materialisme et empiriocriticisme

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par piter » 24 Fév 2007, 10:22

un texte de quelques pages concernant Matérialisme et empiriocriticisme :

Eléments de critique matérialiste et dialectique de Matérialisme et empiriocriticisme

Commençons par le chapitre qui concerne une question qui est pour Lénine au cœur du matérialisme et qu’il appelle : « l’homme pense-t-il avec le cerveau ? ».

P 91 (du tome 14 de la quatrième édition française des œuvres complètes) : « L’élimination du « dualisme de l’esprit et du corps » par le matérialisme (c'est-à-dire par le monisme matérialiste) consiste en ce que l’esprit n’ayant pas d’existence indépendante du corps, est un facteur secondaire, une fonction du cerveau, l’image du monde extérieur ».

On peut remarquer tout d’abord que si le monde est extérieur et l’esprit son image (à l’ « intérieur » ?), il peut sembler que le dualisme « chassé par la porte, revienne par la fenêtre » sous la forme d’une séparation entre le monde qui est extérieur et un intérieur qui est le cerveau dans lequel l’extérieur se reflète par l’image qui est l’esprit.
D’autre part dire que l’esprit n’est pas indépendant n’implique nullement qu’il soit secondaire. Corps et esprit sont indissolublement liés car l’homme est un être social. L’activité humaine s’inscrit dans une nature qui est historique aussi bien que dans une histoire de la nature, activité par laquelle l’homme transforme la nature, c’est cette « nature » de l’homme qui lie indissolublement le corps et l’esprit dans le processus de reproduction sociale de l’homme et de sa relation à la nature. La liaison du corps et de l’esprit ne se réalise pas dans le cerveau mais plutôt dans l’histoire par l’activité sociale des hommes, histoire de l’activité humaine qui ne peut être séparée de la nature que dans la représentation. Comprendre la liaison du corps et de l’esprit implique qu’on ne la saisisse pas seulement comme se réalisant dans le cerveau mais aussi/surtout dans l’histoire (cf Thèses sur Feuerbach de Marx).

Lénine martèle que la pensée est produit du cerveau, c’est indubitable mais c’est insuffisant. Le matérialisme avancée, dialectique, à plus à dire, saisissant le rapport pensée/corps, comme dialectique et social, comme produit de l’activité humaine.
Corps et esprit doivent être saisis dans leur rapport, rapport qui n’est pas seulement que l’un produit l’autre, le rapport n’a de sens qu’inscrit dans l’histoire, dans l’ensemble de l’activité humaine dont langage et pensée sont des productions, l’esprit participant aussi à la création des rapport humain par l’activité humaine, qui est téléologique (cf le passage du tome I du Capital ou Marx distingue le travail de l’abeille et celui de l’homme par le fait que l’activité humaine est téléologique, consciente).

Marx présente différemment sa conception matérialiste, par exemple dans l’Idéologie allemande, il montre la conscience comme étant « d’emblée un produit social » : « Mais il ne s’agit pas d’une conscience qui soit d’emblée conscience « pure ». Dès le début, une malédiction pèse sur « l’esprit », celle d’être « entaché » d’une matière qui se présente ici sous forme de couches d’air agitées, de sons, en un mot sous forme du langage. Le langage est aussi vieux que la conscience, le langage est la conscience réelle, pratique, existant aussi pour d’autres hommes, existant donc alors seulement pour moi-même aussi et, tout comme la conscience, le langage n’apparaît qu’avec le besoin, la nécessité du commerce avec d’autres hommes. La conscience est donc d’emblée un produit social et le demeure aussi longtemps qu’il existe des hommes. » (p 62, Editions Sociales).
Si la conscience est d’emblée un produit social il est alors réducteur de ne la présenter que comme un produit du cerveau.

Et : « Les présuppositions dont nous partons ne sont pas arbitraires, ce ne sont pas des dogmes ; ce sont des présuppositions réelles dont on ne peut faire abstraction qu’en imagination. Ce sont les individus réels, leurs actions et leurs condition d’existence matérielles, celles qu’ils ont trouvées toutes prêtes, comme aussi celles qui sont nées de leur propre action. Ces présuppositions sont donc vérifiables par voie purement empirique. » (p 42).
La conscience est le produit du cerveau d’individus qu’il faut saisir dans leurs relations sociales, dans leur activité produisant langage et pensée.
La pensée ne peut être comprise dans la sphère du seul rapport entre le corps/cerveau et la pensée.
On n’a pas avec Marx un matérialisme du concept de matière avec un grand M, mais plutôt un matérialisme qui part de l’activité humaine, de ses conditions qui sont sociales et de la manière dont elle les transforme.
La suppression du dualisme provient ici plutôt d’une conception de la relation corps/esprit telle qu’elle se donne dans l’activité des hommes plutôt que d’un « monisme » philosophique (« l’unité du monde dans sa matérialité »). Le fait que l’esprit n’ait pas d’existence indépendante du corps ne prouve pas que cela soit un facteur secondaire mais seulement la relation indissoluble entre le corps et l’esprit humain. On peut par là penser que le dépassement du dualisme par un matérialisme dialectique serait plutôt, non pas un « monisme » (on peut rappeler que Plekhanov n’emploie ce terme dans sa « Conception moniste de l’histoire » que pour tromper la censure en évitant de dire « matérialiste ») matérialiste, mais une dialectique matérialiste de l’esprit et du corps saisie dans le développement de l’activité humaine, sociale, l’unité devant être pensée non pas comme celle d’un monisme mais plutôt comme celle d’une totalité dialectique (en l’occurrence du corps et de l’esprit ou plus précisément de l’ensemble des rapports sociaux et de leur développement historique).

Matérialisme et empiriocriticisme, P 111 : « La théorie matérialiste, la théorie du reflet des objets par la pensée, est exposée ici en toute clarté : les choses existent hors de nous. Nos perceptions et nos représentations en sont les images. Le contrôle de ces images, la distinction entre les images exactes et les images erronées, nous est fourni par la pratique. ».

Mais dans le cours de cette pratique il y a interaction entre « nous » et « les choses » et non pas seulement contrôle de l’un par l’autre. La vie humaine fait partie de la nature et la pensée si elle doit être en quelque sorte la forme la plus élevée d’une matière en mouvement, cette « matière » ne peut qu’être le social, c'est-à-dire l’activité des hommes (ou plutôt la pensée se forme dans le cours de cette activité, l’un est l’autre ne pouvant être séparé).

