("Libé" a écrit : En tête des rassemblements à Paris, les étudiants ont voté hier le blocage de la fac.
Tolbiac cogite sur les tactiques anti-Sarkozy
Par Karl LASKE
QUOTIDIEN : jeudi 10 mai 2007
Tolbiac à fleur de peau. L'amphi N s'est vidé en moins d'une minute, hier, silencieusement. Les étudiants réunis en AG sont sortis sur le parvis, prêts à en découdre. Cherchant des flics à l'extérieur. En haut des marches, deux policiers, embarrassés, s'excusaient déjà du dérangement. Des étudiants de l'UMP avaient appelé Police Secours. Mauvaise blague. De retour dans l'amphi, l'AG de Tolbiac, réunissant plusieurs centaines d'étudiants, a voté le principe d'un blocage de la fac, vers 15 heures. Un premier blocage anti-Sarkozy. «On ne conteste pas l'élection de Sarkozy, explique Jérémie, un membre du Mouvement des jeunes socialistes (MJS) interpellé en début de semaine. De toute façon, il aime trop le pouvoir, ce gars-là : il y restera quoi qu'il arrive. C'est illusoire de penser qu'il y aura une majorité de gauche à l'Assemblée, on doit agir.» «C'est un truc global, lance Laura, une radicale. On est bien d'accord pour dire que la démocratie qui amène ce genre de catastrophe, on chie dessus !» Durant l'AG, anars de la CNT, trotskistes des JCR, socialistes, syndicalistes de la FSE, de l'Unef et de Sud- Etudiant ont finalement convergé vers une dénonciation des projets du futur président pour l'Université. Certains ont rétropédalé, appelé au calme, d'autres à la révolte.
Lundi, plusieurs dizaines d'étudiants parisiens, en majorité de Tolbiac, avaient été interpellés place de la Bastille, quelques heures après la casse de la manif de la rue de la Roquette, puis remis en liberté. «Je ne sais pas s'il y en a qui cautionnent la manif de lundi ?», lance un étudiant à l'AG. Des «Oui !» fusent dans l'amphi. Il est un peu hué, puis applaudi. «A Lyon, c'est des MJS qui ont mis le bazar dans les rues», confie un militant. Sans un mot, une étudiante scotche sur les murs de l'amphi une affiche noire aux lettres dorées : «En finir avec Mai 68 ? Il a raison : il faut faire pire.» Interpellé lui aussi lundi soir, un étudiant anar regrette les cassages à l'aveugle de la rue de la Roquette. «J'aime pas ce terme de "casseurs", je me considère aussi comme un casseur, mais balancer une bouteille dans un bar où il y a des gens, c'est de l'irresponsabilité totale.» L'amphi N surchauffe. «Moi, je suis un Français issu de l'immigration. La première tentation devant le résultat, c'est le repli. C'est de tout casser, explique un leader. Mais on peut défendre nos droits, même sous Sarkozy. Il faut l'occupation immédiate !»
Le projet redouté de tous, c'est la privatisation larvée de la fac. L'entrée des entreprises dans les conseils d'administration. Leur implication dans le financement. «Ça va poser la question des filières rentables ou non rentables. Qui va en décider, si c'est pas le Medef ?» s'indigne Tristan. «Sarkozy s'est donné cent jours pour faire passer ses réformes, on a cent jours pour s'organiser !» lance un représentant syndical. «Avec lui, les présidents d'université pourront choisir leurs étudiants et leurs enseignants. Il promet la sélection à l'entrée du mastère» , dénonce Sylvain, de la Fédération syndicale étudiante (FSE) .Les modérés demandent du temps, celui des législatives. «Il y a eu trois millions de voix d'écart entre la gauche et la droite. On ne fait pas le poids. Il faut se préparer pour l'année prochaine», plaide Hélène. Une figure du mouvement anti-CPE, le très sérieux Karl Stoeckel, l'ex-président de l'Union lycéenne passé à l'Unef, va dans le même sens. Il «relativise» la mobilisation. «Il ne faut pas faire appel à la peur mais à la raison, lance-t-il. On doit expliquer aux étudiants les conséquences du programme de Sarkozy et de la privatisation des universités.»
«C'est la guerre.» Stoeckel est aussitôt contredit. Du temps ? Légitime, l'élection ? Pas pour tout le monde. «C'est une élection manipulée, avec des sondages et des médias manipulés, des livres interdits de sortie. Il faut se mobiliser le plus vite possible», s'écrie un militant. «Le mouvement est un peu noyauté par tous les gauchistes, les anars, les totos [autonomes], les néosituationnistes», déplore sérieusement un membre des JCR. Un couple d'allure timide se faufile dans l'amphi avec un petit texte intitulé «C'est la guerre». Proposition radicale : «Abandonnons-nous au précipice de la rage.»
Hier soir, entre 300 et 400 personnes répondant à l'appel d'organisations d'extrême gauche ont manifesté boulevard Saint-Michel à Paris. L'objet du rassemblement était initialement de protester contre une manifestation d'extrême droite à Denfert-Rochereau, dans le XIVe. Plus d'une centaine de manifestants ont été interpellés par les forces de l'ordre.