Manifestations en Egypte

Dans le monde...

Message par com_71 » 24 Mars 2011, 02:39

(lo a écrit :Égypte - Référendum constitutionnel, où est le changement ?

45 millions d'électeurs ont été appelés aux urnes le 19 mars en Égypte, dans le cadre d'un référendum constitutionnel. Il s'agissait, selon le Conseil suprême des forces armées, en principe provisoirement à la tête du pays, d'une étape vers un retour à un gouvernement civil, par le biais de l'organisation d'élections présidentielles et législatives.

Là serait la première étape de la « transition démocratique » promise lors du départ de Moubarak. Une transition qui consiste en fait à changer tout au plus la façade pour que rien ne change en profondeur : ni l'appareil d'État et ses habitudes de répression ni l'exploitation forcenée de la population.

Sur les 18 millions de participants à ce référendum, une grande majorité - 77 % - s'est prononcée pour le « oui », c'est-à-dire pour les huit amendements concoctés par une commission nommée par le Conseil suprême, dont une limitation à deux mandats de quatre ans chacun pour le futur président et un assouplissement des conditions pour être candidat.

Depuis des décennies, ce scrutin semble être le premier à avoir eu lieu sans fraudes massives et autres procédés typiques d'une dictature. Son résultat n'a pas pour autant de quoi réjouir ceux qui espéraient que le départ de Moubarak annoncerait un changement profond. La campagne pour le « oui » a été l'apanage des hommes de l'ancien régime et de la hiérarchie militaire, plus ou moins repeints en gouvernement de transition, ainsi que des Frères musulmans, qui n'ont pas épargné leurs forces pour que le « oui » passe.

Ces derniers peuvent apparaître en position de profiter au mieux, politiquement, d'élections précoces. Contrairement à la plupart des anciens opposants à Moubarak, partisans du « non » - la gauche et les « présidentiables » Amr Moussa, Mohamed ElBaradei et Ayman Nour -, les Frères musulmans bénéficient d'une structure existant de longue date, connue de la population, et d'une réputation « sociale » liée aux manques criants dont la population pauvre a souffert pendant toutes ces années. Leurs militants ont usé de leur influence pour faire voter « oui », distribuant des tracts à la sortie des mosquées, prêchant parfois pour le « oui » comme « obligation religieuse » ou appelant à « résister aux coptes » - qui, eux, étaient censés voter « non ». Les tenants du « oui » mettaient en garde contre toute atteinte à l'article II de la Constitution, intégré en 1971 et posant l'islam à la fois comme religion officielle et comme source principale de la législation.

Les militaires au pouvoir espèrent maintenant que les prochaines élections législatives permettront d'achever cette entreprise de rénovation de façade. Mais il n'est pas certain que les couches populaires, qui se sont mobilisées pour leurs revendications, se laissent aussi facilement tromper.

Ainsi, au lendemain du vote, on a pu constater que la mobilisation pour les revendications ouvrières n'avait pas cessé ; devant le Parlement, plus de 5 000 manifestants étaient rassemblés, dont des ouvriers d'État et des petits paysans, pour dénoncer leurs conditions de travail et la faiblesse de leurs droits. À l'approche des moissons du blé, les ouvriers d'État qui conduisent les machines agricoles - ils sont six mille dans le pays - protestaient contre les salaires extrêmement bas, la précarité de leurs contrats et l'insuffisance de leur assurance en cas d'accident. De son côté, un rassemblement d'handicapés manifestait pour des logements et des emplois.

Ce n'est sans doute là qu'un indice du profond mécontentement social et des revendications qui se développent et qu'il ne sera pas facile de faire taire.

