Dans «Le Monde» du 12 janvier 2007 :
a écrit :
Les illusions perdues des familles de militaires
Je ne peux pas le croire. Les généraux qui commandent les troupes en Irak ont déclaré publiquement qu'ils ne croyaient pas au succès de cette nouvelle stratégie. L'idée de gagner en augmentant dans des proportions relativement faibles le nombre de soldats est absurde. Cela ne fera qu'ajouter des souffrances. Plus de gens vont perdre leurs enfants. "
Patrick Fanan, qui prononce ces mots, est le principal d'une école primaire dans une petite ville du Missouri, Weston, non loin de Kansas City. Son fils Colby, 22 ans, a été tué le 25 février 2005 par une bombe en Irak. Il était arrivé dans le pays depuis quatre jours. Il comptait se marier à son retour et poursuivre à l'université des études médicales.
" Les gens ne se rendent pas compte du coût humain de cette guerre. Ils ne voient pas les images des cercueils et des enterrements et très peu celles des 15 000 blessés, estropiés ou mutilés. Comme la conscription n'existe plus et que les militaires sont tous des volontaires, la guerre leur semble lointaine. Mais quel gâchis ! Les soldats tués et blessés ont en moyenne entre 21 et 22 ans et cela va continuer, je le crains, peut-être encore des années. Tout cela parce que les politiques n'ont pas le courage de reconnaître leurs erreurs. " Pour Valérie Fletcher, " il n'y a tout simplement pas de troupes disponibles pour ces prétendus renforts. Les mêmes vont devoir faire encore plus de sacrifices. Les soldats aujourd'hui déployés resteront plus longtemps et ceux qui sont déjà allés en Irak vont devoir y retourner. Ils sont en train de démolir une génération. J'ai perdu mon père au Vietnam quand j'étais enfant, je ne veux pas perdre mon fils en Irak ". Son fils, 20 ans, dont elle ne veut pas donner le prénom par crainte des représailles, est un marine. Il est en ce moment pour la deuxième fois en Irak.
" ON NOUS A TROMPÉS "
Valérie Fletcher vit à Fordland, une petite ville rurale au sud-ouest du Missouri, non loin de l'Arkansas. Elle a le sentiment de " revivre ce qui s'est passé pendant la guerre du Vietnam. Il faudra attendre un autre président pour ramener les soldats à la maison. Au début, j'étais favorable à la guerre. J'ai cru ce que disait le gouvernement, que l'Irak représentait une menace imminente. Et puis j'ai réalisé qu'il n'y avait pas d'armes de destruction massive. On nous avait trompés ".
Valérie Fletcher est professeur d'arts martiaux, elle s'est engagée il y a quelques mois dans la garde nationale du Missouri, dans une unité médicale. " Je sais que je peux être envoyée en Irak, mais il fallait absolument que je fasse quelque chose pour aider ces jeunes, pour les remplacer. "
Michael McPherson, vétéran de la première guerre du Golfe en 1991 et dont le fils est revenu d'Irak il y a trois mois, estime que " George Bush retarde l'inévitable ". Il dirige, à Saint Louis, dans le Missouri, le bureau de l'association Veterans for Peace (Vétérans pour la paix), une organisation créée par des anciens du Vietnam au début des années 1980.
" Le président ne propose pas une nouvelle stratégie, il s'agit en fait de la même stratégie avec 20 000 soldats supplémentaires. Cela ne permettra certainement pas de contrôler l'Irak ni même Bagdad. Il faudrait des centaines de milliers d'hommes que nous n'avons pas. George Bush n'est pas près de reconnaître cette réalité. Je ne sais pas si c'est par arrogance et entêtement ou par crainte des conséquences géopolitiques ", ajoute-t-il.
Eric Leser (Saint Louis, envoyé spécial)
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