P 132 : « La matière est une catégorie philosophique servant à désigner la réalité objective donnée à l’homme dans ses sensations qui la copient, la photographient, la reflètent, et qui existe indépendamment des sensations. ».

Dans Matérialisme et empiriocriticisme la matière désigne parfois, comme ici, une catégorie philosophique, mais parfois aussi ce à quoi cette catégorie renvoie, cette réalité objective dont nous percevons le reflet. Manque de précision dans l’usage des termes.
Revenons à notre extrait de Matérialisme et empiriocriticisme. On a là un matérialisme « de la réalité objective », réalité objective dont la matière est le concept et dont la pratique est le critère de la connaissance, matérialisme qui semble s’inspirer de la pratique des sciences de la nature, un tel matérialisme est pour Lénine une conception du monde englobant tous les domaines de la connaissance, or le « concept de la réalité objective » pour ce qui est de la réalité sociale ne peut être la « matière » telle qu’elle est comprise dans les sciences naturelles, mais serait plutôt la pratique humaine.
La pratique humaine est dialectique « du corps et de l’esprit », la pensée et la parole sont sociales, c’est de ce matérialisme là dont il est question chez Marx.
Lénine écrit d’ailleurs, P 343 : « …il est naturel que Marx et Engels se soient attachés surtout à parachever la philosophie matérialiste, c'est-à-dire la conception matérialiste de l’histoire, et non la gnoséologie matérialiste. Par suite, dans leurs œuvres traitant du matérialisme dialectique, ils insistèrent bien plus sur le coté dialectique que sur le coté matérialiste ; traitant du matérialisme historique, ils insistèrent bien plus sur le coté historique que sur le coté matérialiste ». Oui et pour cause…
Il faudrait d’ailleurs plutôt dire que chez Marx il n’y a pas de « philosophie matérialiste » mais plutôt une conception matérialiste de l’histoire qui est dans une certaine mesure une critique matérialiste de la philosophie.

Lénine présente le matérialisme comme indissociable de la pratique comme critère de la théorie de la connaissance.
P 146 : « Le point de vue de la vie, de la pratique, doit être le point de vue premier, fondamental de la théorie de la connaissance. ».

Lénine avance une telle idée mais sans montrer suffisamment ce en quoi un tel matérialisme se distinguerait, comme l’indique Marx (cf.Thèses sur Feuerbach), par la manière dont il conçoit la pratique de façon fondamentalement différente des autres matérialistes.
On ne peut séparer la connaissance de l’activité sociale des hommes. La connaissance relève de la transformation de la nature par l’homme (y compris de sa nature propre), elle relève du caractère créateur de l’activité sociale.
C’est par ce point de vue de la pratique propre à Marx que son matérialisme est pleinement dialectique, critique et révolutionnaire. Une telle conception ne se veut pas une « théorie » élaboré hors du mouvement historique d’émancipation mais se veut une expression théorique de celui-ci. C’est dans la pratique que se vit et se développe la dialectique du corps et de l’esprit aussi bien que de la lutte des classes et de la « théorie de la connaissance ». Sans cela le matérialisme reste dualiste et donc abstrait, or, comme le dit ailleurs Lénine « la vérité est toujours concrète ».

P 160 : « Le matérialisme est la reconnaissance des lois objectives de la nature et du reflet approximativement exact de ces lois dans la tête de l’homme. ».
Les lois ne sont elle pas plutôt une approximation de l’objectivité des mouvements de la nature que l’homme perçoit ? Les lois élaborées par les hommes sont l’approximation elles-mêmes des mouvements réels et non pas l’approximation de lois objectives, les mouvements réels ne sont pas des « lois ». Les lois ne sont dans la nature que comme produit de la nature humaine, comme produit d’un travail social des hommes. Les régularités existent dans la nature mais c’est l’homme qui en abstrait des lois par un travail social de production de connaissances « approximatives » (mais progressivement plus justes) de ces régularités objectives (par l’activité scientifique).
Lénine avec la dialectique de la connaissance relative/absolue approche ce caractère social du développement de la connaissance des lois, mais il faudrait aller plus loin et penser ce processus comme étant le développement de lois s’approchant de la connaissance, non des « lois objectives » mais des mouvements réels de la nature. La dialectique n’est pas seulement celle de lois approximative/lois objective mais plutôt entre des lois de plus en plus exactes et la réalité objective. Peut être Lénine dialectise la théorie du reflet (produisant en quelque sorte des « lois de lois ») plutôt qu’il ne pense dialectiquement la relation entre le reflet et la réalité dans le processus de production sociale des connaissances par la pratique humaine. Lénine confond les régularités réelles dans la nature et leur concept (la formulation de lois), il confond le mouvement régulier et la loi qui en est abstrait approximativement tout comme il confond parfois la matière et son concept (et cela sans les saisir et les présenter dans leur unité et leur développement dialectique).

P 339 : « Le matérialisme historique admet que l’existence sociale est indépendante de la conscience sociale de l’humanité. La conscience n’est, ici et là, que le reflet de l’être, dans le meilleur des cas un reflet approximativement exact (adéquat, d’une précision idéale) ».

C’est là un matérialisme réductionniste, pour un matérialisme pleinement dialectique la conscience participe de la réalité sociale, il y a interdépendance plutôt qu’indépendance. La matière peut exister sans la conscience mais pas la réalité sociale, pas de social sans conscience (pas de social qui ne soit pas déterminé dans une certaine mesure par de la conscience, « sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire » par exemple pour reprendre Lénine).

P 336 : « De ce que les hommes, lorsqu’ils entrent en rapport les uns avec les autres, le font comme des êtres conscients, il ne s’ensuit nullement que la conscience sociale soit identique à l’existence sociale. Dans toutes les formations sociales plus ou moins complexes, et surtout dans la formation sociale capitaliste, les hommes lorsqu’ils entrent en rapport les uns avec les autres, n’ont pas conscience des relations sociales qui s’établissent entre eux, des lois présidant au développement de celles-ci, etc. exemple : le paysan qui vend son blé, entre en « rapport » avec les producteurs mondiaux du blé sur le marché mondial, mais sans sen rendre compte ; il ne se rend pas compte non plus des relations qui s’établissent à la suite de ces échanges. La conscience sociale reflète l’existence sociale, telle est la doctrine de Marx. ».

