Ecrits de Trotsky sur le centrisme

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par Félix Edmundovitch » 25 Août 2007, 14:32

Œuvres - janvier 1932
Léon Trotsky

La révolution allemande et la bureaucratie stalinienne
10. Le centrisme "en général" et le centrisme de la bureaucratie stalinienne

Les erreurs de la direction de l'Internationale communiste et, par là même, du Parti communiste allemand appartiennent, pour reprendre la terminologie bien connue de Lénine, à "la série des sottises ultra-gauches". Même les gens intelligents peuvent commettre des sottises, surtout dans leur jeunesse. Mais, comme le conseillait déjà Heine, il ne faut pas en abuser. Quand des sottises politiques d'un certain type sont commises systématiquement, durant une longue période, de plus sur des questions fort importantes, elles cessent d'être de simples sottises et deviennent une orientation. De quelle orientation s'agit-il ? A quels besoins historiques répond-elle ? Quelles sont ses racines sociales ?

La base sociale de l'ultra-gauchisme varie selon les pays et les époques. L'anarchisme, le blanquisme et leurs différentes combinaisons, y compris la plus récente : l'anarcho-syndicalisme, sont les expressions les plus achevées de l'ultra-gauchisme. Ces courants, qui s'étaient développés principalement dans les pays latins, avaient pour base sociale l'ancienne petite industrie classique de Paris. Sa persistance a donné une importance indéniable aux différentes variétés françaises de l'ultra-gauchisme et leur a permis jusqu'à un certain point d'exercer une influence idéologique sur le mouvement ouvrier des autres pays. Le développement de la grande industrie en France, la guerre et la Révolution russe ont brisé l'épine dorsale de l'anarcho-syndicalisme. Rejeté au second plan, il s'est transformé en un opportunisme de mauvais aloi. A ces deux stades de son développement, le syndicalisme français est dirigé par le même Jouhaux : les temps changent et nous avec.

L'anarcho-syndicalisme espagnol n'a réussi à conserver une apparence révolutionnaire que dans une situation de stagnation politique. La révolution, en posant brutalement tous les problèmes, a forcé les dirigeants anarcho-syndicalistes à abandonner l'ultra-gauchisme et à révéler leur nature opportuniste. On peut être certain que la révolution espagnole chassera les préjugés syndicalistes de leur dernier refuge latin.

Des éléments anarchistes et blanquistes sont présents dans tous les autres courants et groupes ultra-gauches. A la périphérie du grand mouvement révolutionnaire on a toujours observé des manifestations de putschisme et d'aventurisme, dont les agents sont soit des couches arriérées, souvent semi-artisanales, d'ouvriers, soit des intellectuels, compagnons de route. Mais en général, ce type d'ultra-gauchisme n'a pas de signification historique indépendante et présente le plus souvent un caractère épisodique.

Dans les pays en retard du point de vue historique qui doivent accomplir leur révolution bourgeoise, alors qu'il existe déjà un mouvement ouvrier mondial développé, l'intelligentsia de gauche introduit souvent dans le mouvement semi-spontané des masses, principalement petites bourgeoises, les mots d'ordre et les méthodes les plus extrémistes. Telle est la nature des partis petits bourgeois comme celui des "socialistes révolutionnaires" russes avec leur tendance au putschisme, à la terreur individuelle, etc. Du fait de l'existence de partis communistes en Orient, il est peu probable que des groupes aventuristes indépendants acquièrent l'importance des socialistes révolutionnaires russes. Par contre, des éléments aventuristes peuvent exister dans les rangs des jeunes partis communistes orientaux. Pour ce qui est des socialistes révolutionnaires russes, ils se transformèrent sous l'influence de l'évolution de la société bourgeoise, en parti de la petite bourgeoisie impérialiste et adoptèrent une position contre-révolutionnaire à l'égard de la Révolution d'Octobre.

Il est clair que l'ultra-gauchisme de l'Internationale communiste à l'heure actuelle n'entre dans aucune des catégories décrites ci-dessus. Le principal parti de l'Internationale communiste, le Parti communiste de l'Union soviétique, s'appuie manifestement sur le prolétariat industriel et se rattache, bien ou mal, aux traditions révolutionnaires du bolchevisme, La majorité des autres sections de l'Internationale communiste sont des organisations prolétariennes. Le fait que la politique ultra-gauche du communisme officiel sévit uniformément et simultanément dans les différents pays où les conditions sont différentes, ne témoigne-t-il pas que ce courant n'a pas de racines sociales communes ? Ce cours ultra-gauche qui présente partout le même caractère "de principe" est appliqué en Chine et en Grande-Bretagne. Où faut-il donc chercher l'origine de ce nouvel ultra-gauchisme ?

Une circonstance très importante complique mais en même temps éclaire ce problème : l'ultra-gauchisme n'est absolument pas un trait constant fondamental de la direction actuelle de l'Internationale communiste. Ce même appareil, pour la majorité de ses membres, a mené jusqu'en 1928 une politique ouvertement opportuniste, rejoignant le menchevisme sur de nombreux points très importants. Dans les années 1924-1927, les accords avec les réformistes étaient considérés comme obligatoires ; de plus, il était admis que le parti renonce à son indépendance, à sa liberté de critique et même à sa base de classe prolétarienne [1].

Aussi, ne s'agit-il pas d'un courant ultra-gauche particulier, mais du long zigzag ultra-gauche d'un courant qui, dans le passé, a prouvé sa capacité à accomplir de violents zigzags ultra-droitiers. Ces indices laissent penser qu'il s'agit du centrisme.

Pour parler de façon formelle et descriptive, tous les courants du prolétariat et de sa périphérie qui se situent entre le réformisme et le marxisme et qui représentent le plus souvent les différentes étapes menant du réformisme au marxisme, et inversement, relèvent du centrisme. Le marxisme, comme le réformisme, a une base sociale stable. Le marxisme exprime les intérêts historiques du prolétariat. Le réformisme correspond à la situation privilégiée de la bureaucratie et de l'aristocratie ouvrières dans l'Etat capitaliste. Le centrisme que nous avons connu dans le passé n'avait ni ne pouvait avoir de base sociale propre. Les différentes couches du prolétariat se rapprochent de l'orientation révolutionnaire par des chemins et à des rythmes différents. Dans les périodes d'expansion industrielle prolongée ou encore dans les périodes de reflux politique, après une défaite, différentes couches du prolétariat glissent politiquement de la gauche vers la droite et se heurtent à d'autres couches qui commencent à évoluer vers la gauche. Différents groupes, freinés à certaines étapes de leur évolution, se trouvent des chefs temporaires, suscitent leurs propres programmes et organisations. On comprend ainsi quelle diversité de courants la notion de "centrisme" recouvre ! Selon leur origine, leur composition sociale, leur orientation, ces différents groupes peuvent entrer en conflit aigu les uns avec les autres, sans cesser pour autant d'être des variétés du centrisme.

Si le centrisme en général joue d'habitude le rôle de caution de gauche du réformisme, il n'est pas pour autant possible d'apporter de réponse définitive à la question : auquel des deux camps principaux, marxiste ou réformiste, appartient telle déviation centriste ? Ici, plus que partout ailleurs, il faut chaque fois analyser le contenu concret du processus et les tendances internes de son évolution. Ainsi, certaines erreurs politiques de Rosa Luxemburg peuvent être caractérisées avec une relative justesse théorique, comme centristes de gauche. On peut même aller plus loin et affirmer que la majorité des divergences de Rosa Luxemburg avec Lénine étaient dues à une déviation centriste plus ou moins importante. Seuls les bureaucrates impudents et ignorants de l'Internationale communiste peuvent ranger le luxemburgisme, en tant que courant historique, dans le centrisme. Il est inutile de rappeler que les "chefs" actuels de l'Internationale communiste, à commencer par Staline, n'arrivent pas à la cheville de la grande révolutionnaire tant politiquement que théoriquement et moralement.

Certains critiques qui n'ont pas assez réfléchi au fond de la question ont à plusieurs reprises ces derniers temps accusé l'auteur de ces lignes d'abuser du terme de "centrisme", en regroupant sous ce terme des courants et des groupes trop divers du mouvement ouvrier. En fait, la diversité des types de centrisme découle, nous l'avons dit, de l'essence même du phénomène et non d'un emploi abusif du terme. Rappelons que les marxistes ont été souvent accusés de mettre sur le compte de la petite bourgeoisie les phénomènes les plus variés et les plus contradictoires. Effectivement, il faut ranger dans la catégorie "petit-bourgeois" des faits, des idées et des tendances à première vue totalement incompatibles. Le mouvement paysan et le mouvement radical dans les villes pour la Réforme ont un caractère petit bourgeois ; de même que les Jacobins français et les populistes russes, les proudhoniens et les blanquistes, la social-démocratie actuelle et le fascisme, les anarcho-syndicalistes français, l'Armée du Salut, le mouvement de Gandhi en Inde, etc. La philosophie et l'art offrent un tableau encore plus bigarré. Est-ce que cela signifie que le marxisme joue sur les mots ? Non, cela signifie uniquement que la petite bourgeoisie se caractérise par l'extraordinaire hétérogénéité de sa nature sociale. Au niveau de ses couches inférieures, elle se confond avec le prolétariat et tombe dans le lumpen-prolétariat. Ses couches supérieures touchent de très près la bourgeoisie capitaliste. Elle peut s'appuyer sur les anciennes formes de production mais également connaître un essor rapide sur la base de l'industrie la plus moderne (les nouvelles "couches moyennes"). Rien d'étonnant à ce qu'idéologiquement elle se pare de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel.

Le centrisme au sein du mouvement ouvrier joue dans un certain sens le même rôle que l'idéologie petite bourgeoise sous toutes ses formes par rapport à la société bourgeoise dans son ensemble. Le centrisme reflète les différents types d'évolution du prolétariat, sa croissance politique, sa faiblesse révolutionnaire, liée à la pression que toutes les autres classes de la société exercent sur lui. Rien d'étonnant à ce que la palette du centrisme soit aussi colorée. Cela n'implique pas qu'il faille renoncer à la notion de centrisme ; il faut seulement dans chaque cas procéder à une analyse sociale et historique concrète pour mettre en évidence la nature réelle de telle variété de centrisme.

La fraction dirigeante de l'Internationale communiste ne relève pas du centrisme "en général" ; c'est une formation historique bien définie, avec des racines sociales puissantes bien que récentes. Il s'agit avant tout de la bureaucratie soviétique. Dans les écrits des théoriciens staliniens, cette couche sociale n'existe pas. Il n'y est question que du "léninisme", de la direction désincarnée, de la tradition idéologique, de l'esprit du bolchevisme, de l'inconsistante "ligne générale" ; mais pas un mot sur le fait que le fonctionnaire bien vivant, en chair et en os, manie cette ligne générale tel un pompier sa lance ; de cela vous n'en entendrez pas parler.

Pourtant, ce fonctionnaire ressemble à tout sauf à un esprit désincarné. Il boit, il mange, il se multiplie et prend soin de sa bedaine florissante. Il donne des ordres d'une voix tonitruante, il fait monter dans l'échelle bureaucratique des gens à sa dévotion, il se montre fidèle à ses chefs, il interdit qu'on le critique et voit en cela l'essence de la ligne générale. Il y a plusieurs millions de ces fonctionnaires, plusieurs millions !

Plus que d'ouvriers dans l'industrie au moment de la Révolution d'octobre. La majorité de ces fonctionnaires n'a jamais participé à la lutte des classes avec les risques et les sacrifices qu'elle implique. Ces individus dans leur immense majorité sont nés politiquement en tant que couche dirigeante. Et derrière eux se profile le pouvoir d'Etat. Il assure leur existence, les élevant bien au-dessus des masses. Ils ignorent le danger du chômage, s'ils savent rester au garde-à-vous. Les erreurs les plus grossières leur sont pardonnées, s'ils sont prêts à jouer, au moment voulu, le rôle de bouc émissaire, en déchargeant leur supérieur immédiat de toute responsabilité. Cette couche dirigeante de plusieurs millions d'individus a-t-elle un poids social et une influence politique dans le pays ? Oui ou non ?

On sait depuis longtemps que la bureaucratie et l'aristocratie ouvrières sont la base sociale de l'opportunisme. En Russie, ce phénomène a pris des formes nouvelles. Sur la base de la dictature du prolétariat - dans un pays arriéré et encerclé par les pays capitalistes - s'est créé pour la première fois, à partir des couches supérieures de travailleurs, un puissant appareil bureaucratique qui s'est élevé au-dessus des masses, qui leur commande, qui jouit de privilèges considérables ; ses membres sont solidaires les uns des autres et il introduit dans la politique de l'Etat ouvrier ses intérêts propres, ses méthodes et ses procédés.

Nous ne sommes pas des anarchistes. Nous comprenons la nécessité de l'Etat ouvrier et, par conséquent, le caractère historiquement inévitable de la bureaucratie durant la période de transition. Nous sommes aussi conscients des dangers que cela implique, particulièrement pour un pays arriéré et isolé. Idéaliser la bureaucratie soviétique est l'erreur la plus impardonnable qui soit pour un marxiste. Lénine déploya toute son énergie pour que le parti, avant-garde indépendante de la classe ouvrière, s'élève au-dessus de l'appareil d'Etat, le contrôle, le surveille, le dirige et l'épure, en plaçant les intérêts historiques du prolétariat - international et non pas seulement national - au-dessus des intérêts de la bureaucratie dirigeante. Lénine considérait que le contrôle de la masse du parti sur l'appareil était la première condition du contrôle de l'Etat par les partis. Relisez attentivement ses articles, ses discours et ses lettres de la période soviétique, particulièrement des deux dernières années de sa vie, et vous verrez avec quelle angoisse sa pensée revient à chaque fois sur cette question brûlante.

Que s'est-il passé dans la période qui suivit la mort de Lénine ? Toute la couche dirigeante du parti et de l'Etat qui avait participé à la révolution et à la guerre civile fut balayée, écartée, écrasée. Des fonctionnaires impersonnels prirent sa place. A la même époque, la lutte contre le bureaucratisme qui avait un caractère si aigu du vivant de Lénine, quand la bureaucratie était encore au berceau, cessa totalement, alors que la bureaucratie s'était développée de façon monstrueuse.

Qui aurait pu mener cette lutte ? Le parti en tant qu'avant-garde autogérée du prolétariat n'existe plus. L'appareil du parti s'est confondu avec celui de l'Etat. Le Guépéou est l'instrument principal de la ligne générale à l'intérieur du parti. La bureaucratie ne tolère aucune critique venant de la base, elle interdit même à ses théoriciens d'en parler. La haine forcenée pour l'opposition de gauche est due en premier lieu à ce que l'opposition parle ouvertement de la bureaucratie, de son rôle spécifique, de ses intérêts et révèle publiquement que la ligne générale est la chair et le sang de la nouvelle couche dirigeante au pouvoir, qui ne s'identifie nullement au prolétariat.

