Des séries télé, du foot, et de leur impact idéologique

Rien n'est hors-sujet ici, sauf si ça parle de politique

Message par elsa » 18 Mai 2007, 22:17

(othar @ vendredi 18 mai 2007 à 22:23 a écrit :en y réfléchissant, je viens de me rappeler d'une série "code quantum"
c'était sympa cette idée du type qui se retrouve "dans la peau" de différents personnages au fil des épisodes

(par exemple, une jeune fille noire pendant la période de la lutte des droits civiques aux USA)

Le principe de Code Quantum aurait pu donner quelque chose d'intéressant, mais malheureusement, la série est très cul-béni, limite "petite maison dans la prairie". Ohtar, tu as du avoir la chance de tomber sur un épidode pas trop mièvre, et où le type ne faisait pas référence toutes les cinq minutes à la "mission" que dieu lui avait confié de sauver la vie de ces pauvres gens...
elsa
 
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Message par othar » 18 Mai 2007, 22:31

me souviens pas de Dieu

et puis j'ai raté les premiers épisodes où ils expliquent pourquoi il doit réussir sa "mission"

et puis c'était il y a longtemps ! :-P
othar
 
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Message par Louis » 19 Mai 2007, 07:32

Moi je suis d'accord avec ta derniére remarque : on ne peut discuter sans arret des "séries" sans mettre en discussion leurs aspects politiques, idéologiques, culturels. Un des points de départ de cette analyse c'est le chapitre sur les "industries culturelles" dans le livre de Horkeimer et Adorno. On peut (c'est mon cas) ne pas partager la vision générale des auteurs (la "dialectique négative" qu'ils vont développer plus tard, par exemple) sans se sentir redevable d'une certaine forme d'analyse. En particulier (parce que ça revient réguliérement dans ce genre de discussion) pour leur analyse tout a fait pertinente du "divertissement" comme composante "idéologique" fondamentale des industries culturelles capitalistes. Un autre point de vue tout a fait intéressant c'est le bouquin de Richard Hoggart qui tente d'élaborer une réflexion sur les effets politiques de la scolarisation de la classe ouvriére, combinée au fait que se développe une "littérature" spécifique qui leur est destiné (comme des revues sur les nouveaux styles musicaux par exemple) Enfin, on peut aussi lire avec profit les traveaux de Slavoj Zizek (en particulier celui sur le cinéma "lacrimae rerum" aux éditions amsterdam) pour voir comment dans l'idéologie le fond proprement politique et le fantasme ("la femme fatale" dans le film noir hollyvoodien par exemple) se combinent.

un petit passage de zizek (sur la femme fatale du néo noir)

a écrit :e pourrait-on pas interpréter selon la même logique la figure si singulière de la femme fatale dans le nouveau film noir des années quatre-vingt-dix, telle que Linda Fiorentino l’incarne dans The Last Seduction de John Dahl? À l’encontre de la femme fatale du film noir classique des années quarante, qui reste une présence spectrale, évanescente, la nouvelle femme fatale se caractérise par une agressivité sexuelle directe et explicite, verbale et physique, par la marchandisation et la manipulation de soi: « l’esprit d’un maquereau dans le corps d’une pute ». L’affiche publicitaire du film annonçait: « La plupart des gens ont une face sombre… elle n’a rien d’autre ». Il suffit d’évoquer deux dialogues très différents auxquels donne lieu la même situation, à savoir la première rencontre entre la femme fatale et son partenaire: tandis que l’on en reste au classique dialogue à double sens sur la « limitation de vitesse » entre Barbara Stanwyck et Fred McMurray dans Assurance sur la mort de Billy Wilder, dans The Last Seduction, Linda Fiorentino ouvre la braguette de son partenaire, y plonge la main et inspecte la marchandise (le pénis) avant de l’accepter comme amant (« Je n’achète jamais rien avant de l’avoir vu »), et de rejeter finalement par la suite tout « contact humain chaleureux » avec lui. Comment cette « marchandisation de soi » brutale, cette réduction d’elle-même et de son partenaire masculin à un objet à satisfaire et à exploiter, affecte-t-elle le statut prétendument « subversif » de la femme fatale à l’égard de la Loi paternelle du Discours?

