2017
Après des semaines de tension, de manifestations et d’affrontements, le leader indépendantiste catalan de droite Carles Puigdemont qui avait pris la tête du mouvement pour l’indépendance a annoncé le 10 octobre qu’il fallait faire marche arrière et repousser à plus tard toute décision sur le statut de la Catalogne.
Puigdemont a appelé, malgré la protestation des députés de la CUP qui est l’aile radicale du mouvement catalaniste, à renouer le dialogue avec le gouvernement de Madrid. Quelles seront les réactions des courants qui composent le mouvement indépendantiste, quelle sera la réponse du Premier ministre Mariano Rajoy ? En tout cas celui-ci vient de marquer un point.
Dans le bras de fer qui l’oppose aux dirigeants indépendantistes de Catalogne, Rajoy avait repris la main. En particulier après l’annonce de la majorité des grandes banques dont le siège se situait en Catalogne de transférer celui-ci dans d’autres villes d’Espagne et après que plusieurs grandes entreprises eurent fait de même.
Un autre élément avait fait pencher la balance. Le 8 octobre, une manifestation a rassemblé des centaines de milliers de personnes à Barcelone derrière des slogans qui refusaient l’indépendance, et des manifestants arborant des drapeaux espagnols ont fait pendant aux manifestations indépendantistes des semaines précédentes. Cette manifestation n’était pas officiellement organisée par Madrid mais elle a renforcé la position du gouvernement central. Elle a rassemblé des personnes qui voulaient simplement dire qu’elles refusaient les objectifs aventureux de Puigdemont et des siens, mais aussi divers groupes de droite et d’extrême droite.
Au-delà, ce qui est le plus lourd de conséquences pour les classes populaires de tout le pays, c’est l’autorité qu’ont gagnée Rajoy et son parti, le Parti populaire (PP), et le fait que Rajoy a réussi à réaliser l’union sacrée derrière sa personne et sa politique.
En effet, dimanche 8 octobre, le drapeau espagnol n’a pas dominé qu’à Barcelone ou à Madrid. Il a été arboré à de nombreuses fenêtres dans tout le pays et pas seulement dans les beaux quartiers mais aussi dans de nombreux quartiers populaires, montrant que les deux nationalismes espagnol et catalan se renforcent l’un l’autre.
Pour l’instant, ce sont les dirigeants nationalistes catalans qui ont perdu la main, d’autant plus qu’ils ne trouvent apparemment pas les appuis qu’ils espéraient du côté de l’Union européenne.
Mais quelle que soit l’issue de la crise, les classes populaires en feront les frais si elles accrochent leurs espoirs et leurs intérêts à l’un des deux camps. Elles s’en trouveront plus divisées, désorientées, affaiblies face à leurs ennemis. Car ceux-ci risquent d’avoir d’autant plus les mains libres pour imposer leur pouvoir et leur politique antiouvrière, aussi bien en Catalogne que dans le reste de l’Espagne.
Henriette MAUTHEY