formation politique un article du monde diplo

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Message par ulm » 07 Sep 2015, 08:15

À quoi servent les formations politiques ?

A l’école des militants


Formation ? Formatage ! La méfiance suscitée par les organisations politiques semble avoir déteint sur leur prétention à éduquer les militants. De Lutte ouvrière au Front national, comment les partis conçoivent-ils désormais leur fonction pédagogique ?

par Allan Popelard, janvier 2015


Ce 11 avril dernier, une foule compacte s’assemble devant le palais de la Mutualité. Une banderole jaune à lettres rouges — « Cercle Léon Trotski » — ondule sur la façade. Des militants de Lutte ouvrière (LO) distribuent le journal Lutte de classe ; d’autres écornent les tickets d’entrée. Quand retentissent les chants révolutionnaires russes, chacun comprend que le moment est venu d’écouter la conférence du soir, consacrée à l’Europe.

Dans la salle, cinq cents personnes environ sont présentes. MM. Pierre Royan et Jean-Claude Garault, des militants, expliquent : « A LO, la formation est essentielle. C’est un principe d’organisation. Le rôle de notre parti est de transmettre la culture du mouvement ouvrier et de lutter contre les idées frelatées. »

« Dans les années 1960 et 1970, les trotskistes de LO, de la LCR [Ligue communiste révolutionnaire] et de l’OCI [Organisation communiste internationaliste] possédaient des systèmes de formation qui se ressemblaient beaucoup, explique Jean-Jacques Marie, historien de l’Union soviétique et membre du Parti ouvrier indépendant (POI). Celui qui voulait adhérer devait préalablement être formé. A la LCR, il existait des “cercles rouges” et, à l’OCI, des “groupes d’études révolutionnaires”. Il s’agissait de réunions de formation dont la fréquence et la durée, entre six mois et un an, variaient selon la disponibilité des formateurs. Le plus souvent, elles se concluaient par un camp d’été d’une semaine au cours duquel on intégrait les militants qui avaient été sélectionnés. Dans les camps d’été, on mêlait les questions générales — les forces productives ont-elles cessé de croître ? — aux problèmes plus immédiats de stratégie d’intervention politique. »

Sans aucun doute, le fractionnement des groupes trotskistes et leur combat idéologique contre le Parti communiste français (PCF) permettent d’expliquer la vigueur intellectuelle que connurent de telles écoles. De ces années 1960 et 1970, le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) et l’OCI gardent des traces. Les revues, brochures, journaux restent nombreux, et le NPA comme le POI possèdent une librairie militante permanente (comme la Fédération anarchiste, d’ailleurs, qui dispose aussi d’une radio). LO, elle, n’en a pas, mais la culture écrite reste déterminante. Au palais de la Mutualité, la littérature occupe une place de choix parmi les livres en vente, caractérisés par leur diversité. « Les romans comptent beaucoup dans l’apprentissage des militants, poursuivent MM. Royan et Garault. John Steinbeck, Erich Maria Remarque, Jack London ou Panaït Istrati permettent tout aussi bien que les œuvres marxistes de comprendre l’exploitation salariale. »

Cependant, à LO comme dans les autres partis de gauche, la chute du nombre de militants et leur vieillissement ont entraîné le déclin de la formation — une tendance qui s’inscrit, plus largement, dans l’histoire des défaites du mouvement ouvrier. Depuis sa naissance au XIXe siècle, celui-ci s’est toujours doté de systèmes de formation. Ecoles d’orateurs, universités et causeries populaires, camps d’été sont quelques-unes des déclinaisons qu’ils ont prises. Destinée à forger une conscience de classe, la formation s’apparentait à cette « science du malheur » qu’évoquait l’anarchiste Fernand Pelloutier, sans laquelle aucune souveraineté populaire ne paraissait possible. En France, le PCF lui a donné sa tournure la plus aboutie. S’inspirant de l’école du Parti social-démocrate allemand, « le PCF a mis en place, dès les années 1920, en pleine période de bolchevisation, un cursus scolaire hiérarchisé et centralisé », explique la sociologue Nathalie Ethuin. Comprenant des écoles élémentaires à l’échelle locale, des écoles fédérales à l’échelle départementale et des écoles centrales à l’échelle nationale, il proposait également à certains cadres nationaux et fédéraux un séjour d’un an à l’Ecole léniniste internationale (ELI) de Moscou.

