Sur ce point, je ne crois pas qu'il y ait une "opinion unanime" a la ligue. On es tous d'accord sur le constat : on est contre la prostitution. Mantenant il y a aussi des nuances dans les différentes pratiques que peuvent avoir les militant(e)s investis dans ce domaine. Mais bon, le principe de base c'est d'etre contre la prostitution sans aucune complaisance, et de penser que la libération des femmes sera l'oeuvre des femmes elles meme, et pour ce qui concerne ce probléme, les prostituées
quelques points de vue développé dans rouge :
a écrit :La prostitution génère un fantasme : celui d'une personne sexuellement disponible, sur la base d'un « contrat » - acte sexuel contre argent. La prostitution est alors considérée comme un métier comme un autre. Mais cette vision se situe en contradiction avec les idées progressistes et le combat pour l'émancipation humaine. Si on pousse cette logique jusqu'au bout, le système éducatif devrait reconnaître et développer une formation spécifique dotant la personne prostituée des qualifications nécessaires à l'exercice de son métier et, pourquoi pas, inclure cette activité sur la liste des professions proposées aux enfants lors de leur orientation scolaire... La prostitution étant envisagée de la sorte, les prostituées1 devraient relever, comme tout travailleur, d'une convention collective. Les proxénètes allemands n'ont-ils pas obtenu le statut de patron ?
Femmes marchandises
Or, la prostitution n'est pas un métier. La quasi-totalité des prostituées sont, dans leur grande majorité, victimes du système prostitutionnel et proxénète. Les prostituées sont contraintes, soit à cause de leur situation socio-économique, soit en raison d'une manipulation affective ou de menaces sur leur personne. Mais ce sont avant tout les abus sexuels et le viol qui contraignent les prostituées. Le corps étant vécu comme un « objet » détestable et sans valeur, il est alors possible de le vendre. La répression des sexualités « hors normes » ou des personnes transsexuelles favorise la marginalisation sociale d'une partie des jeunes et alimente, elle aussi, le marché de la prostitution. C'est également une violence en soi, d'autant que le milieu prostitutionnel est un lieu propice aux mauvais traitements, aux viols, à la torture, voire aux meurtres. Dans ce contexte, la légalisation de la prostitution ne peut apparaître comme une mesure progressiste, même envisagée de manière transitoire dans le but d'accorder les droits du travail élémentaires aux prostituées.
Aujourd'hui, le libéralisme promeut une éthique de la liberté individuelle qui masque tous les mécanismes de contraintes marchandes et oppressives. Les prises de position d'intellectuelles comme Marcela Iacub, Catherine Millet et Catherine Robbe-Grillet, Élisabeth Badinter, en faveur de « la liberté de se prostituer » sont typiques d'une vision libérale. Pour elles, il s'agit d'un simple contrat entre une personne qui vend un « service sexuel » et un consommateur qui l'achète. Le recours des clients à la prostitution, la construction sociale de la sexualité et du rapport à la sexualité (modelée aujourd'hui par les images produites par les médias, l'industrie pornographique et la publicité) débouchent sur une vision du sexe comme produit de consommation au même titre qu'un achat dit d'impulsion. Faut-il en conclure qu'il vaut mieux légaliser une oppression, voire l'aménager plutôt que de lutter contre ? Certainement pas, car ce choix ne concerne qu'une petite minorité de personnes.
L'immense majorité des femmes prostituées, traitées comme des marchandises, subit de plein fouet la mondialisation libérale. Cette mondialisation de la prostitution multiplie les réseaux mafieux. Ainsi, chaque année, des dizaines de milliers de femmes sont attirées par des offres d'emploi fallacieuses et se retrouvent achetées par des proxénètes, brisées psychologiquement par la violence, vendues et revendues dans d'autres pays. Source de profit qui générerait au niveau mondial entre 5,4 et 7,6 milliards d'euros, la prostitution bénéficie surtout aux proxénètes et aux réseaux mafieux qui pratiquent la traite des êtres humains à fin d'exploitation sexuelle (prostitution, industrie de la pornographie) et économique (esclavage moderne, ateliers clandestins).
Dans un monde où les conditions de circulation des populations se sont sensiblement modifiées, des milliers de femmes, essentiellement originaires des pays de l'Est et d'Afrique, font l'objet d'un trafic. Et la traite des êtres humains s'inscrit dans le mouvement des migrations internationales : le sens des flux migratoires va toujours des pays pauvres vers les pays riches. Dire que la prostitution existera toujours et militer pour sa légalisation implique l'acceptation d'un marché du sexe, qui légitime ces violences faites aux femmes.
