a écrit : (Lavana)
l'immense difficulté de la tâche est d'opposer une analyse livresque (la trotskyste) à une autre (la maoïste
IMPOSSIBLE DE CONNAITRE ET D'INTERPRETER L'HISTOIRE ?
Il y a tout de meme beaucoup de sujets que nous ne pouvons connaitre que de façon livresque, dans la mesure où les événements et/ou les pays sont plus ou moins lointains, les témoins directs rares ou tous disparus etc :
-Les guerres napoléoniennes
-La commune de Paris
-La révolution russe
-Le système concentrationnaire nazi, les camps de la mort et les chambres à gaz.
Nous ne pouvons pas pour autant dire qu'il est impossible d'acquérir une connaissance fiable de ces faits. Pas une connaissance exhaustive sans doute, peut-être partiellement erronée sur certains aspects, mais suffisante tout de meme pour en discerner les lignes de force.
Sur la Révolution culturelle ( la GRCP), nous avons tout de meme d'autres sources fiables que les textes fantasmatiques de Bettheleim, de Daubier etc. J'en ai cités quelques-uns parmi les plus connus. Il est possible de les confronter et... de réfléchir. Et de réfléchir de préférence à l'aide du marxisme, c'est à dire en termes de classes sociales, et pas seulement de discours, meme si tous les discours ne sont pas inintéressants.
DES GARDES ROUGES QUI SE CONDUISENT... COMME DES HORDES FASCISTES
Si nous considérons un livre comme La vengeance du ciel (L'un des ouvrages de mémoires de gardes rouges), livre que Conviviado ne rejette pas et que je viens de relire, nous constatons :
-L'absence totale de conscience politique élémentaire parmi les gardes rouges décrits par l'auteur, à commencer par lui-meme qui joue plus ou moins double jeu.
-La manipulation de ces gardes rouges par les autorités. L'auteur en a d'ailleurs conscience.
-Le comportement et la mentalité effroyables d'une grande partie de ces gardes rouges : rivalités de province racistes entre bandes, bagarres entre clans, vols, viols, pillages, détournements de fonds, utilisation de la pègre, meurtres, tortures ignobles, réglements de comptes. Une bonne partie des GR ne songent qu'à faire du tourisme aux frais des autorités.
-L'hostilité d'une grande partie des habitants dans toutes les villes qu'ils traversent.
-L'absence complète de liens avec la classe ouvrière. Le narrateur se retrouve directeur d'une usine employant des femmes ( à l'age de 16 ans !) et se comporte avec un autoritarisme et une morgue effrayants. On voit clairement que le pouvoir n'appartient pas aux ouvrières de l'usine. (Il est amusant de constater qu'il emploie toutes sortes de "stimulants matériels" pour tenter de les faire travailler davantage.)
-Les textes de Mao, que les GR sont censés étudier sans cesse, évoquent davantage des litanies religieuses que des textes marxistes : chacun y puise ce qui l'arrange. La superstition ancestrale fait bon ménage avec la lutte contre les vieilleries. (Personne ne prend d'ailleurs cette lutte au sérieux : chacun essaie de conserver et de s'approprier toutes sortes d'objets interdits...)
-Le sprivilèges des cadres, les hierarchies de salaires restent intactes pendant toute la GRCP. Les cadres écartés continuent d'ailleurs à percevoir leur traitement. Les privilèges et les modes de vie luxueux ne sont dénoncés que quand il s'agit de s'attaquer à un rival, tel le chef de la province.
-Enfin le role primordial de l'armée qui sera toujours l'arbitre final des affrontements entre factions de GR.
BAGARRE DE CLANS ET REMISE AU PAS DES TRAVAILLEURS
A travers cette lecture, on discerne que l'objectif semble avoir été, du moins dans la province considérée, d'abattre le chef local du parti et ses partisans. (Dont une partie referont rapidement surface.) Mais on constate aussi qu'on aurait du mal à trouver la moindre divergence idéologique et politique entre les clans en présence.
La GRCP locale se termine d'ailleurs par des affrontements armés et un bain de sang. Le clan le plus puissant est celui soutenu par l'armée qui lui livre des armes lourdes. La population compte les coups et fait le gros dos. L'un des clans, qui n'est ni plus ni moins maosite ou pro-capitaliste que l'autre a fait un mauvais choix : s'en prendre à l'armée. Ce qui restera tabou pendant toute la GRCP.
L'importance des affrontements et la vigueur de la résistance du dirigeant régional semblent montrer que l'analyse de la LDC 67 est tout de meme insuffisante : la plupart des affrontements ne se déroulent pas entre gardes rouges et ouvriers, mais entre factions du parti et factions de gardes rouges. Toutefois, quand les GR "prennent le pouvoir" dans les entreprises, on voit clairement :
1) Qu'il s'agit d'un pouvoir étranger aux ouvriers. Le "petit général" de 16 ans nomme ses adjoints, décide de tout etc.
2) Qu'il s'agit de remettre au boulot des travailleurs qui ont probablement "profité" des troubles pour réduire les cadences, faire de la perruque, voler le matériel, déserter l'usine etc.
3) Les motivations de tous les ouvrier(e)s présents dans le livre sont avant tout d'améliorer un peu leur situation matérielle, mais ils sont tout à fait indifférents aux discours politique et aux litanies maoistes. Un vieil ouvrier résume ainsi :
"Les étudiants veulent le pouvoir, les ouvriers veulent l'argent".
A mon avis, ce récit confirme assez bien l'analyse de Simon Leys déjà citée. A sa voir que l'objectif initial de la GRCP a été d'éliminer et de mettre au pas une partie de l'appareil hostile à Mao, en utilisant l'armée pour encadrer les GR. Mao semble avoir joué son va-t-ou e et lancé un mouvement qu'il n'a pas été possible de controler complètement. A la faveur des désordres, une partie de la classe ouvrière a tenté de défendre ses interets, la production s'est effondrée, il a donc fallu la remettre au travail. Et, pour rétablir l'ordre, il a fallu aussi remettre en selle une bonne partie des cadres écartés, faire des compromis etc, sur le dos des fractions de GR les plus "radicales". Mais, meme ce "radicalisme" est très relatif : il s'agit bien souvent de l'habitude prise de se comporter en petits chefs, de voyager et d'etre nourri gratuitement, d'agir à sa guise avec la population etc. Difficile de retourner ensuite sagement à l'école écouter les professeurs qu'ont avait humiliés ! Pas mal de GR vireront au banditisme.
Sur la révolution dite "culturelle" à l'université et à l'école, on ne peut que s'interroger sur l'absurdité des bagarres de clans, des humiliations (jusqu'à la torture et au crime) subies par des profs selon les caprices de rivaux, les vengeances etc L'auteur lui-meme s'interroge d'ailleurs en y participant, mais doit suivre le mouvement s'il ne veut pas se retrouver du mauvais coté.