a écrit :Pour une psychiatrie démocratique
27 Mars 2012 Par jean-pierre Martin
POUR UNE PSYCHIATRIE DEMOCRATIQUE
Parler de psychiatrie, c’est parler de liberté, car, qu’on le veuille ou non, quels que soient les débats qui peuvent et doivent se dérouler, à partir de cette proposition fondamentale : la psychiatrie n’existe que du fait que des hommes sont en difficulté sur une problématique de liberté.
Après des décennies de créativité, la psychiatrie publique est à nouveau confrontée à son aggiornamento.
Son affirmation dans les luttes, depuis l’après guerre, contre l’exclusion asilaire et carcérale, après celui de la résistance aux dérives totalitaires des nationalismes du 20ème siècle, son développement hors des murs d’enfermement, ses avancées thérapeutiques institutionnelles médicales et psychologiques, s’est prolongée dans l’accompagnement des patients dans leur vulnérabilité, leur précarité, vers l’accès à un logement, à un travail et à un minimum digne de ressources, dans un engagement vers ce que Franco Basaglia nomme les « besoins pratiques » des malades.
Ce mouvement est aujourd’hui confronté à un déni de la liberté de penser et de pratiquer au nom du paradigme de la science et de la modernité du management de l’entreprise néolibérale. Il en résulte des restrictions de l’acte de soigner et l’apparition d’interdictions professionnelles comme celle, récente des recommandations de l’HAS sur l’autisme qui met au pilori la psychanalyse au nom de son manque d’efficience comme technique individuelle. La maladie est réduite à un handicap évaluable, donnant lieu à de nouvelles prestations réelles, mais sur critères administratifs et non de droit, et aussi à des « bonnes pratiques » de prise en charge purement symptomatiques, au détriment du travail subjectif et des liens sociaux collectifs. Dans la pratique, la pleine subjectivité du sujet en souffrance, les réciprocités humaines qui fondent le soin et constituent son réel accompagnement sont marginalisés comme une simple technique. Ces pratiques de maitrise des coûts et des corps, que Michel Foucault a décrit comme dépassement de la société disciplinaire vers une société de surveillance tend à s’inscrire dans un contrôle social généralisé, où l’imprévisibilité du psychisme humain est réprimée. Outre la destruction des services publics, ce sont les droits sociaux fondamentaux, les droits de l’homme et la dignité du sujet qui sont déniés.
Ce paradigme idéologique du résultat par le chiffre et ses diagrammes accompagne concrètement la remise en cause de toutes les valeurs collectives (services publics, protection sociale, accueil inconditionnel, processus démocratiques…), bien commun d’intérêt général, au profit d’entreprises du marché concurrentiel et marchand qui tentent une OPA sur le soin psychique. L’évaluation de l’efficience par catégorie de handicaps marque une aggravation du dévoiement des politiques publiques vers une addition de programmes public-privés, à court et moyen terme, et une extension d’exclusions multiples et cumulées, proclamée politique de santé mentale.
Or ce cours politique de santé mentale s’impose aujourd’hui, dans l’Union Européenne, vers une ample restructuration de la psychiatrie qui vise à désengager l’Etat de sa dimension de régulation sociale, en déplaçant le poids des financements publics du sanitaire d’Etat vers les collectivités locales, l’associatif et le privé, dans une absurde mise en concurrence entre le soin psychique et son accompagnement social. Il en résulte un brouillage généralisé de la place de chacun, la précarisation généralisée des soignants, travailleurs sociaux, éducateurs qui rejoint celle des inégalités et insécurités sociales de la majorité de la population et des patients et leurs familles. Ce « réalisme » politique produit une santé mentale dite « positive » d’accompagnements, sur critères de ressources et d’évaluations de handicaps, qui donnent lieu à des programmes d’insertion et de logements non pérennes et des formes d’exploitation du travail « protégé » au nom du handicap.