Viviane LAFONT
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Message par abounouwas » 21 Nov 2011, 09:51

a écrit :
(Libé du jour)
En Egypte, la place Tahrir reprend feu
Correspondance du Caire
Des affrontements meurtriers ont opposé manifestants et policiers ce week-end au Caire.
12 commentaires

Par Correspondance au Caire Marion Guénard
Un manifestant blessé évacué vers un hôpital de campagne, près de la place Tahrir, le 20 novembre 2011. (REUTERS)


L’air est saturé de gaz irritants. Des centaines de jeunes Egyptiens, le visage recouvert d’un foulard, les yeux humides, montent au front, des morceaux de pavés dans les mains. Depuis samedi, la place Tahrir a recouvré ses allures révolutionnaires. Les affrontements ont commencé vers 13 heures, après que des policiers antiémeute, casqués et armés de bâtons, ont délogé par la force quelques centaines de personnes installées sur la place.

Pour la plupart activistes et familles de victimes de la révolution de janvier, ces manifestants avaient décidé d’occuper une nouvelle fois la place, au lendemain d’une grande manifestation contre le Conseil suprême des forces armées, qui dirige le pays depuis la chute de Hosni Moubarak. Par dizaines de milliers, les Egyptiens exigeaient un retour du pouvoir aux civils via l’organisation d’une élection présidentielle en avril et non en 2013 comme prévu par l’armée.

Cartouches. Quelques heures plus tard, la situation s’est embrasée. Après avoir été repoussés dans plusieurs rues du centre-ville par la police, des milliers de manifestants ont repris la place Tahrir dans la soirée. Pendant plusieurs heures, manifestants et policiers se sont affrontés à coups de jets de pierre et de cocktails Molotov d’un côté, de gaz lacrymogène, de balles en caoutchouc et de cartouches de chasse de l’autre. (voir la vidéo)

Hier matin, les heurts continuaient, près de la place, non loin du ministère de l’Intérieur. Dans le nord du pays, Alexandrie et Suez ont aussi été secouées par une éruption de violence. Au total, 12 manifestants ont été tués ce week-end, dont 11 au Caire (4 par balles), et plus de 900 ont été blessés. Des dizaines de personnes ont été arrêtées. Les affrontements se poursuivaient cette nuit.

Ces manifestants sont descendus spontanément dans la rue, avec la volonté d’en finir avec les scories de l’ancien régime. «Le peuple veut la chute du Moushir [maréchal] !» entonnaient hier matin quelques centaines d’entre eux, visant directement le maréchal Tantawi, à la tête du conseil militaire et pendant vingt ans ministre de la Défense sous Moubarak. D’autres pointaient du doigt les policiers. «Ils emploient les mêmes méthodes que sous Moubarak. Ils nous traitent avec brutalité, sans jamais passer par la voie du dialogue», explose Amr Taher, un avocat de 24 ans.

Ces échauffourées, à une semaine des législatives - premières élections depuis le départ de Moubarak - font planer un voile d’incertitude sur la tenue du scrutin. Dix-huit formations politiques, dont la coalition des jeunes de la révolution, ont appelé à une occupation de la place Tahrir jusqu’à la dissolution du gouvernement de transition. Elles exigent la formation d’un gouvernement d’union nationale, qui conduirait à la place de l’armée la transition démocratique jusqu’à son terme, prévu en avril avec la présidentielle.

Boycott. Plusieurs partis ont décidé de suspendre leur campagne pour condamner les violences policières. Les Frères musulmans ne participent pas à ce boycott des élections. Principale force politique du pays et donnés favoris du scrutin, ils invitent les Egyptiens et les autorités à faire preuve de «retenue» et à «protéger la révolution du 25 janvier». Pour l’instant, les autorités excluent un report des élections et toute concession aux manifestants. «Les Egyptiens doivent aller voter lundi prochain et, si la transition est normale, l’armée retournera dans ses baraques avant fin 2012», a déclaré, samedi soir à la télévision, le général Al-Fangary, membre du Conseil suprême des forces armées. En attendant, la police militaire est intervenue hier après-midi contre les manifestants de la place Tahrir.


