Pour un parti large, révolutionnaire et prolétarien
Cela fait donc près d’un an que la Ligue communiste a lancé son appel pour un nouveau parti. En tant que Fraction de Lutte Ouvrière, nous avons regretté que notre majorité ne s’associe pas à cette initiative, mais également que la Ligue communiste n’ait pas vraiment cherché à associer Lutte Ouvrière, le seul partenaire national réel ayant dans ses grandes lignes le même programme défendu par Olivier Besancenot lors des présidentielles. Un front des deux organisations aurait commencé par faire la preuve de cette absence de sectarisme devant caractériser un parti « large ».
Mais un an a passé et nous ne reviendrons pas ici sur cet aspect de la question sur lequel nous nous sommes largement exprimés, en particulier dans notre revue Convergences révolutionnaires et divers textes . Foin des regrets. Le processus est enclenché, et c’est très volontiers que nous participons à la discussion sur la nature de ce parti, à la veille de la première conférence de coordination nationale de ses comités d’initiative.
Le choix des mots
L’appel de la LCR pour ce nouveau parti se situe dans un contexte de durcissement des rapports de classes à l’échelle nationale comme internationale. En France, à ce durcissement correspond une certaine radicalisation de l’opinion populaire, qui s’est traduite par des scores électoraux globaux de l’extrême gauche variant entre 5 et 10 % depuis douze ans. Une visibilité des militants révolutionnaires pour le moins inédite depuis la seconde guerre mondiale. D’où la légitimité de l’initiative de la LCR.
Mais curieusement, alors même que tous ceux qui ont voté Olivier Besancenot (et précédemment Arlette Laguiller) n’ont pas été particulièrement effrayés par les termes de « communiste » et « révolutionnaire », voilà que la Ligue communiste fait preuve d’une prudence de Sioux dès lors qu’elle en appelle à un nouveau parti. L’opinion populaire regarde avec sympathie les révolutionnaires… mais les révolutionnaires font preuve d’une étrange pudeur. Plus question de parti révolutionnaire, expression sans doute trop directe, mais de « parti pour la transformation révolutionnaire de la société » [formule désormais consacrée, reprise dans la contribution de la LCR à la réunion des 28 et 29 juin]. On ne parle plus de « renverser » le capitalisme, ce serait trop clair, mais de « rupture avec le capitalisme », « d’invention du socialisme du XXI° siècle ».
Bref, toute une novlangue pour révolutionnaires honteux, qui préfèrent peut-être les non voyants aux aveugles, les techniciennes de surface aux femmes de ménage… et en tout cas « reconstruire du neuf à gauche » plutôt que, tout bêtement, construire un parti révolutionnaire.
Evidemment, les camarades de la Ligue expliquent que les termes de « révolutionnaire » et de « révolution » ne garantissent rien du tout. Certes. Jusqu’à présent, ils figuraient même dans les textes programmatiques du PS, c’est dire ! Mais est-ce précisément au moment où le PS les supprime officiellement de son programme, que la Ligue doit suivre le mouvement ? Dire n’est pas une garantie. Mais ne pas dire est un message.
L’autre justification implicite de tous ces euphémismes et périphrases est de n’écarter personne et d’accueillir dans le nouveau parti des déçus de la gauche ou des syndicalistes qui ne se disent pas eux-mêmes révolutionnaires. Le problème, c’est que ce beau calcul ne correspond pas à ce qui se passe dans les comités d’initiative. Les réformistes affichés, la « gauche de la gauche » des comités anti-libéraux, ne sont pas partenaires. Le programme d’Olivier Besancenot n’était en effet pas le leur. La LCR espèrerait-elle à nouveau en faire des partenaires privilégiés ?
Quant aux « anonymes », auxquels l’appel s’adressait en priorité, soit ils sont plutôt pour un parti révolutionnaire, soit, sans se considérer eux-mêmes comme révolutionnaires, du moins pas encore, ils n’en font pas un obstacle à leur participation. Et nous avons eu souvent l’impression que c’était plutôt les camarades de la LCR eux-mêmes qui tenaient un discours bien en retrait par rapport aux attentes des participants.
L’ennui, dans toute cette frilosité terminologique, disons tactique, c’est que les mots ont tout de même un sens et qu’à force d’euphémismes, c’est tout le programme qu’on édulcore. Quand on parle de « transformation révolutionnaire de la société », on ne parle ni de révolution sociale, ni du renversement du pouvoir politique. Tout le monde peut se retrouver dans ces révolutions sociétales. Des défenseurs du droit des animaux aux nouveaux gourous du management entrepreneurial.
