A Saint-Pétersbourg, la "Marche du désaccord" a mobilisé l'opposition russe
LE MONDE | 06.03.07 | 15h33 • Mis à jour le 06.03.07 | 15h50
Organisée samedi 3 mars à Saint-Pétersbourg par l'opposition russe, la "Marche du désaccord" a connu un tel succès que ses concepteurs prévoient de convoquer une nouvelle manifestation, mais à Moscou cette fois, le 14 avril. "Nous espérons rassembler 10 000 manifestants", a indiqué, lors d'une conférence de presse à Moscou, lundi 5 mars, l'écrivain Edouard Limonov, assis à côté de l'ancien champion du monde d'échecs Gary Kasparov.
"C'est l'action la plus massive jamais organisée dans la Russie de Poutine", s'est félicité l'ancien champion. Les deux hommes animent, avec l'ancien premier ministre russe (de 2000 à 2004) Mikhaïl Kassianov, le mouvement Une autre Russie, créé à l'été 2006 pour fédérer l'opposition au président Vladimir Poutine. Ignoré des médias officiels, harcelé, marginalisé, le mouvement peinait jusque-là à se faire entendre.Une précédente "Marche du désaccord", organisée le 16 décembre 2006 à Moscou, avait tourné court. La municipalité avait alors déployé un tel dispositif de police (forces antiémeute, chiens policiers, hélicoptères) que les manifestants étaient à peine visibles. Quelques jours avant, le siège du Forum civique, le parti de Gary Kasparov, avait été perquisitionné.
Logé à la même enseigne, Mikhaïl Kassianov avait vu l'annonce de sa candidature à la présidentielle, en juillet 2006, accueillie par l'ouverture d'une enquête contre lui dans une affaire d'acquisition illégale d'une résidence secondaire. Plus encore que les autres, le Parti national bolchevique (NPB), dirigé par Edouard Limonov, est dans le collimateur du Kremlin. Ses militants, partisans d'actions violentes - comme le saccage du hall de l'administration présidentielle en décembre 2004 - sont régulièrement jugés et condamnés à la prison.
COUPS DE MATRAQUE
Aux yeux des médias officiels, ces jeunes gens portant des brassards ornés de la faucille et du marteau sont des "fascistes", bien qu'ils n'aient jamais adhéré aux idées xénophobes véhiculées par des partis ayant pignon sur rue (le Parti libéral-démocrate de Russie, LDPR, de Vladimir Jirinovski, ou le parti Rodina - La Patrie - représentés à la Douma).[Ou bien l'auteur de l'article est ignorant ou alors totalement de mauvaise foi].
Samedi, pour la première fois, la voix d'Une autre Russie a été entendue. Interdite par la municipalité, la "Marche du désaccord" a mobilisé environ 5 000 personnes dans la ville natale du président russe. Aux cris de "La Russie sans Poutine !", et de "Rendez-nous les élections !", les manifestants, malgré une pluie de coups de matraque - 3 000 policiers antiémeute avaient été mobilisés -, ont réussi à briser le cordon de police et à se diriger vers la Perspective Nevski, la principale artère de la ville des bords de la Néva, transformant le rassemblement - autorisé - en marche interdite. Cent treize personnes ont été arrêtées.
"Celui qui est venu ici a surmonté la peur, le dernier soutien de ce régime", a harangué Gary Kasparov. Les autorités municipales, il est vrai, n'avaient pas ménagé leurs efforts pour dissuader la population de répondre à l'appel des opposants, faisant diffuser des annonces dans le métro avertissant que les forces de l'ordre se montreraient sans pitié, arrêteraient les militants et perquisitionneraient leurs domiciles.
Le gouverneur, Valentina Matvienko, une proche du Kremlin, avait appelé la population à ne pas se rendre au rassemblement. Les manifestants lui ont répondu en réclamant sa démission et en fustigeant le projet architectural de Gazprom - soutenu par Mme Matvienko - d'ériger dans le centre historique de la ville son nouveau siège : une "tour du gaz" haute de 300 mètres.
Ce sursaut de l'opposition intervient au moment où le Kremlin cherche à restreindre les libertés politiques à l'approche de l'élection présidentielle de mars 2008, craignant qu'une "révolution de velours" ne se produise en Russie.
Bon connaisseur de la révolution de février 1917, qu'il donne à voir dans la fresque historique La Roue rouge, l'écrivain Alexandre Soljenitsyne, 88 ans, s'est récemment alarmé : "Il est amer de constater que certaines des conclusions alors établies (au moment de la rédaction du livre, entre 1980 et 1990) peuvent parfaitement être transposées aux désordres alarmants d'aujourd'hui."
Marie Jégo