(blog de Nathalie Arthaud 25 03 2012 a écrit :L’Internationale sera le genre humain
Au-delà de l’horreur des faits eux-mêmes, il y a une des conséquences du drame de Toulouse qui risque fort d’empoisonner une campagne qui vole déjà bien bas. J’entends déjà la droite et l’extrême droite se jeter comme des charognards sur cette terrible actualité pour distiller leurs mensonges et leurs stupidités xénophobes. Avec pour résultat que toute cette fin de semaine, j’ai été interrogée encore et encore par les journalistes sur le « danger salafiste » en France. Les sorties de Marine Le Pen ont apparemment porté leurs fruits.
Je trouve insupportable de profiter de ce drame pour relancer un débat sur l’immigration. Dès le début des événements, j’ai dénoncé les arrière-pensées électorales des candidats face à la tuerie de Toulouse. Eh bien, les faits n’ont pas mis longtemps à me donner raison ! Les voilà qui se servent, sans vergogne, des enfants tués devant l’école Ozar Hatorah pour distiller leur venin nationaliste – dans le but, encore, toujours, de diviser, de creuser un fossé entre les travailleurs.
Alors, face à ce déferlement attendu de stupidité xénophobe, je tiens plus que jamais à affirmer mon internationalisme. À affirmer l’idée que pour moi, la seule division réelle qui existe dans la société n’est pas entre les peuples mais entre les classes sociales, entre les riches et les pauvres, entre les exploiteurs et les exploités, quelle que soit leur nationalité.
La plupart des candidats entament leurs discours en donnant du « chers compatriotes », quand ce n’est pas « Françaises, Français ». Moi, comme l’a fait Arlette Laguiller pendant toutes les années où elle a représenté Lutte ouvrière, je démarre toujours par « Travailleuses, travailleurs » Ce n’est pas, comme le disent bon nombre de journalistes, une « marque de fabrique » – c’est-à-dire une espèce de « truc de com’ » – mais l’expression de convictions profondes : il y a un certain nombre de « Français » auxquels je n’ai aucune envie de m’adresser (ils s’appellent, par exemple, Vincent Bolloré, Martin Bouygues, Robert Peugeot, Liliane Bettencourt, Bernard Arnault, etc.) ; et à l’inverse, il y a dans ce pays des millions de personnes à qui j’ai bien des choses à dire mais qui ne sont nullement « Français » : ce sont les travailleurs immigrés.
C’est cela, entre autres, que signifie être « internationaliste ». Pour moi, la division essentielle qui marque la société ne se fait pas sur la nationalité, mais sur la classe sociale à laquelle on appartient.
L’idée qu’il y aurait une communauté d’intérêt, une solidarité naturelle, entre les personnes partageant la même nationalité, cache toujours un piège pour les travailleurs. Les appels à la solidarité nationale retentissent toujours avec d’autant plus de force que la situation est critique et dangereuse : lors des guerres, et lors des crises.
Lors des guerres, par exemple lors des deux guerres mondiales du XXe siècle, on a fait vibrer la corde de la « patrie en danger » pour envoyer les travailleurs au massacre – les travailleurs français aussi bien que les travailleurs allemands, et tant d’autres. Déjà à l’époque, bien sûr, les dirigeants de la société, les médias, les partis politiques, expliquaient que toute la « communauté nationale » devait participer à l’effort de guerre. Au final, « l’effort de guerre » a été partagé… à la manière qu’affectionnent les bourgeois : pour les travailleurs, des millions de morts et de blessés et des souffrances sans nom. Pour les patrons, de gigantesques bénéfices réalisés sur les commandes de guerre.
Et il en va de même de la crise que nous traversons : les Sarkozy et les Hollande n’ont à la bouche que « l’intérêt national », que « la nécessité pour le pays de payer ses dettes ». Mais ces gens-là n’utilisent ces termes que pour tromper leur monde. Ils savent très bien, eux, que lorsqu’ils disent « nécessité pour le pays de payer ses dettes », il faut entendre : « nécessité pour les classes populaires de ce pays de payer les dettes contractées au profit de la grande bourgeoisie. »
L’extrême droite a toujours fait du patriotisme et du nationalisme son fonds de commerce. Mais, depuis des décennies, la gauche fait de même. Le Parti socialiste, puis le Parti communiste, ont chacun leur tour cédé aux sirènes du patriotisme, du chauvinisme ridicule, des hommages à Jeanne d’Arc et autres balivernes. Au point que le nationalisme affiché par les dirigeants de gauche ne choque aujourd’hui plus grand-monde : il n’y a qu’à écouter Jean-Luc Mélenchon et ses hommages, répétés à chaque meeting, à « notre patrie ».
On en oublierait presque que le mouvement ouvrier, à ses débuts, s’est fondé sur le rejet absolu de tout nationalisme, sur l’idée que les travailleurs n’ont justement pas de patrie, sur un combat sans relâche pour défendre la solidarité internationale des travailleurs. « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! », disait déjà le Manifeste communiste de 1848 : les travailleurs du monde entier ne forment qu’une seule classe sociale, les ouvriers et les ouvrières du bout du monde, qu’on cherche à nous présenter comme des concurrents – quand ce n’est pas comme des ennemis – sont nos frères et nos sœurs ! Et nos ennemis, nos pires ennemis, c’est dans ce pays qu’ils se trouvent : ce sont les capitalistes français.
À la fin des meetings de Lutte Ouvrière, on ne chantera jamais la Marseillaise – comme le font le Parti Socialiste ou le Front de gauche. Parce que la Marseillaise n’a, aujourd’hui, plus rien à voir avec ce qu’elle a été il y a deux siècles : le chant de la révolution française. Elle est aujourd’hui ce que je déteste le plus, c’est-à-dire un chant patriotique, un chant qui exprime le poison nationaliste, le chant qu’on entonne dans les défilés militaires… et dans les meetings du Front national.
Je laisse bien volontiers aux militaires et à l’extrême droite les chants patriotiques, où l’on veut abreuver ses sillons avec du « sang impur ». Mes camarades et moi, nous gardons L’Internationale, l’hymne des travailleurs, le chant de la révolution internationale, le chant qui dit qu’un jour « l’Internationale sera le genre humain » !