« Contrairement aux autres partis, la sélection des cadres du PCF reposait sur une représentation en miroir de la société », poursuit Ethuin. De Maurice Thorez à Georges Marchais, la « démocratie sociologique (1) » du PCF a contribué, entre les années 1930 et 1990, à faire émerger des cadres issus de la classe ouvrière. « Les dirigeants avaient conscience que, si on laissait faire les choses, un “cens caché” opérerait inévitablement le tri social entre les militants. Il fallait donc offrir aux ouvriers un capital scolaire de substitution et les faire monter coûte que coûte dans l’appareil en assurant leur promotion sociale. »

La mise en place du système de formation du PCF a toutefois créé certaines difficultés. La production de la doctrine est entrée en conflit avec l’autonomie des intellectuels. La pensée pédagogique, que certains de ses militants, comme le pédagogue Célestin Freinet, avaient pourtant théorisée, n’a pas eu droit de cité. Cours magistraux, répétitions, évaluations, notes rythmaient la vie scolaire du parti. Mais les militants s’en accommodaient, car « la soumission à l’autorité partisane [valait] mieux que la domination patronale (2) ».

De ce système, peu d’éléments subsistent. Des week-ends de formation, comprenant notamment des cours de philosophie et d’économie marxistes, sont proposés aux fédérations qui le souhaitent. Quant à l’école des cadres, elle a été restaurée après avoir disparu à l’époque où M. Robert Hue dirigea le PCF, de 2001 à 2003. Elle n’a cependant que peu de chose en commun avec les structures passées. « La dernière école des cadres de quatre mois s’est tenue en 1994. Trois ans après, la durée des stages était limitée à cinq jours seulement. Enfin, l’école centrale de Draveil a fermé en 2002 », nous explique Ethuin. Les raisons de ce délitement sont d’abord matérielles : « L’effondrement des scores électoraux et l’hémorragie militante posent des problèmes de financement et d’encadrement majeurs. » Si le PCF demeure le parti le plus socialement diversifié, la disparition progressive de son école a accentué les mécanismes censitaires de la délégation : « Les ouvriers disparaissent peu à peu des instances représentatives », conclut Ethuin.

Même escamotée, l’école du Parti communiste reste un modèle pour les autres organisations politiques. Le Parti de gauche (PG) dispose maintenant d’une « école des militants » centralisée. Durant deux sessions de quatre jours, ces derniers, venus de toute la France, reçoivent un enseignement comprenant trente-cinq cours magistraux d’une heure trente chacun. Au programme, des éléments théoriques (économie marxiste, histoire des révolutions, histoire de l’extrême droite), programmatiques (la VIe République, la planification écologique) et pratiques (organiser un meeting, « militer dans le droit et la sécurité »). Ce système de formation s’adosse à une collection d’ouvrages publiés chez Bruno Leprince et à un dispositif médiatique (le journal A gauche, la Télé de gauche, la Radio de gauche), que complètent les meetings et le blog de M. Jean-Luc Mélenchon en réactualisant la forme didactique et politique de l’université populaire.

Composé de militants souvent jeunes et dénués d’expériences partisanes antérieures, le PG n’a d’autre choix que de les former. Il arrive cependant que certains comités manquent cruellement de savoir-faire : « Dans le Morbihan, observe le secrétaire départemental du parti, pour ce qui est des tâches logistiques, nous dépendons du Parti communiste. Quand il faut aller en préfecture déposer des listes, par exemple. Heureusement, nous entretenons d’excellents rapports avec ses membres. »

Devant les militants réunis au siège du PG dans le 18e arrondissement de Paris, M. Benoît Schneckenburger, secrétaire national à la formation, résume la situation en ces termes : « Il faut que nous soyons un parti en ordre de bataille et pas seulement des individus qui se regroupent sur une base sentimentale. Nous devons être des militants capables de transmettre la culture du mouvement ouvrier. Car il ne suffit pas d’avoir une bonne idée pour qu’elle se déploie. »