La bureaucratie tire son infaillibilité originelle du caractère ouvrier de l'Etat : la bureaucratie d'un Etat ouvrier ne peut pas dégénérer ! L'Etat et la bureaucratie sont pris ici non pas comme des processus historiques, mais comme des catégories éternelles : la Sainte Eglise et ses serviteurs ne peuvent pas se tromper ! Si la bureaucratie ouvrière dans la société capitaliste s'est élevée au-dessus du prolétariat en lutte et a dégénéré au point de donner le parti de Noske, Scheidemann, Ebert et Wels, pourquoi ne peut-elle pas dégénérer en s'élevant au-dessus du prolétariat victorieux ?

De par sa position dominante et incontrôlée, la bureaucratie soviétique acquiert une mentalité qui, sur beaucoup de points, est en totale contradiction avec celle d'un révolutionnaire prolétarien. Pour la bureaucratie, ses calculs et ses combinaisons en politique intérieure et internationale sont plus importants que les tâches d'éducation révolutionnaire des masses et que les exigences de la révolution internationale. Pendant plusieurs années, la fraction stalinienne a montré que les intérêts et la psychologie du "paysan riche", de l'ingénieur, de l'administrateur, de l'intellectuel bourgeois chinois, du fonctionnaire des trade-unions britanniques lui étaient plus proches et plus accessibles que la psychologie et les besoins des simples ouvriers, des paysans pauvres, des masses populaires chinoises insurgées, des grévistes anglais, etc. Mais dans ce cas, pour quelle raison la fraction stalinienne ne s'est-elle pas engagée jusqu'au bout dans la voie de l'opportunisme national ? Parce qu'elle est la bureaucratie d'un Etat ouvrier. Si la social-démocratie internationale défend les fondements de la domination de la bourgeoisie, la bureaucratie soviétique est forcée de s'adapter aux bases sociales issues de la Révolution d'octobre, tant qu'elle ne procède pas à un bouleversement au niveau de l'Etat. De là, la double nature de la psychologie et de la politique de la bureaucratie stalinienne. Le centrisme, centrisme qui s'appuie sur les fondements de l'Etat ouvrier, est la seule expression possible de cette double nature.

Dans les pays capitalistes, les groupes centristes ont le plus souvent un caractère temporaire, transitoire, car ils reflètent le glissement à droite ou à gauche de certaines couches d'ouvriers. Par contre, dans les conditions de la République des Soviets, des millions de bureaucrates constituent pour le centrisme une base beaucoup plus solide et organisée. Bien qu'étant un bouillon de culture naturel pour les tendances opportunistes et nationales, elle est forcée de défendre les bases de sa domination en luttant contre le koulak; elle doit aussi se préoccuper de son prestige de "bolchevik" dans le gouvernement ouvrier mondial. Après une tentative pour se rapprocher du Kuomintang et de la bureaucratie d'Amsterdam, pour laquelle elle avait des affinités, la bureaucratie soviétique est entrée en conflit aigu permanent avec la social-démocratie qui reflète l'hostilité de la bourgeoisie mondiale à l'égard de l'Etat soviétique. Telles sont les origines de l'actuel zigzag à gauche.

Ce qui fait l'originalité de la situation, c'est non pas le fait que la bureaucratie soviétique soit particulièrement immunisée contre l'opportunisme et le nationalisme, mais le fait que, ne pouvant adopter de façon définitive une position nationale-réformiste, elle se voit forcée d'accomplir des zigzags entre le marxisme et le national-réformisme. Les oscillations du centrisme bureaucratique qui sont en rapport avec sa puissance, ses ressources et les contradictions aiguës de sa situation, ont atteint une ampleur inégalée : des aventures ultra-gauches en Bulgarie et en Estonie à l'alliance avec Tchang Kaï-chek, Raditch et Purcell; de la honteuse fraternisation avec les briseurs de grève anglais au refus catégorique de la politique de front unique avec les syndicats de masse.

La bureaucratie stalinienne exporte ses méthodes et ses zigzags dans les autres pays, dans la mesure où, par l'intermédiaire du parti, non seulement elle dirige l'Internationale communiste, mais de plus lui donne des ordres. Thaelmann était pour le Kuomintang, quand Staline était pour le Kuomintang. Au VIIe Plénum du Comité exécutif de l'Internationale communiste, à l'automne 1926, le délégué du Kuomintang, ambassadeur de Tchang Kai-chek, un dénommé Chao Li-tzi, intervint à l'unisson avec Thaelmann, Sémard et tous les Remmele contre le "trotskysme". Le "camarade" Chao Li-tzi déclara :

Nous sommes tous persuadés que le Kuomintang sous la direction de l'Internationale communiste remplira sa mission historique " (Procès-verbaux, tome I, p. 459).

Voilà les faits historiques.

Prenez le Rote Fahne de l'année 1926, vous y trouverez un grand nombre d'articles sur le thème suivant : en exigeant la rupture avec le Conseil général anglais des briseurs de grève, Trotsky prouve son... menchevisme. Aujourd'hui, le "menchevisme" consiste à défendre le front unique avec les organisations de masse, c'est-à-dire à mener la politique que les IIIe et IVe Congrès de l'Internationale communiste avait formulée sous la direction de Lénine (contre tous les Thaelmann, Thalheimer, Bela Kun et autres Frossard).

Ces zigzags effarants auraient été impossibles, si dans toutes les sections de l'Internationale communiste une couche bureaucratique, se suffisant à elle-même, c'est-à-dire indépendante du parti, ne s'était pas formée. C'est là que se trouve la racine du mal.

La force du parti révolutionnaire réside dans l'esprit d'initiative de l'avant-garde qui met à l'épreuve et sélectionne ses cadres; c'est la confiance qu'elle a en ses dirigeants qui les élève progressivement vers le sommet. Cela crée un lien indestructible entre les cadres et les masses, entre les dirigeants et les cadres et donne de l'assurance à toute la direction. Rien de pareil n'existe dans les partis communistes actuels. Les chefs sont désignés. Ils se choisissent des subordonnés. La base du parti est obligée d'accepter les chefs désignés autour desquels on crée une atmosphère artificielle de publicité. Les cadres dépendent du sommet et non de la base. Dans une large mesure, ils cherchent les raisons de leur influence et de leur existence à l'extérieur des masses. Ils tirent leurs mots d'ordre politiques du télégraphe et non de l'expérience de la lutte. En même temps, Staline tient en réserve à tout hasard des documents accusateurs. Chacun de ces chefs sait qu'à chaque instant, il peut être balayé comme un simple fétu de paille.

C'est ainsi que dans toute l'Internationale communiste se crée une couche bureaucratique fermée, véritable bouillon de culture pour les bacilles du centrisme. Le centrisme de Thaelmann, de Remmele et de leurs compères est très stable et résistant du point de vue organisationnel car il s'appuie sur la bureaucratie de l'Etat soviétique, mais il se distingue par une extraordinaire instabilité du point de vue politique. Privé de la confiance que seule peut donner une liaison organique avec les masses, le Comité central infaillible est capable des zigzags les plus monstrueux. Moins il est préparé à une lutte idéologique sérieuse, plus il est généreux en injures, insinuations et calomnies. Staline, "grossier" et "déloyal", selon la définition de Lénine, est la personnification de cette couche.

La caractérisation donnée ci-dessus du centrisme bureaucratique détermine l'attitude de l'opposition de gauche à l'égard de la bureaucratie stalinienne : soutien total et illimité dans la mesure où la bureaucratie défend les frontières de la République des Soviets et les fondements de la Révolution d'octobre ; critique ouverte dans la mesure où la bureaucratie par ses zigzags administratifs rend plus difficiles la défense de la révolution et la construction du socialisme ; opposition implacable dans la mesure où par son commandement bureaucratique, elle désorganise la lutte du prolétariat mondial.
Félix Edmundovitch
 
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Message par Félix Edmundovitch » 25 Août 2007, 14:33

Manifeste d'alarme de la IV° Internationale (Mai 1940)
Léon Trotsky

Centrisme et Anarchisme

Parce qu'elle met à l'épreuve tout ce qui existe et balaie tout ce qui est pourri, la guerre représente un danger mortel pour les Internationales qui se survivent. Une partie considérable de la bureaucratie de l'I.C., surtout dans le cas d'un revirement de l'U.R.S.S., se tournera sans aucun doute vers sa propre patrie impérialiste. Les travailleurs, au contraire, iront de plus en plus à gauche. Dans ces conditions, scissions et ruptures sont inévitables. Nombre de symptômes indiquent également la possibilité d'une rupture de la « gauche » de la II° Internationale. Des groupements centristes d'origine diverses vont fusionner, rompre, créer de nouveaux « fronts », de nouveaux « camps », etc. Notre époque manifestera cependant que le centrisme lui est intolérable. Le rôle pathétique et tragique joué dans la révolution espagnole par le P.O.U.M., la plus sérieuse et la plus honnête des organisations centristes, restera toujours dans la mémoire du prolétariat avancé comme un terrible avertissement [1].

Mais l'histoire aime à se répéter. La possibilité n'est pas exclue de nouvelles tentatives pour construire une organisation internationale sur le modèle de l'Internationale 2 1/2 [2], cette fois une Internationale 3 1/4. De telles initiatives ne méritent qu'on s'y attache qu'en tant que reflets des processus bien plus profonds qui se produisent dans les masses laborieuses. Mais on peut dire d'avance en toute certitude que les « fronts », « camps » et « Internationales » centristes, manquant de fondements théoriques, de tradition révolutionnaire ou de programme achevé, n'auront qu'un caractère éphémère. Nous les aiderons en critiquant impitoyablement leur indécision et leur pusillanimité.

Cette esquisse de la banqueroute des vieilles organisations ouvrières ne serait pas complète si nous ne mentionnions pas l'anarchisme. Son déclin constitue le phénomène le plus incontestable de notre époque. Même avant la première guerre impérialiste, les anarcho?syndicalistes français ont réussi a devenir les pires opportunistes et les serviteurs directs de la bourgeoisie. Au cours de la dernière guerre, la plupart des dirigeants anarchistes internationaux sont devenus patriotes [3]. Au plus chaud de la guerre civile en Espagne, les anarchistes ont pris des postes de ministres de la bourgeoisie [4]. Les phraseurs anarchistes nient l'Etat aussi longtemps qu'il n'a pas besoin d'eux. A l'heure du danger, comme les social?démocrates, ils se font les agents de la classe capitaliste.

Les anarchistes sont entrés dans la guerre actuelle sans un programme, sans une seule idée et avec un drapeau sali par leur trahison du prolétariat espagnol. Ils sont aujourd'hui incapables d'introduire dans les rangs des ouvriers autre chose que la démoralisation patriotique parfumée de lamentations humanitaires. En cherchant un rapprochement avec les ouvriers anarchistes qui sont réellement préparés à se battre pour les intérêts de leur classe, nous exigerons en même temps qu'ils rompent complètement avec ceux de leurs dirigeants qui, dans la guerre comme la révolution, servent de garçons de course à la bourgeoisie.

[1] Sur le P.O.U.M. (Partido Obrero de Unificaciôn Marxista) cette appréciation nuance un peu la sévérité des critiques que l'on retrouvera notamment dans les volumes 10 à 20 des Œuvres.

[2] Tel était le surnom que les communistes avaient donné, au début des années 20, à l'Union des partis socialistes qui réunissait, autour des social-démocrates autrichiens, les partis qui ne voulaient être membres ni de la Il° ni de la III° Internationales.

[3] Parmi ceux qui furent accusés de s'être ralliés à la guerre, mentionnons le Français Sébastien Faure et le Russe Kropotkine.

[4] Les anarchistes déléguèrent quatre ministres dans le gouvernement Largo Caballero, puis participèrent plus tard à un gouvernement Negrin.
Félix Edmundovitch
 
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Message par Félix Edmundovitch » 25 Août 2007, 14:35

Œuvres - août 1929
Léon Trotsky

Lettre ouverte à la rédaction de La Vérité
5 août 1929


Chers camarades,

Vous entreprenez la publication d'un hebdomadaire sur la base de l'opposition communiste de gauche. Je suis de tout cœur avec vous. C'est précisément ce dont nous avons besoin.

En France, l'influence de l'opposition est trop faible. C'est qu'en France les groupements de l'opposition sont trop nombreux. Quelques?uns se sont figés. Ils publient de temps à autre un numéro de journal qui contient des documents de l'opposition internationale ou des articles occasionnels sur des questions isolées de la vie française. Le lecteur oublie le contenu du numéro précédent avant de recevoir le suivant. Il faut en finir avec une pareille situation. Il faut donner aux masses l'appréciation marxiste juste et systématique des événements sociaux. La politique exige la continuité de la pensée, de la parole et de l'action. C'est pourquoi la politique exige un quotidien.

L'opposition n'a pas encore le moyen de mettre sur pied un quotidien. Vous êtes contraints de commencer par un hebdomadaire. C'est déjà un pas en avant. A condition naturellement que l'entreprise ne s'en tienne pas là, mais qu'elle mette le cap sur un quotidien.

Les idées que vous représentez ? les idées du marxisme enrichi par la pratique révolutionnaire du parti de Lénine et toute l'expérience révolutionnaire internationale de l'après?guerre ? frayeront leur route. On ne peut en douter. Il faut seulement que ces idées soient reliées étroitement aux faits de la vie, qu'elles s'accrochent aux événements réels, qu'elles soient fécondées par l'expérience vivante des masses. Tel est l'objectif de votre hebdomadaire, et c'est ainsi qu'il deviendra l'instrument utile et irremplaçable de l'élaboration d'une plate?forme fondée correctement dans la doctrine et dans la vie. Il n'y a pas d'erreur plus grande que de s'imaginer qu'on peut fabriquer une plate?forme en chambre et la proclamer comme les prémisses tout à fait arrêtées de l'action politique.

Non, la plate?forme de combat ne peut que retracer et généraliser l'expérience politique déjà accomplie et créer ainsi les prémisses plus larges et plus fécondes de l'avenir.

Marx a dit une fois qu'un pas en avant du mouvement vaut mieux qu'une douzaine de programmes. Marx pensait aux programmes élaborés en dehors des réalités de la lutte pour la satisfaction de leurs créateurs.

Ses paroles s'appliquent on ne peut mieux à la situation actuelle de l'opposition communiste française. En quoi consiste sa faiblesse ? En ce qu'elle n'a pas mené jusqu'à ce jour de lutte politique, ou qu'elle n'en a mené qu'épisodiquement. Cela conduit inévitablement à la formation et au maintien de groupes clos et de tendance conservatrice, destinés, sur ce terrain, à échouer, comme on sait, à l'épreuve des événements.