Il n’y a donc pas de psychiatrie démocratique possible dans ce paradigme managérial qui réduit la gestion publique aux coûts de programmes soumis à la logique capitaliste de « modernisation » de la santé, qui met en place de nouveaux instruments gestionnaires et vide le secteur de son sens soignant généraliste au nom d’une gestion performante, qui repose sur la domination de la technocratie médico-administrative hospitalo-centrique, qui transforme le service public en dispositif concurrentiel avec le privé, et banalise la folie à la science médicale. Cette nouvelle gouvernance de la psychiatrie qui s’inscrit dans la loi Hôpital Patients Santé Territoire (2009) pour l’ensemble de la santé, est précisément décrite dans le rapport d’Edouard Couty (président de la commission ministérielle Missions et organisation de la santé mentale et de la psychiatrie), qui prône une différenciation dans le financement selon les structures, ce qui clive une réelle continuité des soins de sa finalité d’intérêt général. La traçabilité informatique marginalise les contenus subjectifs et sociaux du soin, et a pour effet de contester les théories du soin psychanalytiques en faveur des neurosciences, aux critères plus évaluables sur le plan comptable.
Il n’y a donc pas de psychiatrie démocratique possible dans cette surveillance des coûts qui s’accompagne de celle des « bonnes pratiques » et du fichage des patients, entrainant une atteinte aux libertés individuelles et publiques par son intégration dans une nouvelle pénologie fondée sur la répression de toute déviance par sa criminalisation, véritables politique de la peur.
La loi sécuritaire sur la psychiatrie du 5 juillet 2011 relative « aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et à leurs modalités de prise en charge » rend compte de ce cours, déjà amorcé par celle du 27 juin 1990. Elle accompagne ce cours gestionnaire et ces restructurations du secteur sanitaire, et se généralise au social, à l’éducation et à l’associatif au nom d’une supposée « dangerosité » par nature des comportements liés à la souffrance psychique, avec l’introduction du soin obligatoire à domicile, la réduction des lieux d’accueils à une mise en observation contrainte de 72 heures à l’hôpital (garde à vue psychiatrique), et le fichage sans véritable droit à l’oubli. Ces mesures sont dans la continuité répressive de la loi de rétention de sûreté et contre la récidive au niveau judiciaire.
Si le gouvernement a du intégrer la décision du Conseil Constitutionnel qui exige que le juge des libertés et de la détention autorise la prolongation d’une hospitalisation sous contrainte au 15ème jour, qui, bien qu’à mi-chemin d’une autorisation judiciaire de privation de liberté dès le début de la contrainte comme dans la majorité des pays européens, est une véritable avancée pour les droits des patients, la loi tend à le banaliser en maintenant l’amalgame historique (loi du 30 juin 1838) de l’obligation de soin avec l’ordre public (tutelle du préfet représentant de l’Etat). Son application brutale le 1er août s’avère d’ors et déjà la source de multiples difficultés face aux équipes de soins et aux magistrats exsangues en effectifs. On peut noter également que les plaintes face à cette mesure d’audition du patient par le juge tendent à banaliser le reste de la loi dans ses mesures sécuritaires (extension de la notion de trouble psychiatrique et de soins sans consentement, soins sous contrainte à domicile, garde à vue psychiatrique de 72h à l’hôpital, fichage extensif des antécédents).
Les patients en sont victimes au moins à double titre :
- comme « bons patients » - c'est-à-dire acceptant les soins et ses contraintes -, dépendants des « bonnes pratiques » de la psychiatrie – c'est-à-dire des pratiques normées sur l’efficience immédiate - et des décisions de justice de mise sous tutelles, les psychiatres étant appelés à en être les experts et les régulateurs pour l’ordre public. Le terme usager devient ici synonyme de consommateur, dont les restes à charge s’aggravent d’année en année (franchises, forfait hospitalier, limitation des ALD…).
