(Ottokar @ mardi 2 février 2010 à 21:07 a écrit :Merci des précisions, je savais Pasteur déiste, mais pour Marx, il doit y avoir quelque chose que je n'ai pas compris... ne serait-ce que l'idée qu'il se faisait de la vie, de son apparition, de sa transmission.
Pour Pasteur, il y a pas mal de débats : certains le décrivent comme déiste, d'autres comme bon catholique. En tout cas, croyant.
Pour Marx (athée bien sûr) : la "génération spontanée" était assez appréciée des athées à l'époque, justement parce qu'elle semblait résoudre le problème de l'apparition de la vie sans qu'il soit besoin d'une intervention divine. Puisque la vie n'était, selon cette hypothèse, qu'un phénomène spontané qui pouvait se produire n'importe quand, plus besoin de Génèse. Bien sûr expliquer le mécanisme de cet "auto-engendrement" n'était pas une mince affaire, mais c'était de toutes façon hors de portée des techniques et des théories de l'époque...
a écrit :Je ne suis pas sûr qu'on mette les mêmes choses et les mêmes débats derrière les mêmes mots. Le Marx de 44 raisonnait avec les connaissances et les mots de son époque, forcément.
Tout à fait. Et il faut un peu préciser lesquels : l'idée que la matière "organique" ou "vivante" était fondamentalement différente de la matière "inanimée", cette théorie qu'on appelait le "vitalisme", était tout juste en train de connaître ses premiers contre-exemples avec la synthèse de l'urée par Wöhler en 1828, résultat non-admis par certains chimistes comme Berzelius, qui n'acceptera sa défaite qu'avec la synthèse de l'acide acétique par Kolbe en 1845, soit un an après ce texte de Marx. L'évolution des espèces, bien sûr, était une théorie bancale et fausse, celle de Lamarck. Pour Darwin il faut attendre 1858, un an avant le mémoire de Pasteur contre la "génération spontanée". La géologie balbutiait et l'échelle des temps géologiques ne sera jamais vraiment établie du vivant de Marx, Engels ou Pasteur. Bien entendu la microbiologie et la biochimie n'existaient pas du tout avant les travaux de Pasteur. Donc évidemment, c'était mal barré pour aborder un sujet aussi difficile que l'apparition du vivant, alors que même aujourd'hui on n'arrive pas vraiment à avoir une théorie qui fasse consensus...
a écrit :Pour en revenir à Pasteur quand bien même il restait croyant (ce qui n'était plus le cas de Darwin) son texte a aidé à faire sortir Dieu des laboratoires...
Je ne suis pas sûr. D'abord parce que depuis l'époque de Descartes, l'approche scientifique n'avait plus rien à voir avec l'exégèse biblique. Et aussi parce que s'opposer à la génération spontanée, c'était s'opposer à une théorie défendue par des athées et des matérialistes (pas seulement, mais en partie). Pasteur admettait d'ailleurs tout à fait avoir son opinion là dessus, mais assurait (et c'était vrai) que ça n'avait eu aucune influence sur sa façon de travailler.
Pour résumer, ce qui faisait que la théorie de la "génération spontanée" était archi-fausse, c'était l'ignorance gigantesque de la complexité des processus de la chimie du vivant, et l'illusion, sur la base de cette ignorance, que la génération de formes vivantes "simples" à partir de matière inanimée était un truc assez trivial qui pouvait se passer à l'échelle de temps du laboratoire. Pasteur a montré que c'était faux, et il a été l'un des pionniers des sciences (chimie organique, biochimie, microbiologie) qui allaient révéler la complexité encore largement insoupçonnée du vivant. Aujourd'hui, la position des matérialistes reste grosso-modo celle de Marx, mais on se fait une idée bien plus juste de l'échelle de temps et de complexité...
Il y a un bon bouquin qui introduit assez bien les théories actuelles sur l'origine du vivant, quoique déjà un peu daté :
L'évolution chimique et les origines de la vie, de
François Raulin et
André Brack, chez Masson. Très orienté chimie, mais tout à fait lisible avec un niveau 1ère ou Terminale S.