La survivance de cet état de choses menacerait de compromettre gravement l'opposition française et de lui barrer pour longtemps la route de l'avenir. La concentration de toutes les forces de l'opposition de gauche pour l'action est indispensable. Votre Vérité doit devenir l'organe de cette concentration.

Il n'y a plus un instant à perdre. On en a déjà suffisamment perdu.

Les fautes du communisme officiel n'ont pas un caractère occasionnel. Elles tiennent à la nature même de la fraction dirigeante. Le centrisme est un courant intermédiaire entre le réformisme et le communisme. Il n'a et il ne peut avoir de ligne propre. Il la cherche toujours sous les coups de droite et de gauche. il oscille il fait des zigzags, il fait des crochets, il se jette d'un extrême à l'autre. Il faut ajouter que le centrisme actuel est foncièrement bureaucratique et pleinement soumis au commandement du sommet de la fraction stalinienne. Cela donne à chacun des zigzags de la direction un élan international, indépendamment des conditions effectives du mouvement ouvrier de chaque pays. Il en résulte un affaiblissement progressif des positions du communisme mondial. Les Sémard, les Monmousseau sont les représentants achevés du type de bureaucrate centriste en France.

Les derniers zigzags aventuriers à gauche qui avaient pour but immédiat de dissimuler l'écrasement de l'opposition communiste aux yeux des masses ouvrières se sont traduits par une série d'aventures et ont démontré, de Canton à Berlin [1], l'héroïsme de l'avant-garde ouvrière et la faillite politique de sa direction.

Comme résultat de ces convulsions ? qui ont porté naturellement leurs fruits : des défaites ? il faut s'attendre à un nouvel affaiblissement du centrisme et au renforcement des deux ailes. C'est maintenant que s'ouvre le moment favorable au recrutement des ouvriers révolutionnaires sous le drapeau de Marx et de Lénine.

En rejetant l'esprit de cénacle avec ses intérêts et ses ambitions mesquines, la Vérité doit rallier autour d'elle tous les éléments vivaces et véritablement révolutionnaires de l'opposition communiste. C'est aussi nécessaire à l'avant?garde des ouvriers que le pain quotidien.

Les rapports de la presse ouvrière avec ses lecteurs fournissent la vérification la plus nette de sa ligne politique. Les réformistes mentent consciemment au lecteur dans l'intérêt du maintien du régime bourgeois. Les centristes couvrent, par leurs mensonges, leurs hésitations et leur manque d'assurance, leurs capitulations et leurs aventures. Ils n'ont pas confiance en eux?mêmes et c'est pourquoi ils manquent de confiance en leurs lecteurs. Ils croient qu'on ne peut entraîner les ouvriers que les yeux bandés et tirés par la main. C'est cet esprit qui pénètre maintenant la presse de l'Internationale communiste. Elle n'a pas confiance dans les ouvriers. Elle les tient en tutelle comme de petits enfants. Elle leur raconte des histoires fantastiques. Quand ils posent des questions gênantes, elle les menace du doigt. C'est pour cela que l'apathie s'installe dans les rangs du parti et que le vide s'établit autour de lui.

La masse ouvrière n'est pas composée de nourrissons. Elle est faite d'hommes ayant une dure expérience. Elle ne tolère pas de gouvernants bureaucratiques dont la sévérité égale généralement la sottise. L'ouvrier ne demande pas d'ordres, mais de l'aide pour son orientation politique. Pour cela il faut lui dire avant tout ce qui est. Ne pas sucrer, mais dire honnêtement ce qui est.

La politique du communisme ne peut que gagner à exposer la vérité dans toute sa clarté. Le mensonge peut servir à sauver les fausses autorités, non à éduquer les masses. C'est la vérité qui est nécessaire aux ouvriers comme un instrument de l'action révolutionnaire.

Votre hebdomadaire s'appelle la Vérité. On a assez abusé de ce mot, comme de tous les autres, d'ailleurs. Néanmoins, c'est un nom bon et honnête. La vérité est toujours révolutionnaire. Exposer aux opprimés la vérité de leur situation, c'est leur ouvrir la voie de la révolution. Dire la vérité sur les dirigeants, c'est saper mortellement les bases de leur pouvoir. Dire la vérité sur la bureaucratie réformiste, c'est l'écraser dans la conscience des masses. Dire la vérité sur les centristes, c'est aider les ouvriers à assurer la direction juste de l'Internationale communiste.

C'est là la tâche de votre hebdomadaire. Toutes les formes et les manifestations du mouvement ouvrier doivent être loyalement éclairées. Le lecteur attentif devra se persuader que pour connaître la vérité sur les mouvements du prolétariat en France et dans le monde, il doit la rechercher dans la Vérité.

Et il acceptera ainsi votre point de vue, parce qu'il se présentera à lui dans la lumière des faits et des chiffres. Seul ce courant qui cherche honnêtement, avec les ouvriers et à leur tête, la juste orientation, gagnera à lui des partisans conscients et dévoués qui ne connaîtront ni désenchantement ni découragement.

Chers amis, je suis avec vous de tout cœur. J'accepte avec joie votre proposition de collaboration [2]. Je ferai tout pour que cette collaboration soit systématique et permanente. Je m'efforcerai de donner des articles pour chaque numéro : sur la situation en Russie, sur les événements de la vie mondiale, sur les questions du mouvement ouvrier international.

Je souhaite chaleureusement votre succès.

Notes

[1] L'insurrection de Canton, du 11 mai au 13 décembre 1927, fut « machinée » par les émissaires de Staline, l'Allemand Heinz Neumann et le Géorgien Besso Lominadzé. Destinée à fournit à l'Internationale communiste un alibi après le désastre du P.C. chinois sous sa direction, elle fut un sanglant échec. Les communistes cantonais y soutinrent avec courage un combat armé sans espoir. A Berlin, du 1° au 3 mai 1929, les travailleurs des quartiers prolétariens de Neukölln, Wedding, ouvriers communistes ou sympathisants, dressèrent des barricades, pour lutter, à l'appel du P.C. allemand, contre la police berlinoise qui les avait provoqués le 1° mai.

[2] Il s’agit d'une formule destinée au public. En fait, la Vérité avait été préparée à Prinkipo avec la participation active de Trotsky, qui y avait rédigé sa « Déclaration ».
Félix Edmundovitch
 
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Message par Félix Edmundovitch » 25 Août 2007, 18:31

Léon Trotsky
25 août 1931

Le centrisme bureaucratique, école de capitulations

Il y a quelques années, l'Opposition de gauche avertissait que la théorie " véritablement russe " du socialisme dans un seul pays amènerait inévitablement des tendances social-patriotiques dans les autres sections de l'Internationale Communiste. A l'époque, cela paraissait être une fantaisie, une invention perfide, une " calomnie ". Mais les idées ont non seulement leur logique, elles ont encore leur force explosive. Le P.C. allemand a glissé très vite, sous nos yeux, dans la sphère du social-patriotisme, c'est-à-dire de tendances et de mots d'ordre dont la haine mortelle inspira jadis la fondation de l'Internationale Communiste. Est-ce extraordinaire ? Non, c'est dans l'ordre des choses !

La méthode qui consiste à se travestir avec les habits de l'adversaire et de la classe ennemie – méthode profondément contraire à la théorie et à la psychologie du bolchevisme – découle d'une façon tout à fait organique de l'essence du centrisme, de son absence de principes, de son inconsistance, de son vide idéologique. Ainsi, la bureaucratie stalinienne appliqua pendant quelques années une politique thermidorienne pour faire perdre du terrain aux thermidoriens. Par crainte de l'Opposition de gauche, la bureaucratie stalinienne commença à faire par morceaux des contrefaçons de la plateforme de la gauche. Pour arracher les ouvriers anglais au pouvoir du trade-unionisme, les staliniens remplacèrent la politique marxiste par la politique trade-unioniste. Pour aider les ouvriers et les paysans chinois à trouver une voie indépendante, les staliniens les ont fait entrer dans le Kuomintang bourgeois. On peut continuer cette énumération sans fin. Dans les grandes questions aussi bien que dans les petites, nous voyons toujours le même esprit de travestissement, de contrefaçon continuelle des idées de l'adversaire, de tentative de se servir contré l'ennemi non pas de ses armes propres – qui manquent, hélas ! – mais de l'arme volée dans les arsenaux de l'adversaire.

Le régime actuel du parti agit dans le même sens. Nous avons dit et écrit plus d'une fois que l'autocratie de l'appareil affaiblit inévitablement l'avant-garde prolétarienne devant l'ennemi, en démoralisant les ouvriers avancés, en pliant et en brisant les caractères révolutionnaires. Celui qui baisse servilement la tête devant chaque oukase venu d'en haut est un militant révolutionnaire sans aucune valeur !

Les bureaucrates centristes étaient des zinovievistes sous Zinoviev, des boukhariniens sous Boukharine, des staliniens et des molotovistes avec l'avènement de Staline et de Molotov. Ils ont baissé la tête même devant les Manouilsky, les Kussinen et les Losovsky. Ils répétaient à chaque étape les paroles, les intonations et les grimaces du " chef " du jour, ils renonçaient aujourd'hui, selon le commandement reçu, à ce à quoi ils juraient fidélité hier et, ayant mis deux doigts dans la bouche, ils sifflaient le chef en retraite qu'hier ils portaient aux nues. Dans ce régime funeste, la virilité révolutionnaire se châtre, la conscience théorique se vide, et les échines s'assouplissent. Il n'y a que des bureaucrates passés par l'école zinovievo-stalinienne qui puissent avec une telle facilité remplacer la révolution prolétarienne par la révolution populaire et, après avoir traité les bolcheviks-léninistes de renégats, hisser sur leurs épaules des chauvins du type Scheringer.
Félix Edmundovitch
 
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Message par Félix Edmundovitch » 25 Août 2007, 18:33

Œuvres Léon Trotsky
26 novembre 1929

Comment aider les centristes

J'ai reçu une courte lettre d'un camarade qui, apparemment, est dans un état d'esprit de pré-capitulation. Naturellement, il projette ces sentiments sur la majorité des exilés. Sa philosophie est d'"aller à l'aide du centrisme." Sous cette formule retentissante, abstraite, informe, libérale se cache, en fait, un rejet du marxisme. Il y a deux manières d'aider le centrisme dans une période où il se déplace vers la gauche : on peut se dissoudre en lui ou faire un bloc avec lui – formellement ou officieusement, explicitement ou d'une manière discrète dans le cadre d'un parti unifié régi par discipline, des statuts, etc... Seule la deuxième manière est permise pour un marxiste. La déclaration de Rakovsky est une expression de cette deuxième manière. Elle a fait un long chemin pour rencontrer les centristes, avec des formulations ne traitant de rien d'autre que des choses qui unissent ou peuvent unir l'opposition à eux, actuellement.

Un bloc est-il permis sur un tel terrain ? Dans certaines circonstances, oui. Au nom des buts tactiques immédiats, l'opposition peut temporairement laisser de côté des questions de stratégie, se réservant la droit et le devoir de les réavancer fortement quand les circonstances l'exigeront, même au prix de casser le bloc avec les centristes. Il n'y a aucun opportunisme dans une telle conduite. Elle est tout à fait légitime. Et c'est précisément pourquoi les centristes n'ont pas accepté la déclaration. Ils ont exigé que l'opposition renoncent à ses principes théoriques. Les centristes n'ont pas besoin de l'aide tactique de l'opposition autant que de son auto-capitulation stratégique. En cela ils restent totalement fidèles à leur propre ligne stratégique. Seuls les traîtres peuvent conclure un bloc avec eux au prix de la renonciation et de la condamnation de leur propre plateforme. Bien qu'une telle trahison soit en général commise sous le slogan d'"aide au centrisme" en fait elle aide le centrisme, non contre la droite mais contre la gauche – et seulement contre la gauche. Dans la lutte contre les boukhariniens, de quelle utilité sont aux staliniens Piatakov, Radek, et les autres ? D'aucune. Cependant, ils peuvent être considérablement utiles dans la lutte contre l'opposition de gauche. En revanche, une opposition idéologiquement irréconciliable demeure la meilleure aide aux centristes dans la lutte contre la droite. Nous avons expliqué ces principes plus d'une fois par le passé. Il ne peut y avoir aucun doute que chaque semaine "le maître" menace son Klims [Voroshilov] avec les mots : "nous ne pouvons pas dévier vers la droite en ce moment – c'est juste ce que les trotskyistes attendent." Demain, si l'opposition devait disparaître, les Voroshilovs et leurs suivants sauteraient en selle sur l'échine des centristes de gauche. Mais ceci, naturellement, n'est pas le critère principal pour nous, il y a d'autres choses un peu plus importantes. Mais cet argument est décisif contre les déserteurs qui trahissent le marxisme, y renoncent, et le maltraitent pour aider le maître contre Baloven [1] ou Klim. Nous n'avons rien à à discuter avec de telles inconsistances.

S'il ne reste non pas trois cent exilés fidèles à notre bannière mais cinquante, trente-cinq ou même trois, la bannière restera, la ligne stratégique demeurera, ainsi que notre futur. Salutations à ceux qui sont solides et seulement à eux.

Votre, L.T.
Félix Edmundovitch
 
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Message par Félix Edmundovitch » 25 Août 2007, 18:36

Œuvres - Léon Trotsky

La vérification des idées et des individus à travers l'expérience de la révolution espagnole

La révolution espagnole [1] revêt aux yeux des ouvriers avancés une signification énorme, non seulement en tant qu'événement historique d'une importance primordiale, mais aussi comme école supérieure de stratégie révolutionnaire. Les idées et les individus sont soumis à une vérification exceptionnellement importante et, pourrait on dire, infaillible. C'est une obligation pour tout marxiste sérieux que d'étudier non seulement les événements de la révolution, mais aussi les positions politiques que divers groupements et des militants isolés prennent, dans notre sein même, face aux événements espagnols.

Le camarade Vereecken et le camarade Sneevliet.

Je voudrais dans cette lettre m'arrêter sur un exemple particulier mais au plus haut degré instructif, à savoir la position du camarade Vereecken, l'un des militants dirigeants de notre section belge. Vereecken fut rapporteur sur la question espagnole à la séance du comité central du parti socialiste révolutionnaire [2] de la fin de juillet de cette année. Le compte rendu de son rapport, reproduit dans le bulletin intérieur de la section belge de juin juillet, est fort bref, dans les vingt cinq lignes au plus, mais donne néanmoins un tableau suffisamment clair des erreurs du camarade Vereecken, erreurs très dangereuses tant pour notre section belge que pour toute l'Internationale [3].

