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[center]Les coléoptères menacent les forêts du sud de la Suède[/center]
LE MONDE | 30.05.07 |
VÄXJÖ (SUÈDE) ENVOYÉ SPÉCIAL
D'un coup de couteau, Alrik Karlsson, un paysan de 78 ans, entaille le tronc de sapin couché dans sa forêt de Norra Torpa, à quelques kilomètres de Växjö, dans le sud de la Suède. Il a repéré l'endroit où tailler grâce à un petit amoncellement de sciure couleur brique. Découvert, un coléoptère noir d'un demi-centimètre tente de disparaître dans l'étroite galerie qui s'enfonce sous l'écorce. Il peut y avoir jusqu'à 4 000 individus par arbre.
Ce coléoptère amateur d'épicéas s'appelle le typographe. Il doit son nom aux galeries qu'il imprime dans le bois et constitue aujourd'hui la principale menace qui pèse sur les forêts du sud du royaume. Des printemps et des étés plus chauds, ajoutés à une fréquence élevée de tempêtes qui ont déraciné d'énormes quantités d'arbres, ont favorisé la prolifération du coléoptère.
"On peut y voir un effet du réchauffement climatique, même s'il est trop tôt pour établir un lien formel", note Bo Langström, spécialiste de la protection des forêts à l'université agricole suédoise d'Uppsala. De son côté, l'Office des forêts a déclenché l'alerte depuis plusieurs semaines, tant la situation s'annonce critique pour cet été.
Autour d'Alrik Karlsson, la forêt est retournée, dévastée, tapissée de branches brisées. Des souches à moitié déterrées parsèment des clairières qui étaient des forêts il n'y a pas si longtemps. "Les souches les plus sombres, c'est Gudrun. Les plus claires, les plus récentes, c'est Per", explique l'exploitant. Deux prénoms pour deux tempêtes qui ont ravagé le sud du pays, l'une en 2005, l'autre en 2007.
En dépit de la mobilisation après le passage de Gudrun, d'énormes quantités de bois sont restées sur le carreau, ce qui a permis aux typographes de coloniser ces arbres sans défense et de se développer. "Ils étaient pourtant encore assez peu nombreux", souligne Nils Mitsell, consultant en santé des forêts.
Mais la sécheresse de 2006 a tout fait basculer, avec un premier essaimage dès avril, qui a pris tout le monde de vitesse. "Pour la première fois depuis les années 1930, il y a eu deux générations de coléoptères en un seul été", explique Nils Mitsell.
La sécheresse a eu une autre conséquence : le manque d'eau a affaibli les arbres, qui sont devenus des proies faciles. "On estime à 2 millions de m3 la quantité d'arbres détruits par les typographes pendant l'été 2006", constate Lennart Svensson, responsable de la lutte anticoléoptères dans la région du Götaland. A la fin de l'été, la plupart des troncs d'arbres victimes de Gudrun avaient toutefois été enlevés.
La situation s'est encore aggravée avec la tempête Per, en janvier. Moins violente que Gudrun, elle s'est révélée plus sournoise car les arbres arrachés se sont trouvés plus dispersés, et donc plus compliqués et coûteux à enlever. Le "garde-manger" a été renouvelé et l'on s'attend à une explosion des typographes cette année. Les premiers essaimages ont démarré dès avril, lorsque la température a atteint 18 oC. Les typographes s'attaquent même à des arbres debout, signe que les troncs morts ne leur suffisent plus.
"J'ai déjà perdu la moitié de ma forêt avec les deux tempêtes", s'inquiète Alrik Karlsson. Des pièges ont été installés un peu partout, contenant des phéromones, substances chimiques sécrétées par les animaux eux-mêmes. L'Office des forêts pousse les propriétaires à marquer, abattre et évacuer les arbres attaqués avant le 1er juillet, soit avant que l'animal adulte quitte l'arbre et que la nouvelle génération prenne son envol. Mais comment faire, alors que les machines et les camions manquent pour tronçonner les arbres et les transporter ? "On nous demande ces efforts, mais nous sommes voisins de réserves naturelles où il est soi-disant impossible d'intervenir et où les typographes se reproduisent à leur guise", s'insurge Alrik Karlsson.
Mais la malédiction du typographe n'est pas inéluctable. Si le nombre des typographes grandit au point qu'ils s'attaquent aux arbres sains, ils devront se mobiliser en grand nombre pour vaincre la résistance de ceux-ci. Une fois à l'intérieur du tronc, la concurrence pour se nourrir finira par faire décroître la population de coléoptères. De plus, les ennemis naturels du typographe - sangliers et oiseaux notamment - devraient enrayer sa progression d'ici quelques années. La question est de savoir si les forestiers suédois supporteront une calamité de plus.
Olivier Truc
Chiffres
La tempête Gudrun, en janvier 2005, a ravagé 75 millions de m3 d'arbres dans le sud de la Suède, généralement sur des zones assez concentrées.
La tempête Per, en janvier 2007, est repassée presque aux mêmes endroits, arrachant 16 millions de m3 d'arbres.
5 à 6 millions de m3 de sapins seront victimes des typographes cet été, selon les chercheurs suédois, soit deux à trois fois plus qu'en 2006. La population de coléoptères va être multipliée par sept, en moyenne, par rapport à 2006. Dans certaines régions du sud de la Suède, la population de typographes pourrait croître de dix à douze fois.