A ce compte-là, l’agent le plus efficace de « la transformation révolutionnaire de la société », c’est le capitalisme lui-même, lequel ces dernières décennies a sans doute prolétarisé la majeure partie de la planète. En 40 ans, depuis 1968, bien des « transformations révolutionnaires de la société » ont eu lieu… sauf justement la révolution qui nous intéresse.
Même chose pour « reconstruire du neuf à gauche ». Au PS, dont il s’agit en priorité de se démarquer, tout le monde veut aussi « reconstruire du neuf ». La différence, c’est que la Ligue propose de « changer de gauche, pas changer la gauche ». Soit. Mais pour quelle nouvelle gauche ? Une gauche pas franchement révolutionnaire ? Comme la plupart des gauches qui se sont relayées dans l’histoire ? Non, disent les camarades de la LCR, car cette fois, il faudrait « réinventer le socialisme du XXI° siècle ». Réinventer, inventer, mots miracles. Mais en l’occurrence, réinventer quoi ? S’agit-il de se démarquer du stalinisme ? De la trahison des idées communistes qu’il a représenté ? Dans ce cas autant se revendiquer sans ambages du trotskisme. Ou s’agit-il d’en rabattre sur le marxisme révolutionnaire ? De mouliner de nouvelles utopies au goût du jour déconnectées de la lutte de classe ?
Le vieux débat entre réforme ou révolution a été tranché par l’histoire. L’emprise mondiale du capitalisme et ses capacités destructrices sur toute l’humanité et la planète, en ce vingt-et-unième siècle, vient tout simplement – quel constat ! – de remettre à l’ordre du jour la famine dans le monde. Cela seul, s’il en était besoin, nécessite non pas d’être simplement « en rupture » (bien des gens sont « en rupture », chacun dans sa petite niche d’intervention), mais de renverser ici comme ailleurs la classe capitaliste au pouvoir et l’Etat qui l’incarne. C’est toute la différence entre les diverses formes de résistance et de contestation plus ou moins subversives, et l’ambition révolutionnaire. C’est toute la différence entre les organisations associatives ou syndicales, et un parti révolutionnaire. Oui, il y a nécessité, urgence en fait, d’un nouveau parti se disant clairement révolutionnaire.
Cela réduira-t-il l’impact et l’audience du nouveau parti que nous cherchons à construire ? Cela compromettra-t-il sa dynamique ? Depuis les années 1980, et surtout depuis ce « capitalisme triomphant » qui a suivi la chute de l’URSS, les bases objectives des illusions réformistes se sont considérablement rétrécies, sinon anéanties. Ce n’est pas un hasard si les résultats électoraux reflètent un nouvel intérêt populaire pour l’extrême gauche, autrement dit pour les révolutionnaires. Il est donc juste et nécessaire, pour les révolutionnaires, de vouloir tenter le lancement d’un parti plus large que les groupes actuellement existants.
Mais la pire erreur serait de croire qu’on attirera plus de vocations militantes en édulcorant l’image politique, en l’occurrence celle d’Olivier Besancenot, qui a cristallisé la sympathie populaire voire suscité certaines attentes. L’heure n’est pas aux eaux tièdes des calculs tactiques ni aux contours idéologiques cotonneux. Bien des groupes d’extrême gauche, en Europe comme en Amérique latine, n’en sont pas sortis indemnes.
Se proclamer indépendants de la gauche institutionnelle, c’est bien, c’est nécessaire. C’est le minimum, en fait. Mais ce n’est crédible qu’en commençant par l’être dans le choix de notre terminologie politique, celle par rapport à laquelle se détermineront tous ceux qui aujourd’hui accèdent manifestement à une certaine conscience politique. Alors ne craignons pas d’en appeler à rejoindre un parti anticapitaliste, certes, mais révolutionnaire. Ce serait le premier « message fort » montrant que le nouveau parti se veut « en rupture avec l’orientation prônée par les directions du PS et du PCF », pour reprendre la formulation de la contribution de la LCR.
Un parti large, c’est-à-dire prolétarien
Dans ses premiers appels au nouveau parti, Olivier Besancenot insistait sur la nécessité que ce parti soit accessible et vivable « aux anonymes », aux ouvriers, aux jeunes travailleurs, et appelait du même coup à une certaine « révolution culturelle » dans les pratiques des militants de la LCR. Neuf mois après, les camarades de la LCR, en faisant le bilan provisoire des comités d’initiative, constatent l’une des principales faiblesses actuelles du processus : la plupart des comités se réunissent sur une base géographique, le nombre de comités de secteurs ou de branche d’entreprise restant extrêmement marginal. Inutile de dire que le style des discussions et des réunions s’en ressent. Bien entendu, rien n’est rédhibitoire dans ce constat et la LCR insiste à juste titre sur la nécessité d’appeler à la constitution de comités d’initiative ciblant les entreprises ou les branches industrielles en invitant ses militants à un effort volontariste dans ce sens.
