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[center]L'Europe va ouvrir une nouvelle fenêtre sur le passé de l'Univers[/center]
LE MONDE | 13.02.07 |
CANNES ENVOYÉ SPÉCIAL
A quelques dizaines de mètres d'une Méditerranée tiédie par le soleil de février, la sonde européenne Planck se prépare à aller relever les températures glaciales d'une mer invisible. Ce flot de radiations, qui baigne chaque mètre cube du cosmos, charrie le souvenir refroidi de l'Univers tel qu'il se présentait environ 300 000 ans après les chaleurs extrêmes du Big Bang, l'explosion des origines. Pour les astrophysiciens, ce rayonnement cosmologique de fond (RCF), découvert par hasard en 1965, est un don du ciel. Sa mesure ouvre un accès aux caractéristiques essentielles de l'Univers, et la cartographie de ses infimes variations permet d'apercevoir les graines de matière qui ont donné les galaxies, les étoiles et donc nous-mêmes. Ses enseignements sont si précieux que deux sondes américaines lui ont déjà été dédiées : COBE, qui vient de valoir un prix Nobel à ses concepteurs (Le Monde du 5 octobre), et WMAP, toujours en activité.
Avec Planck, en cours d'assemblage sur le site cannois d'Alcatel Alenia Space, c'est au tour de l'Agence spatiale européenne (ESA) de placer une vigie aux avant-postes de l'histoire de l'Univers. Une mission d'un tel luxe technologique méritait un transport de première classe et une vue imprenable sur le cosmos. A l'été 2008, une Ariane-5 ECA doit donc la lancer de Kourou, en même temps que le télescope spatial Herschel, sur la trajectoire d'un de ces points privilégiés, dits "de Lagrange", où l'attraction du Soleil et de la Terre s'équilibrent. Là, Planck pourra profiter pleinement d'une capacité de mesure "30 fois plus précise que celle de WMAP, et même 1 000 fois plus fine que celle de COBE", selon Jean-Loup Puget, de l'Institut d'astrophysique spatiale (IAS, Paris-Sud), responsable d'HFI, l'un des deux détecteurs de l'engin.
Pour s'assurer de ses résultats, la sonde embarque en effet deux instruments de mesure distincts. La technologie du premier, LFI, conçu en Italie, s'inscrit dans le prolongement de ses prédécesseurs américains. Celle du second, HFI, réalisé par plusieurs laboratoires français en partenariat avec le Centre national d'études spatiales (CNES), sera nettement plus audacieuse. Elle emportera des détecteurs de rayonnement, des bolomètres, pour la première fois dans l'espace.
"En observant dans des longueurs d'onde encore inexplorées, nous allons ouvrir une nouvelle fenêtre sur l'Univers, explique François Bouchet, de l'Institut d'astrophysique de Paris (IAP). En outre, ces mesures constitueront une confirmation indépendante de celles de LFI et des sondes précédentes. Sur les variations de températures, ils doivent apporter les "résultats ultimes", dont la précision ne pourra guère être améliorée. Mais ils peuvent aussi donner des informations inédites sur l'après-Big Bang." HFI doit en effet commencer à cartographier la polarisation du RCF, une caractéristique du rayonnement lumineux, imperceptible pour l'oeil humain, qui donne une indication sur la manière dont les ondes se déploient dans l'espace.
Pour y parvenir, HFI devra réussir une prouesse technique. Jean-Michel Lamarre, directeur du Laboratoire d'étude du rayonnement et de la matière en astrophysique (Observatoire de Paris), la résume ainsi : "C'est à peu près comme si notre instrument devait mesurer, de la Terre, la chaleur dégagée par un lapin qui vivrait sur la Lune, tout en étant capable d'éliminer la chaleur d'un homme qui se trouverait à côté du détecteur."
Au cours des milliards d'années qu'il a traversées, le RCF s'est refroidi au point de ne plus s'élever aujourd'hui qu'à 3 °C au-dessus du zéro absolu (- 273,15 °C). Pour en discerner les variations, les bolomètres d'HFI doivent être encore plus froids. Or, dans une sonde spatiale exposée aux rayons du Soleil, tout peut devenir très vite beaucoup trop chaud. Pour résister à ce rayonnement, Planck déploiera donc une série de boucliers. Puis, pour s'opposer à la chaleur dégagée par la sonde et ses instruments, une série de circuits de refroidissements actifs vont entrer en action. Au stade ultime, tout près des détecteurs, un réfrigérateur à dilution doit permettre d'atteindre une température à peine supérieure d'un dixième de degré au zéro absolu.
Cette invention, brevetée par le CNES, repose sur l'interaction de l'hélium 3 et de l'hélium 4, seule capable d'une telle efficacité en apesanteur. Son défaut est de fonctionner en circuit ouvert : le gaz s'échappe dans l'espace après avoir refroidi les détecteurs. Et au prix exorbitant de l'hélium 3, si rare que les besoins de Planck correspondent à une année et demie de la production mondiale, la sonde, d'un coût estimé à 600 millions d'euros, n'est pas certaine de s'envoler avec des réservoirs pleins. Cela pourrait abréger ses deux années d'observation.
Jérôme Fenoglio