Le camarade Sneevliet, chef du R.S.A.P. hollandais, s'est, comme on le sait, complètement solidarisé avec la politique du P.O.U.M. [4] et a ainsi clairement révélé combien il s'est éloigné du marxisme révolutionnaire. En ce qui concerne le camarade Vereecken, les choses sont quelque peu différentes. Vereecken est plus prudent. Ses raisonnements, tant passés que présents, sont parsemés de réserves : " d'une part... ", " d'autre part... ". Il a à l'égard du P.O.U.M. une position " critique " qui emprunte de nombreux arguments à notre arsenal commun. Mais, au fond, sa position centriste risque beaucoup plus que celle du camarade Sneevliet d'apporter du trouble dans nos rangs . C'est pourquoi il est nécessaire de soumettre les conceptions de Vereecken à une critique attentive.

Le fatalisme optimiste, caractéristique du centrisme.

Vereecken a présenté son rapport avant l'écrasement du P.O.U.M. et avant l'assassinat scélérat de son chef par les agents de Staline en Espagne, Antonov Ovseenko et autres. Nous défendrons implacablement la mémoire de Nin et de ses compagnons contre les calomnies des canailles de Moscou et d'ailleurs. Mais le sort tragique de Nin ne peut modifier nos appréciations politiques, dictées par les intérêts historiques du prolétariat et non par des considérations sentimentales. Depuis longtemps, le camarade Vereecken a apprécié le P.O.U.M. de façon totalement erronée, pensant que, sous la pression des événements, ce parti devrait pour ainsi dire, évoluer " automatiquement " à gauche, et que notre politique en Espagne devrait se borner à un " soutien critique " du P.O.U.M. Les événements n'ont absolument pas confirmé ce pronostic fataliste et optimiste, tout à fait caractéristique de la pensée centriste, mais nullement de la pensée marxiste.

Il suffit de rappeler ici que c'est du même optimisme fataliste qu'était imprégnée toute la politique du P.O.U.M. dont la direction s'est adaptée aux chefs anarchistes dans l'espoir qu'ils entreraient automatiquement dans la voie de la révolution prolétarienne , tout comme Vereecken s'est adapté aux chefs du P.O.U.M. Toutes ces espérances ont été cruellement déçues : les événements ont rejeté à droite les chefs anarchistes, de même que les chefs du P.O.U.M. Au lieu de reconnaître ouvertement le caractère erroné de sa politique, Vereecken veut passer subrepticement sur une nouvelle position, qui ne se distingue de celle de la veille que par une confusion plus grande encore.

Caractérisation du P.O.U.M.

A la différence de la C.N.T. et de la F.A.I. qui existent depuis des années ainsi Vereecken commence t il son rapport , " le P.O.U.M. est récent, hétérogène, la gauche y est faible. " Cette caractérisation constitue une condamnation radicale, non seulement de la position de Sneevliet, mais aussi de la politique antérieure de Vereecken lui même. Car où est l'évolution à gauche que l'on nous avait promise ? En même temps, cette caractérisation du P.O.U.M. se distingue par une imprécision voulue. " L'aile gauche " ? Le mot " gauche " ne signifie rien ici. S'agit-il de la fraction marxiste du P.O.U.M. ou de sa fraction centriste de gauche ? [5] Consciemment, Vereecken refuse de répondre à cette question. Nous répondrons donc pour lui : aucune fraction marxiste conséquente n'existe dans le P.O.U.M. après l'exclusion des trotskistes. Mais même la fraction centriste de gauche est faible, et, sur ce point, Vereecken a raison. Toutefois, cela signifie seulement qu'après six années d'expérience de la révolution, la politique du P.O.U.M. est déterminée par les centristes de droite . Telle est la vérité, sans fard.

Le camarade Vereecken " critique " le P.O.U.M.

Ecoutons maintenant la façon dont Vereecken critique le P.O.U.M. :

" Fautes du P.O.U.M. : ralliement au Front populaire lors des élections. Il répara cette erreur le 19 juillet par la lutte armée. Autre faute : participation au gouvernement et dissolution des comités. Mais, après sa sortie du gouvernement, une clarification s'opéra dans le P.O.U.M. "

Tout cela rappelle à première vue une critique marxiste. En fait, Vereecken utilise des fragments stérilisés de la critique marxiste, non pour dévoiler, mais au contraire pour dissimuler la politique opportuniste du P.O.U.M. la sienne. Et, d'abord, il saute aux yeux que, pour notre critique, il s'agit d' " erreurs " isolées du P.O.U.M., non d'une caractérisation marxiste de l'ensemble de sa politique. Toute organisation peut commettre des " erreurs " : Marx a commis des erreurs, Lénine a commis des erreurs et le parti bolchevique dans son ensemble en commit également. Mais elles furent corrigées à temps, grâce à une ligne fondamentale correcte. Dans le cas du P.O.U.M., il ne s'agit pas d' " erreurs " isolées, mais d'une ligne fondamentalement non révolutionnaire, centriste, c'est à dire, au fond, opportuniste. Autrement dit, pour un parti révolutionnaire, les erreurs sont l'exception ; pour le P.O.U.M., l'exception, ce sont des positions correctes.

Le 19 juillet 1936.

Vereecken nous rappelle que le P.O.U.M., le 19 juillet 1936 a participé à la lutte armée. Evidemment ! Seule une organisation contrerévolutionnaire pouvait ne pas participer à cette lutte qui embrasait tout le prolétariat ; et aucun de nous n'a traité le P.O.U.M. d, "organisation contre révolutionnaire " ! Mais en quoi sa participation à la lutte des masses qui, au cours de ces journées, ont imposé leur politique et aux anarchistes et aux socialistes et aux poumistes, pouvait elle " réparer " l' " erreur " d'avoir participé au Front populaire ? Le P.O.U.M. a t il modifié l'orientation politique fondamentale qui est la sienne ? Nullement.

La lutte du 19 juillet, bien qu'elle se soit soldée par la victoire réelle des ouvriers, s'est terminée sur une équivoque de dualité de pouvoirs, . uniquement parce qu'il n'existait pas d'organisation aux idées suffisamment claires et au courage nécessaire pour mener la lutte jusqu'au bout. La participation du P.O.U.M. au Front populaire n'a pas été une " erreur " fortuite, mais le signe infaillible de son opportunisme. Au cours des journées de juillet, c'était la situation extérieure qui avait changé, non le caractère centriste du parti. Le P.O.U.M. s'est adapté à l'insurrection ouvrière de la même façon que, quelques mois auparavant, il s'était adapté à la mécanique électorale du Front populaire. Le zigzag à gauche du centrisme complète son zigzag à droite mais ne le " répare "en rien. Pendant son zigzag à droite, le P.O.U.M. a conservé intégralement sa position hybride et ainsi préparé la catastrophe à venir.

La participation au gouvernement.

" L'autre faute, écrit Vereecken, fut la participation au gouvernement et la dissolution des comités. " Mais d'où a bien pu provenir cette " autre faute ", si la participation à l'insurrection de juillet avait " réparé " la politique erronée de la période précédente ? En fait, la participation au gouvernement a constitué un nouveau zigzag qui découlait de la nature centriste du parti. Le camarade Sneevliet a écrit qu'il " comprenait " cette participation. Cette formule ambiguë, hélas, ne fait que démontrer que Sneevliet ne comprend pas les lois de la lutte des classes à l'époque de la révolution. Les journées de juillet 1936 à un moment où le prolétariat catalan, avec une direction juste, aurait pu, sans efforts ni sacrifices supplémentaires, s'emparer de tout le pouvoir et ouvrir dans toute l'Espagne l'ère de la dictature du prolétariat se sont terminées, en grande partie par la faute du P.O.U.M., par un régime de dualité de pouvoir, c'est à dire un partage provisoire du pouvoir entre le prolétariat les comités et la bourgeoisie représentée par ses laquais, dirigeants staliniens, anarchistes et socialistes. L'intérêt des ouvriers était d'en finir au plus vite avec cette équivoque dangereuse en faisant passer tout le pouvoir aux comités, c'est à dire aux soviets espagnols. En revanche, la tâche de la bourgeoisie était d'anéantir les comités au nom de l'" unité du pouvoir ". La participation de Nin au gouvernement a constitué une partie du plan de la bourgeoisie contre le prolétariat. Si Sneevliet " comprend " pareille chose, tant pis pour lui. Vereecken, lui, est plus prudent ; il écrit que la participation au gouvernement a été l'" autre faute ". Pas mal, cette " faute " qui consistait à soutenir directement le gouvernement de la bourgeoisie contre les comités ouvriers !

" Mais, s'empresse d'ajouter Vereecken pour briser la pointe de sa propre critique, après sa sortie du gouvernement, une clarification s'est opérée dans le P.O.U.M. "

C'est là une contre vérité manifeste, déjà réfutée, par Vereecken lui même, dans sa caractérisation déjà citée du P.O.U.M. comme un " parti hétérogène " dans lequel la gauche était faible. Qu'est ce donc que cette " clarification " après laquelle le centrisme de gauche lui même continue à n'être dans ce parti qu'une petite minorité ? Ou peut être faut il entendre que la " clarification " a pris la forme de... l'exclusion des bolcheviks-léninistes ?

La critique du Secrétariat international.

Mais Vereecken va encore plus loin dans sa défense avocassière du centrisme. Enumérant les " fautes " du P.O.U.M., il s'empresse, tout de suite après, sans doute par souci de symétrie, d'énumérer celles du Secrétariat international. Citons le une fois de plus littéralement :

" Fautes du S.I. : dix jours après le 19 juillet, à Paris, on n'avait pas de position. On ne voyait pas l'importance des événements. On n'a pas assisté à la conférence de Bruxelles ; on a appliqué trop à la lettre la résolution de Paris. On aurait dû profiter de cette occasion pour pousser le P.O.U.M. vers une politique révolutionnaire. On s'est coupé de Nin en publiant la lettre de Trotsky. "

On ne peut en croire ses yeux à la lecture de cette somme d' " accusations " : évidemment, le S.I. a pu commettre telle ou telle négligence pratique, voire telle ou telle faute politique. Mais les mettre sur le même plan que la politique du P.O.U.M. ne serait possible qu'à un homme en position d'arbitre entre un parti qui nous combat et notre propre organisation internationale. Le camarade Vereecken révèle ici et ce n'est pas la première fois - une absence de sens des proportions désespérante. Examinons pourtant de plus près ses accusations.

" Dix jours " après le 19 juillet, le S.I. n'avait pas de position Admettons que ce soit vrai. Quelle en est la cause ? Le manque d'informations ? Une excessive prudence ? Vereecken ne le dit pas. Bien entendu, il vaut mieux avoir " immédiatement " une position juste. Le S.I. est l'institution administrative suprême Il se devait d'être très prudent avant de prendre position politiquement, d'autant plus qu'il ne dirigeait pas directement et ne pouvait pas diriger la lutte en Espagne. Mais si le S.I., " dix jours plus tard ", n'avait pas de position, le camarade Vereecken, pour sa part, un an après le 19 juillet, défend une position erronée. C'est bien pire.

La conférence de Bruxelles.

Il fallait, voyez vous, participer encore une fois à la pitoyable et insignifiante conférence des centristes à Bruxelles, pour " pousser " le P.O.U.M. " vers la politique révolutionnaire ". Il s'avère qu'il fallait agir sur le P.O.U.M. non à Barcelone, mais à Bruxelles. Non devant les masses révolutionnaires, mais dans la salle close d'une conférence. Comme si c'était la première fois que nous rencontrions les dirigeants du P.O.U.M. ! Comme si, au cours des six dernières années, nous n'avions pas essayé de les " pousser " dans la voie de la politique révolutionnaire ! Toutes les méthodes, toutes les voies possibles, nous les avons utilisées : correspondance abondante, articles nombreux et des brochures entières, liens d'organisation, envois de délégués, et enfin critique publique. Cependant, au lieu d'entrer dans la voie de la politique marxiste, les dirigeants du P.O.U.M., effrayés devant les exigences inexorables de la révolution, se sont définitivement engagés dans la voie du centrisme. Tout cela n'est évidemment pour Vereecken qu'un hasard sans importance. En revanche, c'est une énorme importance que devait revêtir... la conférence centriste de Bruxelles, où Vereecken, en présence d'un ou deux dirigeants du P.O.U.M., aurait fait un discours lequel, dans le meilleur des cas, n'aurait pu que répéter ce qui avait été dit et écrit des centaines de fois avant la conférence. Cette fois encore, chez le camarade Vereecken, le centriste se double d'un sectaire. Pour le sectaire, le moment suprême dans l'existence est celui où il s'exhibe à sa mille-et-unième conférence !

La lettre de Trotsky.

Enfin, dernière accusation, la publication de la lettre de Trotsky [6]. Cette dernière, autant que je sache, n'était pas destinée à publication. Mais il faut véritablement avoir perdu les derniers restes de sens politique pour voir dans sa publication un facteur important dans la détermination de nos rapports avec le P.O.U.M. La lettre qualifiait la participation à l'alliance avec la bourgeoisie de " trahison " du prolétariat . Est-ce juste, oui ou non ? Nous n'avons jamais soupçonné la pureté des intentions de Nin. Mais l'appréciation politique portée sur sa participation au Front populaire comme un acte de trahison était parfaitement juste. Comment, dans ces conditions, la publication de cette lettre pouvait-elle nous " couper " de Nin ? Même avant cette publication, nous étions passablement coupés de lui, et pas par hasard : toute sa politique allait en sens contraire de la nôtre. Ce n'est pas à la suite d'un caprice que Nin a rompu avec nous, trois ans avant la publication de la lettre de Trotsky. A moins que Vereecken ne veuille dire qu'au lendemain des élections Nin évoluait vers nous et que la publication de cette lettre a arrêté cette évolution ?

Les paroles de Vereecken, en admettant qu'elles aient l'ombre d'une signification, ne peuvent en avoir une autre. En fait, nous le savons, Nin et ses amis ont continué à penser qu'ils avaient eu raison de participer au Front populaire, puis au gouvernement, et ils ont même revendiqué le renouvellement de cette participation. Et là, ce n'était pas d'une " erreur " qu'il s'agissait, mais de toute une ligne politique. Enfin, même si l'on admet que le P.O.U.M. ait compris l' " erreur " que constituait sa participation au Front populaire, comment la publication de cette lettre, même si elle contenait une caractérisation très vive de cette erreur, pouvait-elle empêcher l'évolution du P.O.U.M.? Vereecken veut-il dire - en admettant qu'il veuille vraiment dire quelque chose - que Nin fut à ce point offensé par cette lettre que cela le décida à revenir vers sa position antérieure erronée ? C'est une hypothèse fort injurieuse pour Nin, qui était guidé par des idées politiques et non par d'étroites considérations d'amour-propre personnel.

Telles sont les " fautes " du S.I. que Vereecken place sur le même plan que la politique centriste du P.O.U.M. Ce faisant, il ne fait que démontrer qu'il se situe lui-même dans une position d' " arbitre " entre le marxisme et le centrisme.

La préparation aux journées de mai 1937.