Acte 2 : après "Moubarak, dehors !", le vrai visage de l'armée et de l'État bourgeois pour ceux qui s'étaient bercés d'illusions ("l'armée est avec nous").
Il faudra bien que se fassent entendre d'autres mots d'ordre, ceux de la classe ouvrière là-bas. Ce sera l'Acte 3.
abounouwas
 
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Message par abounouwas » 21 Nov 2011, 11:15

un papier intéressant du Monde sur les "ultras".

a écrit :Egypte : génération ultras

Reportage | LEMONDE | 17.10.11 | 13h41  •  Mis à jour le 17.10.11 | 14h48

Des supporteurs du club d'Al Ahly protestent devant le ministère de l'intérieur après des heurts avec la police lors d'un match, le 9 septembre 2011.ASSOCIATED PRESS/KHALIL HAMRA

Le Caire Correspondante - Entre deux gorgées de bière, Mohammed Gamal passe une main dans sa crinière gominée sous les regards amusés des clientes du bistrot. "Je me présenterais bien aux législatives en indépendant... Mon seul problème, c'est les femmes : elles m'adorent et ça se sait. En Egypte, ça craint", lance-t-il, dans un éclat de rire tonitruant. Avec un art consommé de la dérision, il agite ses bras musclés en signe d'impuissance, fidèle à sa réputation de blagueur. Mais pour ses admirateurs, il a bel et bien les moyens de ses ambitions, y compris pour les législatives, dont le premier tour aura lieu le 28 novembre.

Pourtant, Mohammed Gamal n'est ni une star, ni un homme politique, ni un idéologue, ni même un révolutionnaire. C'est un héros d'un genre particulier : il se présente comme un "ultra", ce courant de supporteurs de football qui s'est développé en Europe et en Amérique latine depuis les années 1970 avant d'aborder les rivages nord-africains au début des années 2000. Entretenant une dévotion exacerbée pour leur club favori, les ultras se distinguent par leur critique du "football télévisé et marchandisé" et par leur hostilité vis-à-vis de la police, leurs démonstrations d'enthousiasme s'accommodant mal des restrictions imposées par les forces de l'ordre. Mais en Egypte, leur culture critique et rebelle a pris un sens particulier dans le contexte social et politique de la fin de règne d'Hosni Moubarak.

Les premiers groupes ultras y sont apparus en 2005. Mohammed Gamal a été le fondateur, en 2007, de l'un des plus célèbres d'entre eux : les White Knights, supporteurs du Zamalek SC. Face à des structures sportives patriarcales et autoritaires, acoquinées avec les "patrons" du Parti national démocratique (PND) d'Hosni Moubarak, les ultras égyptiens revendiquent leur indépendance en critiquant le management des clubs et des fan-clubs. Ils deviennent vite la bête noire des médias sportifs, qui les décrivent comme des voyous communistes, des athées, des drogués et, à l'occasion, comme des "déviants sexuels".

Ce mouvement, qui se développe d'abord sur Internet, prend rapidement une ampleur inédite qui inquiète les services du raïs. Dans un régime où les organisations sont interdites, les ultras se révèlent en effet capables de rassembler, autour d'un noyau dur de "parrains", des milliers de membres d'une vingtaine d'années qui se réunissent régulièrement, disposent de forums Internet et d'un budget autonome (financé par les fans) qui leur permet de monter de coûteuses chorégraphies à base de supports visuels. Pour se protéger, ils refusent le contact avec les médias, utilisent des noms d'emprunt (Mohammed Gamal est connu sous le sobriquet de Jimmy Hood), développent une culture du secret et des structures légères et relativement démocratiques, fondées sur des cercles de décision. Ils sont alors, après les Frères musulmans, les groupes les mieux organisés pour échapper à la tutelle du PND.

Surtout, les ultras n'hésitent pas à se rebeller violemment contre les humiliations et la brutalité de la police. Dès 2007, ils entrent en confrontation ouverte avec le ministère de l'intérieur. Les affrontements se multiplient dans les stades, mais surtout dans les rues à l'occasion de véritables batailles rangées. "Les ultras ont été le premier groupe en Egypte à réagir à la violence et à l'oppression du ministère de l'intérieur par la violence", commente Ashraf El-Sherif, politologue et maître de conférences à l'Université américaine du Caire.

