Tribune libre de Louis Maugée, de Combat Ouvrier, dans France-Antilles Martinique
a écrit :
Changement institutionnel, soit !
Louis MAUGÉE France-Antilles Martinique 02.12.2009
Une partie importante de la population de Martinique montre une réelle méfiance envers toute forme d'évolution du statut politique, et encore plus envers une éventuelle indépendance. Cette méfiance n'est pas née seulement à voir des indépendantistes ou/et autonomistes à la direction des affaires dans la Région de Martinique!
C'est aussi la pratique habituelle de beaucoup d'hommes et femmes politiques qui entretient cette méfiance, notamment cette tendance chez eux à dire et promettre des « choses » et des comportements démocratiques qu'ils s'empressent d'oublier , une fois en poste!
Mais cette méfiance vient aussi d'une déception profonde des masses des régions ayant subi l'esclavage, l'oppression coloniale, de voir ce qu'étaient devenus, pour la plupart, les pays qui ont mené des luttes anticolonialistes, des luttes de libération nationale. La plupart de ces pays sont devenus des états policiers ou des dictatures parfois féroces contre leur propre peuple, ou des régimes corrompus au profit des notables et des riches possédants du pays ou de l'extérieur.
Tous mènent des politiques économiques qui les rendent encore plus dépendants des anciennes puissances coloniales ; où il n'est pas question de « développement » et où les inégalités sont devenues criantes.
Ici, aux Antilles dites françaises, les luttes menées par les esclaves, puis par les travailleurs salariés, ont contraint les maitres locaux de la colonie et la « métropole » lointaine qui prenait les décisions, à faire des concessions. Dans une certaine mesure, cela a permis, aux masses populaires de nos îles d'améliorer sensiblement leur situation dans divers domaines tels que éducation, santé, logement, couverture sociale, aide et allocations diverses (familiales, chômages, etc.).
Ces dits « acquis sociaux » dont se moque l'écrivain Confiant (lui, il n'en a pas besoin!) ont été conquis de haute lutte pas les masses laborieuses. Et l'on comprend qu'aujourd'hui, dès que des politiciens prétendent changer de statut, mettre en place d'autres institutions pour gouverner, cela suscite interrogations et méfiance de la part des masses. D'autant plus lorsque les questions posées sont enrobées de juridisme plus ou moins confus, par les biais de l'application des dits « article 73 » ou « article 74 » de la Constitution!
Avec l'un que pourra-t-on faire ? Et en quoi l'autre est mieux ? Quels seront les dites « lois organiques ? Et comment en seront fixés les contenus ? Et que seront les « habilitations » et jusqu'à quel degré seront-elles opérationnelles ? Sur quoi vont-elles porter ?
Les partis qui font campagne pour le referendum entretiennent eux-mêmes la méfiance et l'indécision dans la population, en se montrant incomplets et mêmes discrets sur ces sujets!
De vrais engagements envers le peuple
Face à une telle confusion et à une certaine obscurité des perspectives affichées par les politiciens tenants du 73 ou du 74, beaucoup de militants du mouvement ouvrier pensent que pour les travailleurs et les masses pauvres, l'attitude la plus efficace, c'est encore de faire entendre clairement leurs exigences envers les politiciens qui leurs demandent leurs votes pour les prochains referendums!
Il faut exiger que tous ceux qui veulent changer les institutions s'engagent à mener une politique conforme aux intérêts des classes travailleuses et pauvres. Qu'ils soient pour une collectivité unique ou pour l'autonomie ou toute autre forme de statut.
En particulier, il faut que les politiciens partisans du 73 ou du 74 disent, à l'avance, avant le vote, qu'ils n'utiliseront ni d'éventuelles « lois organiques » , ni les « habilitations » futures, pour remettre en cause les droits sociaux et lois sociales existantes qui sont favorables aux travailleurs et aux pauvres de Martinique!
Il faut aussi qu'ils s'engagent à ne pas utiliser les fonds publics pour distribuer des subventions répétées aux patrons, sous prétexte de soutenir l'emploi. Ce qui n'a jamais empêché nulle part le chômage de monter! Mais, au contraire, à mener une politique de créations directes d'emplois grâce aux initiatives économiques du nouveau « pouvoir local » , aux grands travaux nécessaires au bien-être de la population dans divers domaines (logement, accueil des personnes âgées, des enfants en bas âge, diversification agricole, etc...)!
Alors, que ces politiciens s'engagent ou non, (mais c'est à eux de faire ce choix!), pour les travailleurs et pour les couches pauvres, avancer leurs exigences dès maintenant, dans la phase de préparation, de campagne actuelle, leur permettra eux de se rassembler, d'unifier leurs forces, sur leurs propres objectifs, conformes à leurs intérêts.
Cela les placera ensuite dans une meilleure position pour peser sur le pouvoir local qui sortira (ou qui restera tel quel) des péripéties actuelles, pour contraindre celui-ci à mener une politique qui leur sera plus favorable.
Certains dirigeants et mêmes militants politiques favorables au changement de statut et des notables « évolutionnistes » cherchent à « vendre » aux travailleurs et à la population la perspective suivante : « vaut mieux vivre pauvrement chez soi avec son propre pouvoir pour développer son pays » !
Sauf que ce sont les riches possédants, aidés des notables au pouvoir (et qu'ils soient bien « Martiniquais » ne changera rien au problème!) qui vont retirer les châtaignes du feu! Un tel « développement économique » , vu sous cet angle, est une illusion, en particulier s'il ne se déroule pas sous le contrôle réel des masses laborieuses et pauvres!
Le seul pouvoir pour lequel les pauvres, les exploités devront, un jour, se dévouer et faire des sacrifices, ce sera celui qu'ils auront établi eux-mêmes! Pouvoir résultant des luttes de leur classe et de la mise sur pied de leurs propres organes de pouvoir! Hors de ces conditions, il faut refuser, comme disait Césaire d'être « les jouets au carnaval des autres » !
Mais dans l'immédiat, puisqu'il y a vote, référendum prévu, il est normal et souhaitable que les masses pauvres cherchent à peser sur les conditions de ce vote et sur la mise sur pied éventuelle d'un nouveau statut ou pouvoir local. C'est du marchandage, disent certains!
Et alors ? Le contrat de travail entre salariés et patrons est-il autre chose qu'un marchandage permanent sur la vente et l'achat d'une marchandise qui s'appelle la force de travail! Tout le fonctionnement d'une société qui produit essentiellement des marchandises, toutes ses « valeurs » sont dominées par des marchandages incessants.
Alors, ce qui importe pour les travailleurs dans toute question sociale et politique, c'est de jouer leur propre jeu de façon à n'être ni dupes ni victimes de quiconque! De façon à faire avancer leur cause, et pouvoir changer leur situation et celle de tous les opprimés.
Que les notables, les politiciens du 74 ou du 73, aient l'ambition de gouverner (par délégation!) un pouvoir local, résultat de la « délocalisation » patronné par l'État français, c'est leur problème. Mais il s'agira de lutter pour empêcher que les moyens matériels et financiers de ce « pouvoir local » soient détournés pour accroître le bien-être, les privilèges et les richesses de ceux qui sont déjà des nantis et de possédants. Au contraire, ils devront servir à mener une politique favorable à la majorité de la population, les masses laborieuses et pauvres.
Au moins une chose sera positive dans tout cela : c'est que les masses trouveront plus facilement le chemin des nouveaux lieux de pouvoir pour aller y faire entendre leur voix et leur volonté d'orienter les décisions de tous ces nouveaux gouvernants dans le sens de leurs intérêts !