a écrit :La Chine n'assure pas la sécurité sociale
Après le démantèlement de l'Etat providence, émigrés des campagnes et paysans sont sans protection. Par Pascale NIVELLE
QUOTIDIEN : samedi 3 février 2007
Pékin de notre correspondante
L'angoisse. Plus que la hantise du chômage, qu'elle a dépassée dans les préoccupations des citadins chinois, la protection sociale est devenue en 2006 leur sujet d'inquiétude majeur. Les peurs des salariés des villes sont justifiées : d'après l'Académie des sciences sociales de Chine, 40 % d'entre eux n'ont aucune couverture maladie, retraite ou chômage. Et ils ne seraient que 10 % à bénéficier du taux le plus élevé, selon le très officiel Quotidien du peuple. Lors de sa dernière session plénière, le comité central du Parti communiste chinois a pourtant donné son carnet de route pour 2020 : «Une société harmonieuse.» Avec, priorité des priorités, l'établissement du «plus grand système de sécurité sociale du monde».
Chantier. Jean-Charles Dehaye, expert français sur la sécurité sociale, travaille à Pékin, sur le plus gros programme d'études sino-européen, qui devra remettre un projet de système social en 2011. «L'enjeu est énorme pour ce pays qui s'apprête à devenir la deuxième puissance économique mondiale, dit-il. La réforme en cours est un chantier gigantesque.» Il reste à harmoniser les différences entre les provinces, maîtresses du jeu pour la gestion des caisses de pension, et à lisser le passage de l'économie planifiée à celle de l'économie de marché.
Jusqu'à la politique d'ouverture économique du début des années 90, le chômage n'existait pas en Chine, et c'est l'Etat-providence, par le biais des unités de travail, qui veillait à la santé et à la retraite des citoyens, du moins ceux qui étaient employés dans ses entreprises. Depuis une quinzaine d'années, les cotisations à la sécurité sociale sont partagées entre l'Etat, le salarié et son entreprise censée cotiser à hauteur de 30 % du salaire. Le système fonctionne pour les fonctionnaires et les salariés des anciennes entreprises publiques. Pour les autres, en revanche, c'est le flou : «Le principe n'est pas toujours respecté, explique Wang Dewen, chercheur à l'Académie des sciences sociales de Chine. Par exemple, dans certains secteurs, comme le bâtiment ou le commerce de détail, qui emploient pour la plupart des travailleurs migrants, 10 % à peine des entreprises cotisent.»
La situation des 150 millions de paysans émigrés en ville (en augmentation constante) illustre les carences du système. Venus des provinces les plus pauvres, situées dans l'ouest du pays, pour travailler dans les villes riches de l'est, ils trouvent des emplois dans la zone grise de l'économie chinoise, dans des conditions de grande précarité, qui entraînent accidents du travail et maladies professionnelles. Pour ceux-là, qui risquent leur vie à travailler, la retraite est une préoccupation lointaine.
Vieux pays. Dans les campagnes, il n'existe simplement aucun système de protection, et les paysans, encore majoritaires en Chine, fonctionnent toujours sur l'ancestrale entraide familiale. C'est aux parents de s'occuper des enfants, puis aux enfants de s'occuper des vieux. Mais la Chine, où la politique de l'enfant unique et l'accroissement de l'espérance de vie ont fait bondir la moyenne d'âge (5 % de plus de 60 ans en 1982, 11 % aujourd'hui), est devenue un vieux pays avant de devenir un pays riche.
La solidarité familiale ne suffit plus, et l'augmentation du nombre des conflits sociaux témoigne d'une crise profonde. En novembre, une émeute (sévèrement réprimée) a éclaté à Guanghan, dans le sud-ouest de la Chine, après la mort d'un enfant de 3 ans qui avait avalé de l'engrais. Le grand-père n'avait pas pu réunir 800 yuans (80 euros) pour le soigner. «Comme les hôpitaux, même publics, doivent équilibrer leur budget, explique Wang Dewen, il faut payer avant d'être soigné. Du coup, beaucoup de gens meurent à la porte des hôpitaux.» Il n'est pas rare que des familles, ou même un village entier, s'endettent sur des générations pour l'opération urgente d'un habitant, quand les économies ne suffisent plus.
Bas de laine. Le besoin d'une politique sociale efficace est de ce fait criant, pour des raisons humanitaires autant qu'économiques. Villes et campagnes confondues, 70 % des Chinois, totalement à découvert en matière de sécurité sociale, sont contraints de pratiquer la politique du bas de laine, aggravant un mal récurrent de l'économie : l'accroissement de l'épargne au détriment de l'investissement et de la consommation.