Shanxi - les victimes du charbon et du capitalisme

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Message par canardos » 07 Déc 2006, 16:35

dans Libération:

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Transformés en gruyère, les sous-sols de la province du Shanxi s'effondrent, provoquant l'exode de ses habitants.

En Chine, des villes et des vies minées par le charbon


Par Pascale NIVELLE
QUOTIDIEN : mercredi 6 décembre 2006
Province de Shanxi envoyée spéciale

A Haojiazhai, «même les ânes tombent dans les trous». La nuit, on entend les murs gémir et craquer. «On a peur», dit le vieil homme, balayant les éboulis de sa ruelle du bout de sa pantoufle chinoise. Il s'appelle Hao, comme le village où il tente de survivre avec ses voisins aussi vieux que lui. Hao attend de partir là où «on» lui dira d'aller. Mais les voitures ne montent jamais jusqu'à Haojiazhai. «On nous a oubliés», dit Hao. Quand il est né, on ne parlait pas encore du charbon dans la province du Shanxi. La vie dans ces montagnes peignées par les terrasses, c'était le sorgho, le maïs, le blé. Mais le Shanxi est devenu le réservoir énergétique de la Chine (1) et le sous-sol s'est transformé en passoire. Aujourd'hui, plus rien ne pousse, l'eau tombe dans les trous, comme les ânes, et il n'y a plus de bras pour pousser les charrues. Le village aux maisons troglodytes, posé sur des kilomètres de galeries désaffectées, est miné. Le charbon l'a anéanti (2).

Les mines, Li les a vues fleurir en vingt ans. Né à Haojiazhai, quand la terre nourrissait encore 100 familles, il a déménagé lorsque les premiers signes d'effondrement sont apparus, il y a une quinzaine d'années. Les autorités, moyennant finances, proposaient de reloger les habitants dans un nouveau village, bâti à la va-vite 200 mètres plus bas. Il menace de s'effondrer à son tour, rattrapé par la gangrène des mines sauvages. «Il en pousse partout, tout le temps, le charbon est à 7 mètres de la surface, raconte Li. Il y a des centaines de kilomètres de galeries sous nos pieds.» Sur les murs de brique du nouveau Haojiazhai, des slogans rappellent qu' «il est honorable de contrôler les naissances». Et que «les membres du Parti sont des exemples». Devant chaque maison, un tas de charbon attend l'hiver.

Air apeuré.

Parfois, Li grimpe à travers les terrasses affaissées jusqu'au vieux village désert, vendre quelques fruits ou légumes aux oubliés. C'est son nouveau métier, à 46 ans. Il a été agriculteur à Haojiazhai le Haut, puis s'est mis ouvrier du bâtiment pour un propriétaire de mines. Il y a deux ans, son patron a disparu. Le filon de charbon épuisé, il est parti creuser plus loin, sans étayer les galeries ni régler les salaires d'une vingtaine d'ouvriers de Haojiazhai. Li, embarqué dans une procédure judiciaire désespérée, voit parfois passer son ancien patron sur la route, dans une grosse berline noire. Ce dernier vit à Xiaoyi, la ville poussiéreuse et hérissée de cheminées d'usines, qui a poussé comme un champignon noir dans la vallée en même temps que les mines. «Les types comme lui gagnent des centaines de milliers de yuans par mois, dit Li. Il vient de chez nous et s'est bien débrouillé. Il a plusieurs mines dans le coin et ne paie pas ses ouvriers. Quand ils protestent, il fait venir des hommes de main pour les frapper.» Le vieux Hao sourit : «Il n'y a plus que les malins qui s'en sortent, de nos jours.»

Hao a longtemps travaillé à la mine, son fils y est encore, loin d'ici. Il n'a aucune retraite et vit sur ses économies, utilisant avec parcimonie l'électricité amenée dans la montagne par des câbles et des pylônes qui s'affaissent souvent dans les trous de la mine. Quelques vieux dans l'uniforme de leur jeunesse, bleu de travail et casquette Mao, se réchauffent au soleil de novembre en compagnie d'un ado au regard vide. «Il est idiot, explique Li. Ses parents sont partis.» Dans la ruelle défoncée marche un homme au visage noir de suie, un casque et une lampe frontale sur la tête. Le mineur passe son chemin sans un regard, l'air apeuré. C'est un Mingong, un émigré du Henan, la province voisine, venu se vendre pour 1 000 yuans (100 euros) par mois à Haojiazhai. Il dort dans une vieille maison aux murs lézardés et ne parle à personne. Un jour, il disparaîtra pour un autre village ou au fond d'une mine. Un autre visage noir et sans âge le remplacera.
Dans cette région, les autorités chinoises reconnaissent 10 000 morts par an dus aux accidents dans les mines. Les ONG, elles, doublent ce record mondial. Au pied de la montagne, au bord de la route des mines et de la «rivière noire» asséchée et polluée par le charbon, pousse le nouveau Haojiazhai. Quelques maisons en parpaings blanchis attendent les habitants. Des files de camions verts chargés de minerai passent en crachant une poussière grasse sur les carrés de choux. Les «autorités», alertées par la dangerosité des deux anciens villages, ont entrepris de reloger les habitants qui en ont les moyens.

Echafaudage.

Il faut investir 30 000 yuans pour déménager et faire détruire son ancienne maison. «Ce n'est pas pour moi», dit doucement Hao. Sa voisine, Hong, attend ce jour depuis que les premières fissures sont apparues dans son deux-pièces creusé à flanc de montagne, il y a dix ans. La quarantaine élégante en tablier fleuri et escarpins vernis blancs, elle vit seule dans le vieux village. Son mari est mineur dans une usine lointaine et ses deux fils sont partis à la ville. Elle surveille l'échafaudage qui tient ses murs, passe le balai sous les lézardes et fait des comptes à longueur de journée. Le gouvernement offre 15 000 yuans par pièce habitable, à condition de réinvestir autant. Encore quelques mois et elle pourra emménager dans la vallée.

Hong et Hao dans le premier village, Li dans son deuxième, tous rêvent du troisième Haojiazhai. Des anciens champs de maïs en promontoire sur la montagne, ils guettent l'avancement des travaux. Et aussi ceux d'une nouvelle mine privée, qui vient d'ouvrir à quelques centaines de mètres.

(1) 70 % de l'électricité du pays provient du charbon. (2) Le Shanxi produit un demi-milliard de tonnes de charbon par an. Selon le Bureau national de la protection de l'environnement, 1 900 villages de cette province souffriraient de problèmes géologiques liés au charbon.

canardos
 
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