Hypocrisie
Mais combattre la prostitution ne veut pas dire, d'un point de vue progressiste, la réprimer. Or la situation actuelle se double d'une politique sécuritaire criminalisant les populations les plus pauvres, les plus vulnérables, et visant au rétablissement de l'ordre moral. La loi sur la sécurité intérieure (LSI), défendue par Nicolas Sarkozy, n'est pas une réponse au problème de la prostitution, bien au contraire : c'est une stigmatisation accrue, moraliste et hypocrite. Son but consiste à cacher la prostitution en la chassant des centres-villes et des beaux quartiers. La LSI ne s'attaque pas à la prostitution en tant que système d'exploitation et d'oppression. Elle n'assure pas non plus la sécurité des personnes prostituées et ne crée pas les conditions de leur émancipation. Elle possède également un aspect raciste, car Sarkozy organise ainsi l'expulsion des personnes prostituées étrangères coupables de racolage. Les prostituées se retrouvent donc à la périphérie des agglomérations ou s'enferment dans des chambres d'hôtels sordides... La LSI fait passer l'idée que la prostitution est une « activité » qu'il faut encadrer. L'État ne joue-t-il pas déjà le rôle de proxénète, dans la mesure où les prostituées sont obligées de lui verser taxes et cotisations2 ?
Il faut abolir la prostitution en mettant en place des principes d'éducation non sexistes, en insistant sur l'autonomie des femmes, en dénonçant et en luttant contre l'oppression patriarcale faite aux femmes et en exigeant que la lutte contre toutes les formes de violence soit au cœur du politique et ne soit plus considérée comme une question secondaire qui se résoudra avec la révolution. Lutter contre la marchandisation du corps et des activités sexuelles doit conduire tous ceux qui se battent pour une société plus humaine à obtenir l'abolition de la prostitution.
Sophie Berjout
1. La prostitution touchant en très grande majorité des femmes, le terme « prostitué » est systématiquement féminisé dans l'article.
2. Pour obtenir une couverture sociale en tant que « travailleuses non salariée », les prostituées doivent verser des cotisations à l'Urssaf, qui ne se gêne pas pour demander les arriérés des années précédentes.
• À lire : la brochure « Prostitution » (La Brèche, 1,50 euro); Simone de Beauvoir, «La femme : objet d'échange ou partenaire ?» (synthèse thématique du Deuxième sexe); Pierre Bourdieu, « Synthèse de l'analyse de La Domination masculine »; Michel Field, « Quand la limite entre prostitution et conjugalité tend à se brouiller...» (Autrement); Jean Rhéa, Manifeste pour l'abolition de la prostitution.
Rouge 2007 06/03/2003
a écrit : Femmes et prostitution
Défendons les prostituées, pas la prostitution
"Ni coupables ni victimes : libres de se prostituer." C'est à cet article paru dans "Le Monde" du 9 janvier dernier et signé de Marcela Iacub, juriste, Catherine Millet et Catherine Robbe-Grillet, écrivaines, que répond ici Claudine Legardinier (1), au nom du Collectif national pour les droits des femmes.
"Ni coupables, ni victimes : libres de se prostituer." Beau lyrisme ! Des femmes se disant féministes, mais dont le concours actif dans les combats pour les droits des femmes est jusqu'ici resté pour le moins discret, se découvrent investies d'une mission : défendre les prostituées. N'ayant visiblement de la question que la maigre connaissance qu'en donne l'inévitable et politiquement correcte prostituée-de-service-si-contente-de-l'être chère aux plateaux de télé, elles brandissent quelques fortes idées, parmi lesquelles : créer des "espaces de prostitution libre" où puisse s'exercer cet "authentique métier".
Un enfermement
Faire vingt passes par jour en prenant du valium ; être sur le qui-vive "parce qu'on peut toujours tomber sur un cinglé". Voilà bien un "authentique métier" dont aucune des auteures de cet étrange manifeste ne voudrait pour sa fille ! En réalité, l'affirmation de liberté de quelques prostituées, et qui n'engage qu'elles, sert de masque à l'enfermement de toutes les autres. Et leur tonitruante revendication individuelle camoufle l'ensemble des causes sociales, économiques et politiques qui poussent à la prostitution les plus vulnérables, les plus abusé-e-s ou précarisé-e-s.
Certes, on comprend que certaines d'entre elles, lasses de subir le mépris, revendiquent un statut. Mais c'est la dignité qu'elles réclament. Persuadées au fond d'elles-mêmes de n'exercer ce sinistre "métier" que de façon transitoire. Espérant sortir au plus vite de cette activité irrespirable, tissée de dégoût, de violence "ordinaire" et de destruction lente. Et oublier.
La déclaration candide de mesdames Iacub, Millet et Robbe-Grillet, pathétique dans sa certitude de pourfendre l'ordre moral, est une apologie de l'ordre marchand et de la loi de la jungle. Une vision étonnamment réductrice d'un système aux dimensions internationales, fondé sur les inégalités sociales et les rapports de pouvoir : ceux qu'exercent les hommes sur les femmes, les riches sur les pauvres, les adultes sur les enfants. Une machinerie qui tire des profits faramineux du marché des corps, qui multiplie les trafics d'êtres humains pour alimenter la demande.