Selon certaines analyses d’inspiration féministe, la femme fatale dans le film noir classique est punie au niveau de la ligne narrative explicite. Autrement dit, elle est détruite pour avoir fait preuve d’assurance et pour avoir porté atteinte à la domination patriarcale masculine, pour l’avoir menacée: « le mythe de la femme forte, sexuellement agressive, permet dans un premier temps l’expression sensuelle de son dangereux pouvoir et de ses conséquences effrayantes, avant qu’elle ne soit détruite, traduisant ainsi l’inquiétude refoulée suscitée par la menace féminine qui pèse sur la domination masculine » ; la femme fatale « perd finalement sa capacité à se mouvoir, n’influe plus sur le mouvement de la caméra, et est souvent, en réalité ou symboliquement, emprisonnée par la composition de l’image, alors même qu’un contrôle, exprimé visuellement, est exercé sur elle et, […] que parfois même elle est représentée comme étant heureuse, sous la protection d’un amant ». Cependant, bien qu’elle soit détruite ou apprivoisée, son image survit à sa destruction physique comme l’élément qui domine effectivement la scène – c’est en cela, dans la manière dont la texture du film trompe et subvertit sa ligne narrative explicite, que résiderait le caractère subversif des films noirs. À l’encontre du cinéma noir classique, le néo-noir des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, de La fièvre au corps à The Last Seduction, autorise ouvertement, au niveau même du récit explicite, la femme fatale à triompher, à réduire son partenaire à un imbécile condamné à mort – elle survit, riche et seule, après être passée sur le corps de son partenaire. Elle ne survit pas sous la forme d’une menace spectrale, « morte-vivante » qui dominerait libidinalement la scène après sa destruction physique et sociale; elle triomphe directement, dans la réalité sociale elle-même. En quoi le côté subversif de la figure de la femme fatale est-il affecté? Le fait que son triomphe soit réel ne sape-t-il pas son triomphe spectral/fantasmatique (on est même tenté de dire: sublime), de sorte que, plutôt qu’une menace spectrale toute-puissante, indestructible dans sa destruction physique même, elle se révèle être une simple « salope », vulgaire, manipulatrice et froide, privée de toute aura? En d’autres termes, serions-nous ici pris dans la dialectique de la perte et du sublime, dans laquelle la destruction empirique est le prix à payer pour gagner l’omnipotence spectrale?

Peut-être faut-il d’abord changer les termes du débat en soulignant que loin de représenter une menace pour l’identité patriarcale masculine, la femme fatale classique – véritable fantasme masochiste-paranoïaque masculin de la femme sexuellement insatiable qui, nous dominant tout en jouissant de sa propre souffrance, provoque en nous le désir de la prendre violemment et d’abuser d’elle –, fonctionne comme la « transgression constitutive » de l’univers patriarcal symbolique. Le fantasme de la femme toute-puissante, dont l’attraction irrésistible présente une menace non seulement pour la domination masculine mais aussi pour l’identité même du sujet masculin, est le « fantasme fondamental » contre lequel l’identité masculine symbolique se définit et se maintient. La menace représentée par la femme fatale est ainsi factice, puisqu’elle est en fait le soutien fantasmatique de la domination masculine, la figure de l’ennemi engendrée par le système patriarcal lui-même. Pour utiliser une expression de Judith Butler, la femme fatale est l’« attachement passionnel » fondamental et désavoué du sujet masculin moderne, une formation fantasmatique nécessaire mais qui ne peut être ouvertement assumée, de sorte qu’elle peut être évoquée à la seule condition que, au niveau de la ligne narrative explicite (qui représente la sphère socio-symbolique publique), elle soit punie et que l’ordre de la domination masculine soit réaffirmé. Pour le dire en termes foucaldiens, de même que le discours sur la sexualité, sur son « refoulement » et sa régulation, crée le sexe en tant qu’entité mystérieuse et impénétrable à conquérir, le discours patriarcal érotique crée la femme fatale en tant que menace constitutive contre laquelle l’identité masculine devrait s’affirmer. La prouesse du néo-noir est précisément de révéler ce fantasme sous-jacent: la nouvelle femme fatale qui accepte pleinement le jeu masculin de la manipulation, et qui, pour ainsi dire, triomphe à ce jeu, menace bien plus efficacement la Loi paternelle que la femme fatale spectrale classique.



La "femme fatale" est un archétype fondamental du "film noir" des années 40, qui arrive dans un certain contexte idéologique. Il y aurait sans doute beaucoup a dire sur la figure émergente du "tueur en série" dans le cinéma, le roman et maintenant les séries actuelles. A la fois son émergence est politique (le "tueur en série" fait preuve d'une froide rationalité comme notre monde régi soi disant par la science, il représente symboliquement l'autre toujours inquiétant, derriére le visage de la banalité surjouée de la plupart des tueurs en série se cache le mal, il participe ainsi a la croisade de la "guerre des civilisations") et joue sur le plan du fantasme (parce que tout est fait pour que nous nous identifions a lui, en jouant sur nos fantasmes sado masochistes)



adorno horkeimer : dialectique de la raison (le chapitre "les industries culturelles") tel/Gallimard 1983 (1947)

Richard Hoggart LA CULTURE DU PAUVRE. Etude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre (le titre en anglais est largement plus pertinent : the uses of litteracy, aspects of working class life) Edition de minuit 1970