Quarante-cinq minutes pour présenter
deux siècles de pensée économique…

Exception faite de fédérations ouvrières puissantes comme la Seine ou le Nord, le système de formation de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) puis du Parti socialiste (PS) n’a, quant à lui, jamais été aussi construit que celui du PCF. « Bien que le socialisme d’éducation ait toujours existé, avec ses brochures, ses camps d’été, ses universités populaires, observe l’historien Alain Bergounioux, par ailleurs membre de la direction du PS, nous n’avons pas éprouvé le besoin d’édifier une “contre-société”, avec son école du parti, ses enseignants et ses manuels prolétariens. »

Convaincus que le socialisme serait le couronnement de la République, les socialistes français ont considéré que l’école publique suffirait à former des citoyens éclairés. La hausse significative du niveau éducatif des Français au cours des années 1980 a entraîné l’abandon progressif de la formation partisane. Dans le même temps, le divorce entre le PS et le monde ouvrier a renforcé la croyance méritocratique à l’intérieur du parti. Dans une organisation de plus en plus homogène socialement, les diplômes ont peu à peu supplanté l’expérience militante : Sciences Po, Ecole nationale d’administration (ENA), Ecole normale supérieure (ENS) ou Hautes Etudes commerciales (HEC) fonctionnent comme des passe-droits (3).

« Le Parti socialiste n’est plus un lieu où on accède à un capital culturel, nous explique le sociologue et membre du PS Rémi Lefebvre. Aujourd’hui, on l’obtient par le diplôme ou bien on se forme soi-même. Le parti comme intellectuel collectif n’existe plus. Même dans les courants situés à la gauche du PS, où ont toujours existé une subculture et la volonté de faire vivre un entre-soi, on observe une désorientation intellectuelle. » Après le congrès d’Epinay en 1971, la formation constituait pourtant une priorité : « On pensait que la SFIO était morte en quelque sorte de n’avoir pas accordé suffisamment de place à la formation de ses militants », écrivait alors M. Pierre Joxe (4). Chargé du secrétariat national à la formation, il a multiplié par trois le budget qui lui était alloué (5), ce qui a notamment permis de consolider les structures d’encadrement au niveau fédéral et de lancer la Nouvelle Revue socialiste.

Dans les faits, cependant, les « courants » ont assuré l’essentiel du travail. Ces derniers encadraient des séminaires de formation, organisaient des universités d’été et éditaient brochures et revues : Les Cahiers du CERES et Repères pour les proches de M. Jean-Pierre Chevènement ; Les Cahiers de l’ERIS et Synthèse flash pour les militants proches de Jean Poperen ; ou encore Faire pour les soutiens de M. Michel Rocard. Les oppositions idéologiques et stratégiques, alors très marquées, ont fait des courants les creusets intellectuels du parti. Depuis le congrès de Rennes du PS en 1990, leurs alliances sans queue ni tête ont signé la fin de cette période.

Emportés dans la danse hédoniste des décennies 1980 et 1990, les socialistes ont mis leurs pas dans ceux des néolibéraux. Les lois de la domination sociale ont cessé d’être l’objet d’un travail d’élucidation intellectuelle. « Il n’y a qu’à voir La Revue socialiste, que je dirige, nous confie Bergounioux. Le malheur y est décrit abstraitement. Ce n’est pas parce que nous l’ignorons. Mais c’est parce que nous ne le ressentons pas dans notre vie quotidienne. » En témoigne la dernière université permanente des cadres fédéraux du PS. Lors du troisième et dernier week-end de formation organisé en avril dernier, le parti a chargé l’économiste Gilles Raveaud d’exposer aux militants de la « promotion Stéphane Hessel », réunis dans la salle du bureau national, les grandes écoles de la pensée économique. En quarante-cinq minutes, il a présenté l’école néoclassique, le keynésianisme, le marxisme et l’écosocialisme de Karl Polanyi. Une gageure qui relève presque de l’exercice de style.

Depuis la chute du modèle soviétique et la fin des grands récits d’émancipation collective, le PS, qui s’est adapté idéologiquement à l’air du temps, ne représente plus le lieu de production d’une théorie autonome capable d’éclairer l’action populaire. La formation a cessé d’y être considérée comme l’une des modalités — concrètes — de la transformation sociale.

