Un article d'El Watan sur l'émigration

Message par Koceila » 27 Juil 2008, 19:04

a écrit :L’immigration : Le nouvel « ennemi intérieur »
El Watan, 27 mai 2008

Le long de la frontière globale que la politique post-11 septembre a produite entre le premier et le tiers-monde, une frontière récemment re-conceptualisée par la nouvelle carte du Pentagone, qui distingue le « décalé non intégrable » (The Non-Integrating Gap) du « centre fonctionnel » (The Functioning Core), nous observons aujourd’hui une société de surproduction et de l’excès qui érige une barricade, à une échelle sans précédent, face aux zones de cicatrisation qu’elle a produites par son indifférence économique et politique.

Mais le « décalé non-intégrable » n’est pas totalement rejeté, car le « centre fonctionnel » vise en son sein des sites qui lui permettent de mettre en œuvre ses politiques de financement et de trouver des marchés du travail à bas coût. Cette nouvelle carte géo-économique-politique et ses dérives culturalistes du type « clash des civilisations » ne doit pas être prise à la légère ; elle fonde, ou tout au moins éclaire, les nouvelles politiques que les pays développés mettent actuellement en place pour maîtriser les flux migratoires internationaux. Mais pourquoi cet emballement contemporain sur l’immigration et pourquoi celle-ci est-elle, très souvent, associée au crime et au terrorisme ? La réponse à ces questions n’est pas simple tant les enjeux qui lui sont liés sont multiples, imbriqués les uns aux autres et surtout noyés dans les discours des politiques et des médias qui entretiennent l’amalgame et focalisent l’opinon publique sur son ampleur et les dangers qu’elle fait encourir aux sociétés et aux Etats du « centre fonctionnel ». Voyons donc ces enjeux et surtout classons-les selon l’ordre logique de leur pertinence.

Économie et démographie
Les sociétés du « Centre » ont doublement besoin d’apport humain extérieur pour rajeunir leurs populations vieillissantes et augmenter l’offre de travail venant du « décalé non intégrable », c’est-à-dire du tiers-monde. L’augmenter en quantité de manière à exercer, à la baisse, une pression sur les salaires moyens de tous les travaileurs, y compris les « nationaux » de ces pays. Mais aussi en qualité, parce que les travailleurs immigrés sont plus « flexibles » sur les conditions de travail, tout heureux qu’ils sont d’avoir « un job ». C’est sur cette reconnaissance de sa fonction positive que les Etats du « Centre » ont mis en place leurs politiques migratoires nationales depuis la Deuxième Guerre mondiale pour l’Europe, bien avant pour les USA. Hispaniques et Maghrébins, Asiatiques, Turcs et Africains ont ainsi couvert efficacement les besoins en main-d’œuvre du capitalisme occidental depuis plusieurs décennies. Et aujourd’hui encore, ils continuent à le faire sauf qu’ils le font maintenant dans des conditions beaucoup plus difficiles au niveau des Etats comme des sociétés « d’accueil ».