Vereecken en vient ensuite aux événements de mai de cette années : " On constate, dit-il, que le P.O.U.M. s'y attendait et s'armait. L'ampleur des événements surprit le parti. Mais n'importe quel parti aurait été surpris. "

Pas une phrase ici qui ne constitue une erreur - et non une erreur fortuite, mais le produit d'une ligne politique erronée. " Prévoir " les événements de mai et s'y préparer, on ne pouvait le faire que d'une seule façon : en déclarant une guerre implacable aux gouvernements de Catalogne et d'Espagne, en leur refusant toute collaboration politique, en opposant son parti à tous les autres, c'est-à-dire à leurs directions, en particulier et avant tout à la direction de la C.N.T. Ne pas permettre un seul instant aux masses de confondre les dirigeants révolutionnaires avec les laquais de la bourgeoisie ! Une politique intransigeante de ce type, avec, bien entendu, une participation active à la lutte militaire et aux mouvements révolutionnaires des masses, aurait assuré au P.O.U.M. une autorité inébranlable parmi les ouvriers anarchistes qui constituent la grande majorité du prolétariat catalan. Au lieu de cela, le P.O.U.M. réclamait le retour de ses dirigeants au sein du gouvernement contre révolutionnaire et, dans le même temps, assurait dans chaque numéro de La Batalla que les ouvriers pouvaient prendre le pouvoir sans combat [7]. C'est même dans ce but que le P.O.U.M. a lancé le projet d'un congrès spécifique convoqué par le gouvernement bourgeois afin de... transmettre le pouvoir aux ouvriers et aux paysans . C'est précisément la raison pour laquelle le P.O.U.M. a été surpris et pour quoi les événements de mai n'ont constitué pour lui qu'une nouvelle étape sur le chemin de la catastrophe. " Mais, s'écrie Vereecken, n'importe quel parti aurait été surpris ! " Cette phrase invraisemblable démontre une fois encore que Vereecken ignore la différence entre un parti centriste et un parti marxiste. On peut certes admettre qu'une insurrection jaillie véritablement des masses dépasse, dans une plus ou moins grande mesure, n'importe quel parti révolutionnaire. Mais toute la différence réside précisément dans cette mesure. Là aussi la quantité se change en qualité. Un parti centriste est emporté par les événements et s'y noie, tandis qu'un parti révolutionnaire, à la fin des fins, les domine et assure la victoire.

" Défensive, et non offensive ".

" Les 4 et 5 mai, continue Vereecken, sa politique (celle du P.O.U.M.) fut juste : défensive et non offensive. Marcher à la prise du pouvoir, c'était une aventure dans les circonstances du moment. La grande erreur du P.O.U.M. fut de créer des illusions pendant la retraite et de faire passer la défaite pour une victoire. "

On voit avec quelle précision d'apothicaire Vereecken pèse et balance les actions " justes " et les " fautes " du P.O.U.M. Cependant, l'ensemble de son raisonnement est faux. Qui a dit et où qu'aller en mai à la prise du pouvoir était une aventure ? Telle n'était pas, avant tout, l'opinion du P.O.U.M. lui-même. La veille encore, il assurait aux ouvriers que, si seulement ils le voulaient, ils s'empareraient du pouvoir sans combat. Les ouvriers ont " voulu ". Où est ici l'aventure ? L'élément fourbe de provocation de la part des staliniens n'a, du point de vue qui nous intéresse, qu'une importance secondaire. Tous les comptes rendus publiés après les événements montrent qu'avec une direction tant soit peu sérieuse et ayant confiance en elle même la victoire de l'insurrection de mai était assurée. C'est en ce sens que le P.O.U.M. avait raison de dire que les ouvriers pouvaient prendre le pouvoir s'ils le " voulaient ". Il oubliait seulement d'ajouter : " Malheureusement, nous n'avons pas de direction révolutionnaire. " Le P.O.U.M. ne pouvait mener le prolétariat catalan à l'offensive révolutionnaire parce que et seulement parce que toute sa politique antérieure l'avait rendu incapable d'une telle initiative.

Les " journées de juillet " 1917 et les " journées de mai " 1937.

Ici le camarade Vereecken peut cependant nous rétorquer " Mais même les bolcheviks, en juillet 1917, ne se sont pas décidés à s'emparer du pouvoir, et se sont bornés à la défensive en faisant sortir les masse du feu avec le moins de victimes possible. Pourquoi donc cette politique ne pouvait elle pas convenir au P.O.U.M. ? " Examinons l'argument. Les camarades Sneevliet et Vereecken aiment beaucoup nous rappeler que " l'Espagne n'est pas la Russie ", etc. D'abstraites homélies de ce genre ne font pas très sérieux. Bien ou mal, nous nous sommes efforcés, au cours des six années écoulées, d'analyser les conditions concrètes de la révolution espagnole. Dès son début, nous avons averti qu'il ne fallait pas s'attendre à un rythme rapide de développement des événements à la manière russe de 1917. Au contraire, nous avons utilisé l'analogie avec la Grande Révolution française qui, commencée en 1789, est passée par une série d'étapes avant d'atteindre son point culminant en 1793. Mais c'est précisément parce que nous ne sommes nullement enclins à schématiser les événements historiques que nous ne jugeons pas possible d'appliquer la tactique des bolcheviks en juillet 1917 à Pétersbourg aux événements de mai 1937 en Catalogne. " L'Espagne n'est pas la Russie. " Les différences sont trop évidentes.

La manifestation armée du prolétariat pétersbourgeois éclata quatre mois après le début de la révolution, trois mois après que le parti bolchevique eut lancé un programme véritablement bolchevique, les Thèses d'avril de Lénine. La masse écrasante de la population de ce gigantesque pays commençait à peine à se dégager des illusions de février. Au front, se trouvait une armée de douze millions d'hommes qui commençaient seulement à entendre parler des bolcheviks. Dans ces conditions, l'insurrection du prolétariat de Pétersbourg isolé l'aurait immanquablement conduit à l'écrasement. Il fallait gagner du temps. C'est cette circonstance qui détermina la tactique des bolcheviks.

En Espagne, les événements de mai eurent lieu, non pas après quatre mois, mais après six ans de révolution. Les masses du pays tout entier ont fait une gigantesque expérience. Elles ont depuis longtemps perdu leurs illusions de 1931, tout comme les illusions réchauffées du Front populaire. Elles ont pu, à maintes reprises, dans toutes les régions du pays, démontrer qu'elles étaient prêtes à aller jusqu'au bout. Si le prolétariat de Catalogne s'était emparé du pouvoir en mai 1937, il aurait trouvé un soutien dans l'Espagne entière. La réaction bourgeoise stalinienne n'aurait même pas trouvé deux régiments pour écarter les ouvriers catalans.

Dans le territoire occupé par Franco, non seulement les ouvriers, mais aussi les paysans, se seraient tournés du côté de la Catalogne prolétarienne, auraient isolé l'armée fasciste et y auraient introduit une, désagrégation irrésistible. On peut douter que quelque 'gouvernement étranger se serait dans de telles conditions risqué à jeter des régiments sur le sol brûlant de l'Espagne. L'intervention serait devenue matériellement impossible, ou, au moins, extrêmement dangereuse.

Bien entendu, dans toute insurrection il existe un élément d'imprévu et de risque, mais tout le cours ultérieur des événements a démontré, que, même en cas de défaite, la situation du prolétariat espagnol aurait été incomparablement plus favorable que maintenant, sans compter que le parti révolutionnaire aurait assuré à tout jamais son avenir.

Mais sur quoi Vereecken fonde t il l'affirmation catégorique selon laquelle la prise du pouvoir en Catalogne aurait dans les circonstances du moment, constitué une " aventure " ? Absolument sur rien, sinon... le désir de justifier l'impotence du centrisme et en même temps sa propre politique, qui fut et reste seulement l'ombre gauche du centrisme.

Vereecken défend l'exclusion des bolcheviks léninistes.

Les lignes de conclusion du compte rendu sont du niveau de tout le rapport : " Il n'y a pas de démocratie dans le P.O.U.M., dit on, et pourtant, si les bordiguistes voulaient entrer chez nous, réplique Vereecken, nous les accepterions sans doute, mais sans droit de fraction. " Qui dit cela ? Un avocat du centrisme, ou un révolutionnaire qui se compte parmi les bolcheviks-léninistes ? Pas facile à comprendre... La démocratie du P.O.U.M. satisfait pleinement Vereecken. Les opportunistes excluent de leur parti les révolutionnaires : Vereecken dit : les opportunistes ont raison, car les méchants révolutionnaires construisent des fractions. Rappelons encore une fois ce que Vereecken a dit du P.O.U.M. au commencement : c'est un parti " récent ", " hétérogène ", " la Gauche y est faible ". De ce parti hétérogène, au fond entièrement constitué de fractions et de sous-fractions, le P.O.U.M. exclut, non pas les réformistes avérés, ni les nationalistes petits bourgeois catalans, ni, bien entendu, les centristes, mais seulement les bolcheviks léninistes [8]. Cela semblerait pourtant clair. Cependant le " bolchevik-léniniste " Vereecken approuve les actes de répression réactionnaire des centristes. Il est préoccupé, voyez vous, par la question juridique du droit des fractions, et non par la question politique de leur programme et de leur tactique. Aux yeux du marxiste, l'existence de la fraction révolutionnaire à l'intérieur d'un parti centriste est un fait positif ; celle de la fraction sectaire ou opportuniste dans le parti révolutionnaire est un fait négatif. Que Vereecken réduise la question au simple droit des fractions à l'existence, cela démontre seulement qu'il a complètement effacé la ligne de démarcation entre le centrisme et le marxisme. Voici ce que dirait un véritable marxiste : " On prétend que, dans le ,P.O.U.M., il n'existe pas de démocratie. C'est faux. La démocratie y existe, pour les droitiers, pour les centristes, pour les confusionnistes. Mais non pour les bolcheviks léninistes. " En d'autres termes, l'étendue de la démocratie du P.O.U.M. est déterminée par le contenu réel de la politique centriste, radicalement hostile au marxisme révolutionnaire.

Sortie impardonnable.

Mais Vereecken ne s'en tient pas là. Dans l'intérêt de la défense du P.O.U.M., il recourt à une calomnie directe impossible de qualifier cela autrement contre nos camarades d'idées en Catalogne. " La section B. L. de Barcelone, dit il, était formée de carriéristes et d'aventuriers " . On ne croit pas ses yeux quand on lit cette phrase ! Qui écrit cela ? Un social démocrate ? Un stalinien ? Un ennemi bourgeois ? Non, cette phrase est écrite par un militant responsable de notre section belge.

Voilà ce qu'il en coûte de persévérer dans des erreurs que tout le cours des événements a révélées ! Demain, si le bulletin belge tombe entre leurs mains, les agents du G.P.U. à Barcelone diront : " De l'aveu même de Vereecken, les B. L. sont des carriéristes et des aventuriers. Il faut en finir avec eux par les moyens appropriés ! " J'estime que toutes nos sections ont le devoir, de déclarer que nous rejetons avec indignation cette sortie inadmissible du camarade Vereecken et que nous soutenons de toute notre autorité internationale notre jeune organisation barcelonaise. J'ajoute ceci : comme le démontre leur appel programmatique du 19 juillet dernier, nos camarades de Barcelone ont compris les tâches de la révolution avec une profondeur et un sérieux infiniment plus grands que Vereecken. La " faute " véritable du Secrétariat international consiste plutôt en ce qu'il n'a pas jusqu'à maintenant condamné la déclaration de Vereecken et n'a pas exigé de la section belge qu'elle la condamne.

Il faut encore une fois aider le camarade Vereecken à revenir dans la voie juste.

Nous n'avons pas le moins du monde l'intention d'envenimer les désaccords. Nous avons rencontré le camarade Vereecken dans diverses circonstances et à diverses étapes du développement de la section belge et de l'organisation internationale. Nous avons tous appris à apprécier le dévouement du camarade Vereecken à la cause de la classe ouvrière, son énergie, son empressement à donner, avec désintéressement, toutes ses forces à cette cause. Les jeunes ouvriers doivent apprendre cela chez le camarade Vereecken. Mais, en ce qui concerne sa position politique, elle se trouve malheureusement le plus souvent plusieurs mètres à droite ou plusieurs mètres à gauche de la ligne marxiste, cc qui ne l'incite pas pour autant à épargner ses coups à ceux qui, eux se tiennent sur cette ligne. Il a fallu dans le passé combattre surtout les tendances sectaires du camarade Vereecken, qui ont fait pas mal de tort à la section belge. Mais, même alors, ce n'était pas pour nous un secret que le sectarisme n'est qu'un bouton où peut s'épanouir la fleur de l'opportunisme. Nous avons maintenant sous les yeux une confirmation exceptionnellement claire de cette loi de la botanique politique. Le camarade Vereecken a fait preuve de sectarisme dans des questions secondaires ou dans des questions formelles d'organisation pour tomber dans l'opportunisme sur une question politique d'une gigantesque importance historique.

La vie interne de la IVº Internationale repose sur les principes de la démocratie. Le camarade Vereecken fait de cette démocratie un large emploi, et de façon même anarchique, parfois, Mais la supériorité du régime démocratique consiste en ce que l'écrasante majorité, prenant appui sur l'expérience et la discussion amicale, peut formuler librement son opinion autorisée et rappeler opportunément à l'ordre une minorité qui s'engage dans une voie dangereuse. Tel est le plus grand service que l'on puisse actuellement rendre à notre section belge, et du même coup à la section hollandaise .

Notes

[1] Ce texte a paru pour la première fois dans le Bulletin intérieur du parti socialiste révolutionnaire belge, nº 9, novembre 1937, avec les mentions " A ne pas publier. Seulement pour les membres de l'organisation ", et " A toutes les organisations adhérant à la Quatrième Internationale ". Dans ce bulletin, le texte, signé Crux, est précédé d'une déclaration du C.C. du P.S.R. indiquant que le retard de sa publication est dû au fait que les éditeurs ont attendu la réponse de Vereecken ;mentionné sous la forme abrégée de " Ver. ", comme dans le texte - qui n'a pu en rédiger que la première partie. Celle ci est reproduite à la fin du bulletin sous le titre " La Vérification des individus, des idées, des moyens et des méthodes pour faire triompher les idées, à travers l'expérience de la révolution espagnole ".

[2] Le P.S.R., fondé en octobre 1936 par la fusion de l'Action socialiste révolutionnaire, de Walter Dauge tendance exclue du parti socialiste où se trouvaient les trotskistes " entrés " de Léon Lesoil et du groupe Spartacus de Vereecken, qui avaient scissionné au moment de l'adoption de la politique entriste, était adhérent au Centre pour la IVº Internationale.

[3] Il ne nous a pas été possible de nous reporter au texte de ce compte-rendu.