Slavoj Zizek Lacrimae rerum, essai sur Tarkovsky, Hitchkock, Linch Edition d'amsterdam 2002
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Message par jamesbataille » 19 Mai 2007, 08:52

Punaise ! et quand tu bois une bière, avant de l'apprécier tu analyses le fait qu'elle est le résultat d'une exploitation capitaliste et qu'en plus vu que c'est une bière trappiste, produite pas des moines elle est le symbole de la religion ... sans parler des méfaits de l'alcool, qui sert bien les capitalistes, qui grace à cette dépendance réussissent à maintenir une partie précaire de la population dans un état végétatif etc etc... Ben non, tu bois une bière, si tu aimes tu fais HUmmmmm c'est bon, si t'aime pas tu fais beurk et tu prends autre chose ! lol
On est dans une société capitaliste, on le sait, c'est une série, qu'on aime ou qu'on aime pas, produite dans une société capitaliste... voilà ! Tu apprécies, tu apprécies pas... tu critiques, t'as le droit... mais c'est moins dangereux à regarder pourtant que les journaux télé ! lol
aprés, c'est pas pire propagande que la petite maison dans la prairie ou tintin au congo ...
jamesbataille
 
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Message par Louis » 19 Mai 2007, 09:16

a écrit :mais refuser le genre policier à priori parce que c'est la société bourgeoise qui le produit, qu'il reflete son idéologie, c'est absurde et cela revient finalement à rejeter toute la littérature ou la production artistique de la société bourgeoise au lieu d'en tirer profit.

Ca doit etre parce que Trotsky lisait des polars alors que Mao Zedong n'en lisait pas :33:

Plus sérieusement, on peut estimer que le livre de Dashiell Hammet "la moisson rouge" (red harvest) est une critique tout aussi (voir meme plus !) acérée de la civilisation capitaliste US que "manatan transfert" de John Dos Passos.

Quand a la question de la "valeur" esthétique (sans jugement de valeur l'esthétique n'est que "l'analyse des formes" que prend une production culturelle) elle est centrale : pourquoi ces films, ces séries nous séduisent, nous "distraient", nous plaisent ?

Evidemment, sous le point de vue esthétique, on peut penser qu'une "production" est légérement plus pauvre qu'un chef d'oeuvre, que la trilogie de Wagner met en jeu plus de formes complexes, d'inventivité etc que "le seigneur des anneaux" etc

Le probléme c'est de ne pas avoir de conception "élitiste" de la culture. Tout ne se vaut pas sans doute, mais la critique de dexter est aussi importante que la critique de Balzac...
Louis
 
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Message par Louis » 19 Mai 2007, 09:23

a écrit :c'est moins dangereux à regarder pourtant que les journaux télé ! lol
aprés, c'est pas pire propagande que la petite maison dans la prairie ou tintin au congo ...


La premiére affirmation reste a démontrer : rien n'est moins sur (parce que c'est plus "pernicieux", ça ne se présente pas du tout comme quelque chose d'idéologique, justement)

quand a la seconde, reste a comprendre comment on en est passé de "la petite maison dans la prairie" à "Dexter". Peut etre que ça montre aussi quelque chose sur la société capitaliste dans laquelle on vit, non ?

Sinon, sur la biere : il me semble que les marxistes meme quand ils aiment boire de la biere (enfin sur ce coup ils sont surtout dans les pas d'engels) ne se privent pas pour analyser l'alcoolisme d'un point de vue révolutionnaire. Et on peut analyser le probléme de l'alcool touchant la classe ouvriére tout en apréciant une biere de trapiste (avec modération bien entendu)...
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Message par Apfelstrudel » 19 Mai 2007, 09:31

Je regarde très peu la télé, je lis quelques polars, mais je trouve que les remarques de Convidado sont justes. Je ne suis pas sûr que les directeurs de chaînes de télé aient en tête de nous habituer à l'idée des pires atrocités en diffusant des séries comme Dexter, mais je pense que toutes les émissions de ce genre flattent les instincts voyeurs les plus bas de l'être humain, et qu'on ne peut pas balayer ça d'un revers de la main sous prétexte qu'il s'agit de fiction. Il ne s'agit absolument pas de blâmer ceux qui regardent ce genre de séries, mais je pense qu'il faut garder un oeil critique pour toutes les raisons invoquées par el Convidado. Et j'aime aussi les romans ou films où les héros sont "positifs" comme vous dites. C'est quand même ceux-là qui peuvent nous aider à voir l'immense potentialité morale, politique, intellectuelle ou autre de l'humanité. Je ne voudrais pas passer tous mes loisirs à me complaire dans ce qu'elle peut avoir de plus abject, de plus dégénéré, de plus vil moralement. Et ça n'a rien à voir avec la culture prolétarienne (Don Quichotte et Balzac... :altharion: ).
Apfelstrudel
 
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