Les limites du traitement keynésien d'une crise structur

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par Jacquemart » 20 Fév 2012, 11:31

Même si on n'est pas obligé de se reconnaître dans l'ensemble du marxisme de G. Duménil et D. Lévy, ils ont tout de même écrit un tas de livres fort instructifs. Aujourd'hui, ils publient une tribune dans le Monde. C'est un point de vue clairement réformiste, mais qui est loin de ne dire que des idioties :

a écrit :
Les limites du traitement keynésien d'une crise structurelle

Point de vue | LEMONDE.FR | 20.02.12 | 09h21

par Gérard Duménil et Dominique Lévy, économistes et auteurs de "The Crisis of Neoliberalism", Harvard University Press, Cambridge M.A., 2011

Quatre ans déjà depuis que les symptômes du premier épisode de la crise du néolibéralisme furent observés au mois d'août 2007. La crise s'exporta des États-Unis vers le monde à l'automne 2008, et la plupart des économies entrèrent alors en récession. Lorsque la croissance dans les vieux centres, États-Unis et Europe, fit un bref retour après que la production eut atteint son point le plus bas au second semestre de 2009, les commentateurs de tous les médias et cercles académiques, à de rares exceptions près, célébrèrent le retour de la prospérité au terme d'un regrettable épisode. Il fallut, pourtant, constater que la sortie de crise tardait à se consolider. Le discours devint celui de la "rigueur", la tentative de faire peser le poids de la crise sur les épaules de ceux ou celles qui en sont les moins responsables, les classes populaires et moyennes.
Mais, à la fin de l'année 2011, le ton changea brusquement. L'inquiétude tournait à la panique. La Chancelière Angela Merkel ne craignit pas de déclarer que la crise se prolongerait, en Europe, sur de nombreuses années (sortir de la crise de la dette est "un processus qui ne durera pas des semaines, pas des mois, mais des années"). La Réserve fédérale n'est pas plus optimiste. Le 25 janvier dernier, elle déclarait qu'il faudrait soutenir l'économie pendant plusieurs années (au moins jusqu'à la fin de l'année 2014) et décidait d'étendre la période de maintien des taux d'intérêt à des niveaux proches de zéro afin de stimuler la croissance2. Qu'est-il advenu de la planète heureuse de la mondialisation néolibérale ?

Beaucoup semblait pourtant avoir été fait pour assurer la sortie de crise. Les leçons des années 1930 avaient été bien apprises ; mieux aux États-Unis qu'en Europe, il est vrai. Refinancement du secteur financier, déficits budgétaires massifs, tous les remèdes tant décriés de l'économie keynésienne furent appliqués. Eurent-ils des effets positifs ? La réponse est, à n'en pas douter, positive. Sans ces politiques, les records du grand plongeon des années 1930 auraient pu être battus. De telles politiques sont-elles susceptibles de conduire à une sortie de crise ? La réponse est, cette fois, clairement négative. Ou, autre manière de poser la même question, qu'avaient apporté de telles politiques dans les années du New Deal ? La réponse est simple : un sursis. Ces politiques keynésiennes ne peuvent que soutenir temporairement l'activité économique. Elles ne sauraient se substituer aux réformes susceptibles d'assurer la sortie de crise. Elles n'y contribuent que d'une manière et une seule, en donnant le répit nécessaire à la mise en œuvre des réformes et politiques conditionnant une véritable sortie de crise. Encore faut-il que la volonté de remédier aux causes sous-jacentes se fasse jour. Et c'est là où le bât blesse.

Cette crise est celle d'un ordre social, le néolibéralisme. La dite "création de valeur pour l'actionnaire" a fait de l'investissement productif un objectif subalterne ; dans de nombreux pays, les investissements se sont délocalisés vers les périphéries ou les processus de production sont sous-traités à des firmes étrangères ; les innovations financières les plus folles se sont multipliées, et des déséquilibres de la plus grande économie du monde, celle des États-Unis, ont atteint des niveaux insoutenables. Le néolibéralisme a été conçu et imposé avec pour objectif de renforcer les pouvoirs et revenus des classes les plus favorisées, une entreprise couronnée de succès, du moins jusqu'à sa crise, comme en témoigne ce qu'on appelle pudiquement la "hausse des inégalités". Toucher à cet ordre social, c'est mettre en question ces intérêts, ceux-là mêmes que défendent les gouvernements et institutions en charge des affaires publiques.

Le premier Barak Obama, celui d'avant les élections de mi-mandat dans lesquelles les Démocrates perdirent la majorité, avait suscité quelques espoirs de réforme, mais le second marche à reculons dans la direction opposée. Une grande loi fut votée en juillet 2010, le Dodd-Frank Act, visant à une réforme profonde du système financier (transparence, surveillance, création de nouvelles agences de contrôle, protection des emprunteurs, interdiction de certaines opérations spéculatives, etc.). Mais les Républicains bloquent la nomination des nouveaux responsables et l'octroi des crédits nécessaires. Les opérations financières ne représentent, cependant, qu'un volet des transformations requises. Sur d'autres terrains, comme les paradis fiscaux, le commerce international et l'investissement à l'étranger, rien ne fut entrepris.