Lessivée dans l’idéologie antitotalitaire et la « culture du narcissisme (6) », la figure du militant ouvrier a été dévalorisée par les couches moyennes intellectuelles. Des soupçons se sont portés sur l’engagement partisan, ramené à une forme d’embrigadement, et sur la formation, conçue comme un formatage. En découle une « démagogie d’organisation où l’on promeut chaque militant au statut de théoricien (7) ». Et une sensibilité particulière à l’opinion et aux sondages, comme le montre la conversion des socialistes aux primaires (8). Dès lors que celles-ci placent sur le même plan militants et sympathisants, à quoi sert-il de former les premiers ?

Nul parti mieux que les Verts ne symbolise cet état d’esprit réfractaire à la pensée appareillée. « Il y a une forme de liberté chez les Verts, observe Vanessa Jérome, sociologue et militante écologiste à Clamart, laquelle conduit souvent à une inorganisation interne dont le taux de rotation des militants, de l’ordre de 30 à 50 % par an, est le révélateur (9). » Depuis 2004, des formations régionales ont tenté de le contenir. « Mais on ne peut pas dire que cela fonctionne vraiment. » Si les Verts diffusent leurs idées grâce à des maisons d’édition indépendantes comme Les Petits Matins et Le Passager clandestin et des revues comme Ecorev’ ou Multitudes, leur librairie, Ecodiff, elle, n’existe plus depuis 2010. « De toute façon, les militants lisent très peu. Rares sont ceux qui connaissent Jacques Ellul ou André Gorz. Il n’y a qu’à comparer les textes fondateurs des Verts avec ceux d’EELV [Europe Ecologie - Les Verts] pour voir que le parti se désintellectualise. »

Pour les écologistes, fortement diplômés, l’école de parti semble au mieux inutile, au pis dangereuse. L’aversion des Verts pour la culture ouvriériste transparaît derrière ce choix. « Je n’ai jamais vu autant d’anticommunistes que chez les Verts, poursuit Jérome. Le PCF, c’est le vrai modèle repoussoir. Pas seulement en raison du corpus idéologique productiviste, mais aussi de leur pratique militante. » Et de préciser : « Chez les Verts, on ne tiendra jamais les militants par la main, parce que l’autonomie et la responsabilité sont au fondement de nos valeurs. »

Empreint de la croyance en la liberté de conscience et de la volonté de maintenir la dimension artisanale des partis pour la garantir, EELV partage avec le Mouvement démocrate (MoDem) une même méfiance envers les structures trop hiérarchiques (10). Carré dans le fauteuil de son bureau, le représentant des Jeunes Démocrates, M. Antoine Carette, écarte d’un sourire nos questions, jugées saugrenues. Des formations sur l’histoire du centre ? « Non, cela n’existe pas, mais c’est dans le livret d’accueil. » Un journal ? « Cela demanderait d’avoir des salariés. » Un service d’ordre composé de militants ? « Pour quoi faire ? Nous ne manifestons jamais ! » Et une école du MoDem ? « Vous savez, nous sommes des pragmatiques, pas des idéologues. C’est pour cela que nous pouvons discuter aussi bien avec la gauche qu’avec la droite. »

A la différence des catholiques de gauche, les militants centristes ne sont pas les dépositaires d’une tradition de formation intellectuelle. « Nous avons connu plusieurs tentatives de formation centralisée. François Bayrou avait la volonté de mettre en place des conférences toutes les deux à trois semaines sur des sujets précis. Mais c’est extrêmement lourd… » Dans un parti plus soucieux de maintenir l’ordre social que de le subvertir, la formation des militants importerait peu : « La meilleure façon d’être formé, c’est d’être au contact d’un élu », résume M.Carette. « Mieux, c’est d’être élu… Quand on est élu, on a accès à notre institut de formation, l’IFDI [Institut de formation des démocrates et des indépendants]. »

Avec l’Institut de formation des élus locaux et cadres politiques (Iforel, Front national), l’Association nationale pour la démocratie locale (ANDL, Union pour un mouvement populaire), Condorcet Formation (PS), le Cédis (EELV), le Centre d’information, de documentation, d’étude et de formation des élus (Cidefe, PCF), l’IFDI est l’un des multiples organismes agréés par le ministère de l’intérieur et le Conseil national de la formation des élus locaux. Alors que rien de tel n’existe pour les militants des partis (contrairement à ceux des syndicats, par exemple), la formation des élus est devenue, à la faveur des lois sur la décentralisation, un droit individuel garanti par la loi.