Et, P 338 : « L’essentiel, c’est qu’on a découvert les lois et déterminé dans les grandes lignes le développement historique et la logique objective de ces modifications, -objective non pas certes en ce sens qu’une société d’êtres conscients, d’êtres humains puisse exister et se développer indépendamment de l’existence des êtres conscients (…), mais en ce sens que l’existence sociale est indépendante de la conscience sociale. Le fait que vous vivez, que vous exercez une activité économique, que vous procréez et que vous fabriquez des produits, que vous les échangez, détermine une succession objectivement nécessaire d’événements, de développements, indépendante de votre conscience sociale qui ne l’embrasse jamais dans son intégralité. La tâche la plus noble de l’humanité est d’embrasser cette logique objective de l’évolution économique (évolution de l’existence sociale) dans ses traits généraux et essentiels, afin d’y adapter aussi clairement et nettement que possible, avec esprit critique, sa conscience sociale et la conscience des classes avancées de tous les pays capitalistes ».

Lénine aborde ici le caractère critique du matérialisme. Mais il passe ici à coté de ce que l’inéquation entre la conscience et l’existence sociale ne provient pas seulement selon Marx de ce que l’une soit le reflet de l’autre mais aussi de ce que les rapports capitalistes entre les hommes engendrent l’aliénation de ceux-ci. L’inexactitude du reflet est historique il s’agit d’un effet de réification (c'est-à-dire prendre pour une « chose » ce qui est un rapport entre les hommes, un produit de leur activité) et non pas un effet général de la relation entre « le corps et l’esprit ».

P 339 : « Le matérialisme admet d’une façon générale que l’être réel objectif (la matière) est indépendant de la conscience, des sensations, de l’expérience humaine. Le matérialisme historique admet que l’existence sociale est indépendante de la conscience sociale de l’humanité. La conscience n’est ici et là, que le reflet de l’être, dans le meilleur des cas un reflet approximativement exact (adéquat, d’une précision idéale). On ne peut retrancher aucun principe fondamental, aucune partie essentielle de cette philosophie du marxisme coulée dans un seul bloc d’acier, sans s’écarter de la vérité objective, sans verser dans le mensonge bourgeois réactionnaire. ».

Marx n’affirme pas exactement le rapport de l’existence sociale par rapport à la conscience sociale en terme d’indépendance mais affirme plutôt la nécessité, pour comprendre la conscience sociale, de partir de l’activité sociale des hommes, de l’étude de la manière dont ceux-ci entrent en relations pour reproduire les conditions matérielles de leur existence.
Lénine considère comme admis que, tout comme la matière existe indépendamment de l’esprit, l’existence sociale est indépendante de la conscience sociale, le terme d’indépendance est ici trompeur, Lénine veut dire en fait non pas qu’il n’y ait pas de relation, mais que celle-ci soit inexacte, que la conscience sociale est une conscience faussée des relations sociales. Les relations sociales des hommes n’impliquent pas que les hommes aient conscience de la manière dont ils entrent en relations celle-ci étant indépendante de leur volonté, voilà l’indépendance de l’existence sociale par rapport à la conscience sociale.
L’ « indépendance » consiste en ce que les hommes n’ont pas conscience de la relation réelle, et en ce les relations réelles ne sont pas le produit direct et conscient de la volonté des hommes. Lénine expose cela de façon un peu confuse, puisqu’il n’y a pas réellement « indépendance » mais relation complexe dont les hommes n’ont pas pleinement conscience (tout en tendant à celle-ci par les luttes du prolétariat révolutionnaire et la théorie marxiste qui en est l’expression). Ajoutons aussi que la dialectique vérité relative/absolue n’est pas seulement celle de la connaissance scientifique mais aussi est celle du communisme (dévoilement et dépassement des rapports humains aliénés par le mouvement d’émancipation). Ce qui implique de saisir le communisme comme mouvement de dévoilement des rapports réels, de saisir le communisme comme fondamentalement étranger a ce qui obscurcit ou fausse la connaissance par les hommes de leur vie sociale. La dialectique vérité relative/absolue n’à de sens qu’en relation avec la pratique sociale qui en est porteuse et dans laquelle elle s’inscrit dialectiquement comme l’un de ses moments.

C’est sur une telle relation de la conscience par rapport à l’existence sociale que repose le point de vue de classe, de parti, en matière de connaissance.
Lutte des partis en philosophie comme expression de la lutte des classes. Rôle critique du matérialisme qui tente de révéler derrière l’idéologie les relations réelles, la classe dominante doit masquer sa domination et doit donc combattre le matérialisme.
Là-dessus Lénine à raison, voir p 357 et 372 toujours dans Matérialisme et empiriocriticisme.

Mais c’est avec Engels que l’on à les meilleurs éléments de critiques matérialistes de Matérialisme et empiriocriticisme.
Dans Dialectique de la nature (dont Lénine ne pouvait connaître la plupart des textes le composant, ceux-ci ayant été publiés après sa mort) Engels montre la pensée comme produit non seulement du cerveau mais aussi de la main et de l’activité pratique, et le développement du cerveau comme inséparable du développement de la main. Matérialisme non pas seulement de la « matière » mais surtout de la pratique, une pratique inscrite dans la nature dont l’homme fait partie.
Dialectique de la nature, p 41 des Editions sociales : « C’est le jour où, après des millénaires de lutte, la main fut définitivement différenciée du pied et l’attitude verticale enfin assurée, que l’homme se sépara du singe, et que furent établies les bases du développement du langage articulé et du prodigieux perfectionnement du cerveau, qui a depuis rendu l’écart entre l’homme et le singe infranchissable. La spécialisation de la main, voilà qui signifie l’outil, et l’outil signifie l’activité spécifiquement humaine, la réaction modificatrice de l’homme sur la nature, la production. (…) la tête a accompagné pas a pas l’évolution de la main ; d’abord vint la conscience des conditions requises pour chaque résultat pratique utile et plus tard, comme conséquence, chez les peuples les plus favorisés, l’intelligence des lois naturelles qui conditionnent ces résultats utiles. Et avec la connaissance rapidement grandissante des lois de la nature, les moyens de réagir sur la nature ont grandi aussi ; la main, à elle seule, n’aurait jamais réalisé la machine à vapeur si, corrélativement, le cerveau de l’homme ne s’était développé avec la main et à côté d’elle, et en partie grâce à elle » (Engels, Dialectique de la nature, p 41).