En réalité, il s’agit là moins d’une question d’accessibilité militante, que d’une question de fond sur la nature du nouveau parti et ses priorités. Appelle-t-on ou non à un parti de classe, prolétarien, dans son implantation comme dans ses préoccupations, son type d’intervention et ses objectifs politiques. Certes, les comités sur une base géographique ont leur légitimité, ne serait-ce que pour organiser politiquement les salariés isolés des petites entreprises et plus généralement toutes les catégories de prolétaires, qu’ils soient manuels ou intellectuels, avec ou sans travail et de toutes générations.
La lutte de classe se mène et doit se mener sur bien des terrains (logement, éducation, chômage, droits des immigrés, discriminations sociales et politiques de tous ordres…), mais celui qui conditionne tous les autres est celui où les salariés s’opposent en tant que producteurs au patronat, sur les lieux de travail, dans les entreprises. Le nouveau parti révolutionnaire aura non seulement son mot à dire, mais une orientation politique à donner aux luttes qui se mènent dans les entreprises et sur les lieux de travail. Et le militant ouvrier, employé ou enseignant du nouveau parti, tout en étant le plus souvent un militant syndical, sera un militant politique avant d’être un militant de telle ou telle enseigne syndicale.
Ce qui nécessite que le nouveau parti privilégie ses structures d’entreprise, là où les militants seront effectivement en mesure de discuter et décider concrètement de la politique à mener dans leurs luttes. La situation paradoxale serait que les militants d’entreprise du nouveau parti s’organisent surtout sur une base géographique, en participant sans doute à toutes sortes d’activités associatives ou de solidarité, tout en ne s’organisant que sur le terrain syndical sur leur lieu de travail. Autrement dit, en laissant le monopole de la direction des luttes, locales et nationales, aux « équipes syndicales », c’est-à-dire de fait aux appareils syndicaux.
Quelle crédibilité de classe ce nouveau parti pourrait acquérir s’il laissait le monopole de l’intervention en entreprise, donc de la direction des luttes, aux appareils traditionnels ? C’est sur ce terrain privilégié de la lutte de classe que le nouveau parti sera en mesure de faire ses preuves et de devenir effectivement un parti large, accessible aux travailleurs parce qu’ils y trouveront les moyens de discuter et décider concrètement de l’orientation de la lutte de classe.
Bien entendu, une telle implantation n’est pas donnée d’avance, ni ne peut se faire instantanément et suppose une orientation volontariste de la part des militants du futur nouveau parti. Mais c’est ce volontarisme qui en conditionnera la dynamique et donnera à bien des travailleurs des raisons de le rejoindre.
Un parti de classe,
indépendant des appareils réformistes, tant politiques que syndicaux
« … les directions des principales [des principales seulement ? N.d.la F.] confédérations syndicales s’adaptent au nouveau capitalisme, acceptent l’agenda des contre-réformes patronales, accompagnent les mesures rétrogrades, surfent quelquefois sur la contestation mais sans jamais la susciter et construire le rapport de force par les luttes » dit la contribution de la LCR. Nous faisons le même constat.
« L’indépendance vis-à-vis du PS est une question première », insiste plus loin la contribution. Là aussi, entièrement d’accord. On pourrait ajouter, vis-à-vis également du PC ou des différents bouts de la gauche. On devrait en conclure que l’une des raisons d’être de ce nouveau parti anticapitaliste et révolutionnaire, est donc d’abord son indépendance vis-à-vis des appareils traditionnels, politiques et syndicaux, eux qui accompagnent plus qu’ils ne contestent le « nouveau capitalisme », pour reprendre les termes de la contribution de la Ligue. Mais bizarrement, alors qu’il est ici question de l’indépendance politique du nouveau parti, voilà que quatre lignes plus loin la contribution inverse les priorités et se met à parler, non pas de l’indépendance du parti vis-à-vis des appareils syndicaux, mais de l’indépendance des syndicats… par rapport au nouveau parti.
La contribution préconise « un parti qui respecte l’indépendance des équipes syndicales et des mouvements sociaux ».
Qu’est-ce que cela peut bien vouloir signifier, sinon que le nouveau parti n’aurait surtout pas la prétention de contester sur le terrain la politique des appareils quand il le faudra ? Aux appareils syndicaux le monopole de la lutte de classe, et au nouveau parti la modeste fonction d’être un simple réseau anticapitaliste fédérant les bonnes volontés plus ou moins associatives locales ? Les syndicalistes adhérents au nouveau parti pourront coller à leurs appareils locaux ou nationaux les jours de lutte, ceux de la semaine, pour discuter platoniquement le dimanche de la transformation révolutionnaire de la société, s’ils en ont encore le temps ?