- Comme patients qui réagissent négativement aux programmes de soins et d’insertion, souvent déjà exclus de la vie sociale, et à nouveau exclus d’un dispositif, qui n’ont d’autres ressources que l’action caritative avec ses nouveaux lieux de relégation (asiles médico-sociaux, appelés CHRS en France) référés à l’urgence sociale, nouvelles classes dangereuses dans la société, Il n’est donc pas étonnant qu’apparaissent de nombreuses « réactions thérapeutiques négatives » au traitement : le patient opte plutôt de « rester malade que tomber guéri ». (J.B.Pontalis).
Il n’y a pas de psychiatrie démocratique possible dans l’addition de plans de santé mentale qui, au nom de mesures et d’actions à mettre en œuvre contre les ruptures de prise en charge, ignore toute méthode démocratique de concertation : des interlocuteurs choisis par le ministère se rencontrent et celui-ci affirme que la négociation a eu lieu. Les autres acteurs de la santé mentale, c'est-à-dire la majorité, sont alors appelés à entériner le texte issu de cette pseudo-concertation (cette méthode est d’ailleurs la pratique du sarkozysme dans tous les champs de la société). Il en résulte une présentation très technocratique de ce qui occasionne les ruptures de soins selon les tranches d’âge, les publics et les territoires, l’environnement et, the last but not least, les savoirs.
Ce « balayage » des causes de rupture indique simplement la méconnaissance de ce qui fait rupture : la subjectivité du sujet, le déni du temps de soin psychique, les mesures de gestion à flux tendu. Il prend sa part dans l’accélération de l’élaboration et la promulgation de textes législatifs et réglementaires qui transforment de fond en comble l’exercice de la psychiatrie.
Il n’est pas inutile de rappeler que le 1er plan de 2005 a introduit ces dérives, tout en créant un espace d’ouverture vers le financement des associations de familles et des patients. Aujourd’hui, il apparaît que même cette avancée limitée est frappée par la réduction des moyens, au même titre que les dispositifs de la psychiatrie, du médico-social et du social, rendant dérisoire la mise en œuvre de la circulaire du 30 mars 2006, commune à l’ensemble de ces dispositifs, en particulier dans ses termes où la globalisation et la modernisation « associaient » le sanitaire à la prévention, la réinsertion et l’accompagnement comme « politique budgétaire pluriannuelle », en dégageant des « orientations stratégiques communes » de santé mentale, en rendant « lisible l’ensemble des moyens à l’œuvre avec des calendriers budgétaires mieux synchronisés ».
Ce 2ème plan 2012-2016, sous couvert de modernisation et d’adaptation aux réels « nouveaux besoins sociaux », le traduit, essentiellement, comme un plan de redistribution de moyens dans une enveloppe budgétaire en réduction, où le débat sur les contenus et les pratiques du soin et du social devient une maîtrise budgétaire des actes et des programmes dans des temps courts (5 ans). Il prolonge le programme hôpital 2007 et la loi Bachelot de 2009 où :
- les actions spécifiques sur certaines situations symptomatiques se font au détriment de l’action généraliste sanitaire et sociale (dépression, suicide, délinquance, enfance et adolescence, précarités, personnes âgées) et rabattent le collectif sur le soin et l’accompagnement individuel normatif.
- la priorité donnée aux actions d’urgence mobiles sur les dispositifs d’accès aux soins permanents qui prennent le temps nécessaire à la compréhension de la situation de crise et font continuité.
- le glissement de tâches d’accompagnement, et de leur financement, vers le social, le médico-social et le privé, mais aussi de décision d’accès aux soins, dévoiement du travail de réseau généraliste d’accès aux soins et d’accompagnement conventionné vers une structure de réseau administrative interinstitutionnelle. L’introduction du terme « handicap psychique » vient comme un nouveau discours d’invalidation et d’assistance.
- le glissement des tâches de soins vers des personnels formés au rabais (tutorat infirmier) et aux responsabilités contrôlées (texte sur les psychothérapies qui fixe la décision d’engagement à un médecin « contrôleur ») et d’évaluation des profils professionnels. La préoccupation de prendre en compte l’apparition sociale de nouveaux métiers de santé mentale qui est le résultat de démarches créatives et d’évolution de la société sont à resituer dans ce contexte.