Aussi dans Dialectique de la nature sur la dialectique entre le cerveau et la main, entre la conscience, le langage et le travail.
« D’abord le travail ; après lui, puis en même temps que lui, le langage : tel sont les deux stimulants essentiels sous l’influence desquels le cerveau d’un singe s’est peu à peu transformé en un cerveau d’homme…(…). Le développement du cerveau et des sens qui lui sont subordonnés, la clarté croissante de la conscience, le perfectionnement de la faculté d’abstraction et de raisonnement ont réagi sur le travail et le langage et n’ont cessé de leur donner, à l’un et à l’autre, des impulsions sans cesse nouvelles pour continuer à se perfectionner. Ce perfectionnement ne se termina pas au moment où l’homme fut définitivement séparé du singe ; dans l’ensemble, il a au contraire continué depuis. Avec des progrès différents en degré et en direction chez les divers peuples et aux différentes époques, interrompus même ça et là par une régression locale et temporaire, il a marché en avant d’un pas vigoureux, recevant d’une part une nouvelle et puissante impulsion, d’autre part une direction plus définie d’un élément nouveau qui a surgi de surcroît avec l’apparition de l’homme achevé : la société » idem, p 175).
Et : « grâce à l’action conjuguée de la main, des organes de la parole et du cerveau, non seulement chez chaque individus, mais aussi dans la société, les hommes furent mis en mesure d’accomplir des opérations de plus en plus complexes, de poser et d’atteindre des fins de plus en plus élevées. De génération en génération, le travail lui-même devint différent, plus parfait, plus varié. (..) C’est à l’esprit, au développement et à l’activité du cerveau que fut attribué tout le mérite du développement rapide de la société ; les hommes s’habituèrent à expliquer leur activité » par leur pensée au lieu de l’expliquer par leurs besoins (qui cependant se reflètent assurément dans leur tête, deviennent conscient), et c’est ainsi qu’avec le temps on vit naître cette conception idéaliste du monde qui, surtout depuis le déclin de l’antiquité, a dominé les esprits. (…) Comme nous l’avons déjà indiqué, les animaux modifient la nature extérieure par leur activité aussi bien que l’homme, bien que dans une mesure moindre, et comme nous l’avons vu, les modifications qu’ils ont opérées dans leur milieu réagissent à leur tour en les transformant sur leurs auteurs. Car rien dans la nature n’arrive isolément. Chaque phénomène réagit sur l’autre et inversement, et c’est la plupart du temps parce qu’ils oublient ce mouvement et cette action réciproque universels que nos savants sont empêchés d’y voir clair dans les choses les plus simples ». (Rôle du travail dans la transformation du singe en homme, In Dialectique de la nature p 178-179, publié en 1896 dans la Neue zeit).
On a là l’intégration, au sein d’un matérialisme prenant comme point de départ (ou point de vue) la pratique, d’un matérialisme prenant comme point de départ celui de la matière. Il faut les saisir dans leur relation pour saisir le matérialisme dans sa complexité et sa richesse, les deux séparément sont unilatéraux.
Les positions d’Engels dans Dialectique de la nature sont la correction indispensable aux positions de Lénine et font le lien avec le matérialisme de l’Idéologie allemande. Montre aussi que la connaissance ne peut être séparée de la matière qu’il s’agit de connaître, pas d’extériorité de la connaissance et de son contenu, connaissance et matière ne sont pas forme et contenu, ou seulement de façon dialectique, seule la connaissance de la relation (pas seulement comme seul reflet) permet dépasser le dualisme et de saisir le processus de connaissance dans sa complexité, comme activité créatrice, comme pratique.
Lénine ne développe pas la question de la pratique dans toute sa complexité et ne l’aborde principalement que comme inscrite dans sa conception de la matière et de son reflet avec la pratique comme critère de conformité. La pratique n’est pas toujours dans l’ouvrage de Lénine saisie comme activité sociale mais est souvent seulement confrontation aux objets, et elle n’est pas pleinement saisie dans sa dimension créatrice (cf Thèses sur Feuerbach).
Lorsque Lénine part de la pratique cette dernière est saisie comme médiation du reflet via les sensations, Marx part de la pratique sociale des individus.
Lénine ne saisit pas pleinement (ou exprime avec insuffisance) ce qui fait la spécificité du matérialisme de Marx par rapport à celui des matérialistes antérieurs. En effet, l’apport de Marx n’est pas seulement dans la dialectique et dans une application du matérialisme à la science sociale, mais aussi en ce qu’il donne au matérialisme un fondements différents en partant de l’activité sociale des individus (la conception matérialiste de l’histoire n’est pas une application du matérialisme mais son point de départ chez Marx, c’est la que réside le caractère scientifique de l’analyse de Marx, comme aussi le dépassement d’une conception utopique du socialisme par sa saisie comme produit de l’activité humaine ).


De nouveau sur le cerveau.
Les mouvements chimiques et moléculaires dans le cerveau n’épuisent pas l’essence de la pensée, ce sont des formes annexes à une forme supérieure du mouvement de la matière.
Contre tout réductionnisme.
« …de même que les formes supérieures du mouvement en produisent aussi simultanément d’autres et que l’action chimique n’est pas possible sans changement de la température et de l’état électrique, la vie organique sans changement mécanique, thermique, électrique, etc. mais la présence de ces formes accessoires n’épuise pas dans chaque cas considéré l’essence de la forme principale. Nous « réduirons » certainement un jour par la voie expérimentale la pensée à des mouvements moléculaires et chimiques dans le cerveau ; mais cela épuise-t-il l’essence de la pensée ? » (Engels, Dialectique de la nature, P 252).
On ne peut connaître la pensée que par la dialectique (de la nature et de l’histoire) et non pas seulement la chimie et la biologie. La pensée comme produit à la fois social et naturel (élément de la dialectique de la nature et de l’histoire qui sont intimement lié de par l’activité humaine, produit donc de la dialectique de l’activité humaine dans la nature), rapport sociaux, cerveau, main, langage, travail, de façon générale tout ce qui se rapporte à l’activité humaine (mais la pensée n’est pas seulement un produit de l’activité humaine, elle en est aussi un élément).