[4] Dès le mois de septembre 1936, La Batalla publie des extraits de Nieuwe Fakkel, organe du R.S.A.P., et un article de Sneevliet (21 septembre 1936).

[5] Par " fraction marxiste ", Trotsky ne peut entendre que " fraction trotskiste "; il entend vraisemblablement par " fraction centriste de gauche " ce qu'on appelle généralement " la gauche " du P.O.U.M., à savoir Juan Andrade et peut-être les dirigeants de la J.C.I., autour de Wilebaldo Solano.

[6] D'après le texte de Trotsky, il s'agirait de la lettre au S.I. publiée dans La Lutte ouvrière du 15 août 1936

[7] Le prolétariat, dans les circonstances actuelles, peut prendre le pouvoir sans avoir recours à l'insurrection armée " (14 mars) ; " La classe ouvrière, avec les positions qu'elle conserve encore, peut s'en prendre au pouvoir sans recourir à la violence " (21 mars).

[8] Julián Gorkin écrivait dans La Batalla du 24 avril 1937 que, si les trotskistes réussissaient à entrer par la porte, grande ouverte, du P.O.U.M., ils seraient " jetés par la fenêtre ".
Félix Edmundovitch
 
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Message par Félix Edmundovitch » 25 Août 2007, 21:51

:smile: il écrivait bien, non ? :17:
Félix Edmundovitch
 
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Message par Félix Edmundovitch » 26 Août 2007, 11:40

Euh... le dernier texte de Trotsky, sur centrisme et Révolution Espagnole est du 24 août 1937. Désolé pour l'oubli...
Félix Edmundovitch
 
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Message par Félix Edmundovitch » 26 Août 2007, 11:45

Œuvres - L’indépendance de l’Ukraine et les brouillons sectaires
30 juillet 1939

Dans l'une des minuscules publications sectaires qui paraissent en Amérique, qui vivent des miettes tombées de la table de la IV° Internationale et les paient de la plus noire ingratitude, je suis tombé par hasard sur un article consacré à la question ukrainienne. Quelle confusion ! Le sectaire-auteur est bien entendu opposé au mot d'ordre de l'Ukraine soviétique indépendante. Il est pour la révolution mondiale et pour le socialisme – « racines et branches ». Il nous accuse d'ignorer les intérêts de l’U.R.S.S. et d'abandonner la conception de la révolution permanente. Il nous accuse d'être des centristes. Sa critique est très sévère, presque implacable. Malheureusement il ne comprend rien du tout, et le nom de sa minuscule publication, The Marxist [1], résonne plutôt ironiquement. Mais son incapacité à comprendre revêt des formes si achevées, presque classiques, qu’elle peut nous permettre de mieux comprendre et de clarifier complètement la question.

Notre critique prend comme point de départ la position suivante : « Si les ouvriers d'Ukraine soviétique renversent le stalinisme et établissent un Etat ouvrier authentique, devront ils se séparer du reste de l'Union soviétique ? Non. » Et ainsi de suite ... « Si les ouvriers renversent le stalinisme... », alors nous verrons plus clairement quoi faire. Mais, pour y arriver, il faut d’abord ne pas se fermer les yeux devant la croissance des tendances séparatistes en Ukraine, mais bien plutôt leur donner une expression politique correcte.

« Ne pas tourner le dos à l'Union soviétique », poursuit l'auteur, « mais sa régénérescence et son rétablissement en tant que puissante citadelle de la révolution mondiale telle est la voie du marxisme ». Dans cet exemple, le développement réel des masses, en l'occurrence des masses opprimées nationalement, est remplacé par notre sage par des spéculations sur les voies les meilleures du développement. Avec la même méthode, mais avec beaucoup plus de logique, on pourrait dire : « Ce n'est pas la défense d'une Union soviétique dégénérée qui est notre tâche, mais la révolution mondiale laquelle transformera le monde entier en une Union soviétique mondiale. » De tels aphorismes sont monnaie courante.

Notre critique répète à plusieurs reprises ma déclaration sur le fait que le destin d'une Ukraine indépendante est indissolublement lié à la révolution prolétarienne mondiale. A partir de cette perspective générale, l'A B C pour un marxiste, il essaie cependant de faire une recette de passivité, de temporisation et de nihilisme national. Le triomphe de la révolution prolétarienne à l'échelle mondiale est le produit ultime de mouvements multiples, de campagnes et de batailles et absolument pas une précondition toute faite permettant de résoudre automatiquement toutes les questions. C'est seulement en posant directement et courageusement la question ukrainienne dans les circonstances concrètes données qu'on facilitera le ralliement des masses petites bourgeoises et paysannes autour du prolétariat, exactement comme en Russie en 1917.

Il est vrai que notre auteur pourrait objecter qu'en Russie, avant Octobre, c'était une révolution bourgeoise qui se déroulait tandis qu'aujourd'hui nous avons déjà derrière nous la révolution socialiste. Une revendication qui aurait pu être progressiste en 1917 est aujourd'hui réactionnaire. Un tel raisonnement, tout à fait dans l'esprit des bureaucrates et des sectaires, est faux du début à la fin.

Le droit à l'autodétermination nationale est bien entendu un principe démocratique et pas socialiste. Mais les principes authentiquement démocratiques ne sont soutenus et réalisés à notre époque que par le prolétariat révolutionnaire ; c'est pour cette raison même qu'ils sont aussi étroitement entrelacés avec les tâches socialistes. La lutte résolue des bolcheviks pour le droit à l'autodétermination des nationalités opprimées en Russie a facilité considérablement la prise du pouvoir par le prolétariat. C'est comme si le prolétariat avait absorbé les problèmes démocratiques, avant tout les problèmes agraires et nationaux, donnant à la révolution russe un caractère combiné. Le prolétariat était déjà en train d'entreprendre les tâches socialistes, mais il ne pouvait immédiatement élever à ce niveau les paysans et les nations opprimées (elles-mêmes à prédominance paysanne) qui étaient, elles, absorbées par la résolution de leurs tâches démocratiques. C'est de là que découlaient les compromis inévitables dans le domaine agraire comme national. En dépit des avantages économiques d'une agriculture à large échelle, le gouvernement soviétique a été obligé de diviser les grands domaines. Ce n'est que quelques années plus tard que le gouvernement a pu passer aux fermes collectives, et alors, il sauta immédiatement beaucoup trop loin et fut obligé, après quelques années, de faire des concessions aux paysans sous la forme de lopins privés qui, dans de nombreux endroits, tendent à dévorer les fermes collectives. Les prochaines étapes de ce procès contradictoire ne sont pas encore résolues.

La nécessité d'un compromis, ou plutôt de plusieurs compromis, apparaît également dans le domaine de la question nationale, dont les voies ne sont pas plus linéaires que celles de la révolution agraire. La structure fédérale de la République soviétique constitue un compromis entre les exigences centralistes de l'économie planifiée et les exigences décentralisatrices du développement des nations opprimées dans le passé. Ayant construit un Etat ouvrier sur le compromis d'une fédération, le parti bolchévique a inscrit dans la constitution le droit des nations à la séparation complète indiquant par là qu'il ne considérait pas du tout la question nationale comme réglée une fois pour toutes.

L'auteur de notre critique soutient que « les dirigeants du parti espéraient convaincre les masses de demeurer dans le cadre de la république soviétique fédérée ». C'est exact, si l'on prend le mot de « convaincre », non au sens d'arguments logiques, mais au sens de traverser une expérience de collaboration économique, culturelle et politique. Une agitation abstraite en faveur du centralisme n'a pas en elle-même un grand poids. Comme on l'a déjà dit, la fédération était une rupture nécessaire avec le centralisme. Il faut aussi ajouter que la composition même de la fédération n'est d'aucune manière donnée d'avance une fois pour toutes. Selon les conditions objectives, une fédération peut se développer vers un plus grand centralisme, ou, au contraire, vers une plus grande indépendance de ses composantes nationales. Politiquement, il ne s'agit pas du tout de savoir s'il est avantageux « en général » pour les diverses nationalités de vivre ensemble dans le cadre d'un seul Etat, mais plutôt de savoir si, oui ou non, une nationalité donné a, sur la base de sa propre expérience, jugé avantageux d'adhérer à un Etat donné.

En d'autres termes, laquelle des deux tendances, dans les circonstances données prendra t elle le dessus dans le compromis de la fédération, la tendance centrifuge ou la tendance centripète ? Ou, pour poser plus clairement encore : Staline et ses satrapes ukrainiens ont ils réussi à convaincre les masses de la supériorité du centralisme de Moscou sur l'indépendance ukrainienne, ou ont ils échoué ? C'est une question d'une importance décisive. Mais notre auteur ne soupçonne même pas son existence.

Les larges masses du peuple ukrainien désirent elles se séparer de l'U.R.S.S. ? Il pourrait au premier abord sembler difficile de répondre à cette question, dans la mesure où le peuple ukrainien, comme tous les autres peuples de l'U.R.S.S., est privé de toute possibilité d'exprimer sa volonté. Mais la genèse même du régime totalitaire et son intensification plus brutale encore, surtout en Ukraine, constituent la preuve que la volonté réelle des masses ukrainiennes est irréconciliablement hostile à la bureaucratie soviétique. Il ne manque pas de preuve que l'une des sources principales de cette hostilité est la suppression de l'indépendance ukrainienne. Les tendances nationalistes en Ukraine ont explosé avec violence en 1917 1919. Le Parti Borotba exprimait ces tendances à gauche [2]. L'indication la plus importante du succès de la politique léniniste en Ukraine a été la fusion du parti bolchevique ukrainien avec l'organisation des « borotbistes [3] »..

Au cours de la décennie suivante, cependant, une véritable rupture se produisit avec le groupe de Borotba, dont les dirigeants furent persécutés. Le Vieux Bolchevik Skrypnik [4], un stalinien pur sang, fut conduit au suicide en 1933 pour avoir soi-disant protégé les tendances nationalistes. Le véritable « organisateur » de ce suicide fut l'émissaire stalinien Postychev [5] qui, là-dessus, resta en Ukraine comme représentant de la politique de centralisation. Pourtant Postychev est tombé lui-même en disgrâce [6]. Ces faits sont profondément symptomatiques, car ils révèlent avec quelle force s'exerce la pression de l'opposition nationaliste sur la bureaucratie. Nulle part purge et répression n'ont eu un caractère aussi sauvage et aussi massif qu'en Ukraine.

Le fait que les éléments démocrates ukrainiens hors d'Union soviétique se soient détournés d'elle est d'une importance politique énorme. Quand le problème ukrainien s'est aggravé au début de l'année, on n'entendait pas du tout les voix communistes, mais celles des cléricaux et socialistes nationaux ukrainiens résonnaient fort. Cela signifie que l'avant garde prolétarienne a laissé le mouvement national ukrainien lui glisser des mains et que ce mouvement a progressé très avant sur la voie du séparatisme. Enfin, l'état d'esprit des émigrés ukrainiens du continent nord américain est également très indicatif. Au Canada, par exemple, où les Ukrainiens constituent le cœur du parti communiste, a commencé en 1933, comme l'a dit un participant de ce mouvement, un exode très net des ouvriers et paysans ukrainiens qui se détournent du communisme et tombent ou dans la passivité ou les nationalismes de divers types. Au total, ces symptômes et ces faits témoignent sans conteste de la force grandissante des tendances séparatistes au sein des masses ukrainiennes.

Tel est le fait fondamental sous jacent à l'ensemble du problème. Il montre qu'en dépit du pas en avant gigantesque réalisé par la révolution d'Octobre dans le domaine des rapports nationaux, la révolution prolétarienne, isolée dans un pays arriéré, s'est avérée incapable de résoudre la question nationale, particulièrement la question ukrainienne, qui, a par essence un caractère international. La réaction thermidorienne, couronnée par la bureaucratie bonapartiste, a rejeté les masses laborieuses très en arrière dans le domaine national également. Les grandes masses du peuple ukrainien sont mécontentes de leur sort national et aspirent à le changer radicalement. C'est ce fait que le révolutionnaire politique, à la différence du bureaucrate et du sectaire, doit prendre comme point de départ.

Si notre critique était capable de penser politique, il aurait deviné sans difficulté les arguments des staliniens contre le mot d'ordre de l'indépendance de l'Ukraine : « il nie la position de défense de l'U.R.S.S. », « détruit l'unité des masses révolutionnaires », « ne sert pas les intérêts de la révolution, mais ceux de l'impérialisme ». En d'autres termes, les staliniens répètent les trois arguments de notre auteur. C'est ce qu'ils feront à coup sûr dès demain.

La bureaucratie stalinienne dit à la femme soviétique : « Puisqu'il y a le socialisme dans notre pays, vous devez être heureuse et renoncer à l'avortement (ou être punie). » Aux Ukrainiens, elle dit : «Puisque la révolution socialiste a réglé la question nationale, il est de votre devoir d'être heureux dans l'U.R.S.S. et de renoncer à toute idée de séparation (ou de faire face au peloton d'exécution). »

Que dit un révolutionnaire à la femme ? « Vous devez décider vous-même si vous voulez un enfant; je défendrai votre droit à l'avortement face à la police du Kremlin. » Au peuple Ukrainien, il dit : « Ce qui compte pour moi, c'est votre attitude à vous vis-à-vis de votre destin national et non les sophismes pseudo socialistes de la police du Kremlin; je soutiendrai de toutes mes forces votre lutte pour l'indépendance ukrainienne. »

Le sectaire, bien souvent, se retrouve du côté de la police, couvrant le statu quo, c'est à dire la violence policière, par des spéculations stériles sur la supériorité de l'unification socialiste des nations sur leur division. Assurément, la séparation de l'Ukraine constitue un risque en comparaison d'une fédération socialiste volontaire et égalitaire ; mais elle constituera un acquis indiscutable par rapport à l'étranglement bureaucratique du peuple ukrainien. Afin de se rapprocher plus étroitement et plus honnêtement, il est parfois nécessaire de commencer par se séparer. Lénine avait l'habitude de citer le fait que les rapports entre travailleurs norvégiens et suédois se sont améliorés et sont devenus plus étroits après la destruction de l'unification forcée de la Norvège et de la Suède [7].

Nous devons partir des faits et non de normes idéales. La réaction thermidorienne en U.R.S.S., la défaite d'un certain nombre de révolutions, les victoires du fascisme qui est en train de refaire à sa manière la carte de l'Europe devront être payées en monnaie véritable dans tous les domaines, y compris la question ukrainienne. Si nous devions ignorer la situation nouvelle née des défaites, si nous devions prétendre que rien d'extraordinaire ne s'est produit, et si nous devions opposer des abstractions familières à des faits déplaisants, alors nous pourrions bel et bien livrer à la réaction nos dernières chances de nous venger dans un avenir plus ou moins proche.