Ainsi, la solution tiendrait à la création d'"espaces de prostitution libre". Tant de naïveté confond. Sous leur joli nom, sous les fantasmes, ces espaces-là ont un nom : ce sont des bordels. Où pourront à nouveau s'exercer les méthodes des proxénètes, s'organiser leur invisibilité, prospérer leurs prête-nom, leurs moyens de corruption. En les instituant, l'Etat donnera sa bénédiction à l'enfermement des femmes pour le service sexuel.
Sans idée aucune du "libre choix" qui pousse des femmes et des adolescentes dans pareille galère - dettes à éponger, famille à nourrir, viols et incestes à exorciser -, les signataires de ce plaidoyer pro-prostitution délivrent donc un laisser-passer aux proxénètes qui, même dans leurs rêves les plus fous, n'auraient jamais imaginé un tel sésame : le consentement des femmes à être exploitées. Mieux, leur liberté d'être asservies à la loi de l'argent et du désir de l'autre. L'ordre va régner dans les bordels. Dans ce meilleur des mondes possible, pressions, chantages, manipulations, violences - tout ce qui fait l'ordinaire de la prostitution - seront recouverts d'un silence de mort. Le temps est venu, dans le sillage des Pays-Bas, des services sexuels "contractuels" assortis de conventions collectives et, pourquoi pas, remboursés par la Sécurité sociale.
Quant aux clients, les voilà une nouvelle fois légitimés dans leur irresponsabilité de toujours, leur droit à consommer des femmes comme des pizzas et à voir renouvelée la marchandise. Le règne du consommateur est avancé. Tant pis pour celles que leur itinéraire a condamnées au "service sexuel". Puisqu'on vous dit qu'elles sont libres !
Les lobbyistes pro-prostitution ont été habiles; feignant de se soucier (bien tardivement) des personnes prostituées, ils ont fait passer leur message : institutionnaliser la prostitution comme métier. Les conséquences ? Désastreuses : pour les femmes, pour l'égalité, pour la notion même de liberté et de démocratie, pour l'avenir. Mais qu'importe l'avenir en ces temps où seul le court terme impose sa loi, où seuls comptent les intérêts, sonnants et trébuchants, du libéralisme.
Etres humains de seconde zone
Mesdames Iacub, Millet et Robbe-Grillet ne font qu'accommoder au goût du jour cette vieillerie : une sous-catégorie d'êtres humains, en priorité des femmes bien entendu, doit être disponible en permanence pour le repos du guerrier, de l'esseulé ou du handicapé. L'homme serait seul doté d'une sexualité, qui plus est "irrépressible" et fonctionnant à l'urgence. Sous couvert de liberté et d'émancipation sexuelle s'effectue le recyclage de la pire idéologie machiste, et à échelle industrielle.
La prostitution n'est pas contraire aux bonnes moeurs, elle est contraire aux plus élémentaires droits humains. Aussi menons-nous un double combat : contre la répression qui vise les personnes prostituées, et pour une société sans prostitution. Utopie ? Tant mieux ! Car l'utopie est un moteur, une voie à défricher. Une résistance face à la résignation.
Claudine Legardinier
- Ce texte a aussi été signé par : Isabelle Alonso, écrivaine ; Isabelle Autissier, navigatrice ; Claire Brisset, défenseure des enfants ; Catherine Ceylac, journaliste ; Christine Delphy, sociologue ; Annie Ernaux, écrivaine ; Xavière Gauthier, écrivaine ; Susan George, écrivaine ; Benoîte Groult, écrivaine ; Gisèle Halimi, avocate ; Michèle Le Doeuff, philosophe ; Claudie Lesselier, militante féministe ; Malka Marcovich, présidente d'association ; Florence Montreynaud, écrivaine ; Suzy Rojtman, militante féministe ; Yvette Roudy, ancienne ministre des Droits de la femme ; Elisabeth de Senneville, designer ; Wassyla Tamzali, avocate ; Alain Touraine, sociologue ; Nelly Trumel, peintre ; et de nombreuses autres signataires.
1- Claudine Legardinier est journaliste. Elle collabore notamment à la revue du Mouvement du Nid. Elle est l'auteur de Prostitution et Société, dans laquelle elle publie les témoignages de personnes prostituées que nul n'entend jamais et qui décrivent crûment, à mille lieues du fantasme, les réalités de la prostitution.
Elle a publié dans la collection "Les Essentiels", chez Milan, La Prostitution (1996) et Les Trafics du sexe (2002), et rédigé dans Le Dictionnaire critique du féminisme (PUF, 2000) l'un des deux articles "Prostitution", face à Gail Pheterson.