a écrit :
Pour poursuivre le débat avec
les camarades de Lutte Ouvrière
Le numéro de mai-juin de Lutte de classe développe l'analyse de Lutte Ouvrière des résultats de l'élection présidentielle. Sans revenir sur ce que nous pouvons partager, comme le fait que l'élection de Sarkozy est une défaite électorale de la gauche mais pas une défaite des travailleurs qui n'ont pas perdu de batailles majeures, il y a un certain nombre de points qui nécessitent une discussion de fond entre militants révolutionnaires.
D'abord sur la forme. Alors qu'Arlette Laguiller a passé la campagne à expliquer qu'il faudrait additionner ses voix et celles d'Olivier Besancenot, les articles visent à démontrer que si Olivier a gagné des voix quand Arlette en a perdu ce serait, premièrement, que nous n'avons pas le même électorat et, deuxièmement, que nous n'avons pas fait la même campagne. Il suffit de regarder les résultats électoraux pour se rendre compte que c'est dans les quartiers populaires, des villes populaires (souvent PC ou PS), avec des pointes dans le Pas de Calais ou la Picardie, qu'Olivier Besancenot a fait ses meilleurs scores, tout comme Arlette Laguiller… Il y a donc toutes les raisons d'additionner nos scores et de considérer que ce sont près de deux millions de personnes qui ont voté pour le programme défendu par les révolutionnaires avec, comme nous avons pu l'apprécier durant la campagne, un niveau d'adhésion à nos propositions qualitativement supérieur aux campagnes précédentes. Ce qui pose la question : que discuter maintenant avec ces électeurs et électrices ?
L'analyse des camarades de LO repose sur l'idée que le recul d'Arlette s'expliquerait par un " recul de la conscience de classe " du monde du travail. Cette idée n'est pas nouvelle pour LO, puisqu'elle remonte à la chute du Mur de Berlin et à l'éclatement de l'URSS. Elle n'est certes pas entièrement erronée, mais posée de façon unilatérale comme l'élément essentiel qui détermine la situation, elle conduit à une vision déformée, voire caricaturale. Elle ferme les yeux sur les contradictions qui sont à l'œuvre, ignore les points d'appui, les forces qui agissent dans le sens d'une remontée des luttes.
Pourtant, comme il fallait bien avoir une position politique face à ces évolutions qui ignorent les raisonnements de ceux qui devraient en être les acteurs, en 1995 suite au score d'Arlette Laguiller (1,6 million de voix), LO avait appelé à " la création d'un bien plus grand parti que le notre, se plaçant résolument et uniquement sur le terrain de la défense des intérêts politiques des exploités " (LDC mai 1995). Dans le raisonnement de la direction de LO, ce n'était qu'un appel sans lendemain possible. Du fait de ce recul, les révolutionnaires ne pouvaient faire autre chose que tenir le drapeau. La conséquence logique d'une telle position est l'isolement et pas uniquement par rapport aux milieux militants. LO s'est certes alliée avec la LCR aux Européennes de 1999 et pour les Régionales et Européennes de 2004, mais elle ne l'a fait que dans le cadre étroit d'un accord électoral, en fonction de ses seuls intérêts, en cherchant à éviter que s'instaurent de réelles relations militantes démocratiques entre les deux organisations.
En conséquence de ce recul, en dehors du travail dans les entreprises pour reconstruire une conscience de classe, tout n'est que confusion réformiste, que ce soit le mouvement altermondialiste ou les aspirations unitaires qui se sont exprimées dans la campagne du NON au TCE. Comme si reconstruire une conscience de classe n'était pas une question politique générale qui passe par le débat public avec les autres forces du mouvement ouvrier et en particulier le PC.