Notre auteur interprète le mot d'ordre d'une Ukraine indépendante comme suit : « D'abord, il faut libérer l'Ukraine soviétique du reste de l'Union soviétique ; ensuite nous aurons la révolution prolétarienne et l'unification avec le reste de l'Ukraine. » Mais comment peut il y avoir une séparation, sans une révolution d'abord ? Notre auteur est pris dans un cercle vicieux, et le mot d'ordre d'une Ukraine indépendante est discrédité sans espoir, en meme temps que la « logique erronée » de Trotsky. En fait, cette logique particulière d' « abord » et « ensuite » n'est qu'un exemple frappant d'une façon de penser scolastique. Notre malheureux critique n'a pas la moindre idée du fait que les processus historiques peuvent se produire non « d'abord » puis « ensuite », mais parallèlement l'un à l'autre, s'accélérer ou se retarder l'un l'autre. Ni que la tâche de la politique révolutionnaire consiste précisément à accélérer l'action et réaction mutuelles des processus progressistes. Le tranchant du mot d'ordre d'une Ukraine indépendante est dirigée directement contre la bureaucratie de Moscou et permet à l'avant garde prolétarienne de gagner les masses paysannes. D'un autre côté, le même mot d'ordre ouvre au parti prolétarien la possibilité de jouer un rôle dirigeant dans le mouvement national ukrainien en Pologne, en Roumanie et en Hongrie. L'ensemble de ces processus politiques poussera de l'avant le mouvement révolutionnaire et augmentera le poids spécifique de l'avant-garde prolétarienne.

Mon affirmation que les ouvriers et paysans d'Ukraine occidentale (Pologne) ne veulent pas rejoindre l'Union soviétique telle qu'elle est constituée aujourd'hui et que cela constitue un argument supplémentaire en faveur d'une Ukraine indépendante, notre sage la balaie en affirmant que, même s'ils le voulaient, ils ne pourraient rejoindre l'Union soviétique, parce qu'ils ne pourraient le faire qu' « après la révolution prolétarienne en Ukraine occidentale » de toute évidence en Pologne. En d'autres termes: aujourd'hui, la séparation de l'Ukraine est impossible, et après la révolution victorieuse, eIle serait réactionnaire. Vieux refrain familier !

Luxemburg, Boukharine, Piatakov et bien d'autres ont utilisé exactement le même argument contre le programme d'auto détermination nationale [8] ; sous le capitalisme, c'est utopique, et sous le socialisme, réactionnaire. L'argument est radicalement faux parce qu'il ignore l'époque de la révolution sociale et ses tâches. Il est certain que sous la domination de l'impérialisme une indépendance authentique, stable et solide des nations. petites et moyennes est impossible. Il est également vrai que da dans un socialisme pleinement développé, avec le dépérissement progressif de l'Etat, la question des frontières nationales disparaîtra. Mais entre ces deux moments aujourd'hui et le socialisme complet se dérouleront les décennies au cours desquelles nous nous préparons à réaliser notre programme. Le mot d'ordre d'une Ukraine soviétique indépendante est d'une extraordinaire importance pour mobiliser les masses et les éduquer dans la période de transition.

Le sectaire ignore simplement le fait que la lutte nationale, une des plus complexes, un véritable labyrinthe, mais en même temps des plus importantes des formes de la lutte des classes, ne peut pas être suspendue par de simples références à la révolution mondiale future. En détournant leurs yeux de l'U.R.S.S., en négligeant d'avoir le soutien et la direction du prolétariat international, les masses petites bourgeoises et même prolétariennes d'Ukraine tombent victimes de la démagogie réactionnaire. Des processus identiques se produisent sans aucun doute également dans l'Ukraine soviétique, il est simplement plus difficile de les mettre en évidence. Le mot d'ordre d'une Ukraine indépendante avancé à temps par l'avant garde prolétarienne conduira inévitablement à la stratification de la petite bourgeoisie et facilitera la jonction de son tiers inférieur avec le prolétariat. C'est seulement ainsi qu'il est possible de préparer la révolution prolétarienne.

« Si les travailleurs réalisent une révolution victorieuse en Ukraine occidentale », persiste notre auteur, « notre stratégie serait elle d'exiger la séparation de l'Ukraine soviétique et sa fusion avec sa partie occidentale ? Exactement le contraire. » Cette affirmation marque la profondeur de « notre stratégie » ? A nouveau le même refrain : « Si les ouvriers réalisent... » Le sectaire se contente d'une éducation logique à partir d'une révolution victorieuse supposée déjà réalisée. Mais, pour un révolutionnaire, le nœud de la question est précisément de savoir comment frayer la voie à la révolution, comment faciliter aux masses l'approche vers la révolution, comment rapprocher la révolution, comment assurer sa victoire. « Si les ouvriers réalisent... » une révolution victorieuse, tout sera évidemment très bien. Mais maintenant, justement, il n'y a pas de révolution victorieuse, et, au contraire, c'est la réaction qui triomphe.

Trouver le pont entre la réaction et la révolution c'est notre tâche. C'est l'apport de tout notre programme de revendications de transition [9]. Rien d'étonnant que les sectaires de toutes nuances n'en comprennent pas la signification. Ils opèrent au moyen d'abstractions une abstraction de l'impérialisme et une abstraction de révolution socialiste. La question de la transition de l'impérialisme réel à la révolution réelle, la question de comment mobiliser les masses dans une situation historique donnée pour prendre le pouvoir, reste pour ces pédants un livre scellé de sept sceaux.

Ajoutant une sévère accusation l'une sur l'autre, notre critique déclare que le mot d'ordre d'une Ukraine indépendante sert les intérêts des impérialistes et des staliniens parce qu'il « contredit complètement la position de défense de l'Union soviétique ». Il est impossible de comprendre pourquoi les intérêts « des staliniens » ne sont pas touchés. Mais contentons-nous de la question de la « défense de l'U.R.S.S. ». Cette défense pourrait être menacée par une Ukraine indépendante seulement si cette dernière était hostile non seulement à la bureaucratie, mais à l'U.R.S.S. même. Cependant, à partir d'un tel point de départ de toute évidence faux comment un socialiste peut il exiger qu'une Ukraine hostile soit retenue dans le cadre de l'U.R.S.S. ? Ou bien la question n'englobe t elle que la période de la révolution nationale ?

Pourtant notre critique reconnaît apparemment le caractère inévitable de la révolution politique contre la bureaucratie bonapartiste [10]. Dans l'intervalle, cette révolution, comme toute révolution, présentera sans aucun doute un certain danger du point de vue de la défense de l'U.R.S.S. Que faire ? Si notre critique avait réellement pensé à ce problème, il aurait répondu qu'un tel danger était un risque historique inévitable puisque l'U.R.S.S. est perdue sous la domination de la bureaucratie bonapartiste. Le même raisonnement s'applique également intégralement au soulèvement national révolutionnaire qui ne présente rien d'autre qu'un segment unique de la révolution politique.

Il vaut d'être noté que l'argument le plus précieux contre l'indépendance ne soit même pas venue à l'idée de notre critique. L'économie de l'Ukraine soviétique fait partie intégrante du plan. La séparation de l'Ukraine menace de briser le plan et d'abaisser les forces productives. Mais cet argument non plus n'est pas décisif. Un plan économique n'est pas le saint des saints. Si les décisions nationales à l'intérieur de la fédération, en dépit du plan unifié, poussent dans des directions opposées, cela signifie que le plan ne les satisfait pas. Un plan est l’œuvre des hommes. On peut le reconstruire conformément aux frontières nouvelles. Dans la mesure où le plan est avantageux pour l'Ukraine, elle désirera elle-même et saura comment arriver au nécessaire accord économique avec l'Union soviétique, de même qu'elle sera capable de conclure l'alliance militaire nécessaire.

En outre, il est impossible d'oublier que le pillage et le règne arbitraire de la bureaucratie constituent une partie intégrante importante du plan économique en vigueur et font peser sur l'Ukraine un lourd fardeau. Le plan doit être profondément révisé d'abord et avant tout de ce point de vue. La classe dirigeante dépassée détruit systématiquement l'économie du pays, son armée et sa culture; elle anéantit la fleur de sa population et prépare le terrain à la catastrophe. L'héritage de la révolution ne peut être sauvé que par son renversement. Plus courageuse et plus résolue sera la politique de l'avant garde prolétarienne sur la question nationale entre autres, plus le renversement victorieux de la bureaucratie par la révolution sera assuré, et moins les faux frais seront élevés.

Le mot d'ordre d'une Ukraine indépendante ne signifie pas que l'Ukraine demeurera pour toujours isolée, mais seulement qu'elle déterminera à nouveau pour elle-même, de sa propre volonté, la question de ses relations avec les autres composantes de l'U.R.S.S. et ses voisins occidentaux. Prenons la variante idéale la plus favorable pour notre critique. La révolution éclate simultanément dans toutes les parties de l'Union soviétique. L'hydre bureaucratique est étranglée et balayée. Le congrès constituant des soviets est à l'ordre du jour. L'Ukraine exprime le désir de déterminer de nouveau ses relations avec l'U.R.S.S. Espérons que notre critique sera prêt à lui donner ce droit. Mais, pour déterminer librement ses rapports avec les autres républiques soviétiques, pour posséder le droit de dire oui ou non, l'Ukraine doit reprendre sa totale liberté d'action, au moins pour la durée de cette période constituante. Il n'existe aucun autre nom pour cela que l'indépendance étatique.

Supposons maintenant que la révolution embrase en même temps également la Pologne, la Roumanie et la Hongrie. Toutes les fractions du peuple ukrainien sont libérées et entrent en négociations pour rejoindre l'Ukraine soviétique. En même temps elles expriment toutes leur désir d'avoir leur mot à dire sur la question des relations entre une Ukraine unifiée et l'Union soviétique, la Pologne soviétique, etc. Il va de soi que, pour décider de toutes ces questions, il est nécessaire de réunir le congrès constituant de l'Ukraine unifiée. Mais un congrès « constituant » ne signifie rien d'autre que le congrès d'un Etat indépendant qui se prépare à nouveau à déterminer son propre régime interne aussi bien que sa position internationale. Il y a toutes raisons de supposer que dans le cas d'une victoire de la révolution mondiale les tendances à l'unité acquerraient une force considérable, et que toutes les républiques soviétiques trouveraient les formes adéquates de liens et de collaboration. Mais ce but ne pourrait être atteint que si les anciens liens obligatoires et forcés, et en conséquence les anciennes frontières, étaient totalement abolis; seulement à la condition que chacune des parties contractantes soit totalement indépendante. Pour accélérer et faciliter ce processus, pour rendre possible une fraternité authentique des peuples à l'avenir, l'avant garde ouvrière de la Grande Russie doit comprendre dès maintenant les causes de la séparation de l'Ukraine, aussi bien que la puissance latente et la légitimité historique qui sont derrière elle, et doit sans réserve déclarer au peuple ukrainien qu'elle est prête à soutenir de toutes ses forces le mot d'ordre d'une Ukraine soviétique indépendante dans un combat commun contre la bureaucratie autocratique et l'impérialisme.

Les nationalistes ukrainiens petits bourgeois considèrent comme juste le mot d'ordre d'une Ukraine indépendante. Mais ils objectent la corrélation de ce mot d'ordre avec la révolution prolétarienne. Ils veulent une Ukraine démocratique indépendante et pas une analyse détaillée de cette question parce qu'elle ne concerne pas la seule Ukraine, mais l'appréciation générale de notre époque, analyse que nous avons répétée à maintes reprises. Nous nous contenterons de souligner les principaux aspects.

La démocratie dégénère et se meurt, même dans ses métropoles. Seuls les empires coloniaux les plus riches et les pays bourgeois particulièrement privilégiés sont encore capables de maintenir aujourd'hui un régime démocratique, et encore est il évident qu'il se dégrade. Il n'existe pas la moindre base pour espérer que l'Ukraine paupérisée et arriérée par rapport à eux sera capable d'établir et de maintenir un régime démocratique. En vérité, l'indépendance même de l'Ukraine ne durerait pas longtemps dans un environnement impérialiste. L'exemple de la Tchécoslovaquie est suffisamment éloquent. Tant que prévalent les lois de l'impérialisme, le sort des nations petites et moyennes demeurera instable et peu sûr. L'impérialisme ne peut être renversé que par la révolution prolétarienne.

La fraction la plus importante de la nation ukrainienne est aujourd'hui représentée par l'actuelle Ukraine soviétique. Un prolétariat puissant et purement ukrainien y a été créé par le développement industriel. C'est lui qui est destiné à diriger le peuple ukrainien dans toutes ses luttes à venir. Le prolétariat ukrainien souhaite échapper aux griffes de la bureaucratie. Le mot d'ordre d'une Ukraine démocratique est historiquement dépassé. Tout ce à quoi il puisse servir est peut être à consoler des intellectuels bourgeois. Il n'unifiera pas les masses. Et, sans les masses, l'émancipation et l'unification de l'Ukraine sont impossibles.

Notre sévère critique nous jette le « centrisme » à la tête à toute occasion. Selon lui, tout l'article n'a été écrit que pour étaler un exemple frappant de notre « centrisme ». Mais il ne fait même pas une seule tentative pour démontrer en quoi consiste précisément le « centrisme » du mot d'ordre d'une Ukraine soviétique indépendante. Assurément, ce n'est pas facile. Le centrisme est le terme appliqué à une politique qui est opportuniste en substance et cherche à apparaître comme révolutionnaire dans la forme. L'opportunisme consiste en une adaptation passive à la classe dirigeante et à son régime, à ce qui existe déjà, y compris, bien sûr, les frontières des états. Le centrisme partage totalement ce trait fondamental de l'opportunisme, mais, en s'adaptant aux ouvriers mécontents, il le dissimule sous des commentaires radicaux.

Si nous partons de cette définition scientifique, nous nous apercevrons que la position de notre malheureux critique est en partie et en totalité centriste. Il prend comme point de départ les frontières spécifiques accidentelles du point de vue de la politique rationnelle et révolutionnaire qui découpent les nations en segments, comme si elles étaient immuables. La révolution mondiale, qui n'est pas pour lui une réalité vivante, mais l'incantation d'un sorcier, doit selon lui accepter sans équivoque ces frontières comme son point de départ.

Il ne s'intéresse pas du tout aux tendances nationalistes centrifuges qui peuvent se couler soit dans les canaux de la révolution, soit dans ceux de la réaction. Ils violent son plan administratif paresseux construit sur le modèle des « d'abord » et « ensuite ». Il se détourne de la lutte pour l'indépendance nationale contre l'étranglement bureaucratique et se réfugie dans les spéculations sur la supériorité de l'unité socialiste. En d'autres termes, sa politique si on peut appeler politique des commentaires scolastiques sur la politique des autres porte les pires stigmates du centrisme.

