("Zappi @ Le Monde" a écrit :Le "parti d'Olivier" efface la vieille LCR
LE MONDE | 08.10.07 | 14h23 • Mis à jour le 08.10.07 | 14h23
Les larmes sont montées d'un coup. A l'évocation de la "descente de la direction", début juin, Serge Vassec craque. Sa section de la Ligue communiste révolutionnaire, à Clermont-Ferrand, prétendait présenter un candidat aux législatives non validé par le bureau politique national, car il avait soutenu José Bové lors de la présidentielle. "Je me suis rarement senti aussi mal dans mon existence, lâche ce responsable cheminot d'Auvergne, membre de la commission exécutive de la CGT. Ce qui faisait la richesse de la Ligue, c'est qu'on pouvait avoir des désaccords, des pratiques parfois différentes localement, mais on avait un langage commun. Là on ne parle plus la même langue."
Comme ce quinquagénaire, entré en militance trotskiste en 1972, ils sont nombreux à dire ouvertement leur malaise, tandis que d'autres préfèrent partir sur la pointe des pieds. Militants aguerris, responsables syndicaux, dirigeants d'associations, impliqués dans les "luttes", construisant patiemment leur organisation trotskiste mais ayant toujours en vue la perspective de construire "un parti large" à la gauche de la gauche, ils se sentaient jusqu'alors plutôt à l'aise dans cette organisation qui leur demandait tant.
La nouvelle ligne de la direction de la LCR, son appel à construire un "nouveau parti anticapitaliste" "par le bas", ses accents répétés sur les succès d'"Olivier" les ont déboussolés. Ils ne reconnaissent plus leur "Ligue". Elle aurait perdu ses repères et, eux, presque leur raison de militer.
Le malaise couvait depuis deux ans, après l'accord avec Lutte ouvrière aux élections régionales de 2004 et l'alignement de la LCR sur son discours "ni droite ni gauche". Ils avaient alors espéré que le décalage serait passager. La bataille pour le non au référendum de mai 2005, avec ses tribunes communes à toute la gauche radicale, les avait rassurés. La "Ligue" renouait avec sa vieille tradition de "front unique" (stratégie d'unité d'action permettant d'exacerber les contradictions au sein de la gauche). L'attitude frileuse puis carrément hostile de leurs dirigeants lors du débat sur une candidature unique de la gauche radicale a douché leurs espoirs.
"BEAUCOUP DE SECTARISME"
"On s'est senti seuls quand on a vu le bureau politique chercher prétexte sur prétexte en faisant de la surenchère gauchiste pour casser les collectifs", se souvient Micheline Petitpas, professeur à la retraite à Bois-Guillaume (Seine-Maritime), entrée au Parti communiste internationaliste, ancêtre de la LCR, en 1967. Aujourd'hui, elle se dit "choquée" par le discours triomphaliste en vogue dans les rangs de la LCR parce qu'"on est passés devant le PC". "La direction vit sur un mirage", juge-t-elle.
Un "mirage" qui a son slogan interne : "Nouvelle époque, nouveau programme, nouveau parti", répètent les proches d'Alain Krivine pour justifier leur ligne, persuadés que le bon score de Besancenot à la présidentielle a définitivement "enfoncé la vieille gauche". "L'orga" doit désormais se tourner vers les jeunes radicalisés, venus à la politique sur les slogans "punchy" de la campagne d'"Olivier".
"C'est un vrai changement de direction", remarque Francis Vergne, conseiller d'orientation venu de Lutte ouvrière en 1984. En devenant le "parti des luttes" et en centrant son activité sur une ligne d'auto-affirmation, la Ligue serait désormais en danger de "gauchisme bureaucratique". " Je crains un projet au gentil profil de parti radical mais sans rivages", poursuit Gérard Bohner, ingénieur au CNRS.
Cette ligne "sectaire" se doublerait d'une tendance à un certain autoritarisme interne et une personnalisation autour du jeune postier. "Les nouveaux adhérents arrivent pour Besancenot, avec beaucoup de sectarisme et peu d'esprit critique", explique Guy Platel, ingénieur informatique à la retraite à Beauvais. "Besancenot est un excellent porte-parole, mais il y a un danger de recruter uniquement sur la base de son image", prévient Dominique Leseigneur, employé à France Télécom à Rennes, depuis trente-trois ans à la LCR.
A regarder les derniers arrivés, on pourrait croire à ce décalage générationnel. Les "nouveaux" ne sont pas gênés par la récente personnalisation affichée par la LCR : ils adhèrent effectivement au "parti d'Olivier". "L'idée de faire de la politique par le bas, en rassemblant le peuple, les lycéens, les gens des cités qui ne se reconnaissent pas dans les autres partis politiques, ça me plaît", assure Linda Robin, technicienne intermittente de 25 ans. Cette fine blonde a adhéré juste après le premier tour de la présidentielle, et reste persuadée que la LCR a "une force d'attraction suffisante" pour créer un nouveau parti.
Magali Serieys, entrée voici un mois, n'a pas non plus de doutes. "C'est important de construire quelque chose en adaptant le programme avec les nouveaux adhérents sur des bases anticapitalistes. Un peu à l'image d'Olivier", explique cette étudiante de 22 ans en DEA de philosophie à Toulouse. Le discours est gentiment gauchiste, sûr de son fait, et renvoie les références trotskistes à un passé glorieux mais révolu.
"VIEUX SCHNOCKS"
La direction, elle, joue sur du velours, accusant en douce les plus anciens de conservatisme face à la jeune relève, voire de vieillissement militant prématuré. "D'être de vieux schnocks", résume Francis Sitel, dirigeant de la minorité. "Une page se tourne", ne cesse de répéter Alain Krivine. "On va perdre quelques militants syndicaux aguerris mais gagner plein de jeunes, et ça va nous faire du bien", assure un autre dirigeant.
Pourtant, à y regarder de plus près, l'explication générationnelle semble un peu courte. Les plus anciens et les cadres syndicaux sont certes souvent militants de la minorité, autour des deux leaders Christian Picquet ou Léonce Aguirre, mais leurs réunions attirent aussi beaucoup de jeunes. Comme Danièle Obono, étudiante entrée en 2004, qui craint que la LCR "se lance dans l'inconnu en faisant table rase". Ou Germain Telliez, en deuxième année d'histoire à Amiens, qui assure "avoir adhéré en avril pour défendre une ligne unitaire après l'échec de la candidature unique à la présidentielle".
Le congrès se prépare, et les "unitaires", affaiblis, savent que les termes du débat sont "piégés" : "Qui peut être contre un nouveau parti rajeuni ?", s'interroge Francis Vergne. "On en a encore pour deux ou trois ans à souffrir", pronostique Gérard Bohner. Après, il en est sûr, la "Ligue" reviendra à ses traditions.
Sylvia Zappi
Article paru dans l'édition du 09.10.07.