- il met l’accent sur la sécurité publique et dans les structures de soins (quand la violence sociale les traverse), en stigmatisant les patients « dangereux » par un sur enfermement et la répression, en lieu et place d’équipes formées et en effectifs suffisants pour aborder la question du passage à l’acte violent pathologique dans une perspective thérapeutique ; à aucun moment il aborde la souffrance des personnels soignants au travail autrement que sous cette forme sécuritaire.
- le plan psychiatrie et santé mentale véhicule de nouveaux besoins sociaux ou le traitement de carences politiques antérieures : il intègre par exemple le droit des patients et des familles et les besoins de connaissance épidémiologiques et de recherche clinique, autant de mesures nécessaires mais qui ne donnent pas le sens réel de ce texte.
Mais plus significatifs encore est la volonté avec la loi du 5 juillet 2011 de réformer la loi du 27 juin 1990 sur les soins sous contrainte et le financement des tâches de sécurisation. La recherche de sécurité face à la « dangerosité » est un retour en arrière considérable car elle clive l’acte dangereux de ses motivations psychiques en objectivant la totalité du sujet à son acte. Cette régression historique se retrouve avec la question des personnes en prison présentant des troubles mentaux, problème qui appelle des suivis psy spécifiques et une réforme du système pénitentiaire, mais qui vient ici justifier la création d’UHSA dans les hôpitaux et le développement d’UMD où sont associés responsabilité médicale et « surveillance périphérique des locaux ».
Le plan psychiatrie et santé mentale est donc un outil politique de destruction du secteur et du service public de psychiatrie, et son intégration dans un ensemble répressif sous la tutelle du ministère de l’intérieur.
Dans cette période de crise et de désenchantement, un espace s’ouvre pour opposer le projet d’une nouvelle psychiatrie démocratique validant sur un mode critique les avancées précédentes.
Nous pouvons les dégager comme suit :
- la psychiatrie est l’enjeu d’un débat national et européen. Les luttes contre l’exclusion psychiatrique et l’enfermement asilaire se sont étendues à de multiples exclusions avec les dispositifs territorialisés. En France la politique de secteur psychiatrique est devenue l’enjeu de nouvelles formes de contrôle social qui associent le retour à la revendication de plus de lits dans les anciens asiles modernisés et la maîtrise sécuritaire. Nos acquits sont à l’inverse ceux de pratiques institutionnelles au sein de la communauté dans lesquelles l’hospitalisation est celle de soins de proximité. L’hôpital n’est donc qu’un moment du soin, articulé à l’accès aux soins inconditionnel et les moyens de sa continuité, intégré à une psychiatrie d’accueil dont les besoins sont élaborés avec les patients en lien avec leur environnement. La fermeture des grands hôpitaux psychiatriques centralisés est donc particulièrement d’actualité.
- le soin psychique doit être conçu comme un bien commun, de droit commun, où la contrainte ne peut se faire, en cas d’extrême nécessité, sans l’autorisation et le contrôle du juge civil. Elle passe donc par l’abrogation des lois du 27 juin 1990 et du 5 juillet 2011.
- la mise en chantier d’une loi programmatique pour une psychiatrie démocratique qui rompt avec les plans de santé mentale actuels et annoncés, et se détermine avec les différents acteurs sanitaires, sociaux, associatifs et politiques. Si le soin psychique est élaboré par les professionnels sur le plan thérapeutique, il s’inscrit dans une politique globale comme des pratiques collectives fondées sur l’éthique du prendre soin.
Pour la penser nous ne manquons pas d’expériences et de pratiques, avec :
- les acquits de la politique généraliste de secteur psychiatrique et des pratiques anti-asilaires, du rapport Demay de 1982. Celui-ci dans la promotion d’Etablissements publics de santé mentale qui s’appuient sur l’élaboration des besoins et de nouveaux dispositifs dans les conseils locaux de santé mentale remet en cause un cadre centralisé par les ARS et l’administration des hôpitaux,
- le refus d’une application attentatoire au soin psychique d’une gouvernance médico-administrative économiste et hospitalocentrée.