Sur cette question du PC, LO est très discrète, comme embarrassée. Il y a là une certaine logique au sens où le recul de la conscience de classe telle que LO le comprend est directement identifié au recul du PC. L'analyse des causes de l'effondrement du PC, qui a abdiqué de tout programme propre en cherchant à se débarrasser de l'étiquette communiste au profit de la " gauche populaire et anti-libérale ", au moment où l'extrême gauche maintient des scores supérieurs globalement à 5 %, contraint à réfléchir pour nuancer ce fameux recul, voire en contester le mythe. Cet effondrement clôt une période dont les révolutionnaires qui ont gardé la jeunesse de leurs idées n'ont aucune nostalgie. Il pose la question du parti des travailleurs en termes nouveaux à l'ensemble du mouvement ouvrier. Cette question devient l'objet d'un débat public face à la faillite de la gauche et il serait ridicule de ne pas participer de façon offensive à ce débat pour y apporter nos réponses. Les camarades de LO ont une riche expérience à y apporter, elle est indispensable au mouvement et nous espérons bien que nous réussirons à les y entraîner.
Ce renoncement à mener les débats avec d'autres forces militantes ne peut mener, sinon, qu'à tout voir de manière grise et uniforme. Rien n'est nouveau, il n'y a pas de levier sur lequel agir : " Nous avons choisi, il y a déjà longtemps, de nous adresser essentiellement au monde du travail pour construire un parti révolutionnaire visant à un changement social radical par la suppression de l'économie capitaliste et la fin de l'exploitation du travail. Ce n'est certainement pas une tâche gagnée d'avance. En fonction de la situation économique - chômage ou plein emploi - ou politique - espoir fallacieux avec la gauche au pouvoir ou désespoir si c'est la droite qui y est - le moral, la combativité, la conscience de classe des travailleurs peuvent largement changer. En fonction de cela, nos idées, nos propos, notre propagande trouvent plus ou moins d'échos auprès d'eux. Nous le savons pour l'avoir vécu bien des fois. C'est pour cela que nous ne désespérons pas, loin de là, d'une banale défaite électorale et que nous continuerons dans la même voie sans nous renier. " (LDC mai-juin 2007)
Et tout est pour le mieux dans le… plus mauvais des mondes, nous expliquent nos docteurs Pangloss du mouvement révolutionnaire !
Les camarades de LO vont même jusqu'à opposer la " radicalité " de la jeunesse sur laquelle Olivier Besancenot aurait surfé, à la conscience de classe des fractions les plus exploitées du monde du travail. Ils plaquent sur le monde leur propre préjugé d'une conscience de classe mythique. Enfermés dans leurs propres raisonnements, ils ne comprennent pas que la société n'est pas divisée en catégories isolées les unes des autres. Et ils s'exaltent, justifiant leur magnifique isolement, à l'idée d'un parti révolutionnaire qui sortira on ne sait d'où, pour diriger les explosions sociales qui ne manqueront pas de se produire, un jour, peut-être...
Ces raisonnements mettent les camarades de LO dans une contradiction problématique : ils sont incapables de défendre publiquement cette analyse qui ne tient pas la mer et qui les ferait passer pour des martiens auprès de leurs collègues de travail ou même de leur milieu de sympathisants. S'ils ne sortent pas de leurs constructions abstraites, ils ne pourront qu'aggraver la logique désastreuse d'une politique dépassée par les événements.
Il y a urgence que les camarades de LO se ressaisissent pour se coltiner les réalités de la nouvelle situation politique et assumer les responsabilités qui nous incombent.
En effet, si on peut considérer qu'en 1995, la possibilité d'avancer vers la création d'un parti large commençait tout juste à se poser, et que c'est à mettre au compte de LO de l'avoir fait, 12 ans plus tard les conditions ont mûri et il s'agit de ne pas les laisser pourrir.
Alors qu'est-ce qui a changé depuis 1995 ? D'abord, dans le mouvement syndical, si en novembre-décembre les directions syndicales, en particulier celle de la CGT, ont prouvé leur capacité à conserver le contrôle du mouvement, elles avaient cependant dû accepter et reconnaître les AG initiées par des militants d'extrême gauche qui avaient donné un cadre de discussion interprofessionnel aux secteurs les plus mobilisés.