La police commence à arrêter les leaders chez eux avant les matches et les fait comparaître devant des tribunaux militaires, poussant certains membres vers le hooliganisme. "J'ai été arrêté seize fois depuis 2005, parfois jusqu'à treize jours, affirme Mohammed Gamal, hilare, alors qu'il dit avoir eu le tympan éclaté et la mâchoire brisée. Mais la première fois, c'était même pas dans un stade, j'étais en vacances avec des amis à Dahab sur la mer Rouge, en 2001. J'avais à peine 20 ans. Ils m'ont arrêté avec vingt-cinq types qui n'avaient rien fait. Les flics, c'est ma passion, je les hais à en mourir."

Au cours de ces affrontements, les ultras développent des techniques de combat de rue dont l'efficacité éclatera au grand jour sur la place Tahrir lors de la révolution. Les Egyptiens découvriront alors qu'ils sont les seuls à savoir mener des batailles rangées contre les forces de l'ordre. Au soir du 25 janvier, premier jour de la contestation, ils sont sur la place sans qu'aucune consigne officielle ait été donnée aux groupes par les "parrains".

On les retrouve ensuite en première ligne sur tous les fronts : habitués aux gaz lacrymogènes, aux balles en caoutchouc et à franchir les murs du stade, ils savent renvoyer une grenade, sauter sur un camion de police, escalader les lampadaires et jouent un rôle logistique décisif dans les victoires remportées par les révolutionnaires. Créatifs, ils donnent aussi à la révolution ses slogans et ses rythmes emblématiques, typiques du répertoire des supporteurs. "A Tahrir, on s'est souvent cru au stade, surtout quand Moubarak a annoncé sa démission", se souvient avec émotion Ashraf El-Sherif.

Cet héroïsme leur a valu une reconnaissance certaine parmi les activistes et l'admiration d'une grande partie de la jeunesse égyptienne. Mélange de fraternité romantique et d'individualisme forcené, leur style de vie provocant et déjanté impressionne une génération aux prises avec des carcans sociaux et religieux pesants. Leurs mots d'ordre et leurs emblèmes sont devenus les symboles d'une jeunesse qui a soif de rébellion. L'acronyme ACAB pour "All Cops Are Bastards" ("Tous les flics sont des bâtards") parsème aujourd'hui les rues du Caire aux côtés de tags désormais célèbres - comme celui de l'homme masqué qui fait un doigt d'honneur ou qui casse une télévision. Leur art de l'insulte fait les délices des activistes, et leurs chansons sont désormais une part incontournable d'une culture underground en plein essor fondée sur l'expression de soi, l'individualisme et le plaisir.

Mais les ultras provoquent aussi l'intérêt des partis politiques. A cause de leur nombre d'abord. Les Ahlawy, les White Knights et les Blue Dragons (les trois groupes actuels les plus importants) réunissent aujourd'hui près de 20 000 membres actifs et sont susceptibles de mobiliser plus de 50 000 personnes. "Les ultras White Knights peuvent à eux seuls faire descendre 25 000 personnes prêtes à combattre dans la rue en quelques minutes", assure Mohammed Gamal.

Pourtant, les ultras résistent aux appels du pied des partis et refusent de se positionner sur l'échiquier politique, cultivant un anarchisme farouche qui les fait se gausser des révolutionnaires eux-mêmes : "Sur la place Tahrir, tous les activistes nous ont poussés à mettre les Frères musulmans dehors, mais nous, on ne rentre pas dans ce jeu-là, déclare un jeune initié croisé place Tahrir. Les politiques nous appellent en permanence pour les manifestations. Mais on n'est pas les marionnettes des gens contre le système. De toute façon, on a fait cette révolution contre la police, c'est tout, pas pour les gens. Personne ne nous défendait avant, tout le monde nous prenait pour des racailles. Nos fans de la troisième heure, qu'ils aillent se faire voir."