Clandestins et Réguliers
Nombre d’entre eux sont amenés, du fait des restrictions à l’entrée de ces pays, à immigrer clandestinement et deviennent des « sans-papiers ». Ils sont évalués à plusieurs dizaines de millions aux USA, bien moins en Europe mais partout ils sont pourchassés à travers des procédures policières de plus en plus dures, le plus souvent contraires aux conventions des « droits de l’homme » que ces pays du « Centre » s’enorgueillissent d’en être les promoteurs. Estimés à 400 000 en France, 80 000 à 100 000 entrent chaque année en France. Pourtant, personne n’est dupe : les clandestins travaillent et donc trouvent des employeurs qui les emploient, mais le font dans des conditions plus dures encore. En réalité, ils ne deviennent « irréguliers » que lorsque la police les arrêtent lors des contrôles de plus en plus expéditifs. Diallo Koudenogoun, Mauritanien de 45 ans, travaille dans le bâtiment depuis son arrivée en France, en 1988. Au noir, en interim ou avec de faux papiers. « Presque tous les patrons, dit-il, profitent de la situation, et on est obligé d’accepter. » Une autre raconte : « Je dis toujours (à ses patrons n.d.a), que je suis sans papiers, j’assume. Ils disent qu’ils s’en foutent, quand ça les arrange. Une avocate, chez qui je travaillais, m’ a demandé de partir quand elle a trouvé moins cher que moi. Mais là, elle m’ a dit que c’est parce que je n’avais pas de papiers… » En réalité, beaucoup de clandestins travaillent, mais tous vivent clandestinement, c’est-à-dire en dessous du seuil de « citoyenneté » qui leur permettrait de négocier légalement leur salaire et de bénéficier des prestations sociales et urbaines qui lui sont liées. « En février dernier, note une journaliste, une circulaire expliquait aux prefets comment parvenir concrètement à démultiplier le nombre d’interpellations des sans-papiers, y compris à leur domicile, dans les locaux d’associations, les foyers et centres d’hébergement, dans les véhicules (de pompiers, bus associatifs, ambulances…) et jusque dans les hôpitaux et même les blocs opératoires. En 2007, il y eut dans ces conditions, 27 000 expulsions et d’après une journaliste des Echos, le seul budget de la police nationale pour cette année serait de 687 millions d’euros, soit l’équivalent de plus de plus de 10 000 emplois à temps plein destinés à l’expulsion des sans-papiers ! Aux USA, à la frontière mexicaine, uniquement entre Tijuana et San Diégo, « l’opinion publique a découvert, sous le mur gigantesque et bourré d’informatique chargé d’arrêter le flux d’immigrés, une trentaine de tunnels, creusés au cours des dernières années, formant une vaste fourmilière de routes souterraines traversant la frontière entre la Californie et l’Arizona….dont les murs acheminent l’électricité, l’eau et la ventilation, et signalant la présence indéniable d’une économie et d’une densité humaine informelles à la frontière ». Dans tous les pays du Centre, les Etats nations rivalisent d’intelligence et d’efficacité pour traquer les sans-papiers ; le ministre français des Affaires étrangères, B. Kouchner, opposé un temps aux tests ADN dans le cadre du regroupement familial le reconnaît : « Sur l’immigration, j’ai changé parce que l’Europe est en train de changer plus que nous, se référant à l’évolution des pays comme l’Espagne ou l’Italie. » Mais les politiques nationales ne suffisent plus pour endiguer « le flot d’immigrés », la coopération régionale devient necessaire ; en Europe, un Pôle européen a été créé pour mettre en commun les informations et les procédures juriques, tandis que l’on se prépare à l’élaboration d’un « pacte européen sur l’émigration ». Pendant que la chasse aux clandestins se durcit et se modernise grâce aux NTIC, dont nous parlerons plus loin, de nouvelles politiques d’immigration sélective se mettent en place. Celles-là, plus maîtrisables et plus efficaces devront être négociées avec les Etats du Sud concernés : on importera, en quantité, en qualité et sur des périodes fixées à l’avance, les catégories de main-d’œuvre dont le pays a besoin, des techniciens et des ingénieurs surtout ; et on responsabilisera l’Etat partenaire sur les opérations de sélection, de contrôle et même de « bonne tenue » des candidats. Les procédures rappellent ici celles utilisées dans la « marchandisation », de n’importe quel autre produit, agricole, industriel ou autres. Les Etats du Centre comptent, dans cette initiative qui devrait accompagner la mise en place de la future UPM, sur la coopération des Etats du « Décalé… » ; Ceux-là n’arrivent pas, en effet, à créer les emplois attendus par les milliers d’étudiants formés dans les universités de leurs pays qui fonctionnent encore sur le Welfare State post-indépendance alors que l’économie s’est entre-temps fortement « libéralisée ». Dans cette nouvelle « alliance » Nord-Sud, il n’ y a pas de perdants, c’est sûr, seulement si on regarde dans cette perspective, celle des Etats ; côté sociétés, par contre, ce sont celles du Sud qui perdent, en ressources humaines, en coûts qu’il a fallu investir pour les former et enfin en profits qui en auraient résultés si elles avaient été utilisées dans le pays-même. Mais enfin, cela est une autre histoire, celles des Etats du « Décalé-non intégrable » et de « l’étaticité » de ces Etats. On peut résumer les deux points précédents par le paradoxe suivant : on peut être en faveur de l’immigration d’un point de vue économique et opposé à celle-ci pour des raisons idenditaires. Aristide Zolberg, le spécialiste incontesté des courants migratoires aux USA, l’a admirablement montré. Les « strange bedfellows » constituent cette catégorie de personnes que le nativisme américain ne veut pas intégrer à la nation américaine, mais que l’économie américaine ne pourrait s’en passer.