- la reconnaissance pleine et entière des associations de patients et des familles, où les droits des patients promus par les textes de 2002 restent largement à appliquer.
Cette expérience fait apparaître des besoins et une éthique des pratiques :
- L’accès aux soins et leur continuité se réalisent dans la communauté. Il est pensé comme une politique d’accueil, de prendre soin et d’hospitalité. l’accès aux soins est libre et gratuit 24h sur 24 dans des structures à proximité des lieux de vie quotidiens, et ouvert, en particulier, pour les populations précaires qui se multiplient sous l’effet des politiques néolibérales. Cela suppose que la finalité des structures soient reconnue et articulée dans l’action commune, ce qui s’oppose à la substitution des cmp et des centres d’accueil par le développement d’équipes mobiles, pratiques qui rendent compte d’un accès aux soins de plus en plus aléatoire, d’absence de continuité, dont le résultat est la multiplication, ces dernières années, des patients à la rue.
- Le soin psychique est fondé sur une clinique de l’altérité avec sa dimension relationnelle et les approches institutionnelles, dans le respect de la dignité et de l’intégrité du sujet en souffrance. Toute pathologie ou souffrance psychique est évolutive et ne peut reposer sur la prédiction de la récidive. Il s’élabore, de façon incontournable, dans le respect de l’intimité du patient, en lien avec les tiers. Le travail de soin est basé sur la réciprocité dans l’échange avec le sujet en souffrance et son entourage, à partir des situations de crise. Les dimensions du social et du culturel, qui fondent tous les liens sociaux, sont les ressources fondamentales qui permettent le repérage d’une psychothérapie possible. Le réseau de soin n’est donc pas une filière standard prévue d’avance, mais une construction avec le patient et les ressources humaines qui l’entourent. La continuité, le temps à prendre, le rôle des tiers en sont les conditions thérapeutiques.
- Les réseaux, cartographie de ressources, sont une proximité essentielle et doivent être reconnus comme un outil à financer.
- Le soin est indépendant des entreprises privées pharmaceutiques et de technologie biomédicale.
- Son évaluation est d’abord qualitative et ne peut être soumis à de strictes considérations gestionnaires et managériales. Les patients ou leurs représentants doivent donner leur accord à tout collectage de données,
- Les patients sont reconnus dans leurs droits fondamentaux, qui se réfèrent à autant de « besoins pratiques », au même titre que tout membre de la société. Cette reconnaissance se constitue sur la singularité de chacun et le refus du tri dans l’admission, l’absence d’accompagnement qui fasse continuité, les violences quotidiennes, en particulier pour les femmes. Ces dérives viennent évidemment alimenter les pratiques sécuritaires (chambres d’isolement, traitements injectables, fermeture des services, vidéo surveillance) et des régressions éthiques qui sont dans la lignée des politiques sécuritaires gouvernementale. Les patients sont à nouveau référés à la « dangerosité » à travers ces « dangerous methods ».
Les droits des patients et des familles (où leurs substituts sociaux et juridiques) doivent être inscrits dans le code civil, en particulier les mesures de protection qui ne peuvent être que transitoires, liées à l’état psychique du moment. Les recours se font de droit au juge des libertés à tout moment. Ceux-ci ont la priorité sur toute mesure préfectorale. Les mesures de contrainte ne peuvent être qu’exceptionnelles et donner lieu à un droit à l’oubli après 2 ans. Un observatoire des pratiques doit être mis en place, en lien avec le contrôleur des libertés, pour tout recours éthiques et techniques.
- Les professionnels sont indépendants comme corps constitués, tant dans les contenus des soins que dans leurs formations. Leur recrutement, leur carrière et leur retraite, comme praticiens du service public repose sur un statut national garanti par l’Etat.