Le contraste est fort avec les années 1930 et 1940. Sous la contrainte du mouvement ouvrier national et mondial, et avec l'aide de l'économie de guerre, les États-Unis sortirent métamorphosés du New Deal et de la Seconde Guerre mondiale ; il en alla de même en Europe, notamment en France où le Front populaire avait initié une transition. De vigoureuses politiques économiques étaient mises en œuvre (politiques macroéconomiques et industrielles), la gestion des entreprises privilégiait les investissements et le changement technique, des efforts considérables étaient réalisés en matière d'enseignement et de recherche, et d'importants segments du système productif étaient nationalisés. Ces dispositifs trouvaient un complément nécessaire, au plan international, dans le dispositif mis en place par les accords de Bretton Woods. La crise actuelle n'a ouvert aucune perspective similaire. Le chômage s'est installé dans la durée, alors que, au fil des jours, l'addition monte : un déficit plus un déficit plus un autre… égale une dette de l'Etat dont on n'entrevoit pas le point culminant ! Le vent de panique qui souffle maintenant ne tient qu'à cette évidence redoutable : le sursis touche à sa fin.

Sur quoi cette fin s'ouvre-t-elle ? Aux Etats-Unis, la Réserve fédérale prit, à l'automne 2010, le relais des "marchés" (les institutions financières) dans le financement de la dette publique, s'engageant dans son financement direct (la dite "planche à billets" plaisamment rebaptisée "facilité quantitative") ; en Europe, la Banque Centrale dut, sous la contrainte des événements, faire fi de ses réticences et s'aventurer sur la même voie, quoiqu'avec beaucoup plus de réserve. Le sursis s'en trouve prolongé, mais pour combien de temps ? La nouvelle récession suscitée par l'austérité est en marche, et les agences de notation font leur travail. On croît rêver quand on entend l'agence Standard and Poors stigmatiser le recours exclusif aux politiques d'austérités : "Nous croyons qu'un processus de réforme reposant sur le seul pilier de l'austérité budgétaire risque de s'avérer autodestructeur, du fait de la chute de la demande résultant de l'inquiétude croissante des ménages concernant la sécurité de l'emploi et les revenus disponibles, causant la diminution des recettes fiscales." Le prochain épisode de la crise sera un moment difficile à passer et les interventions des banques centrales pour sauver les institutions financières ont encore de beaux jours devant elles.

En Europe, ce second épisode de la crise revêt des traits particuliers du fait de l'inégalité des atteintes selon les pays. L'Allemagne n'est pas épargnée par les déficits budgétaires et la montée de la dette publique, mais moins que d'autres. L'attention se focalise sur certains pays de la périphérie européenne comme la Grèce, le Portugal ou l'Espagne, et plus récemment sur l'Italie. Ce seraient ces pays qui auraient mis en danger la survie de la zone euro par leurs politiques laxistes. Mais personne n'est, désormais, à l'abri…

Il faut donc le clamer haut et fort : la crise de la dette des États est l'expression de la continuation pendant plusieurs années de politiques de soutien alors que peu ou rien n'est fait pour remédier aux causes d'une crise structurelle. Tout le monde sait qu'il faut arrêter le processus de désindustrialisation, la seule voie qui permettrait de redonner aux économies une capacité de croissance autonome (c'est-à-dire indépendante des déficits), au-delà de la lamentable tendance à la réduction des salaires les plus bas comme aux Etats-Unis et en Allemagne. Et pourtant, rien de conséquent n'est entrepris. Et les raisons de cet immobilisme sont politiques, des politiques dont les objectifs sont la défense des privilèges.
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Message par redspirit » 20 Fév 2012, 20:30

Je trouve cet article assez juste. J'apprécie ces économistes, j'avais lu avec intérêt leur ouvrage "au dela du capitalisme" et notamment leur caractérisation de l'URSS. Jacquemart, aurais-tu souvenir d'une discussion sur le cadrisme sur ce forum ? (j'imagine que tu fais référence à cela en disant ne pas te reconnaître dans ce marxisme ?) Je n'en ai pas trouvé.
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Message par Jacquemart » 21 Fév 2012, 08:31

A mon avis, ce qu'ils disent sur l'URSS, sur les cadres, etc. est justement le moins intéressant de leurs travaux. On a déjà parlé de certains résultats de Duménil et Lévy sur le forum (sur le taux de profit, en particulier) , mais je ne crois pas qu'on ait jamais discuté du "cadrisme" ici autrement que par allusions.

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Message par Oel » 22 Fév 2012, 12:53

Pourquoi rajoute tout le temps néo- ou ultra- avant libéral, ca ne veut rien dire, et ce terme me donne des boutons, d'autnt plus que les états aujourd'hui prennent une part assez importante du PIB. Je préfère le "libre-échangisme"...

Sinon il est marxiste Duménil ? Le peu que j'ai lu (y compris cet article) me faisait plutot penser à de l'altermondialisme, d'ailleurs il a participéà ATTAC, ceci dit il n'a pas de page wiki dommage.

Il parle d'ordre néolibéral et à la fois keynésien, ce qui est plutot contradictoire...

Je ne suis pas trop d'accord avec le fond de l'article mais il pointe des évidences niées intéressantes. les sorties de crise n'ont jamais coincidées avec les refinancements keynésiens de l'économie. ce sont de vieilles recette éculées mais bon on sait pourquoi les états s'entêtent...
Oel
 
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