par pouchtaxi » 11 Nov 2010, 12:19
C'est en effet un très beau film méditatif sur la mémoire qui met en parallèle l’astronomie, l’archéologie et la recherche des dépouilles mortelles des victimes du régime de Pinochet.
L’unité de lieu entre ces trois recherches apparemment disparates est donnée par le désert d’Atacama au Chili où a été tourné le film. Comme le signale Casimirowski, son air pur et sec y favorise l’observation astronomique, plusieurs observatoires y sont implantés, il favorise aussi la conservation des vestiges des civilisations anciennes. On y trouve aussi le camp de concentration de Chacabuco qui fut utilisé pour l’emprisonnement, l’élimination et la disparition des opposants au régime de Pinochet.
C’est un reportage où s’expriment des astronomes, un archéologue, d’anciens prisonniers, et plusieurs femmes qui creusent dans le désert avec l’espoir d’y retrouver les restes d’un membre de leur famille.
Tous questionnent un passé (même en astronomie où les images des corps lointains peuvent représenter leur état d’il y a plusieurs millions d’années) qui les dépasse très largement et cette disproportion entre la fragilité des êtres et l’immensité des tâches qu’ils se sont donnés, en toute conscience, constitue l’un des ressorts poétiques de l’œuvre.
On y voit par exemple un ancien détenu racontant comment les prisonniers avaient organisé un cours d’astronomie qui fut interdit par les autorités du camp qui craignaient une évasion nocturne avec guidage par les étoiles. Il montre un théodolite artisanal en bois pour le repérage des coordonnées des corps célestes, les amateurs apprécieront le travail !
On y rappelle comment les tortionnaires de Pinochet ont déterré les corps des suppliciés puis s’en sont débarrassés de telle sorte qu’ils ne soient jamais retrouvés. Certains corps furent lancés en mer. Une mémoire assassinée, occultée que quelques femmes admirables, interviewées par Guzman, s’attachent à reconstruire avec obstination. Elles cherchent une aiguille dans une meule de foin, comme l’astronome dans l’immensité du ciel et l’archéologue dans celle du passé historique. Elles ne renoncent pas, bien qu’elles vieillissent et que le temps passe.
Deux jeunes astronomes s’exprimant dans le film sont enfants de disparus ou d’exilés. Leurs témoignages sont poignants. Un autre astronome montre un spectre stellaire indiquant la présence de calcium et insiste sur l’identité entre ce calcium du fin fond de l’univers avec le calcium des ossements retrouvés par les archéologues ou bien par les femmes de disparus. C’est encore un élément du rapprochement entre les activités de l’astronome et la recherche des corps des victimes qui prend des allures philosophiques rappelant que la science moderne a établi l’identité des lois du monde sublunaire et du monde supra lunaire. Guzman élabore par le truchement des personnes qu’il fait parler la résonance entre l’infime que constitue une existence singulière et l’ordre du vaste cosmos.
Quoique je n’aie pas été très sensible aux premières minutes du film où l’on voit force images en couleurs filtrées de nébuleuses, on ne tombe jamais dans l’esthétisme ou la métaphysique fumeuse. Ce film très dense rend hommage à l’extraordinaire dignité de ces femmes qui creusent le désert avec ténacité.