Le sectaire est un opportuniste qui se redoute lui-même. Dans le sectarisme, l'opportunisme (centrisme) reste à l'état latent dans la phase initiale, comme un délicat bourgeon. Puis le bourgeon grandit, le tiers, la moitié, parfois plus. On a alors une combinaison particulière de sectarisme et de centrisme (Vereeken), de sectarisme et d'opportunisme de bas étage (Sneevliet). Mais parfois le bourgeon se recroqueville sans se développer (Oehler). Si je ne m'abuse, c'est Oehler qui édite The Marxist.

Notes

[1] The Marxist était publié par Hugo Oehler, exclu du Workers Party en champion de la dénonciation de I'« opportunisme » de Trotsky.

[2] Les « borotbistes » étaiént l'aile gauche du parti s.r. de gauche ukrainien qui avaient quitté ce dernier parti lors de son congrès clandestin à Kiev en mars 1918. Leur journal s'appelait Borotba. Ils revendiquaient leur admission dans le P.C. ukrainien, puis fusionnaient en aoùt 1919 avec le parti social démocrate indépendant d'Ukraine, scission à gauche des mencheviks.

[3] Le nouveau parti né de la fusion de 1919, le parti communiste ukrainien (U.K.P. 8) , tenta vainement de se faire admettre dans l'I.C. C'est finalement en mars 1920 que ses membres furent admis dans le P.C. ukrainien.

[4] Mikola A. Skrypnik (1872 1933), vieux bolchevik, arrêté pour la première fois en 1901, avait effectivement manifesté pendant les débuts de la révolution une réelle sensibilité aux problèmes nationaux. Par la suite, il avait suivi Staline.

[5] Pavel P. Postychev (1887 1940), ouvrier, membre du parti en 1904, avait joué un rôle dans la révolution et la guerre civile en Sibérie. Il avait été affecté en Ukraine en 1923 et devint secrétaire du B.P. du P.C. ukrainien en mars 1933. Il était emprisonné depuis 1938. Il est probable qu'il avait plaidé pour la fin de la répression dans le parti.

[6] Postychev, vraisemblablement coupable d'avoir combattu les « excès de la répression », avait été arrêté en 1938.

[7] L' « union personnelle » entre Norvège et Suède, proclamée en 1814, fut officiellement déclarée rompue en 1905.

[8] C'est essentiellement pendant la première guerre mondiale que Rosa Luxemburg d'une part, Boukharine et Piatakov de l'autre, polémiquèrent contre Lénine et son mot d'ordre de droit des nationalités à disposer d'elles-mêmes.

[9] Le Programme de Transition (L'Agonie du Capitalisme et les Tâches de la IV' Internationale) avait été élaboré au début de 1938 et adopté par la conférence de fondation en septembre.

[10] La notion de « révolution politique » implique la préservation des conquêtes économiques et sociales de la révolution, et la destruction de la bureaucratie à travers la reprise par les travailleurs du pouvoir politique usurpé par elle.
Félix Edmundovitch
 
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Inscription : 07 Fév 2007, 20:09

Message par Félix Edmundovitch » 27 Août 2007, 21:56

Œuvres - L. Trotsky

Aux jeunes socialistes et communistes qui veulent penser
22 juillet 1935

La question du danger de guerre préoccupe actuellement la jeunesse de la façon la plus profonde. Et à juste titre, car c'est avant tout de sa propre tête qu'il s'agit. La question de la guerre constitue le premier point à l'ordre du jour du congrès des jeunesses socialistes de Copenhague.

Nous, marxistes révolutionnaires, rejetons entièrement les recettes contre la guerre qu'ont données les chefs de la II° et de la III° Internationale. Ils prêchent le désarmement et la « conciliation » par la Société des Nations. Cela signifie qu'ils croient à la possibilité de changer l'essence du capitalisme par des réformes pacifiques, car la lutte armée entre Etats capitalistes appartient aussi bien à l'essence du capitalisme que la concurrence entre les divers capitalistes ou entre leurs trusts. Il y a des gens qui s'intitulent socialistes ou communistes, qui qualifient l'Etat capitaliste d'institution complètement impérialiste et qui croient en même temps à la Société des Nations, c'est?à?dire à la Bourse des Etats impérialistes.

Pour le marxiste, la lutte contre la guerre coïncide avec la lutte contre l'impérialisme. Le moyen de cette lutte, ce n'est pas le « désarmement général », mais l'armement du prolétariat en vue de l'anéantissement révolutionnaire de la bourgeoisie et de l'instauration d'un Etat ouvrier. Notre mot d'ordre n'est pas : Société des Nations, mais Etats?Unis soviétiques d'Europe et du monde entier !

Aujourd'hui nous voyons comment, en France, les réformistes et les prétendus « communistes » (à vrai dire stalinistes) ont conclu avec les radicaux une alliance pour lutter, paraît?il, contre le fascisme et la guerre. Que sont les radicaux. ? Un parti résolument impérialiste qui monte la garde devant le traité de Versailles et devant l'empire colonial français. Comment peut?on mener en commun avec un parti impérialiste la lutte contre la guerre impérialiste ?

Evidemment, les radicaux se plaisent à parler de la paix. Hitler s'échine également en faveur de la paix. Car ils sont tous pour la paix : les curés, les banquiers, les généraux. Mais que signifie, en réalité, le pacifisme des gouvernements et des partis bourgeois ? Une infâme hypocrisie. N'importe quel bandit préfère, si c'est possible, prendre la bourse de sa victime « pacifiquement », sans toucher à sa vie. Mussolini aimerait évidemment mieux empocher l'Abyssinie d'une façon « pacifique », c'est?à?dire sans les frais et les victimes d'une guerre. L'Angleterre et la France voudraient bien savourer leur butin en « paix ». Mais gare à celui qui les dérange ! C'est en cela que consiste l'amour de la paix des capitalistes.

Le pacifisme petit?bourgeois est en général sincère, mais d'autant plus aveugle et impuissant. Car, au fond, il n'est pas autre chose que la foi du paysan ou du petit boutiquier dans la possibilité d'améliorer la classe dominante, de désarmer les grands bandits impérialistes et de les décider à coexister pacifiquement l'un avec l'autre. Malgré ses bonnes intentions, le pacifisme petit­-bourgeois devient un prétexte à l'aide duquel l'impérialisme, au moment voulu, s'empare des masses pour en faire de la chair à canon. Nous accusons précisément les chefs de la II° et de la III° Internationale d'aider, par leur politicaillerie pacifiste, le capitalisme à préparer un nouveau carnage des peuples. Dans une nouvelle guerre, les réformistes et les stalinistes seront, dans la plupart des cas, du côté de leur gouvernement, surtout en France, en Tchécoslovaquie, en Belgique. Celui qui veut réellement lutter contre la guerre doit parler clairement au peuple, doit rassembler les militants sous un drapeau révolutionnaire, et ce drapeau est celui de la IV° Internationale.

Entre les deux anciennes « Internationales » qui, en réalité, ont cessé d'en être, et nous, les combattants de la IVe Internationale, il y a plusieurs fractions et groupements intermédiaires que nous appelons centristes.

Ce terme n'est pas, comme le pensent certains naïfs, une injure, mais une conception tout à fait scientifique. Nous appelons centristes ces tendances qui oscillent entre le marxisme (internationalisme) et le réformisme (patriotisme), mais qui, dans leur essence, sont généralement plus près du réformisme. En France, c'est la fraction de la Bataille socialiste qui a un caractère centriste, liant son acceptation de la défense nationale à la glorification du pacifisme (Zyromski) et tolérant à son aile gauche un internationalisme vague (Pivert). De tels courants existent dans une série de pays. Pour la période actuelle, on peut citer comme exemple typique de centrisme le parti ouvrier socialiste allemand (S.A.P.) [1]. Le S.A.P. n'est nullement une organisation de masse. Il possède, cependant, des fonctionnaires de parti et de syndicat assez nombreux, répandus actuellement comme émigrés en différents pays. Ils disposent souvent d'une routine pratique considérable et d'une certaine éducation théorique ; mais leur activité ne dépasse jamais le cadre des opinions centristes. C'est pourquoi ils sont contre la IV° Internationale. C'est pourquoi ils combattent les partis et organisations qui se rassemblent autour du drapeau de la IV° Internationale. C'est pourquoi ils cherchent leurs amis à leur droite. C'est pourquoi leur hostilité se dirige toujours vers la gauche.

De temps en temps, ils affirment qu'ils ne sont pas, au fond, des adversaires de la IV° Internationale en tant que telle, mais qu'ils la trouvent inopportune. Cette assertion, cependant, est sans contenu. Car il ne s'agit pas d'une question mathématique, mais d'une question politique où le facteur temps est décisif. Le socialisme non plus n'est pas « opportun » tant que nous ne sommes pas capables de le réaliser. Mais nous l'avons écrit sur notre drapeau, et ce drapeau, nous le portons, bien ouvertement, devant les masses. Si nous sommes maintenant persuadés que la lutte contre la guerre et pour le socialisme exige un nouveau rassemblement de l'avant?garde prolétarienne autour d'un programme nouveau, alors nous devons commencer ce travail sans tarder.

Celui qui aujourd'hui, comme le S.A.P., est contre la IV° Internationale, ses défenseurs et ses constructeurs, celui-­là démontre que, consciemment ou inconsciemment, il veut garder ouverte la voie du retour vers les réformistes et les patriotes. Cette affirmation peut apparaître aux naïfs comme une manifestation de « sectarisme » ou même une « calomnie ». La plus récente position du S.A.P. dans la question de la guerre, absolument antimarxiste, a confirmé notre appréciation de manière irréfutable. Celui qui n'a pas lu la fameuse résolution du S. A. P. sur « la lutte pour la paix » devrait le faire immédiatement et même apprendre par cœur certaines phrases. Aucune formule sonore sur la révolution socialiste et la dictature du prolétariat ne peut dissimuler le caractère réel, c'est?à?dire pacifiste, de la politique du S.A.P., qui veut rassembler « toutes les forces » pour le désarmement et pour la paix, et créer pour cela un « comité mondial ». Celui qui prêche que les impérialistes peuvent, sous la « pression » des masses, désarmer pacifiquement nie par cela même la nécessité de la révolution prolétarienne. Car quelle révolution peut?il y avoir contre la bourgeoisie désarmée ? Au pacifisme en politique extérieure correspond inévitablement le pacifisme en politique intérieure. Quelqu'un peut nous jurer solennellement qu'il est matérialiste ; si, pour assurer le salut de son âme, il va à l'église à Pâques, il reste pour nous une triste victime du clergé. Celui qui joint les phrases sur la révolution sociale à des supplications pacifiques en faveur du désarmement, celui?là n'est pas un révolutionnaire prolétarien, mais une pitoyable victime de la superstition petite?bourgeoise.

N'y a?t?il pas pourtant ? nous réplique?t?on souvent ?, dans le S.A.P. et dans les organisations analogues, de bons ouvriers d'esprit révolutionnaire qu'il ne faudrait point heurter de front ? Cet argument aussi manque son but. Il est tout à fait possible et presque certain qu'il y ait dans le S.A.P. et les organisations semblables des ouvriers qui ne sont pas contents de la politique chancelante et évasive de leur direction. Mais la meilleure façon d'aider les éléments susceptibles d'évoluer, c'est de mettre à nu sans pitié la politique fausse de leur direction. Il est vrai qu'au premier moment même les éléments progressifs se sentent heurtés. Néanmoins la critique se grave dans leur conscience. Puis viennent de nouveaux faits qui confirment notre critique. Et, enfin, l'ouvrier révolutionnaire honnête se dira : les léninistes avaient tout de même raison : il faut que je me joigne à eux. C'est toujours ainsi que s'est accompli le développement d'un parti révolutionnaire [2]. C'est ainsi que la chose se passera cette fois?ci encore.

Jeunes camarades et amis !

Ce n'est pas par une haine « fanatique » et encore moins par hostilité personnelle que nous combattons tout ce qui est équivoque, confus et ambigu. Notre époque, cruelle, ménage très peu la sentimentalité, l'indulgence personnelle et autres beaux sentiments. Ce qu'elle exige, c'est un programme juste et une volonté farouche de vaincre. A l'égard des masses qui ne font que chercher une direction révolutionnaire, nous devons faire preuve de la plus grande attention, de la plus grande patience. Il faut leur exposer cent et mille fois les principes révolutionnaires à la lumière des événements du jour. Mais envers ceux qui se présentent aux masses comme des chefs et déploient un drapeau à eux, nous devons faire preuve de sévères exigences. La première est la clarté.

Ceux qui s'arrêtent à mi?chemin, les centristes, les pacifistes, peuvent, pendant des années, végéter, publier des journaux, convoquer des conférences, obtenir même momentanément des succès dans le domaine de l'organisation. Mais les grands tournants histo­riques ? guerre, révolution ? font s'écrouler de tels partis comme châteaux de cartes. Au contraire, les organisations qui, par une âpre lutte intérieure et extérieure, sont arrivées à une clarté révolutionnaire réelle et à une conscience de leur but, aboutissent, précisément dans les circonstances historiques critiques, d'un seul coup, au plus large déploiement de leur puissance. Alors le philistin s'étonne, le philistin de gauche les acclame, sans comprendre pourtant que le « Miracle » n'a été possible que par un travail préparatoire lent de longues années et que la rigueur marxiste a été la meilleure arme de ce travail préparatoire.

Dans toute grande lutte idéologique, il y a des copeaux et des éclats. Les centristes se servent de préférence de ce pitoyable maté­riel pour détourner l'attention de ce qui est important, décisif. Les jeunes ouvriers qui veulent penser doivent apprendre à mé­priser la manière cancanière, philistine, méchante et impuissante des centristes. Vous devez aller au fond des choses ! Les questions les plus importantes pour la formation du révolutionnaire prolétarien sont à présent l'attitude envers la guerre et la position envers la IV° Internationale. Ces questions, vous devez vous les poser dans toute leur envergure. Nous, bolcheviks?léninistes, nous avons édité, il y a plus d'un an, la brochure La IV° Internationale et la guerre. Prendre sérieusement connaissance de ce document programmatique, c'est là le premier devoir de tout révolutionnaire qui veut se faire une opinion indépendante. Ne perdez donc pas de temps, étudiez, réfléchissez, discutez honnêtement, aspirez inlassablement à la clarté révolutionnaire !

Salut fraternel.

Notes

[1] Au moment où Trotsky écrivait ces lignes, la Bataille socialiste était en train d'éclater, son aile gauche pivertiste s'en détachant pour former avec d'autres éléments la Gauche révolutionnaire. Mais le S.A.P., après avoir été partisan de la construction de la IV° Internationale, devenait le centre des regroupements hostiles.

[2] En fait, le seul exemple probant à l'appui de cette démonstration est celui du parti bolchevique.
Félix Edmundovitch
 
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