Sur la matière comme telle selon Engels :
« La matière, comme telle, est pure création de la pensée et pure abstraction. Nous faisons abstraction des différences qualitatives des choses en les embrassant en tant qu’existant corporellement sous le concept de matière. La matière comme telle, à la différence des matières déterminées existantes, n’a donc pas d’existence sensible. Quand la science de la nature entreprend de dépister la matière une en tant que telle, de réduire les différences qualitatives à des différences purement quantitatives dans la combinaison de particules infimes identique, elle fait la même chose que si, au lieu de cerises, de pores, de pommes, elle voulait voir le fruit en tant que tel (..). Comme Hegel (Encyclopédie, I, 199) l’a déjà démontré, cette conception, dans laquelle la matière est considéré comme déterminable seulement par voie quantitative, mais identique qualitativement à l’origine est donc « un point de vue étroit de mathématicien » ; elle n’est « que le point de vue du » matérialisme français du XVIII… » (Dialectique de la nature, p 259-260).

Ces deux derniers extraits de Dialectiques de la nature ne viennent ils pas « chatouiller » quelque peu le matérialisme de Matérialisme et empiriocriticisme, en montrant les limites ?
Il semble d’ailleurs d’après ce qu’il écrit en 1915-1916 dans ses notes sur Hegel (dans Cahiers philosophiques, Editions sociales, ou tome 38 des OC) que Lénine se posera lui même la question…

ps : je ne pourrais sans doute pas répondre avant fin de semaine prochaine aux réponses courroucées de mes amis défenseurs du vrai "marxisme-léninisme" et autres orthodoxes. vous avez donc tout le temps de préparer minutieusement mon "assasinat" théorique...
piter
 
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Inscription : 18 Jan 2006, 11:16

Message par piemme » 03 Mars 2007, 18:46

Tu affirmes justement que
a écrit :La liaison du corps et de l’esprit ne se réalise pas dans le cerveau mais plutôt dans l’histoire par l’activité sociale des hommes, histoire de l’activité humaine qui ne peut être séparée de la nature que dans la représentation
T'appuyant sur cet argument, et décelant une contradiction avec une partie du texte de Lénine, tu affirmes ensuite :
a écrit :Lénine martèle que la pensée est produit du cerveau, c’est indubitable mais c’est insuffisant
et tu exposes :
a écrit :Si la conscience est d’emblée un produit social il est alors réducteur de ne la présenter que comme un produit du cerveau
Or, tu le reconnais toi-même : Lénine ne fait que dire que
a écrit :La conscience est le produit du cerveau d’individus qu’il faut saisir dans leurs relations sociales, dans leur activité produisant langage et pensée
Il n'y a donc pas opposition, et Lénine a raison.

Le désaccord, il me semble, est ailleurs : Lénine dit
a écrit :les choses existent hors de nous. Nos perceptions et nos représentations en sont les images. Le contrôle de ces images, la distinction entre les images exactes et les images erronées, nous est fourni par la pratique
Là-dessus, tu dis :
a écrit :Mais dans le cours de cette pratique il y a interaction entre « nous » et « les choses » et non pas seulement contrôle de l’un par l’autre
Or, je préfère largement la version de Lénine : le "nous" de Lénine se rapporte à "nos perceptions" et "nos représentations" : il n'y a pas là pas là relation d'équivalence, ou simple "interaction" : c'est bien la pratique des hommes sur "les choses" qui, en dernière instance, déterminent "nos représentations". Autrement dit : si en retour les "représentations" ont une incidence sur la pratique, c'est indéniable, cela reste bien le niveau atteint par celle-ci, niveau déterminé historiquement et donc dépendant des rapports sociaux, qui sera essentiellement déterminant. Tu dis d'ailleurs :
a écrit :la pensée se forme dans le cours de cette activité, l’un est l’autre ne pouvant être séparé
Or, parler d'interaction pourrait laisser supposer qu'est également vrai le postulat : "l'activité se forme dans le cours de la pensée, l’un est l’autre ne pouvant être séparé". Ce qui ne serait pas juste, du point de vue matérialiste.

Tu dis ensuite
a écrit :La pratique humaine est dialectique « du corps et de l’esprit », la pensée et la parole sont sociales, c’est de ce matérialisme là dont il est question chez Marx
Autrement dit,
a écrit :réalité sociale ne peut être la « matière » telle qu’elle est comprise dans les sciences naturelles
et telle que semble le croire Lénine. Or, je pense que le terme de "matérielle" convient parfaitement pour désigner la "pratique humaine". A condition de bien comprendre par "pratique humaine" le procès de travail social qui consiste, pour les hommes, à transformer la matière et ainsi à reproduire leurs conditions "matérielles" d'existence. Pour le dire autrement, dire que la "pratique humaine" est "matérielle" est une manière de se positionner clairement contre l'idée selon laquelle la "pratique humaine" pourrait dépendre essentiellement du monde des idées. En ce sens, Lénine partage pleinement la position "matérialiste" de Marx.

Tu reproches ensuite à Lénine d'affirmer que
a écrit :Le point de vue de la vie, de la pratique, doit être le point de vue premier, fondamental de la théorie de la connaissance
sans
a écrit :montrer suffisamment ce en quoi un tel matérialisme se distinguerait [...] des autres matérialistes
Il me semble que tu exagères pour au moins deux raisons : d'une part, Lénine vise les "empiriocriticistes", nouvelle version de l'idéalisme. D'autre part, il revient largement dans d'autres textes sur les "autres matérialiste". Il n'y là aucune ambiguïté à voir.