Des usages politiques de l’immigration
Malheureusement pour ceux qui la composent, l’immigration rend beaucoup d’autres services, parfois à son insu, souvent à ses dépens. Aux jeux politiciens tout d’abord. Devenue fortement liée aux phénomènes de la criminalité sous toutes ses formes (faux papiers, prostitution, drogue, banditisme ‘’grand et petit’’...), ensuite au « terrorisme », surtout depuis l’apparition d’El Quaîda et aux attentats du 11 septembre, de Londres, de Madrid et d’autres encore, annoncés, l’immigration est aujourd’hui « la mère de tous les dangers » pour une partie importante des populations européennes. Source d’inquiétude, ravivée chaque jour par les médias et les politiques, elle rend possibles et légitimes surtout les politiques de sécurité les plus avancées et qui auraient été impensables il y a seulement quelques decennies. Au plan politique, elle a pris la place de « l’ancien ennemi de l’intérieur » contre lequel les classes dominantes européennes et américaines avaient réussi à faire bloc pour contrer les classes sociales dangereuses au XIXe siècle, ou les communistes avant l’effondrement du bloc de l’Est. Aujourd’hui, elles servent, transversalement en quelque sorte, aux droites comme aux gauches européennes et aux républicains comme aux libéraux américains pour attirer le plus grand nombre d’électeurs, excités par les médias sur les dangers et la concurrence des immigrés aussi bien en termes d’emplois qu’en termes de prestations sociales assurés par le Welfare State ( sécurité sociale, droit au logement, scolarité, etc.). Préférence nationale, identité nationale, sécurité intérieure sont les mots qui reviennent le plus souvent pour raviver les inquiétudes des électeurs et proposer des politiques publiques chargées de les calmer. Les liens entre crime, chômage, fanatisme religieux (l’Islam en Europe, l’hispanisme aux USA) et migration constituent des matériaux importants du discours et de l’action politique : « l’immigration occupe dans le champ politique du ‘‘Centre fonctionnel’’ une postition de force symbolique qui en fait un acteur principal des scènes politiques européennes et fonde une technologie politique, une modalité de la ‘‘gouvernementalité contemporaine’’ ». L’immigration, inscrite dans le champ des relations internationales, est devenue pour chaque pays du « Centre » une affaire nationale, intérieure. Un des conseillers du candidat Mac Cain, aux prochaines élections présidentielles américaines s’est juré de faire remonter à la première place des préoccupations des électeurs les dangers de l’immigration et détrôner ainsi la guerre d’Irak. De son côté, l’historien français Gérard Noiriel a montré comment les thèmes de l’immigration et de l’idendité nationale sont réactivés et transformés selon les périodes : « L’antagonisme franco-allemand qui avait structuré le récit d’actualité entre 1870 et 1945 a ainsi été remplacé par un nouveau discours où le ‘‘nous’’ français apparaît constamment opposé aux ‘‘eux’’ islamistes. Le mot ‘‘communautarisme’’ s’est rapidement imposé pour nommer la nouvelle menace, fonctionnant comme une grille de lecture que les journalistes pressés par l’actualité peuvent facilement remplir chaque jour. Les musulmans sont apparus ainsi comme de nouveaux barbares, qui passent leurs journées à s’entretuer, fomentent des attentats terroristes, brûlent les voitures, dirigent le trafic de drogue, favorisent le foulard islamique à leur sœur et violent les autres filles des cités ».