Signe de la professionnalisation de la politique, le terme de « formation » s’est substitué à celui d’« éducation » dans le vocabulaire des partis. Alors que le premier évoque l’acquisition d’une compétence professionnelle, le second désignait un processus global d’appropriation de la culture. Dans le même temps, l’externalisation de plus en plus fréquente accentue la dilapidation du savoir-faire militant : aux clubs et aux think tanks, la production théorique ; aux prestataires extérieurs, la maîtrise des tâches techniques (organisation des meetings, production et analyse de sondages, collage d’affiches...) (lire l’encadré « Des « communicants » à la rescousse »). Enfin, la présidentialisation et la baronisation des institutions sous la Ve République ont cimenté la division des rôles à l’intérieur des partis en délégitimant la production collective des idées et la nécessité de les transmettre à tous les militants grâce à la formation.

« Xavier ! Xavier ! Xavier ! » A l’hippodrome de Marcq-en-Barœul — une commune cossue de la métropole lilloise —, les militants des Jeunes Populaires trépignent d’impatience. Imperméable et parapluie, M. Xavier Bertrand s’approche à grands pas. Moment important de la formation à l’Union pour un mouvement populaire (UMP), l’édition 2014 du Printemps des Jeunes Populaires propose des ateliers thématiques sur l’Europe, entrecoupés de sessions plénières et couronnés par un meeting. L’ambiance n’est guère studieuse. Dans les travées, rares sont ceux qui prennent des notes. A la tribune, les élus semblent plus soucieux de leurs bons mots que de former et structurer des idées.

Bien que les partis de droite aient connu ces dernières décennies un mouvement d’institutionnalisation, leurs fonctions d’encadrement, de mobilisation et de socialisation ont historiquement toujours été moins développées qu’à gauche. Disposant de points d’appui et de relais solides dans la société (école, presse, cercles élitaires…), « la droite n’a pas inventé le parti [parce] qu’elle n’en avait pas besoin », résumait l’historien René Rémond. Nonobstant les références répétées de MM. Nicolas Sarkozy, François Fillon et Patrick Buisson à la théorie de l’hégémonie culturelle de l’intellectuel marxiste Antonio Gramsci, la place marginale de la formation à l’UMP l’atteste.

Sweat à capuche bleu sur le dos, un groupe de jeunes militants nous déclare : « Nous, on est des libéraux. On défend le fait que les gens puissent penser ce qu’ils veulent. Quand vous regardez les militants de gauche, ils ont un discours stéréotypé », avance l’un. « Ça fait robotique, on a l’impression qu’ils ne réfléchissent plus par eux-mêmes », complète l’autre. « La droite, elle, est moins dogmatique. Nous aussi on a des idées, mais c’est aux militants de les découvrir par eux-mêmes. Ça doit se faire naturellement et non par le biais du parti », conclut le dernier. Amateurisme ? Pianotant sur son téléphone, un œil rivé sur l’écran de télévision, le délégué national des jeunes, M. Stéphane Tiki, se défend : « Nous faisons beaucoup pour la formation à l’UMP. Après, c’est vrai que la priorité d’un parti est d’abord de gagner les élections et que notre force, à l’UMP, c’est que chacun conserve son bagage culturel. Si les gens veulent se former, ils peuvent le faire. Il suffit d’aller sur Google ou sur les chaînes d’information en continu… »

Quand les médias abolissent les clivages idéologiques

Tout se passe comme si les nouvelles techniques d’information et de communication frappaient d’obsolescence les structures de formation partisane. S’il leur arrive d’en transformer le périmètre (media training, utilisation des réseaux sociaux), elles ont contribué à valoriser la forme aux dépens du fond. « Aussi bien au PS qu’à l’UMP, on a assisté à l’augmentation de la part des dépenses de communication, observe le sociologue Philippe Riutort. L’obsession des sondages et la course à la popularité ont produit un type de discours spécifique valorisant le consensus. Des citations de Jean Jaurès dans les discours de Sarkozy à l’“ordre juste” chez Ségolène Royal, la médiatisation a contribué à abolir les clivages idéologiques. »