Lénine écrit
a écrit :Le matérialisme est la reconnaissance des lois objectives de la nature et du reflet approximativement exact de ces lois dans la tête de l’homme
Là-dessus, tu dis un certain nombre de choses :
a écrit :les lois ne sont elle pas plutôt une approximation de l’objectivité des mouvements de la nature que l’homme perçoit ?
Qui dit le contraire ?
a écrit :Les lois élaborées par les hommes sont l’approximation elles-mêmes des mouvements réels et non pas l’approximation de lois objectives, les mouvements réels ne sont pas des « lois »
Pour schématiser, les sciences consistent à reconnaître dans la nature les relations de cause à effet, à comprendre la logique de transformation de la matière, et, dans les sciences humaines, à appréhender -- le moins approximativement possible -- l'origine des phénomènes observés. Lénine appelle "lois" ces "relations" ou cette "logique". La phrase suivante est plus qu'étonnante. Tu écris en effet :
a écrit :Les lois ne sont dans la nature que comme produit de la nature humaine, comme produit d’un travail social des hommes
Je relis : les lois de la nature sont le produit de la nature humaine. Je passe sur "nature humaine" qui est une catégorie idéaliste (pour les marxistes, la nature humaine n'existe pas). Non : la réalité objective de nature (et par voie de conséquence, ses "lois") existe en dehors des hommes et de leurs représentations de cette nature et de ces "lois". Certes, la conception, l'élaboration, la formulation, la verbalisation de ces "lois" de la nature dépendent des hommes (socialement et historiquement déterminés), mais la nature et ce qui la caractérise objectivement existent indépendamment des hommes. Alors oui :
a écrit : Les régularités existent dans la nature mais c’est l’homme qui en abstrait des lois par un travail social de production de connaissances « approximatives » (mais progressivement plus justes) de ces régularités objectives (par l’activité scientifique)
Et Lénine ne dit pas le contraire. Il faudrait, dis-tu s'approcher
a écrit : de la connaissance, non des « lois objectives » mais des mouvements réels de la nature
Mais pourquoi distinguer "lois objectives" et "mouvements réels de la nature" ? Je suis persuadé que Lénine ne faisait pas cette distinction. Il dit : être matérialiste, c'est comprendre qu'il existe des lois dans la nature, que cette "nature" existe indépendamment de la "formulation" de ces lois par les hommes ; être matérialiste, en outre, c'est prendre conscience que la connaissance de la nature n'est pas pure construction de celle-ci, mais "reflet" approximatif de celle-ci dans le cerveau des hommes. Sous-entendu que ce "reflet" sera d'autant plus approximatif que les moyens de connaissance seront peu développés et que les conditions sociales de production de ces connaissances seront défavorables. Aussi dire :
a écrit : Lénine [...] ne pense [pas] dialectiquement la relation entre le reflet et la réalité dans le processus de production sociale des connaissances par la pratique humaine
ou
a écrit :Lénine confond les régularités réelles dans la nature et leur concept (la formulation de lois), il confond le mouvement régulier et la loi qui en est abstrait approximativement tout comme il confond parfois la matière et son concept (et cela sans les saisir et les présenter dans leur unité et leur développement dialectique)
est faire preuve, à mon sens, d'une certaine légèreté. Pour résumer, Lénine :
a écrit :La tâche la plus noble de l’humanité est d’embrasser cette logique objective de l’évolution économique (évolution de l’existence sociale) dans ses traits généraux et essentiels, afin d’y adapter aussi clairement et nettement que possible, avec esprit critique, sa conscience sociale et la conscience des classes avancées de tous les pays capitalistes


Nous avons ensuite ce passage :
a écrit :« Le matérialisme historique admet que l’existence sociale est indépendante de la conscience sociale de l’humanité. La conscience n’est, ici et là, que le reflet de l’être, dans le meilleur des cas un reflet approximativement exact (adéquat, d’une précision idéale) ». C’est là un matérialisme réductionniste, pour un matérialisme pleinement dialectique la conscience participe de la réalité sociale, il y a interdépendance plutôt qu’indépendance. La matière peut exister sans la conscience mais pas la réalité sociale, pas de social sans conscience (pas de social qui ne soit pas déterminé dans une certaine mesure par de la conscience, « sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire » par exemple pour reprendre Lénine).
Premièrement, si la "conscience participe de la réalité sociale" -- ce que personne ne peut sérieusement contester --, est-ce à dire néanmoins que c'est là un aspect aussi déterminant que la réalité objective des rapports sociaux de production ? Pour les marxistes, non : je te renvois, à ce propos, à la lettre de Engels à Bloch en 1890 : les fondements de l'existence sociale sont, oui, indépendants de la conscience sociale -- ce qui n'empêche pas qu'il n'est effectivement pas de "social" (?) "qui ne soit pas déterminé dans une certaine mesure par la conscience" (encire que le mot "conscience", ainsi employé, tout seul, fait un peu désordre : la "conscience" est toujours une conscience "sociale"... Deuxièmement, citer Lénine à l'appui de cette démonstration ambiguë (« sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire ») ne tient pas : pour Lénine, le capitalisme peut exploser, mettre des centaines de milliers de gens dans la rue, fermer des boîtes par milliers, provoquer autant de grèves et de révoltes ouvrières, s'il n'y a pas à ce moment-là de parti révolutionnaire doté de "théories révolutionnaires" forgées et améliorées au fil des luttes et susceptibles de permettre aux révolutionnaire de transformer la crise en révolution prolétarienne, c'est le bain de sang et la réaction assurée pour des lustres.

Piter, tu dis ensuite: Lénine
a écrit :passe ici à coté de ce que l’inadéquation entre la conscience et l’existence sociale ne provient pas seulement selon Marx de ce que l’une soit le reflet de l’autre mais aussi de ce que les rapports capitalistes entre les hommes engendrent l’aliénation de ceux-ci. L’inexactitude du reflet est historique il s’agit d’un effet de réification (c'est-à-dire prendre pour une « chose » ce qui est un rapport entre les hommes, un produit de leur activité) et non pas un effet général de la relation entre « le corps et l’esprit »
D'abord, "Réification" est un terme que Lukacs a exporté vers la théorie marxiste sans que cela, à mon sens, ne l'enrichisse (Marx avait préféré celui de "fétichisme") ; ensuite, Lénine ne dit nulle part que "l'inexactitude" du reflet serait "un effet général de la relation entre « le corps et l’esprit »" ; enfin, ce que disent Marx et Lénine, me semble-t-il, est ceci : la conscience est le reflet de l'existence sociale ; "l’inéquation entre la conscience et l’existence sociale" s'expliquent par les "rapports capitalistes entre les hommes" ; la conscience inexacte, inversée, qu'ont les hommes des "rapports capitalistes entre les hommes" s'explique par les "rapports capitalistes entre les hommes" qui détermine leur conscience... Lénine :
a écrit : dans la formation sociale capitaliste, les hommes lorsqu’ils entrent en rapport les uns avec les autres, n’ont pas conscience des relations sociales qui s’établissent entre eux, des lois présidant au développement de celles-ci


Tu dis ensuite :
a écrit :Mais c’est avec Engels que l’on à les meilleurs éléments de critiques matérialistes de Matérialisme et empiriocriticisme.
Dans Dialectique de la nature (dont Lénine ne pouvait connaître la plupart des textes le composant, ceux-ci ayant été publiés après sa mort) Engels montre la pensée comme produit non seulement du cerveau mais aussi de la main et de l’activité pratique, et le développement du cerveau comme inséparable du développement de la main. Matérialisme non pas seulement de la « matière » mais surtout de la pratique, une pratique inscrite dans la nature dont l’homme fait partie.
Non seulement Lénine l'avait compris, mais il défendait aussi cette conception : dans Matérialisme et empiriocriticisme, s'il y a bien un point qui est détaillé et bien expliqué, c'est précisément qu'il n'est pas de conscience indépendamment de la pratique sociale des hommes. La "pratique" comprise comme transformation sociale de la matière (de la nature, des conditions sociales matérielles d'existence et de reproduction). Comment reprocher à Lénine de ne pas avoir compris ceci ? On ne peut reprocher à Lénine de parler seulement de "matière" qu'à condition de ne pas comprendre que cette "matière" qui détermine la pensée relève bien pour Lénine de sa transformation -- "pratique", matérielle, sociale -- par les hommes.