Du contrôle des immigrés au contrôle universel
Mais l’usage politique et politicien de l’immigration, y compris avec ses dérives culturalistes ne s’arrête pas là. Les politiques de sécurité vont beaucoup plus loin que le simple fichage des immigrés. Derrière les immigrés, qui sont les populations tests des nouvelles technologies de contrôle, ce sont les ‘‘natifs’’ européens et américains eux-mêmes qui seront, à terme, ‘‘étreints’’ par le monopole d’Etat sur la libre circulation des individus. L’idenditification de ‘‘l’autre’’ considéré maintenant comme un danger potentiel ne peut se faire sans celle du ‘‘soi’’ et les techniques utilisées pour l’un sont réversibles sur le second. Car, ce que le citoyen européen aurait refusé comme technique incompatible avec sa liberté, comme le passeport anthropométrique, sera plus facilement accepté s’il est justifié par sa sécurité. Le processus de ‘‘surveillance et de contrôle’’ des citoyens est bien sûr ancien et commence avec la formation du couple Etat-nation, sa population à identifier, ses frontières à surveiller, ses impôts à prélever, etc. Grâce à la mise en scène des dangers de l’immigration et l’aide des NTIC, ce processus s’est fortement accéléré en ce début de millénaire, au point que les bureaucraties de gouvernement ont été obligées de se transformer peu ou prou en instruments de surveillance et de contrôle des citoyens. Les questions de sécurité intérieure, d’identification et de suivi des résidents, y compris par les biotechnologies (ADN) occupent dorénavant une place importante dans les indicateurs de la bonne gouvernace moderne. Les institutions sociales, économiques et culturelles comme les lieux de travail, l’école, la banque, la sécurité sociale, les transports etc, connectées les unes aux autres par la technologie constituent ‘‘une toile’’ gigantesque qui ‘‘étreint’’ les citoyens dans ses mailles de plus en plus serrées. Avec les inquiétudes et les peurs des ‘‘autres’’, les immigrés, nécessaires à l’économie et à la croissance, mais perçus maintenant comme des dangers potentiels, le citoyen européen ou américain, pris dans les filets de ‘‘la Toile’’ se sentira, malgré tout, protégé. Sa sécurité, croit-il, vaut bien quelques inconvénients en matière de liberté. L’inquiétude et la peur augmentent donc, le marché de la sécurité aussi.
Le magazine En toute sécurité estime qu’il a atteint les 350 milliards d’euros en 2006 (dont 145 milliards pour les USA et 100 milliards pour l’Europe). Les entreprises américaines rafleraient 45% de la mise, l’Europe 31%, la France 5%. Les analystes du secteur lui prédisent un avenir radieux que ses actions en bourse confirment amplement.

En guise de conclusion
Un effet collatéral de la transformation de la question de l’immigration de phénomène social et économique en problème et enjeu politique : retour sur la lutte anticoloniale de l’Algérie. Dans un numéro de Charlie Hebdo de décembre 2007, Philippe Val, son directeur écrivait : « On pourrait penser que le parcours de Vergès, de la guerre d’Algérie à la défense de Saddam Hussein, est incohérent. C’est oublier une chose : du début à la fin, de la défense des extrémistes arabes….jusqu’à la défense de Saddam Hussein, en passant par celle de Barbie, qui est devenu son ami, il a été l’éternel défenseur des tueurs de juifs et l’avocat des dictateurs. » Dans le même journal, Daniel Leconte, d’Arte dit : « On voit comment la filiation se fait de l’anticolonialisme au nazisme. » Et plus loin : « Cela dit, qui va pouvoir faire le lien entre l’attentat du Milk Bar et celui du World Trade Center, s’il ne connaît pas toutes les subtilités de cette histoire ? » Et pour conclure, le même Val : « Nationalistes arabes extrémistes, radicaux religieux arabes, anciens et néonazis ont un point commun : ils haissent la pensée occidentale, héritière des traditions judéo-gréco-latines qui produit des valeurs comme les droits de l’homme. » La « problématisation » de l’immigration et sa complexe ‘‘mise en scène’’ dans les pays du ‘‘Centre fonctionnel’’ n’a pas fini sa lente métamorphose : après avoir abondamment trituré son présent, rien ne lui interdit de ‘‘déconstruire’’ son passé et revisiter son histoire.

Ali El Kenz
Koceila
 
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Message par Koceila » 27 Juil 2008, 19:19

Je dois ajouter que Philippe Val a fait un sacré parcourt:

- De gauchiste dans la fin des années 1960
- Le voici devenu herault de la lutte anti arabe

Mais non il a été toujours fidèle à lui-même, toujours défenseur de la société bourgeoise, car du maoïsme ou du stalinisme aux idées réactionnaires, il n'y qu'un pas
Koceila
 
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Message par Bertrand » 27 Juil 2008, 19:33

Val a toujours été un chien de garde.
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Bertrand
 
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