Qui veut-on rassurer ici ? Les militants syndicalistes ? Mais ceux qui viendront au nouveau parti, ne le feront-ils pas justement pour s’émanciper des bureaucraties syndicales ? Et s’ils n’en ont pas une claire conscience, ne s’agit-il pas de les en convaincre dès maintenant, plutôt que d’en rabattre là aussi, au risque de compromettre l’avenir politique du nouveau parti ?
Un parti de classe et de combat, s’appuyant sur la démocratie ouvrière
Pour le coup, parlons de démocratie ouvrière. Plus précisément, de la démocratie dans les luttes, qui sera effectivement une question centrale pour le nouveau parti.
La contribution parle de « lutter contre la bureaucratisation qui a fait tant de mal aux mouvement ouvrier » : en se contentant de lui opposer le régime interne du nouveau parti ? Le régime interne du nouveau parti devra être parfaitement démocratique et non sectaire, nous sommes d’accord.
Mais l’objectif du nouveau parti, une bonne partie de son programme, justement, sera de se donner les moyens de lutter contre ces appareils bureaucratiques qui, effectivement, en étouffant la lutte de classe, ont fait et font toujours « tant de mal au mouvement ouvrier ».
Ce qui signifie que l’un des rôles majeurs du nouveau parti sera d’entraîner ses militants, sur leurs terrains d’intervention, à organiser démocratiquement les travailleurs au cours de leurs luttes, afin qu’ils se donnent des organes propres (comités de grève, coordinations, comité central de grève, coordinations régionales et nationales… et même plus) leur permettant de déborder les appareils conservateurs. C’est cela, la stratégie révolutionnaire de conquête du pouvoir par les travailleurs, à commencer par la conquête de la direction de leurs propres luttes. Et le nouveau parti aura un rôle majeur à cet égard.
Les bureaucraties syndicales sont en première ligne pour limiter, dévoyer ou même trahir les luttes. Or l’objectif d’un parti de classe, en s’appuyant sur l’organisation démocratique des travailleurs en lutte, serait d’aider chaque lutte, locale ou nationale, a aller jusqu’au bout de ses possibilités. Ce n’est donc pas l’indépendance des syndicats et des associations (qui de toute façon ne serait en rien mise en cause par l’existence d’un parti anticapitaliste) mais celle du parti et de sa politique dont nous avons besoin, y compris quand il s’agit de mener une politique de front unique à leur égard.
Le parti de la convergence et de la généralisation des luttes
La contribution de la LCR parle d’un « nouveau parti pour les luttes », et égrène les différentes formes de résistance et de contestation à Sarkozy et au patronat. D’accord. Mais il ne suffit pas d’être un parti des luttes. Encore faut-il savoir de quelles luttes il s’agit… et quel but on leur assigne.
La faiblesse actuelle de la classe ouvrière ne tient pas tant à son absence de combativité qu’à la dispersion de ses réactions que les directions syndicales entretiennent savamment, tout en acquiesçant sur le fond, tout comme le Parti socialiste, au contenu des « réformes » sarkozystes. Le véritable point d’achoppement actuel entre une politique révolutionnaire et celles des appareils, c’est précisément ce refus de centraliser les combats locaux et sectoriels, cet acharnement à parcelliser et diviser les luttes des travailleurs comme de la jeunesse.
Ce serait là aussi toute la différence entre un authentique parti révolutionnaire, et une simple formation « anticapitaliste » chapeautant gentiment diverses formes de contestations locales, sans contester centralement tous ceux qui font obstacle à la généralisation des luttes.
Il appartiendra au nouveau parti anticapitaliste et révolutionnaire de militer pour une mobilisation de l’ensemble des salariés et de la jeunesse susceptible de mettre sérieusement en danger le pouvoir en place, pour un programme subversif à court terme qui redonnerait confiance, espoir et véritablement conscience de sa force au monde du travail. Un programme de coordination des luttes, de leur convergence et de leur généralisation.
Bref, à faire en sorte que chaque gréviste, chaque manifestant, pour son salaire, son emploi, les effectifs de son usine ou sa branche, la régularisation de sa situation… sente qu’il fait partie d’une seule et même classe en train de passer à l’offensive.
L’enjeu, pour la classe ouvrière, est de disposer d’une force politique nationale susceptible d’initier une authentique politique de front unique pour la convergence des luttes et des mobilisations et pour ce faire d’interpeller réellement les appareils traditionnels ou de les contester et les combattre quand ils tournent le dos aux intérêts du monde du travail. Reste à savoir si le nouveau parti anticapitaliste se fixera cet objectif. En tout cas il est le nôtre.
Huguette CHEVIREAU, pour la Fraction l’Etincelle de Lutte Ouvrière