Pour finir, cette phrase :
a écrit : Les mouvements chimiques et moléculaires dans le cerveau n’épuisent pas l’essence de la pensée, ce sont des formes annexes à une forme supérieure du mouvement de la matière.
Or, "forme supérieure" ou non, la pensée n'est-elle pas, en dernier ressort, matière ? Une matière (dans le cerveau des hommes) déterminée par la pratique de transformation de la matière (par les hommes, dans la nature, en société) ? Une matière, somme toute -- et aussi dialectiquement qu'il soit --, dépendante de la matière ?
C'est sans doute difficile à accepter, mais c'est ainsi...
piemme
 
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Message par piter » 05 Mars 2007, 13:24

tout d'abord merci Piemme pour ton effort de lecture et pour ta réponse constructive et détaillée.
je dirais tout d'abord qu'il y a certains malentendus, tu me préte parfois des idées que je n'ai pas (je ne me suis pas toujour exprimé suffisemment clairement, semble il).
je reprend au fur à mesure et en plusieurs fois.
a écrit :Or, tu le reconnais toi-même : Lénine ne fait que dire que
QUOTE 
La conscience est le produit du cerveau d’individus qu’il faut saisir dans leurs relations sociales, dans leur activité produisant langage et pensée

Il n'y a donc pas opposition, et Lénine a raison.

mon propos est plutot de dire que justement, dans Matérialisme et empiriocriticisme, Lénine ne présente pas suffisemment la pensée comme un produit social, se contentant en général de la présenter comme "produit du cerveau". ce qui est juste mais pas suffisant pour un matérialiste marxiste.

a écrit :Or, parler d'interaction pourrait laisser supposer qu'est également vrai le postulat : "l'activité se forme dans le cours de la pensée, l’un est l’autre ne pouvant être séparé". Ce qui ne serait pas juste, du point de vue matérialiste.

tu pousse trop loin ce que je dis, bien entendu l'activité ne se forme pas dans le cours de la pensée. je disais seulement que Lénine en mettant plutot en avant la séparation entre le "nous" et "les choses" plutot que leur relation, risque de réintroduire une conception dualiste.

a écrit :je pense que le terme de "matérielle" convient parfaitement pour désigner la "pratique humaine". A condition de bien comprendre par "pratique humaine" le procès de travail social qui consiste, pour les hommes, à transformer la matière et ainsi à reproduire leurs conditions "matérielles" d'existence. Pour le dire autrement, dire que la "pratique humaine" est "matérielle" est une manière de se positionner clairement contre l'idée selon laquelle la "pratique humaine" pourrait dépendre essentiellement du monde des idées. En ce sens, Lénine partage pleinement la position "matérialiste" de Marx.

mon propos est de dire que la condition, juste (qu'elle comprenne l'activité pratique et sociale des hommes), que tu pose pour pouvoir utiliser le concept de "matière" de façon non réductionniste, n'est pas exposée suffisement dans Matérialisme et empiriocriticisme.
piter
 
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Message par piter » 05 Mars 2007, 13:36

a écrit :Tu reproches ensuite à Lénine d'affirmer que
QUOTE 
Le point de vue de la vie, de la pratique, doit être le point de vue premier, fondamental de la théorie de la connaissance

sans
QUOTE 
montrer suffisamment ce en quoi un tel matérialisme se distinguerait [...] des autres matérialistes

Il me semble que tu exagères pour au moins deux raisons : d'une part, Lénine vise les "empiriocriticistes", nouvelle version de l'idéalisme. D'autre part, il revient largement dans d'autres textes sur les "autres matérialiste". Il n'y là aucune ambiguïté à voir.


que Lénine vise certains idéalistes ne l'empéche nullement de présenter une conception du matérialisme la plus complète et la moins unilatérale possible, la lutte conséquente contre les idéalistes de tous poils ne pourraient qu'y gagner.
d'autres part je ne parlait dans mon texte que de Matérialisme et empiriocriticisme, je ne visait le matérialisme de Lénine en général, seulement son exposition dans ce bouquin en particulier. je pense par exemple que certains éléments qu'il ajoute ou corrige dans ses notes publiées dans les Cahiers philosophiques, développent et complètent ses positions en la matière, présentant un matérialisme plus conséquent car plus dialectique.
piter
 
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Message par piter » 05 Mars 2007, 13:50

a écrit :QUOTE 
Les lois ne sont dans la nature que comme produit de la nature humaine, comme produit d’un travail social des hommes

Je relis : les lois de la nature sont le produit de la nature humaine. Je passe sur "nature humaine" qui est une catégorie idéaliste (pour les marxistes, la nature humaine n'existe pas). Non : la réalité objective de nature (et par voie de conséquence, ses "lois") existe en dehors des hommes et de leurs représentations de cette nature et de ces "lois". Certes, la conception, l'élaboration, la formulation, la verbalisation de ces "lois" de la nature dépendent des hommes (socialement et historiquement déterminés), mais la nature et ce qui la caractérise objectivement existent indépendamment des hommes.


je pense qu'il y a une conception idéaliste de la nature humaine et une conception matérialiste de la nature humaine (que l'on trouve chez Marx, en gros la nature humaine n'est pas éternelle et métaphysique, elle est historique c'est le produit de sa propre activité, le propre de l'homme c'est de transformer la nature par son activité pratique pour répondre à ces besoin, transformation de la nature qui est aussi transformation de sa nature propre, pour Marx l'homme fait bien entendu partie de la nature) mais bon peut etre il faudrait un autre fil...