De fait, les ultras refusent jusqu'à présent d'imposer à leurs groupes des mots d'ordre politiques, soucieux de préserver leur grande diversité sociale qui les fait rassembler riches et pauvres, laïcs et islamistes, gauchistes, salafistes, libéraux et Frères musulmans, toutes différences dissoutes dans l'amour d'une même équipe. Cette retenue en déçoit certains : "L'angoisse provoquée par les ultras reflète un conflit de fond au sein de la société égyptienne entre deux rythmes de vie, l'un mou au point de ne pas se rendre compte de sa sclérose et l'autre enthousiaste, tumultueux et anarchique au point de ne pas aller jusqu'au bout de ses capacités révolutionnaires", regrette Ashraf El-Sherif.

Pourtant, les ultras sont devenus depuis la révolution les critiques les plus virulents du ministère de l'intérieur et du Conseil militaire. Ils entretiennent à tout prix la révolte contre la police, refusant de faire la paix et participant en masse aux manifestations contre le Conseil supérieur des forces armées. Tous les matches sont désormais des occasions privilégiées de ridiculiser les policiers en leur rappelant leur défaite du 28 janvier - dépassée, la police avait été remplacée dans les rues par l'armée, - par des chants déjà cultes : "Corbeau stupide/T'étais nul en classe/T'as eu 10 sur 20 en payant un pot-de-vin/Mais t'as quand même pu t'offrir les meilleures facs/Pourquoi tu niches dans ma vie ?/Juste pour me la pourrir/On n'oublie pas Tahrir, fils de pute."

Pour Amr Abderrahmane, membre de l'Alliance populaire socialiste, ce positionnement à part est l'aspect le plus "inspirant" des ultras : "Cette génération née sous Moubarak et avec Internet a été capable de créer une nouvelle identité anti-classe moyenne et de provoquer la moralité ambiante. Ils sont une face de la révolution que tout le monde voudrait oublier : celle de la rage, de la colère. Pas la face proprette à fleurs du jeune poli : la face anti-sociale, anti-famille, anti-institution, anti-morale. Ils utilisent le stade pour promouvoir cette nouvelle identité."

Athlétiques, théâtraux, rapides, à demi dénudés, les ultras continuent à crier leur haine de la police et des militaires dans les manifestations en enchaînant leurs chorégraphies fétiches sous l'oeil réprobateur des salafistes et des mères de famille. "Il n'y a pas de virginité de la place Tahrir, commente Mohammed Gamal, laconique. Je me mets à poil si je veux."
Claire Talon
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Message par abounouwas » 21 Nov 2011, 15:39

et un morceau de campagne pas mal croqué

a écrit :La machine des Frères musulmans tourne à plein régime

Reportage | LEMONDE | 21.11.11 | 15h28  •  Mis à jour le 21.11.11 | 15h33


Le Caire Envoyé spécial - A Zaouïa Al-Hamra, un quartier populeux de la périphérie nord du Caire, quatre candidats des Frères musulmans aux élections du 28 novembre haranguent les clients d'un café en plein air. Venus à l'invitation du patron de l'établissement, ils sont assis en rang serré sur une petite estrade dressée sous les lampadaires. "Nous avons une vision pour l'Egypte, à moyen et long terme", affirme l'un d'eux, l'avocat Kamel Mahdy, sur un ton professoral. "Nos deux axes de travail seront les réformes et les projets de développement", proclame-t-il devant une trentaine d'habitants, qui l'écoutent d'une oreille distraite.

Une dizaine de kilomètres plus au sud, les "enragés" de Tahrir comptent leurs morts. Les coups de boutoir de la police antiémeute n'ont pas réussi à les déloger du sanctuaire de la révolte égyptienne qu'ils réoccupent depuis la manifestation du 18 novembre. Leur détermination à tenir la place aussi longtemps que les généraux aux commandes de la transition n'auront pas signé un calendrier de transfert du pouvoir aux civils augure d'un possible redémarrage de la révolution. Mais contrairement à certains partis qui ont suspendu leur campagne dès le début des affrontements, les Frères refusent d'envisager le moindre report du scrutin. Ils ont certes rallié la manifestation de vendredi, par opposition aux principes supra-constitutionnels rédigés par le Conseil militaire et qui empiètent, selon eux, sur les prérogatives du futur Parlement. Mais ils n'ont pas appelé à manifester les jours suivants et restent à l'écart des slogans qui somment le maréchal Tantaoui, le chef du Conseil militaire, de démissionner. "Ce qui est bien avec l'armée, c'est qu'elle insiste pour organiser les élections", assure un jeune cadre des Frères musulmans à Zaouïa Al-Hamra.