- Cette indépendance suppose que chaque soignant se définisse comme intervenant de secteur, ce qui s’oppose à la situation actuelle où les soignants ne sont plus référés au sens de leur métier mais à des profils de poste ciblés sur telle ou telle activité, le temps du soin est réduit à celui d’un protocole, et où le soin est un processus à flux tendu, déshumanisé avec des personnels instrumentalisés en variable d’ajustement budgétaire.
Pour contrer cette destruction de pratiques soignantes, des revendications précises doivent être élaborées qui rompe avec le brouillage actuel où, entre autres, les infirmiers sont remplacés par des aides soignants, les soignants remplacés par des travailleurs sociaux ou associatifs, où la mobilité « bouche trou » et le substitut social deviennent la règle. Elles passent donc par des formations généralistes, contre les formations actuelles d’adaptation à ce morcellement des tâches et des qualifications.
- La question de l’insertion sociale est reliée à cette démarche globale et liée étroitement à une protection sociale fondée sur la solidarité, et à toutes les créativités culturelles. La lutte contre les exclusions en est aujourd’hui un élément majeur qui mobilise la santé, l’action sociale, le logement, l’éducation, le travail, la culture et l’accueil des immigrations. Son financement doit être une priorité nationale.
- Les besoins de financement sont décidés par les établissements publics de santé mentale après consultation des conseils locaux de santé mentale. Les budgets locaux, régionaux, nationaux doivent être individualisés entre soins psychiatriques et actions de santé mentale, et relever comme pour les prises en charge des dépendances dans la notion d’ayant droit de la sécurité sociale.
- La psychiatrie est l’affaire de la société et non des seuls professionnels. Sa place dans la politique sanitaire et sociale est donc essentielle. Tous les champs du social, de l’éducation, du monde du travail, de la justice sont concernés. Les associations de patients et des familles sont étroitement associés à la politique de secteur par la médiation de leurs associations, dont la reconnaissance et le financement sont à obtenir ou à confirmer dans le temps.
- La psychiatrie est avant tout un service public, en opposition avec les tentatives des gouvernements européens actuels d’en faire un marché privé fondé sur « un niveau de soins selon ses moyens ».
- Ces propositions s’inscrivent donc comme une perspective de résistances concrètes quotidiennes, une désobéissance civile politique, que représentent, dès aujourd’hui, de refuser de donner un avis ou de saisir des données sans avoir eu un entretien avec le patient, la « visio-surveillance » comme une machine à faire délirer, à demander de soins obligatoires sous contrainte à domicile. Elles ouvrent un débat éthique entre professionnels et les représentants des usagers, défi qui s’oppose au corporatisme rampant actuel, dont le milieu a déjà l’expérience avec l’élaboration du rapport Demay en 1982, moment où des échanges larges entre syndicats, équipes de soins représentatives des pratiques dans leur diversité, associations dégagent des étayages théoriques explicitant les contenus du soin et les possibles dispositifs innovants. Cette méthode est la seule élaboration démocratique réelle d’un document qui soit issu d’une véritable confrontation entre professionnels, acteurs du social et politiques.
Elles sont autant d’éléments de transition qui participent d’une autre psychiatrie possible qui ne pourra se développer si des financements adéquats et spécifiques selon des critères sociodémographiques ne sont pas au rendez-vous. Ce sont les points clé qui font de la psychiatrie un carrefour de l’ensemble des politiques publiques, que ce soient celles de la santé, de l’éducation, de l’action sociale et du logement, de la justice, du droit au travail et à l’emploi, de la culture et du développement. En lien avec les luttes organisées par les professionnels, les usagers, les militants des droits de l’homme, il s’agit dans le développement des droits de remettre en cause, le statut d’exception du « fou » et de son enfermement. Nous refusons que la psychiatrie et la santé mentale soient embrigadées comme faisant partie des polices de la société.
Jean-Pierre Martin – 22 mars 2012