sinon, bien entendu la réalité objective de la nature existe en dehors des hommes mais on ne peut en déduire que c'est aussi le cas des lois puisque celle ci sont le reflet, élaborée par les hommes dans le cours de leur pratique, des régularité objective des mouvement de la nature. régularités dans la nature qui existe bien entendu indépendemment des hommes, mais c'est les hommes qui formule des lois à partir de leur confrontation, dans le cours de leur pratique, à ces régularités.
piter
 
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Message par piter » 05 Mars 2007, 13:58

a écrit :Nous avons ensuite ce passage :
QUOTE 
« Le matérialisme historique admet que l’existence sociale est indépendante de la conscience sociale de l’humanité. La conscience n’est, ici et là, que le reflet de l’être, dans le meilleur des cas un reflet approximativement exact (adéquat, d’une précision idéale) ». C’est là un matérialisme réductionniste, pour un matérialisme pleinement dialectique la conscience participe de la réalité sociale, il y a interdépendance plutôt qu’indépendance. La matière peut exister sans la conscience mais pas la réalité sociale, pas de social sans conscience (pas de social qui ne soit pas déterminé dans une certaine mesure par de la conscience, « sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire » par exemple pour reprendre Lénine).

Premièrement, si la "conscience participe de la réalité sociale" -- ce que personne ne peut sérieusement contester


pourtant la formulation de Lénine est que l"'existence sociale est indépendante de la conscience sociale de l'humanité" ce qui me semble il n'indique pas très clairement que la conscience participe de la réalité sociale. l'expression de Lénine me semble un peut malheureuse et se préte à une interprétation réductionniste.

a écrit :pour Lénine, le capitalisme peut exploser, mettre des centaines de milliers de gens dans la rue, fermer des boîtes par milliers, provoquer autant de grèves et de révoltes ouvrières, s'il n'y a pas à ce moment-là de parti révolutionnaire doté de "théories révolutionnaires" forgées et améliorées au fil des luttes et susceptibles de permettre aux révolutionnaire de transformer la crise en révolution prolétarienne, c'est le bain de sang et la réaction assurée pour des lustres.

je ne le conteste pas mais la politique de Lénine est une chose, la formulation de son matérialisme dans Matérialisme et empiriocriticisme en est une autre, heureusement c'est sa politique qui est juste, ce qui est préférable à l'inverse...
piter
 
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Message par piemme » 05 Mars 2007, 22:25

Lénine, dis-tu,
a écrit :ne présente pas suffisemment la pensée comme un produit social, se contentant en général de la présenter comme "produit du cerveau".
En l'occurence, Lénine revient dans son ouvrage sur les fondamentaux du matérialisme à l'intention des empiriocriticistes qui sont des gens qui vont parfois jusqu'à contester l'existence d'une réalité objective et à s'interroger sur la fiabilité de leur perception... Dans d'autres écrits bien antérieurs à matérialisme et empiriocriticisme, Lénine montre sans équivoque (n'est-il pas marxiste ?) que la pensée est un produit social.
Quand je dis
a écrit :parler d'interaction pourrait laisser supposer qu'est également vrai le postulat : "l'activité se forme dans le cours de la pensée, l’un est l’autre ne pouvant être séparé".
je me doute bien que ce n'est pas là ta position ; je dis simplement que le mot "interaction" n'empêche pas de faire cette déduction.
Tu écris
a écrit :la réalité objective de la nature existe en dehors des hommes mais on ne peut en déduire que c'est aussi le cas des lois puisque celle ci sont le reflet, élaborée par les hommes dans le cours de leur pratique, des régularité objective des mouvement de la nature.
En poussant le bouchon, on pourrait dire de même que la notion de "réalité objective", au même titre que la catégorie de "lois" utilisée pour désigner les "régularités objectives", appartient au nombre de ces nombreux reflets... Si tu reconnais l'existence de la "nature objective" dans son essence (ou sa "matière" -- si je puis dire), tu ne peux la séparer de ses lois (des lois de l'évolution de la matière) : la matière n'a pas attendu l'existence des hommes pour évoluer selon les lois de la nature ; qu'il ait fallu, en revanche, attendre les hommes pour que ceux-ci se décarcassent à "penser" la nature, à s'interroger sur ses lois et à formuler l'une et les autres plus ou moins adroitement au fil des siècles, c'est là une évidence.
Dernier point, comme dit Lénine :
a écrit :l'existence sociale est indépendante de la conscience sociale de l'humanité.
C'est, pour moi, la première "idée" que doivent défendre les matérialistes conséquents. Il ne fait que dire autrement ce que disaient Marx et Engels quand ils insistaient sur le fait que "ce n'est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience"... Qu'en retour "la conscience participe de la réalité sociale", oui, c'est vrai, mais c'est accessoire. Insister sur ces accessoire, c'est affaiblir l'idée principale. Et le risque est, quitte à l'affaiblir, de la remettre (certes, de manière diffuse) en question.
Enfin, tu dis
a écrit :la politique de Lénine est une chose, la formulation de son matérialisme dans Matérialisme et empiriocriticisme en est une autre, heureusement c'est sa politique qui est juste, ce qui est préférable à l'inverse...
Pour ma part, je suis convaincu qu'on ne peut séparer l'une de l'autre...
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Message par Louis » 05 Mars 2007, 23:02

oui mais ce qui complique les choses, c'est que "les lois objectives" qu'on découvre ne sont jamais TOTALEMENT déconnectées de la vision subjective qu'on peut avoir de la nature a un moment donné ! Seul le naif à mon avis s'emmerveille que la "réalité" soit "religieuse" a un certain instant, "laique" a d'autre, et résolument athée a un troisiéme !
Louis
 
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Message par canardos » 06 Mars 2007, 07:31

la connaissance que nous avons des lois objectives qui régissent la matière et donc la capacité que nous avons à les décrire sont liées à nos capacités d'observations et à nos capacités de compréhensionmais les lois de la matière elle, sont totalement objectives, meme celle que nous ne connaissons pas.

elles existaient avant l'homme et elles existeront apres ....

c'est toute la difference entre le matérialisme et l'idéalisme
canardos
 
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Message par piter » 06 Mars 2007, 12:35

a écrit :Seul le naif à mon avis s'emmerveille que la "réalité" soit "religieuse" a un certain instant, "laique" a d'autre, et résolument athée a un troisiéme !

penser que la réalité puisse etre religieuse ou laique plutot que résolument athée ne peut etre que du crétinisme (ou plus poliement une manifestation d'arriération).
piter
 
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