Il faut dire que dans la circonscription dont ce quartier dépend, comme dans beaucoup d'autres, la victoire leur tend les bras. Sur les quatorze sièges en jeu, les islamistes espèrent en gagner six ou sept. Ils s'appuient sur leur réseau de charité, notamment l'hôpital de Charabeya, qui prodigue des soins gratuits aux indigents. Pour ne pas s'aliéner le vote copte, une communauté bien implantée dans le quartier voisin de Choubra, la confrérie a intégré sur sa liste deux candidats chrétiens, membres de partis centristes qui ont signé un accord de coalition avec elle, dont au moins une figure en position éligible. En définitive, seuls les boutefeux du parti Al-Nour, une formation salafiste à côté de laquelle les Frères font figure d'aimables conservateurs, semblent en mesure de faire de l'ombre à la confrérie. "Dans ces zones très pauvres, l'audience des salafistes est forte, reconnaît le radiologue Gamal Youssef, un petit homme affable, en 5e position sur la liste. Mais nous sommes plus expérimentés qu'eux en matière d'action politique. Nous comptons des militants dévoués dans tous les coins du pays. Ils sont comme des leviers que nous actionnons pour faire campagne."

Des égouts et du pain

Dans le café en plein air, après le laïus des candidats, des doigts se lèvent. "A Zaouïa, notre principal problème, ce sont les égouts", dit un habitant. Un autre renchérit : "Les infrastructures sont dans un état catastrophique. On ne veut pas de pain, on veut des égouts." "Si, on veut du pain, rétorque un troisième habitant. Et puis une bonne éducation. L'avenir de nos enfants nous préoccupe." Ces interpellations attirent les curieux. En guise de réponse, Kamel Mahdy évoque "la corruption" de l'ancien régime et Gamal Youssef discourt sur les réussites de l'AKP, le parti islamiste au pouvoir en Turquie.

Un troisième candidat s'embarque dans un monologue sur les méfaits du tabagisme, quand un homme au crâne rasé bondit de sa chaise. "Et les gens de Tahrir, vous en faites quoi ?, s'écrie-t-il en brandissant un sachet rempli de cartouches récoltées sur la place. J'ai passé la nuit là-bas et je m'étonne que personne n'en parle." Des applaudissements fusent. "C'est bien de parler des ordures, mais le sang de nos enfants, vous en faites quoi ?", enchaîne un autre. "Pourquoi les Frères sont-ils absents de la place ?" Le débat s'anime. Un membre de l'assistance tente de saisir le micro des mains de M. Mahdy. "Nous avons dénoncé l'attaque des forces de l'ordre mais nous appelons au calme", se récrie le candidat, soudain moins à l'aise. "Les élections sont la question la plus importante", ajoute-t-il en rappelant qu'en mars, la population avait approuvé par référendum le plan de l'armée prévoyant la tenue d'élections avant l'élaboration d'une Constitution. Peu à peu, la grogne retombe, les discours reprennent.

Assis en retrait, trois hommes jouent aux cartes, indifférents. "Ce bavardage m'agace, dit Moustapha, un ingénieur chimiste. On ne sait plus qui croire. Les manifestants ? L'armée ? Les Frères ? Les gens ordinaires sont totalement paumés." Son partenaire de jeu, Mohammed, un comptable, a choisi son camp. "C'est pas logique d'organiser un meeting quand des jeunes se font tuer. Les Frères vont gagner car ils sont les mieux organisés. Mais s'ils étaient sincères, ils descendraient sur Tahrir."
Benjamin Barthe
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