En 2003, la grève des enseignants a démarré dans des AG où les militants révolutionnaires jouaient un rôle déterminant pour coordonner la mobilisation. C'est cette grève reconductible qui a imposé aux confédérations un calendrier de mobilisation contre la réforme Fillon sur les retraites qu'elles avaient entérinée, tout en ne pouvant dépasser le refus des directions syndicales de tenter de généraliser les grèves enseignantes.
En 2006, les militants révolutionnaires ont également largement contribué à construire la coordination qui a rythmé la mobilisation de la jeunesse contre le CPE, gagnant ainsi la solidarité des salariés.
Enfin la grève à Citroen-Aulnay de mars-avril a montré comment une classe ouvrière mélangeant des jeunes des quartiers assez proches de ceux qui s'affrontaient aux flics en novembre 2005 et des vieux travailleurs usés mais pas brisés par l'exploitation, qui pour des raisons différentes n'ont plus grand chose à perdre, ont su construire un espoir collectif et peser dans la campagne des présidentielles, même à 500, grâce aux militants révolutionnaires qui leur ont offert des perspectives, c'est à dire une compréhension des rapports de forces forgée à travers l'organisation démocratique du comité de grève et des AG pour décider de leur action étape par étape.
Ces 4 dates illustrent la place qu'ont prise les révolutionnaires dans la construction des résistances sociales et politiques face aux attaques du MEDEF. Elles mettent aussi en évidence une des questions militantes à laquelle nous nous heurtons : comment passer outre l'inertie des directions syndicales et trouver les cadres permettant la convergence des luttes existantes. Et, puisque nous sommes tous d'accord sur le fait que l'opposition à la politique de Sarkozy c'est dans la rue et les entreprises qu'elle devra s'exprimer, nous faisons tous le pari que ce sont des milliers de militants syndicaux et des dizaines de milliers de travailleurs qui vont se poser ce problème, là, maintenant et avec nous. Comment aider ce processus qui est en cours ? En discutant d'un programme permettant de construire ces convergences et des formes d'auto-organisation qui ne se laisseront pas paralyser par les cadres des organisations syndicales. C'est d'autant plus évident que des collègues ou des salariés se tournent vers ceux qui, dans les élections, ont justement défendu des mesures d'urgence proposant des réponses politiques unifiantes pour construire et développer les luttes.
Il nous faut donc faire le pas suivant qui découle de toute notre activité de ces 12 dernières années : proposer aux militants, aux jeunes, aux salariés qui s'intéressent au programme d'urgence sociale et démocratique de s'organiser avec nous pour le défendre sur leur lieu de travail, dans leur quartier, leur lycée ou leur fac. Cela ne signifie pas nécessairement rejoindre la LCR ou LO, telles que sont ces organisations aujourd'hui, mais se lancer dans une nouvelle aventure, celle de la construction d'un cadre dans lequel les militants de nos organisations, mais aussi des militants en rupture avec le PC ou prenant conscience qu'ils ne peuvent plus se cantonner au seul syndicalisme se retrouveraient avec des jeunes et des travailleurs décidés à se mettre à la politique.
Les bases d'un tel parti pourraient " naturellement " être le programme d'urgence comme réponse offensive aux attaques du gouvernement et du MEDEF étroitement lié aux méthodes pour le mettre en œuvre, c'est-à-dire l'organisation du monde du travail pour imposer son contrôle, donc hors du cadre institutionnel, parce que l'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes.
L'ensemble des militants qui sont toujours " dans le camp des travailleurs " sont confrontés à ces questions, et aucune organisation ne peut prétendre constituer à elle seule la réponse pratique à la construction d'un nouveau parti. Nous avons donc un besoin crucial de discuter pour élaborer ensemble une nouvelle perspective dont le projet nécessite de combiner la continuité avec les combats du passé du mouvement ouvrier et les ruptures nécessaire pour écrire de nouvelles pages dans une situation inédite, celle de la fin de la social-démocratie et du stalinisme, qu'il n'y a pas à regretter. La jeunesse révoltée, les travailleurs agressés ont besoin d'un nouvel instrument collectif, d'un parti pour transformer la société, serons-nous capables de participer ensemble à cette reconstruction ?
Cathy Billard