Adepte de la « triangulation » (l’art de puiser chez l’ennemi politique des arguments susceptibles de lui dérober des électeurs), l’extrême droite tire elle aussi parti des nouveaux médias pour diffuser en les polissant les idées des « anti-Lumières ». Artisan de la mise en place de la formation au Front national à la fin des années 1980, M. Bruno Mégret se souvient : « Quand je suis arrivé au FN, il sortait à peine de la gangue de l’extrême droite. Selon l’endroit où vous vous trouviez, le FN n’était pas le même. S’y côtoyaient des catholiques traditionalistes, des petits patrons et des partisans de l’Algérie française. Mon travail a consisté à homogénéiser la doctrine, le discours et le programme. » Au cours de séminaires de quarante-huit heures fonctionnant en circuit fermé, les cadres recevaient une formation sur le fond et sur la forme. « Nous prêtions une attention toute particulière aux éléments de langage. Il fallait absolument veiller à ne pas utiliser les mots de l’adversaire — dire “préférence” plutôt qu’“exclusion”, “catégories socio-professionnelles” plutôt que “classes sociales” — et à introduire notre propre vocabulaire dans le débat politique — le concept d’“identité”, par exemple. »

Un document interne au FN détaillait cette stratégie il y a déjà plus de vingt ans (11). Il prescrivait positions et dispositions corporelles — « Il vaudra mieux paraître posé, calme, pondéré plutôt qu’agité, excité et, pire, véhément » — et interdisait certains codes vestimentaires comme « le style boule à zéro, skinhead » ou « le style béret avec brochettes d’insignes et tenues militaires ». « En somme, nous devions dédiaboliser le parti », conclut M. Mégret. Si son départ du FN en 1998 a privé un temps celui-ci de ses ressources militantes et financières, la stratégie qu’il recommandait a depuis réussi.

S’il existe aussi des formations dans les fédérations, la transmission d’une idéologie commune aux quelque soixante-dix mille militants revendiqués par le FN ne semble pas faire partie des priorités. Dans son bureau au siège du FN, le secrétaire national à la formation, M. Louis Aliot, précise : « Dès que nous en avons eu les moyens, nous avons créé le Campus Bleu Marine. Il s’agit d’un portail numérique ouvert aux cadres, où il est possible de trouver des fiches sur des éléments techniques, des notes de lecture sur les grands classiques comme Aristote ou Machiavel, ou des éléments d’histoire politique. Moi, par exemple, je dois me charger d’une note sur l’histoire du FN. » En construction, le portail numérique, « utile pour repérer [grâce aux connexions] les militants investis », devrait être complété prochainement par la création du club de réflexion Idée-Nation et d’une maison d’édition.

Reste que le FN n’a rien d’un parti ouvrier. Le rattrapage scolaire ne compte pas au nombre des missions qu’il s’est assignées. Tout juste offre-t-il à ses militants des plans de carrière. « Nous sommes un parti neuf, qui donne à ceux qui le veulent l’opportunité de faire de la politique, comme Fabien Engelmann à Hayange, par exemple », observe M. Aliot. On peut imaginer que le FN a délégué la formation théorique aux groupes de la nébuleuse d’extrême droite. De Civitas aux Jeunesses identitaires (12), les organisations contre-révolutionnaires, qui entretiennent une relation de concurrence et de complémentarité avec le FN, lui accordent en effet une place importante. A moins que l’air du temps ne soit à ce point rembruni que l’extrême droite abandonne désormais l’ensemble de sa formation aux journaux télévisés...


Allan Popelard

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Re: formation politique un article du monde diplo

Message par com_71 » 07 Sep 2015, 16:27

Allan Popelard a écrit :
LO, elle, n’en a pas [de librairie militante permanente], mais la culture écrite reste déterminante. Au palais de la Mutualité, la littérature occupe une place de choix parmi les livres en vente, caractérisés par leur diversité. « Les romans comptent beaucoup dans l’apprentissage des militants, poursuivent MM. Royan et Garault. John Steinbeck, Erich Maria Remarque, Jack London ou Panaït Istrati permettent tout aussi bien que les œuvres marxistes de comprendre l’exploitation salariale. »

Cependant, à LO comme dans les autres partis de gauche, la chute du nombre de militants et leur vieillissement ont entraîné le déclin de la formation — une tendance qui s’inscrit, plus largement, dans l’histoire des défaites du mouvement ouvrier.


En somme, des défaites dont on ne pourrait rien apprendre. Vieillissement neuronal sans doute... :( :(
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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