Mantegna au Louvre

Message par com_71 » 25 Oct 2008, 11:56

(Rouge n° 2270 a écrit :EXPOSITION

La peinture sortant de sa servitude

Le musée du Louvre expose les œuvres de Mantegna, peintre italien de la Renaissance.

L’art contemporain le plus commercial, le plus soumis aux caprices de sa clientèle de jeunes milliardaires, ne donne pas la moindre idée de ce que fut la peinture de commande, dans sa servilité, tout au long de l’histoire des arts occidentaux. Ce sont des « artistes libres » que ces milliardaires prétendent collectionner aujourd’hui. Cette prétention, issue du projet infiniment plus élevé d’un art réellement indépendant, doit beaucoup à quelques peintres, qui entreprirent de sortir de leur statut de petit ouvrier à façon. Sur ce plan, le précurseur direct de Vinci fut Mantegna.

L’exposition organisée autour de ce peintre par le musée du Louvre est d’une ampleur exceptionnelle, avec 190 œuvres venues d’un nombre impressionnant de collections étrangères, et une présentation réussie, à la fois discrète et remarquablement attentive au public comme aux tableaux. En matière d’art « gothique international » (ou tardif), « primitif flamand », comme du Quattrocento italien, la richesse de la réunion présentée justifie à elle seule la visite. Mais c’est cette abondance même, bon résumé de l’ahurissante efflorescence artistique de ce temps, qui rend malaisée la perception du génie propre de Mantegna, principale ambition pourtant de cette exposition. Déception des visiteurs devant les cartels expliquant que les spécialistes continuent à s’opposer sur l’attribution de tel tableau à cet artiste. Pour ses contemporains, cela ne souffrait toutefois aucun doute, c’était « le plus grand peintre vivant », et l’on savait nettement reconnaître sa manière, jusque chez ses disciples ou imitateurs.

Il faut se figurer l’Italie du Nord en ces années de rivalités incessantes et de crise générale, parcourue de troupes mercenaires emmenées par leurs « condottieri », que payaient des municipalités vivant de l’exploitation des paysans et du prolétariat urbain, particulièrement pressuré dans l’industrie lainière. Andrea Mantegna était le fils d’un menuisier des environs de Padoue, ville auparavant tombée sous la coupe des Vénitiens auxquels elle payait tribut, mais relativement protégée par un prestige universitaire international qui manquait à Venise. Quant à la menuiserie, elle figurait sur la liste des « arts mineurs », comme le cardage de la laine, promettant une misère identique.

Renommée

On ne sait comment, à dix ans, Mantegna entra dans l’atelier d’un curieux entrepreneur, Squarcione, ancien marchand et voyageur, collectionneur d’antiquités, peintre à ses heures, et décidé à en former d’autres, contre paiement. En 1442, Squarcione adoptait Mantegna, onze ans. Peut-être, l’avisé Squarcione voulut-il, par cet acte administratif l’attachant à sa famille, dispenser un élève doué et « de bon rendement » de ces droits liés à l’apprentissage qui frappaient, jusqu’au xixe siècle, quiconque voulait apprendre les « secrets du métier », dans quelque branche que ce soit : l’apprenti devait payer son écot et le reste.

À Padoue, le jeune Mantegna fit merveille dans les commandes qui lui étaient confiées, et il retint le meilleur de deux précurseurs de l’art renaissant qu’il put y fréquenter, Donatello et Alberti. Leurs œuvres comme leurs développements théoriques lui permirent d’asseoir ses dons artistiques sur des bases « scientifiques », la nouvelle géométrie perspective, l’étude alors balbutiante des arts de l’antiquité gréco-romaine dont il deviendrait expert renommé. À 17 ans, il s’émancipait de Squarcione, travaillait avec des peintres vénitiens, et se faisait remarquer au point d’entrer, à 22 ans, dans la famille du plus célèbre d’entre eux, Bellini, dont il épousait la fille et marquait de son influence les deux fils, appelés à plus encore de célébrité que leur père. Mais, dès 1456, il étudiait les propositions du marquis de Mantoue, le condottiere Ludovico Gonzagua, qui souhaitait disposer d’un peintre de cour… De 1460 à sa mort, en 1506, Mantegna travailla essentiellement pour les Gonzague, comme « servo ornato de virtude » (« serviteur doué de quelques qualités »), malgré son caractère ombrageux.

Échappées

L’artiste avait obligation de réserver l’exclusivité de sa production à ce patron et à ses successeurs. Comment manifester sa personnalité, dans une peinture toute de commande ? L’exposition le fait voir en le confrontant à ses contemporains.La liberté et la supériorité technique de Mantegna éclatent dans ses perspectives énergiques, ses compositions panoramiques, son recours à la statuaire aboutissant à des « peintures sculptées » et sa passion quasi romantique pour les ruines antiques, avec un « monumentalisme » sévère que le régime mussolinien tenta d’annexer à l’esthétique fasciste. C’est où son rôle fut décisif dans l’art italien. Mais il y a aussi sa palette de tons incroyablement riche, des détails d’une précision de miniaturiste (il le fut aussi), qui démentent souvent la gravité et même le caractère religieux des « sujets » qu’on lui demandait d’illustrer, ses paysages et ses figures fantastiques, semés de nuages abritant des personnages qui préfigurent les « taches interprétées » de Léonard de Vinci.

C’est Vinci qui, le premier, a réellement libéré le peintre occidental de son statut de domestique. Anobli par l’empereur d’Allemagne, consulté comme expert en antiquités par les Médicis et autres seigneurs souverains, Mantegna marqua ce qu’il avait conquis d’indépendance en se faisant bâtir un palais et une chapelle funéraire qu’il entreprit de décorer. L’un des plus grands regrets d’Albrecht Dürer fut d’apprendre la mort du « plus grand peintre vivant », alors qu’il était en chemin pour le visiter. Ce qu’il connaissait de son œuvre pour l’admirer à ce point, ce n’était pas les toiles ou les fresques habillant le palais des souverains de Mantoue, mais des gravures dessinées ou inspirées par Mantegna, production clandestine que cette exposition met judicieusement en lumière. Car non seulement elles ont assuré la diffusion de l’influence « mantegnesque » sur les arts renaissants, mais elles constituaient, par la liberté même de leur figuration, une sorte d’appel aux artistes à s’affranchir de leur servitude d’ouvriers payés à la tâche ou au mètre, « 10 bolonais par pied de fresque », comme spécifie un contrat du temps. C’est en cela aussi que Mantegna est grand. ?

• Mantegna, jusqu’au 5 janvier 2009, musée du Louvre, Paris, catalogue monumental, musée du Louvre-éditions Hazan, 42 euros.

Gilles Bounoure


et au Louvre, il y a aussi Delacroix-Picasso


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L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Message par pelon » 08 Nov 2008, 19:12

Bien entendu, ce n'est pas la même chose que de voir les oeuvres mais voici une petite compensation : ICI.
Ne pas oublier de cliquer sur zoom et de passer ensuite la loupe pour bien voir les détails.
pelon
 
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Message par pedro » 09 Nov 2008, 18:01

Effectivement, pour ceux qui le peuvent, n'hésitez pas à aller voir cet immense artiste de la renaissance Italienne, qui excellait notamment dans la perspective.
pedro
 
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